CA Colmar, 2e ch. A, 1 juillet 1999, n° 9604712
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
Défendeur :
Scapalsace (SA), Kellog's (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Samson
Conseillers :
MM. Lowenstein, Maillard
Avocats :
Mes Nico, Amadio, Wemaere, Caminade, Edel-Leven
Faits constants :
La société coopérative à capital variable Scapalsace est une société dont les actionnaires sont les adhérents de Centres Leclerc, propriétaires de 34 magasins, laquelle société assure une fonction d'entrepôt pour les régions Alsace, Lorraine, Champagne et Franche Comté ;
En 1989-90, la société coopérative à capital variable Scapalsace a entrepris des travaux d'agrandissement portant sur la superficie de son entrepôt de 25 000 à 35 000 m² ;
À cette occasion, elle a demandé à ses fournisseurs, dont la SA Kellog's, de lui verser des contributions financières ;
La SA Kellog's a versé, à titre de coopération commerciale, une somme de 237 200 F TTC ;
Procédure :
Par exploit signifié le 15 septembre 1993, le Ministre de l'Economie, représenté par M. Michel Burtin, Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Colmar, a assigné la société coopérative à capital variable Scapalsace et la SA Kellog's, devant le Tribunal de grande instance de Colmar en demandant notamment à cette juridiction de :
- dire qu'à l'occasion de l'extension de ses locaux intervenue en 1989-90, la société coopérative à capital variable Scapalsace a sollicité et obtenu de la SA Kellog's des conditions d'achat discriminatoires illicites au sens de l'article 36-1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
- dire que la société coopérative à capital variable Scapalsace devra restituer à la SA Kellog's la somme de 237 200 F TTC indûment perçue ;
- condamner la société coopérative à capital variable Scapalsace à payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts au profit de l'Etat ;
La société coopérative à capital variable Scapalsace a demandé au tribunal de :
- constater que le Ministre de l'Economie ne peut agir sans ministère d'avocat, de sorte que son action est nulle par application des articles 117 et suivants, ainsi que 751 du NCPC ;
- constater que le Ministre de l'Economie, agissant sur le fondement des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 n'a ni pouvoir ni qualité pour agir en nullité d'une convention, exiger la restitution et une condamnation pécuniaire au profit de l'Etat, de sorte que son action est irrecevable sur le fondement de l'article 122 du NCPC ;
La SA Kellog's a comparu mais n'a pas conclu.
Décision frappée d'appel :
Par jugement en date du 22 novembre 1995, le Tribunal de grande instance de Colmar a :
- déclaré l'assignation nulle par application des dispositions des articles 117 et suivants du NCPC ;
- condamné le Ministre de l'Economie aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Les motivations du tribunal étaient les suivantes :
- l'assignation signifiée sans constitution d'avocat par le demandeur doit être déclarée nulle et de nul effet ;
Conclusions et moyens des parties :
Par acte enregistré le 28 décembre 1995, le Ministre de l'Economie, représenté par le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes a, sans intervention d'un avocat, relevé appel du jugement susvisé en intimant la société coopérative à capital variable Scapalsace et la SA Kellog's.
Il sollicite l'infirmation de cette décision et demande à la Cour, par conclusions récapitulatives enregistrées le 31 mars 1999, de :
- dire l'action introduite par le Ministre de l'Economie recevable sur la base de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- dire qu'à l'occasion de l'extension de ses locaux intervenue en 1989-90, la société coopérative à capital variable Scapalsace a sollicité et obtenu de la SA Kellog's des conditions d'achat discriminatoires illicites au sens de l'article 36-1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
- dire que la société coopérative à capital variable Scapalsace devra restituer à la SA Kellog's la somme de 237 200 F TTC indûment perçue ;
- condamner la société coopérative à capital variable Scapalsace à payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts au profit de l'Etat ;
- condamner la société coopérative à capital variable Scapalsace aux dépens des deux instances ;
- condamner la société coopérative à capital variable Scapalsace à payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC au profit de l'Etat.
A l'appui de son appel, le Ministre de l'Economie fait valoir que :
- aux termes de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'action peut être introduite devant la juridiction compétente par le Ministre de l'Economie ;
- le Ministre est autorisé à déléguer sa signature ;
- les exigences de fond posées par l'article 117 du NCPC ont été remplies ;
- sur le fondement des articles 35 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Ministre de l'Economie est investi de prérogatives de défense de l'ordre public, de manière qu'il est délié des règles de représentation en justice, dérogation couvrant également l'assignation ;
- l'article 932 du NCPC n'est applicable qu'aux procédures d'appel intentées contre les jugements des juridictions d'exception.
La société coopérative à capital variable Scapalsace a, par conclusions récapitulatives enregistrées le 13 avril 1999, demandé à la Cour de :
- déclarer l'appel irrecevable et mal fondé et la procédure subséquente nulle ;
Subsidiairement :
- rejeter la demande de la société coopérative à capital variable Scapalsace (sic) comme irrecevable et mal fondée ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- condamner le Ministre de l'Economie aux dépens ;
- condamner le Ministre de l'Economie au paiement d'une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
La société coopérative à capital variable Scapalsace fait valoir que :
- l'assignation, signifiée sans constitution d'avocat, est nulle ;
- l'appel, inscrit sans constitution d'avocat à la Cour est irrecevable pour violation des dispositions des articles 899 et 901 du NCPC ;
- l'exception au principe de la représentation obligatoire ne peut venir que de " dispositions contraires ", et non de la nature de l'intérêt défendu par le demandeur ou l'appelant ;
- aucune disposition de l'ordonnance de 1986 ne prévoit la dispense d'avocat en faveur du Ministre appelant ;
- le fait de défendre l'intérêt général ne peut être un motif suffisant pour s'affranchir des règles processuelles, ce qui porterait une atteinte grave au principe d'égalité des parties ;
- les dispositions de l'article 56 de l'ordonnance de 1986 ne permettent au Ministre que de déposer des conclusions mais ne visent pas le droit d'appel ni ses formes ;
Subsidiairement :
- l'appel est irrecevable pour violation des dispositions de l'article 932 du NCPC et pour défaut d'habilitation par suite de l'absence de délégations de signature au moment de l'appel, le ministre délégant ayant cessé ses fonctions ;
La SA Kellog's, bien que régulièrement assignée à personne, n'a pas comparu ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces produites et les écrits, ainsi que le jugement, auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et des moyens ;
Sur ce :
Quant à la recevabilité de l'appel :
Attendu qu'aux termes de l'article 889 du NCPC, les parties sont tenues de constituer avoué " sauf dispositions contraires ";
Attendu qu'il s'agit là d'un texte de principe, de sorte que les exceptions ne peuvent qu'être interprétées respectivement;
Attendu qu'il en résulte que le but de protection de l'ordre public économique par le Ministre de l'Economie est à lui seul, en l'absence d'une disposition formelle et expresse, insuffisant pour dispenser l'appelant du ministère d'avocat;
Attendu qu'il convient de distinguer la saisine de la Cour et les conclusions ;
Attendu qu'aux termes de l'article 905 du NCPC la Cour est saisie à la diligence de l'une ou l'autre partie par la remise au secrétariat-greffe d'une demande d'inscription au rôle ;
Attendu que si l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, donne au ministre chargé de l'économie le droit d'agir en cas de pratique restrictive, ce texte ne le dispense nullement du ministère d'avocat;
Attendu que l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lequel ne concerne d'ailleurs que l'intervention de l'administration lors d'une instance déjà pendante et non, comme en l'espèce, une action principale de celle-ci, déroge au monopole de la représentation obligatoire pour les seules " conclusions ", à l'exclusion de la saisine de la Cour, laquelle, en l'absence de " dispositions contraires " reste soumise au principe formel de l'article 899 du NCPC ;
Attendu que conformément à l'article 117 du NCPC, le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation en justice constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, de sorte que l'acte d'appel est nul ;
Attendu que dès lors que l'appel est irrecevable, les autres moyens étant superfétatoires ;
Attendu qu'en tout état de cause, au fond, le ministre ne peut se substituer aux victimes pour évaluer à leur place le préjudice causé par les agissements restrictifs de concurrence et en solliciter la réparation(Paris 1re ch. 9/6/98, Gaz. Pal. 14 au 16 juin 1998, p. 32) ;
Quant aux dépens :
Quant à l'article 700 du NCPC :
Attendu que M. le Président a, à l'audience, recueilli les explications orales des parties sur la nécessité de mettre en cause l'agent judiciaire du Trésor, parties qui ont ainsi pu débattre contradictoirement de ce point de procédure, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté (Cass. 3e Civ. 10/7/91, JCP 91 IV 354, 7/12/76, B. III n° 448, D. 1977 IR 126) ;
Attendu qu'aux termes de l'article 38 de la loi du 3 avril 1955 :
" Toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat débiteur, pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit être intentée, à peine de nullité, contre l'agent judiciaire du Trésor " ;
Attendu qu'à défaut de mise en cause de l'agent judiciaire du Trésor les conclusions de la SA Scapalsace tendant à la condamnation aux dépens et celles fondées sur l'article 700 du NCPC sont nulles ;
Attendu en conséquence que les dépens doivent rester à la charge de la société coopérative à capital variable Scapalsace ;
Par ces motifs, et ceux non contraires du premier juge, LA COUR, Statuant publiquement : Constate la nullité de l'acte d'appel ; Déclare l'appel irrecevable ; Déclare nulles pour défaut de mise en cause de l'Agent judiciaire du Trésor les conclusions de la société coopérative à capital variable Scapalsace tendant à la condamnation du Ministre de l'Economie aux dépens ; Condamne la société coopérative à capital variable Scapalsace aux dépens ; Déclare nulles pour défaut de mise en cause de l'Agent judiciaire du Trésor les conclusions de la société coopérative à capital variable Scapalsace fondées sur l'article 700 du NCPC ; Déclare l'arrêt opposable à la SA Kellog's.