Cass. com., 4 mai 1999, n° 97-11.243
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SA)
Défendeur :
JVC Vidéo France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
Me Balat, SCP Célice, Blancpain, Soltner
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Paris, 29 novembre 1996), que la société Seda, devenue la société Concurrence, a assigné le 1er septembre 1988 devant le tribunal de commerce la société JVC Vidéo France (société JVC) pour qu'il constate le caractère discriminatoire des diverses remises qualitatives et quantitatives prévues par ses conditions générales de vente et la faire condamner au paiement de dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir écarté des débats ses conclusions signifiées le 4 octobre 1996, tout en déclarant recevables celles de la société signifiées le 27 septembre 1996 alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; que la cour d'appel ne pouvait donc tout à la fois juger recevables les conclusions de la société JVC Vidéo France signifiées le 27 septembre 1996 en retenant que la société Concurrence avait eu la faculté d'y répliquer, et écarter des débats les conclusions de cette dernière signifiées le 4 octobre 1996, jour de la clôture, et qui constituaient précisément la réponse aux conclusions du 27 septembre 1996 (violation des articles 1 5, 1 6, 779 et 783 du nouveau Code de procédure civile) ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait écarter purement et simplement des débats les conclusions signifiées par la société Concurrence le 4 octobre 1996 en se bornant à relever que, par ces conclusions, l'intimée présentait de nouvelles demandes auxquelles la société JVC Vidéo France n'avait pu répondre, sans rechercher si ces conclusions n'étaient pas divisibles et ne devaient pas être déclarées recevables en tant qu'elles constituaient une réponse aux conclusions de la société JVC Vidéo France signifiées le 27 septembre 1996 (violation des articles 15, 16, 779 et 783 du nouveau Code de procédure civile) ;
Mais attendu qu'il résulte des écritures d'appel que la société JVC a interjeté appel le 4 mars 1993 et conclu au fond le 5 juillet 1993 et le 14 septembre 1994 ; que la société Concurrence a signifié le 16 décembre 1993 des conclusions d'appel incident sans répondre au fond aux moyens présentés par l'appelante ; que par ordonnance du 31 mars 1995 la clôture des débats a été fixée au 26 mai 1995 ; que la société Concurrence, ayant conclu en réponse le jour de la clôture des débats, la date de l'ordonnance de clôture a été repoussée l'arrêt précisant qu'au cours de la procédure " la clôture de la mise en état (avait) été reportée au moins dix fois " ; que la société JVC a répliqué le 15 décembre 1995 aux conclusions du 26 mai 1995 ; qu'en l'état du déroulement de la procédure, la cour d'appel a estimé à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, qu'il y avait lieu de rejeter les nouvelles conclusions de la société Concurrence intervenues le 4 octobre 1996 auxquelles la société JVC n'avait pu répondre " mais nullement d'en faire autant pour les conclusions de la société JVC signifiées les 15 décembre 1995 et 27 septembre 1996 auxquelles la société Concurrence (avait) eu la faculté de répliquer " ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses neuf branches : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'à l'appui de ses demandes, la société Concurrence soutenait non seulement que les conditions de vente de la société JVC Vidéo France étaient illicites, mais encore que l'application faite par la société JVC Vidéo France de ces conditions de vente, discriminatoires et constitutives d'une entente illicite, lui avait occasionné un préjudice ; qu'elle invoquait à cet égard des faits qui n'avaient été portés à la connaissance ni du Conseil de la concurrence ni de la cour d'appel de Paris lorsque celle-ci avait été saisie d'un recours formé contre la décision du 3 juillet 1990, pour démontrer l'existence d'applications discriminatoires ; qu'en décidant que les demandes de la société Concurrence se heurtaient à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 13 juin 1991 en tant qu'elles concernaient la période comprise entre le 1er janvier 1987 et le 30 juin 1988, après avoir relevé que par cet arrêt devenu irrévocable sur ce point la cour d'appel de Paris avait jugé qu'à l'exception de la condition d'enseigne commune les clauses de conditions générales de vente de la société JVC Vidéo France étaient licites de même que les pratiques dénoncées par la société Concurrence, sans rechercher si les faits invoqués par cette dernière et dont il n'avait pas été fait état à l'occasion de la procédure ayant abouti à l'arrêt du 13 juin 1991 ne démontraient pas l'existence d'applications discriminatoires par la société JVC Vidéo France de ses conditions générales de ventes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision (violation des articles 1351 du Code civil, 563 et 564 du nouveau Code de procédure civile et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, d'autre part, que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; que la cour d'appel ne pouvait donc, pour débouter la société Concurrence de ses demandes, se fonder sur l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 13 juin 1991 sur recours contre la décision du Conseil de la concurrence du 3 juillet 1990, dès lors que ces décisions avaient été rendues au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et non au regard des dispositions de l'article 36 de cette ordonnance, également invoqué devant elle par la société Concurrence (violation de l'article 1351 du Code civil) ; alors, de surcroît, que les conditions générales de vente ou les avantages tarifaires proposés par un fournisseur et acceptés, explicitement ou tacitement par les distributeurs, constituent des conventions au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la cour d'appel ne pouvait donc juger qu'en imposant à ses clients, qu'ils soient ou non revendeurs, des conditions de vente identiques pour tous, la société JVC Vidéo France n'avait conclu aucune entente au sens donné à ce terme par l'ordonnance du 1er décembre 1986 (violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, en outre, que dans ses conclusions d'appel (par exemple : conclusions signifiées le 26 mai 1995, p. 38 et 39, conclusions signifiées le 12 septembre 1996, p. 10), la société Concurrence faisait valoir que notamment la CAMIF avait bénéficié de la part de la société JVC Vidéo France d'applications discriminatoires de ses conditions générales de vente, en se voyant octroyer la remise de démonstration de 21 % et la remise de service après-vente de 4 % sans répondre aux conditions requises ; qu'en cet état, la cour d'appel ne pouvait négliger de répondre à ces conclusions, qui lui imposaient d'analyser les applications discriminatoires ainsi dénoncées, et se borner, pour débouter la société Concurrence, à affirmer que celle-ci n'apportait aucune preuve pour la période de juillet et août 1988 d'une violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile) ; alors, par ailleurs et premièrement, que, dans ses conclusions d'appel (par exemple : conclusions signifiées le 26 mai 1995, p. 23, 49 et 50), la société Concurrence, qui ne contestait pas le principe des différentes remises qualitatives dès lors qu'elles étaient destinées à rémunérer un service, soutenait que la société JVC Vidéo France en avait fixé arbitrairement le montant sans tenir compte de l'existence d'une contrepartie réelle ; que la cour d'appel, à qui il appartenait donc de rechercher si chaque remise qualitative correspondait bien, quant à son montant, à une contrepartie réelle, ne pouvait se borner, en ce qui concerne les prestations de présentation et de démonstration, à relever que la société Concurrence n'apportait pas la preuve qu'elles ne valaient pas les remises correspondantes (manque de base légale au regard de l'article 36-1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; alors, deuxièmement, que c'est au fournisseur qu'il appartient d'établir la preuve que son réseau de distribution fonctionne selon des critères objectifs opposables à tous, exempts de discrimination ; qu'en l'état de conclusions de la société Concurrence soutenant que les remises qualitatives avaient été fixées arbitrairement sans tenir compte de l'existence d'une contrepartie réelle, il appartenait donc à la société JVC Vidéo France, fournisseur, d'établir que les prestations rémunérées valaient les remises correspondantes, et non au distributeur de rapporter la preuve inverse (violation de l'article 1315 du Code civil) ; alors, troisièmement, qu'en l'état de ces mêmes conclusions de la société Concurrence, la cour d'appel ne pouvait négliger de se prononcer sur l'existence de contreparties réelles justifiant que la remise accordée au titre du service après vente soit fixée à 4 %, que la remise pour commercialisation de gamme soit fixée à 5 %, et que la remise pour régularité de paiement soit fixée à 3 % (violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile) ; alors, quatrièmement, qu'il appartient au fournisseur d'apporter la preuve que son réseau de distribution fonctionne bien concrètement selon les critères qu'il a lui-même définis, lesquels doivent être objectifs et opposables à tous sans discrimination ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que la société JVC Vidéo France n'avait pu assurer qu'un contrôle fort relâché de la réalisation des conditions d'octroi des remises litigieuses et qu'il était arrivé qu'occasionnellement un concurrent ait obtenu une remise à laquelle il ne pouvait pas prétendre, la cour d'appel, qui ce faisant a caractérisé l'impossibilité objective pour la société JVC Vidéo France d'apporter la preuve que les contreparties justifiant l'octroi des remises étaient bien rendues par ses distributeurs, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait (violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ; et alors, enfin, que dans ses conclusions d'appel, la société Concurrence faisait valoir, que, compte tenu de ses méthodes de fabrication et de programmation, la société JVC Vidéo France ne pouvait tirer aucun avantage réel des accords de coopération commerciale conclus pour une durée de six mois et contenant l'engagement du revendeur d'acheter un certain nombre de produits (par exemple : conclusions signifiées le 26 mai 1995, p. 12 à 15) ; qu'en se bornant par conséquent à affirmer de manière générale que les engagements de commandes ainsi souscrits permettaient au fabricant de pouvoir programmer ses fabrications et ses acheminements et justifiaient l'octroi d'une prime d'anticipation, sans rechercher concrètement si la société JVC Vidéo France tirait effectivement un avantage de ces engagements, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision (violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile) ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a délimité l'action en justice intentée par la société Concurrence contre la société JVC devant le tribunal de commerce en relevant qu'elle concernait les conditions de ventes discriminatoires au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour la période allant du 1er janvier 1987 au 1er septembre 1988 et dont elle demandait réparation sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance précitée ; qu'ayant relevé qu'en ce qui concerne la période antérieure au 1er juillet 1988 et concernant les remises accordées par la société JVC, la cour d'appel de Paris, par arrêt irrévocable du 13 juin 1991, sauf en ce qui concerne " les clauses d'enseigne commune ", avait déclaré licites les remises accordées par la société JVC, la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence de faits nouveaux dont il n'aurait pas été fait état lors de cette procédure, a pu décider que pour cette période litigieuse l'autorité de chose jugée qui s'attachait à cette décision de justice, " quant bien même l'objet de son action ne serait plus que la réparation des conséquences dommageables des pratiques concurrentielles qu'elle avait à tort dénoncées ", s'opposait à ce que les " moyens " définitivement écartées entre les mêmes parties pour la même période puissent être repris;
Attendu, en deuxième lieu, qu'en ce qui concerne les mois de juillet et d'août 1988, la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve versés aux débats et répondant aux conclusions prétendument délaissées, a constaté que la société Concurrence ne justifiait pas d'une violation des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance pour la période considérée ;
Attendu, en troisième lieu, ainsi que la cour d'appel l'a énoncé à bon droit, la preuve des pratiques anticoncurrentielles incombe à celui qui s'en prévaut ; qu'ayant constaté que les remises qualitatives prévues aux conditions générales de vente étaient fixées de façon objective à l'égard de tous les concurrents, la cour d'appel, sans encourir les griefs des cinquième, sixième et septième branches du moyen, a relevé de façon concrète que ces diverses remises étaient justifiées par les sujétions économiques qui étaient imposées aux distributeurs qui en remplissaient les conditions ;
Attendu, en quatrième lieu,ainsi que la cour d'appel l'a exactement relevé les remises qualitatives dépendaient de la réalisation de prestations incombant aux revendeurs " et nullement de la volonté discriminatoire de la société JVC "; que le fait " qu'il soit arrivé occasionnellement qu'un concurrent ait obtenu une remise à laquelle il n'aurait pas pu prétendre (n'impliquait) pas pour autant discrimination du fait des clauses elles-mêmes ou de leur application intentionnelle, ni potestativité des remises ni absence de critère objectif " ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel a caractérisé l'avantage que la société JVC, comme les distributeurs, pouvait tirer des accords de coopération commerciale, même conclus pour une durée de six mois, en permettant " l'adaptation des commandes aux réalités économiques " ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné une expertise pour contrôler le grief de pratique de prix et de marque d'appel formé à son encontre par la société JVC dans sa demande reconventionnelle, alors, selon le pourvoi, qu'en aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ; qu'il appartenait à la cour d'appel, au vu des éléments de preuve versés aux débats par les parties, de décider si les accusations de pratiques commerciales anormales formulées par la société JVC Vidéo France à l'encontre de la société Concurrence étaient ou non justifiées ; qu'en refusant de statuer à cet égard et en renvoyant à un expert le soin de vérifier le bien-fondé des accusations de la société JVC Vidéo France, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels (violation de l'article 146 du nouveau Code de procédure civile) ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Concurrence proposait à la vente des appareils dont elle ne disposait pas en stock, pratique que cette entreprise expliquait plus qu'elle ne le contestait, la cour d'appel a pu ordonner une expertise pour vérifier l'existence et l'ampleur des accusations des pratiques de prix et de marques d'appel qui lui étaient reprochées; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi.