Cass. crim., 3 avril 1997, n° 95-81.640
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culié
Rapporteur :
M. de Mordant de Massiac
Avocat général :
M. Lucas
Avocats :
SCP Peignot, Garreau, SCP Rouvière, Boutet
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par C François, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 8 février 1995, qui, pour revente à perte, a condamné le prévenu à 40 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision et a déclaré la société X civilement responsable ; - Vu les mémoires ampliatif et complémentaire en demande et le mémoire en défense produits ; - Sur le moyen de cassation, présenté dans le mémoire ampliatif, pris de la violation des articles 1er de la loi du 2 juillet 1963 modifié par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 28, 32, 54 et 55 de cette ordonnance, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré C coupable du délit de revente à perte et l'a condamné à 40 000 francs d'amende, la SA X étant déclarée civilement responsable de son préposé ;
" aux motifs que l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'édicte pas de présomption de responsabilité à la charge du dirigeant de l'entreprise où ont été constatées les pratiques illicites ; qu'il appartient donc à la juridiction correctionnelle de rechercher si la responsabilité de l'infraction constatée est imputable au dirigeant ou s'il a pu valablement déléguer ses pouvoirs en la matière à un subordonné ; qu'au terme d'une subdélégation de pouvoirs signée le 19 septembre 1990, Laurence D s'est vue reconnaître le pouvoir de définir les prix et conditions de vente des marchandises dans les limites indiquées par la centrale d'achats et la réglementation ; que cette délégation lui fait obligation d'observer et de s'assurer de la constante observation de toutes les dispositions économiques, législatives et réglementaires, notamment en matière de ventes à perte ; mais qu'une note de service du 12 septembre 1990 intitulée " les axes prioritaires de la région V " émanant de la direction générale Sud-Est de la société Y, fixait aux directeurs de magasins notamment un objectif de rapprochement des prix proposés de ceux pratiqués par le concurrent le moins cher de la zone ; qu'ainsi un chef de secteur ne bénéficiait pas de la liberté d'appréciation pour fixer les prix des produits vendus sous sa responsabilité ; qu'un chef de secteur ne dispose pas des moyens nécessaires et des informations suffisantes pour maîtriser les prix; que les accords fournisseurs apparaissent être décidés au niveau de la centrale d'achats et que les factures en la possession des chefs de secteur ne font pas apparaître toutes les remises, rabais et ristournes; qu'il ressort de ces éléments que la politique des prix conduite par l'hypermarché X, le calcul des prix de vente et leur alignement sur la concurrence ne sont pas de la compétence d'un chef de secteur ; que le directeur de ce magasin ne pouvait pas en tel domaine déléguer ses pouvoirs à Laurence D ;
" alors que, d'une part, le dirigeant d'un établissement commercial poursuivi pour l'infraction de revente de marchandises à perte peut s'exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant une délégation de pouvoirs confiée à un subordonné qui était en vertu de celle-ci, personnellement chargé de fixer les prix de revente conformément à la réglementation ; que la Cour a constaté que Laurence D avait expressément reçu et accepté délégation de pouvoirs pour assurer personnellement la charge de fixer les prix de revente et veiller que cela soit fait conformément à la réglementation, de sorte qu'en décidant que cette fixation ne relevait que de la compétence du directeur de magasin, François C, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors que, d'autre part, la note de service du 12 septembre 1990 se bornant à définir un objectif global d'indice de prix, ne remettait pas en question la compétence directe attribuée expressément à Laurence D, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors que, enfin, dans des conclusions sur ce point délaissées, François C et la société X avaient fait valoir que, suivant les déclarations de M. W, collaborateur direct de Laurence D, déclarations confirmées par la centrale d'achat, Laurence D était en mesure d'obtenir tous les renseignements propres à lui permettre de vérifier le seuil de revente à perte des produits sous sa responsabilité, ainsi que le contenu des accords fournisseurs ; qu'en se bornant à énoncer que les accords fournisseurs étaient décidés au niveau de la centrale d'achat et que les factures en la possession des chefs de secteur ne faisaient pas apparaître toutes les remises, rabais et ristournes, sans rechercher, au vu des déclarations rappelées dans les conclusions des exposants, si Laurence D n'était pas de toute façon en mesure d'accéder à toutes les informations nécessaires à la mission qui lui incombait de fixation des prix des produits de grande consommation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
Sur le moyen de cassation, présenté dans le mémoire complémentaire, pris de la violation de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1963 modifié par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, de l'article 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut et insuffisance de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François C coupable du délit de revente à perte et l'a condamné à 40 000 francs d'amende, la SA X étant déclarée civilement responsable de son préposé ;
" aux motifs adoptés que l'exception d'alignement, au demeurant invoquée par Laurence D seule, ne peut être en l'espèce admise; qu'en effet, c'est six mois après la date du contrôle que Laurence D a produit des relevés justifiant des prix pratiqués par les concurrents de la même zone d'activité, que la preuve des prix pratiqués par la concurrence doit être concomitante au contrôle afin de permettre à l'Administration d'en vérifier la licéité ;
" alors qu'en application de l'article 1er II 6 de la loi du 2 juillet 1963, pour se prévaloir de l'exception d'alignement, il suffit au revendeur d'apporter la preuve du prix sur lequel il prétend s'aligner, sans autre condition ; qu'en l'espèce, Laurence D, chef de secteur " Produits de grande consommation " a rapporté cette preuve six mois après le contrôle de l'Administration ; que, dès lors, la cour d'appel, qui a refusé de retenir ce fait justificatif, au motif que la preuve en avait été rapportée trop tardivement, a ajouté une condition que la loi ne prévoyait pas et, ce faisant, l'a violée " ;
Les moyens étant réunis ; - Vu lesdits articles ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt que François C, directeur salarié d'un des établissements de la société X, et Laurence D, chef de secteur au sein de cet établissement, ont été poursuivis, du chef de revente à perte, pour avoir exposé à la vente différents produits à des prix inférieurs à leur coût d'achat ; que, pour sa défense, François C a fait valoir qu'il avait régulièrement subdélégué à son chef de secteur la responsabilité de calculer et d'afficher les prix de revente des produits fournis par leur centrale d'achats ; que, pour sa part, Laurence D a déclaré s'être alignée, conformément aux instructions reçues de la direction régionale, sur les prix pratiqués par les concurrents les moins chers ;
Attendu que, pour écarter l'exception d'alignement invoquée, la cour d'appel énonce, par motifs adoptés des premiers juges, que ce fait justificatif ne saurait être admis, les relevés des prix pratiqués par les concurrents situés dans la même zone d'activité n'ayant été produits que six mois après le contrôle sur place effectué par les agents de la direction générale de la Concurrence et de la Consommation, et non le jour même de l'intervention ; que, pour ne retenir que la responsabilité de François C et relaxer Laurence D, les juges du second degré ajoutent que la subdélégation de pouvoirs, dont ce chef de secteur avait bénéficié au sein de l'établissement, était, en l'espèce, privée d'effet, la fixation des prix n'ayant pas été laissée à l'appréciation de cette personne mais lui ayant été imposée par une note de service de la direction régionale ; qu'en revanche, François C, eu égard aux fonctions de direction qu'il exerçait, devait être tenu pour responsable ;
Mais attendu qu'en se bornant à prononcer ainsi, alors, d'une part, que la preuve des prix pratiqués par la concurrence et sur lesquels le commerçant s'est aligné peut être rapportée postérieurement au contrôleet alors, d'autre part, qu'elle ne pouvait, sans se contredire, écarter la délégation de Laurence D et admettre celle faite dans les mêmes termes, accordée à François C par la Direction régionale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; que, dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, concernant les demandeurs, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, en date du 8 février 1995, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée, renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.