Cass. crim., 26 février 1998, n° 97-81.033
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SA), Semavem (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schumacher (faisant fonctions)
Rapporteur :
M. Martin
Avocat général :
M. Lucas
Avocat :
Me Balat
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la Sté Concurrence, la Sté Semavem, parties civiles, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 22 janvier 1997, qui, dans la procédure suivie contre Michel G du chef d'infractions à l'ordonnance du 1er décembre 1986, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction, portant notamment renvoi de l'intéressé devant le tribunal correctionnel, non-lieu partiel et irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société Semavem ; - Vu le mémoire produit ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société Jean Chapelle, revendeuse de produits audio-visuels, (notamment de marque X), a porté plainte avec constitution de partie civile le 25 octobre 1993 contre personne non dénommée pour infraction aux articles 7, 31, 33 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; que, par lettre du 3 mars 1996, la société Concurrence, qui vient aux droits de la société Jean Chapelle par suite d'une opération de fusion-absorption, et la société Semavem, se sont constituées parties civiles par voie d'intervention, se prétendant victimes personnellement des mêmes faits ; que, par ordonnance du 10 septembre 1996, confirmée par l'arrêt attaqué, le juge d'instruction a : - renvoyé Michel G, président de la société X France, devant le tribunal correctionnel pour non respect des prescriptions légales sur la facturation lors des livraisons à la société Jean Chapelle, dit n'y avoir lieu à suivre pour infractions aux règles de facturation concernant les prestations du service d'exposition et pour pratique de prix minimum imposés, - déclaré que les infractions de refus de communication du barème de prix et des conditions de vente avaient fait l'objet d'une ordonnance définitive du 29 septembre 1995 en application de la loi d'amnistie du 3 août 1995, - déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Semavem ;
En cet état : - Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 87, 175, 186, 575-2° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable la constitution de partie civile par voie d'intervention de la société Semavem ;
" aux motifs que la constitution de partie civile par voie d'intervention a été réalisée par l'envoi de deux lettres postérieurement à la notification de l'avis prévu par les dispositions de l'article 175 du Code de procédure pénale ; que Jean Chapelle n'établit nullement que la société Semavem, dont il n'a donné aucune indication ni sur son existence ni sur son objet, a été victime d'une infraction résultant de la commission des faits uniques et indivisibles procédant de la même action coupable que les faits visés dans l'action de la partie civile poursuivante ; qu'il lui était loisible de déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile et non de chercher à détourner de leur but les dispositions de l'article 175 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 87 du Code de procédure pénale, la constitution de partie civile par voie d'intervention peut avoir lieu à tout moment jusqu'à la clôture de l'instruction ; que dès lors, tant le magistrat instructeur postérieurement à l'avis prévu par l'article 175 du même Code, que la chambre d'accusation statuant le cas échéant sur le règlement de la procédure peuvent être saisis et doivent se prononcer sur une éventuelle intervention d'une partie civile ; qu'ainsi, en déclarant la société Semavem irrecevable en son intervention en qualité de partie civile du fait qu'elle aurait été formalisée après l'avis rendu en application de l'article 175 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, que, tant dans la lettre de constitution de partie civile par voie d'intervention du 3 avril 1996 que dans ses écritures d'appel, la société Semavem avait communiqué en détail tous les renseignements concernant son existence et précisé la nature exacte de son activité sociale, qui était identique à celle de la société Concurrence ; qu'en déclarant néanmoins irrecevable son intervention en qualité de partie civile pour défaut d'information sur son existence et son objet, la chambre d'accusation a privé la décision attaquée de toute base légale au regard des textes susvisés ;
" alors, en outre, que, dans son mémoire demeuré sans réponse, la société Semavem faisait notamment valoir qu'il résultait d'un procès-verbal de synthèse établi par la direction générale de la consommation et de la concurrence, agissant sur commission rogatoire, que la pratique de mention des remises sur facture dont se rendait coupable la société X France était générale et affectait tous les revendeurs, et qu'étant à l'époque le troisième client de la société X, elle en était victime au même titre que la société Concurrence ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette articulation essentielle des écritures de la société Semavem, desquelles il résultait clairement que celle-ci se fondait sur les mêmes faits que ceux ayant motivé les poursuites initialement diligentées sur la plainte de la société Concurrence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
" alors, enfin, qu'une constitution de partie civile par voie d'intervention est recevable si les circonstances permettent à la juridiction d'instruction d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale ; que la société Semavem faisait valoir au soutien de son intervention qu'elle subissait un préjudice professionnel grave du fait des pratiques illicites et discriminatoires de la société X France, mises en évidence par l'instruction ; qu'en déclarant cependant sa constitution de partie civile irrecevable, la chambre d'accusation a violé les articles 2 et 87 du Code de procédure pénale " ;
Vu l'article 575, alinéa 2, 2°, du Code de procédure pénale ; - Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la société Semavem, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas établi que celle-ci ait été victime d'une infraction résultant de la commission des faits uniques et indivisibles, procédant de la même action coupable que ceux visés dans la plainte de la partie poursuivante ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, et dès lors que la constitution de partie civile de la société Semavem procédait de faits distincts de ceux dont le juge d'instruction était saisi, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 87, 175, 186, 575-2° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que la chambre d'accusation a omis de se prononcer sur la recevabilité de la constitution de partie civile par voie d'intervention de la société Concurrence ;
" alors que, dans ses écritures, la société Concurrence faisait valoir que, si elle était déjà partie civile dans le cadre de cette même procédure puisqu'elle venait aux droits, depuis le 1er juin 1996, de la société Jean Chapelle qui avait initié les poursuites en 1993, elle s'était également constituée partie civile par voie d'intervention le 3 avril 1996 en se prévalant du préjudice direct et personnel qu'elle avait subi, du fait des infractions poursuivies, avant la reprise de la société Jean Chapelle et notamment dans le cadre de sa propre activité commerciale exercée dans son magasin place de la Madeleine, distinct des deux magasins exploités par l'ancienne société Jean Chapelle ; qu'en ne se prononçant pas sur cette action, pourtant distincte de celle poursuivie par la société Concurrence aux lieu et place de la société Jean Chapelle, l'arrêt attaqué ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale " ;
Attendu qu'il n'importe que la chambre d'accusation ne se soit pas expressément prononcée sur la recevabilité de la constitution de partie civile de la société Concurrence pour ses dommages propres prétendument subis, dès lors que cette société n'est pas directement et personnellement victime des faits dont le juge d'instruction était saisi ; Qu'en effet, la constitution d'une partie civile par voie d'intervention n'est possible que si son action se fonde sur les faits mêmes dont le juge d'instruction est saisi ; Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 575-6° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de manquement aux règles de facturation et d'imposition de marges et de prix minimums sur les facturations d'expositions ;
" aux motifs que les services d'exposition correspondent à des prestations acceptées par la partie civile dans le cadre de conventions, que ces services étaient rémunérés par X à la réception des factures émises par le distributeur, qu'il s'agit d'une pratique commerciale non susceptible de recevoir une qualification pénale ;
" alors que, dans leur mémoire régulièrement soumis à l'appréciation de la chambre d'accusation, les parties civiles faisaient valoir que les prestations d'exposition des produits du fournisseur ne faisaient pas l'objet, de la part de ce dernier, de remises sur le prix de vente comme pour les services de démonstration ou d'après-vente, mais d'une facturation de la prestation par le revendeur, circonstance qui interdisait à ce dernier de déduire de son prix d'achat des produits le montant du service ainsi rendu et, par voie de conséquence, à imposer un prix minimum de vente en augmentant artificiellement le prix de revient des marchandises ; que l'arrêt attaqué, qui se borne simplement à indiquer que ces services étaient rémunérés par la société X à réception de la facture sans s'expliquer sur cette articulation déterminante des écritures des parties civiles, ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 17 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 575-6° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef d'imposition de marges et de prix minimums ;
" aux motifs qu'il ne résulte pas des investigations que X ait imposé un prix de revente minimum à la partie civile; qu'il est établi que celle-ci pouvait tenir compte, pour la détermination de ses prix, des remises dont le montant était acquis et chiffrable;
" alors que l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe toute pratique consistant à imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'une prestation de service ; qu'ainsi, le fait pour un fournisseur de rendre aléatoire l'attribution de remises commerciales en les subordonnant à la réunion de certaines conditions discriminatoires non objectivement définies ou potestatives et corrélativement, le fait de ne pas les mentionner sur ses factures, peuvent avoir pour conséquence indirecte d'amener ceux qui distribuent ses produits à ne pouvoir retenir d'autre base, pour le calcul de leur prix de revente, que le prix ainsi facturé ; que dans leurs écritures, les parties civiles faisaient valoir que le fait, pour la société X, d'avoir conditionné l'attribution de ristournes à la réalisation d'objectifs quantitatifs constitués, non par les commandes, mais par les quantités réellement facturées par le distributeur, interdisait de considérer le principe de l'attribution de la ristourne comme acquis au jour de la vente ; que l'arrêt attaqué, qui laisse sans réponse cette articulation essentielle des écritures des parties civiles et ne s'explique par sur cette circonstance déterminante de la constatation de l'infraction tout en affirmant que le montant des remises était acquis et chiffrable, ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale " ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que, pour confirmer les dispositions de l'ordonnance portant non-lieu partiel entreprise, la chambre d'accusation, après avoir analysé les faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire de la partie civile, a énoncé les motifs par lesquels elle a estimé qu'il n'y avait pas lieu à suivre contre quiconque de ces chefs;
Attendu que les demanderesses se bornent à discuter la valeur des motifs retenus par les juges, sans justifier d'aucun des griefs que l'article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l'appui de son recours contre un arrêt de la chambre d'accusation en l'absence de pourvoi du ministère public ; que, dès lors, les moyens sont irrecevables ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 et 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 575-6° et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de manquement aux règles de facturation et d'imposition de marges et de prix minimums ;
" alors que, dans leur mémoire régulièrement soumis à l'appréciation de la chambre d'accusation, les parties civiles faisaient valoir que l'acceptation, par les principaux revendeurs de la société X, des pratiques de facturation illicites de cette dernière caractérisait une entente qui leur était préjudiciable, et à tout le moins une aide et assistance apportée à l'auteur de l'infraction principale pour laquelle la société X a été déférée devant le juge correctionnel ; que l'arrêt attaqué, qui ne se prononce absolument pas sur ce chef des écritures des parties civiles, ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale " ;
Attendu que les demanderesses ne sauraient se faire un grief de ce que l'arrêt n'a pas statué sur le délit d'entente, dès lors que ces faits, non visés dans la plainte avec constitution de partie civile, n'entraient pas dans la saisine du juge d'instruction ; que le moyen est irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.