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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 9 juillet 1993, n° 23898-91

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jet Océan Indien (Sté)

Défendeur :

Go Voyages (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gautier

Conseillers :

Mme Pinot, M. Weill

Avoués :

Me Moreau, SCP Barrier-Monin

Avocats :

Mes Nitot, Rimlinger

T. com. Paris, 6e ch., du 2 sept. 1991

2 septembre 1991

LA COUR statue sur l'appel relevé par la société Jet Océan (ci-après JOI) du jugement contradictoire rendu le 2 septembre 1991 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- constaté que la résiliation du protocole à la date du 25 mai 1990 était bien fondée,

- condamné la société Go Voyages (ci-après Go) à payer à JOI la somme de 80.680 F et celle de 382 200 F, avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 1990, et ce, sous réserve de la production par JOI des coupons de vol et des factures correspondantes,

- rejeté toutes autres demandes des parties.

Il est renvoyé aux énonciations du jugement pour l'exposé des éléments du litige et des prétentions et moyens des parties développés en première instance.

Il suffit de rappeler les éléments caractéristiques suivants :

JOI affrète des avions de la compagnie Minerve pour effectuer des vols charters entre Paris et Saint-Denis de la Réunion. Go a sollicité la faculté de faire des achats de places sur cette destination.

Les parties ont conclu un premier contrat pour l'année 1989.

Dans le courant du mois de novembre 1989, JOI a proposé à Go un nouveau contrat pour l'année 1990 se présentant sous la forme d'un protocole d'accord dont l'économie peut être ainsi présentée :

Les quantités de places sur lesquelles porte l'accord s'articulent selon un " accord cadre " précis ; le prix de vente " aller retour " était indiqué, étant précisé que Go s'engageait à ne pas vendre les places à un prix inférieur à celui pratiqué par JOI (tel que figurant à l'annexe de la convention), Go s'engageait aussi à ne pas promouvoir les vols sur le département de l'Ile de la Réunion, les sièges supplémentaires acquis par Go seraient facturés à 1 911 F par siège tandis que si JOI reprenait des sièges, ceux-ci seraient facturés à 1 764 F pour un parcours simple.

Ce protocole ne fut signé, le 2 janvier 1990, qu'avec réserve par Go, qui était en désaccord notamment sur la fixation du prix de revente des billets et sur le nombre des sièges ainsi que sur l'interdiction qui lui était faite de revendre des billets sur l'Ile de la Réunion.

Go a vainement sollicité à plusieurs reprises la tenue de réunions afin de discuter de l'accord, puis elle a dénoncé le 25 mai 1990 ledit protocole.

Par le jugement déféré, le Tribunal a retenu, pour l'essentiel, que la preuve du vice du consentement, allégué par Go n'était pas rapportée ; que la clause de protocole faisant obligation à Go de proposer à JOI le rachat des places avant toute action commerciale dans l'Ile faussait le jeu de la concurrence et se trouvait par suite prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'obligation faite à Go de racheter des sièges excédentaires à un prix inférieur à celui fixé par JOI dans les mêmes circonstances constituait un abus de position dominante interdite par l'article 8 du texte susvisé ; qu'en imposant à Go un prix de revente au moins égal au sien, JOI a imposé un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 34 de ladite ordonnance.

Appelante, JOI soutient que la convention en cause ne contient aucune disposition contraire à l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la résiliation du protocole par Go est motivée par le fait qu'elle a conclu avec une autre compagnie aérienne un contrat plus avantageux ; que la résiliation injustifiée lui a causé un préjudice financier important.

Elle conteste avoir exercé une quelconque contrainte morale à l'égard de sa cocontractante.

Poursuivant l'infirmation partielle de la décision déférée, JOI prie la Cour de condamner Go à lui payer la somme de 9 865 727 F à titre de dommages et intérêts et 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Intimée et appelante incidente, Go reprend les moyens développés devant les premiers juges tenant à la nullité du protocole en précisant que cette convention est contraire aux articles 85 et 86 du Traité de Rome ;

Elle prie la Cour de prononcer la nullité dudit protocole par application de l'article 1112 du Code Civil ; subsidiairement, de prononcer la nullité des clauses substantielles de la convention par application des dispositions des articles 85 et 86 du Traité susvisé et de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ce qui entraîne la nullité de la convention en son entier, plus subsidiairement d'ordonner une mesure d'instruction, de condamner JOI à lui payer 3 739 974 F à titre de dommages et intérêts, de constater que JOI ne justifie du montant de sa réclamation au titre des factures impayées et d'ordonner une mesure d'instruction sur ce point, plus subsidiairement encore de confirmer le jugement déféré et de lui allouer 20.000 F HT sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'il est certain que le protocole en cause n'a été signé qu'avec réserve par Go qui a sollicité l'ouverture de nouvelles négociations qui lui ont été refusées par JOI sans motif valable ;

Considérant toutefois qu'il a lieu de relever que ledit protocole a été appliqué jusqu'au 25 mai 1990, date à laquelle Go l'a dénoncé, sans qu'une faute puisse lui être reprochée ;

Considérant que Go ne démontre pas l'existence de la violence morale dont elle prétend avoir été victime dans la mesure où le télex du 21 décembre 1989 ne visait que la première rotation de l'année 1990 ;

Considérant qu'en imposant un prix minimum de revente des billets à sa cocontractante, ce qui privait celle-ci de la liberté de moduler ses tarifs, JOI a violé les dispositions de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas sérieusement;

Que contrairement à ce que soutient l'appelante, la clause litigieuse est étrangère à l'obligation de respecter les prix homologués par l'Autorité Administrative ;

Que la nullité dont se trouve entachée la clause relative au prix de revente des billets, imputable exclusivement à JOI, affecte la totalité de la convention en raison de son caractère, à l'évidence, substantiel;

Considérant que cette convention ayant été exécutée jusqu'en mai 1990, Go ne saurait obtenir la remise intégrale des choses en l'état, puisqu'elle même a bénéficié des prestations servies à ses propres clients ; que sa demande de dommages et intérêts ne saurait prospérer ;

Considérant, sur le montant des factures réclamées par JOI, qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la demande d'expertise dans la mesure où le Tribunal, avec pertinence, a subordonné ce règlement à la production par JOI des coupons et des factures correspondantes ;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier les parties des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire ; Condamne la société Jet Océan Indien aux dépens d'appel et admet la SCP Barrier-Monin, avoué au bénéfice de l'article 699.