Cass. com., 6 avril 1999, n° 97-11.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Phytoservice (SA)
Défendeur :
Novartis Agro (SA), Ministre de l'Économie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Ryziger, Bouzidi, SCP Delaporte, Briard, Me Ricard
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 24 octobre 1996) que la société Ciba-Geigy (société Ciba), aux droits de laquelle vient la société Novartis Agro, fabrique et commercialise des produits phytosanitaires pour la protection des plantes, et notamment, des fongicides destinés à la grande culture qu'elle fournit aux négociants grossistes ou aux coopératives agricoles qui les revendent à des agriculteurs ; que cette entreprise a proposé à ses clients des remises liées à divers facteurs : dates de commande, de livraison, de règlement, rapports entre les volumes commandés en avant-saison avec ceux commandés en saison ; que notamment pour les fongicides grandes cultures des remises ont été accordées en fonction du règlement par le client selon le mois du règlement ; que la société Phytoservice qui a réglé ses factures de fongicides à l'échéance de base (10 mai 1992) a bénéficié de la remise annoncée de 5 % ; que deux de ses concurrents qui ont réglé leurs factures au-delà des dates " pivot " les 10 juillet et 10 août 1992, ont cependant bénéficié de la même remise de 5 % ; qu'après enquête de ses services administratifs, le ministre de l'Économie a assigné, en 1993, devant le tribunal de grande instance la société Ciba pour faire constater qu'elle s'était rendue coupable de pratiques discriminatoires au sens de l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la société Phytoservice est intervenue volontairement à l'instance et a réclamé, sur le même fondement juridique, le paiement de dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal : - Vu l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société Phytoservice concernant " les avoirs " accordés en 1992 par la société Ciba à certains de ses clients l'arrêt, faisant siennes les affirmations de cette entreprise relève que des " avoirs " ou des reports d'échéance sont régulièrement accordés en cas de " sur-stocks " et dans la limite de ces sur-stocks mais que ces pratiques ne sont pas des conditions de vente ; qu'au demeurant ces faits n'ont pas été considérés comme discriminatoires par l'Administration lors de son enquête ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les juges du fond qui n'étaient pas liés par les appréciations de l'Administration sur ces pratiques ayant pour effet de faire supporter aux autres producteurs, non bénéficiaires de ces " avoirs " ou de ces reports d'échéance, le coût de la gestion de leur stock , et donc de créer entre les opérateurs économiques des modalités de vente discriminatoires, a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident du ministre de l'Économie : - Vu l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; - Attendu que pour rejeter les demandes du ministre de l'Économie et de la société Phytoservice concernant les remises discriminatoires accordées à certains opérateurs économiques l'arrêt constate que l'absence de contrepartie réelle n'est pas discutée et ressort des déclarations de la société Ciba qui reconnaît que " sous la pression de très gros distributeurs " elle a dû leur accorder des délais supplémentaires de paiement associés au maintien de la remise ; que la cour d'appel, après avoir fait ce constat, énonce qu'il reste toutefois " à démontrer l'avantage ou le désavantage dans la concurrence de cette pratique " ; qu'il ne suffit pas d'invoquer un avantage ou un désavantage virtuels ; qu'il appartient à l'Administration, et au concurrent qui se prétend victime de la pratique discriminatoire, d'apporter la preuve de l'avantage et du désavantage dans la concurrence ; qu'en l'espèce la société Phytoservice n'allègue ni ne tente d'établir un trouble, une désorganisation de son réseau commercial ou un détournement de clientèle et se borne à invoquer un préjudice théorique ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le fait pour un producteur de consentir à un partenaire économique des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles crée pour ce partenaire un avantage dans la concurrence, sans qu'il y ait lieu pour l'Administration ou pour l'opérateur, qui n'a pas bénéficié de ces mêmes avantages, de démontrer l'existence du préjudice que ces pratiques illicites ont causé; qu'en rejetant les demandes du ministre de l'Économie tendant à ce que soit constatée l'existence de ces pratiques illicites et à les faire cesser, et en rejetant la demande en dommages et intérêts de la société Phytoservice sans examiner l'étendue du montant de son préjudice en se référant, aux avantages consentis à ses concurrents, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.