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Décisions

CA Lyon, 7e ch. B, 1 juillet 1998, n° 411

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Procureur Général, UFC Que choisir ?, Fédération Française des Combustibles et Carburants, Chambre syndicale Ain-Rhône-Loire des négociants en combustibles et carburants

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Conseillers :

MM. Gouverneur, Raguin

Avocats :

Mes Lopez, Cornillon, Guilin, Bourgeon

TGI Saint-Étienne, ch. corr., du 26 juin…

26 juin 1997

Par jugement en date du 26 juin 1997 le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne a renvoyé Gilles M des fins de la poursuite du chef d'avoir :

- à Villars, le 27 mars 1995, étant commerçant, revendu un produit en l'état, en l'espèce du supercarburant sans plomb 98 et du gazole à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif, en l'espèce 5,28 F pour un prix d'achat de 5,2948 F pour le supercarburant sans plomb 98 et 3,42 pour un prix d'achat de 3,4426 F pour le gazole,

(art. 1 I de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 et 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986) ;

Et a déclaré les associations irrecevables en leurs constitutions de parties civiles.

Attendu que le Ministère Public, l'association UFC Que Choisir, la Fédération Française des Combustibles et Carburants (FFCC) et la Chambre Syndicale Ain-Rhône-Loire des négociants en combustibles et carburants (CSARL), parties civiles ont relevé appel dans les forme et délai légaux ;

Attendu que le Tribunal, en un énoncé dont la Cour adopte la teneur, a très exactement exposé les faits poursuivis ; qu'il sera rappelé qu'il est reproché à Gilles M, directeur adjoint de l'hypermarché X de Villars (42), et titulaire à cet effet d'une délégation régulière de pouvoirs, d'avoir procédé le 27 mars 1995 à la vente de supercarburant sans plomb 98 et de gazole à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif ;

Discussion et motifs de la décision :

Attendu que le Ministère Public et les parties civiles appelantes sollicitent la réformation du jugement et demandent à la Cour de déclarer constituée l'infraction poursuivie au regard des dispositions légales en vigueur ;

Attendu que le prévenu et la société X, civilement responsable, reprennent par conclusions leur exception tirée de la nullité de la citation, déjà soulevée devant le Tribunal, et sollicitent en tout état de cause la confirmation du jugement déféré ;

Sur la procédure :

Attendu qu'il est soutenu que la citation serait nulle, pour faire référence aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 et de l'article 55 alinéa 1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, alors que les premières ont été remplacées par l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lui-même résultant de la loi du 1er juillet 1996 ;

Mais attendu qu'il sera rappelé que les faits poursuivis, à les supposer établis, ont été commis le 27 mars 1995 ; qu'à cette date n'étaient alors applicables que les dispositions de l'article 1er de la loi de finances n° 63-628 du 2 juillet 1963 prévoyant les éléments constitutifs du délit de revente à perte et le sanctionnant d'une amende maximale de 100 000 F ;

Attendu que s'il est exact que ce texte a été remplacé par l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, résultant de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, il sera constaté que cette modification a porté à 500 000 F le montant maximal de l'amende encourue pour de tels faits, et surtout que l'article 11 de ladite loi, abrogeant l'article 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 pour le remplacer par une référence à l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, n'est entré en vigueur que le 1er janvier 1997, conformément aux dispositions de l'article 17 de cette même loi ;

Attendu en conséquence qu'il ne saurait être soutenu que les citations délivrées au prévenu et à son civilement responsable, qui ne font qu'énoncer les faits poursuivis et le texte de loi en fixant la sanction encourue à la date de leur commission, soit une amende maximale de 100 000 F, aient porté atteinte à leurs intérêts au sens de l'article 565 du code de procédure pénale ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté cette exception ;

Au fond, et sur l'action publique :

Attendu qu'il n'est pas discuté que les prix de vente de deux carburants pratiqués par l'hypermarché X le 27 mars 1995 aient été inférieurs, d'un centime pour le supercarburant sans plomb 98, et de deux centimes pour le gazole, à leurs prix d'achat effectifs ;

Attendu de même qu'il est constant, et non remis en cause, que l'hypermarché X de Villars a aligné lesdits prix sur ceux pratiqués pour les mêmes produits par les Établissements Y de Veauche (42), distants de 13 kilomètres, depuis deux jours, soit le 25 mars 1995 ; que compte tenu de l'importance des surfaces commerciales concernées et de leur zone géographique de clientèle potentielle, la Cour est en mesure de déterminer qu'elles relèvent toutes deux de la même zone d'activités, au sens de l'article 1er alinéa 2 de la loi du 2 juillet 1963, dont les dispositions ont été reprises par l'article 32-II de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 1996 ;

Mais attendu qu'il résulte des dispositions similaires de ces deux textes que l'exception d'alignement invoquée n'est recevable que si les prix litigieux sont alignés sur ceux légalement pratiqués par le concurrent;

Or, attendu en l'espèce que s'il n'est pas contestable que cette exception est fondée en son élément matériel, il résulte des pièces produites par l'Administration, puis par le Ministère Public, que les prix de vente de ces deux carburants pratiqués depuis le 23 mars 1995 par les Établissements Y étaient eux-mêmes illicites, pour avoir été fixés en dessous de leurs prix d'achats effectifs, et ont donné lieu au demeurant à une condamnation de leurs dirigeants de ce chef par un jugement du Tribunal correctionnel de Montbrison, territorialement compétent;

Attendu que l'illicéité des prix de référence sur lesquels s'est aligné l'hypermarché X étant ainsi suffisamment démontrée, le prévenu et son civilement responsable ne sauraient revendiquer à leur profit le bénéfice de l'exception d'alignement prévue par les textes précités;

Attendu encore que le prévenu a reconnu s'être aligné sur les prix de son concurrent, dès qu'un de ses subordonnés les ait eus portés à sa connaissance, sans procéder à la moindre vérification de leur licéité, et que dans ces conditions, la violation des prescriptions légales susvisées implique nécessairement de sa part l'intention coupable exigée par l'article 121-3 du Code pénal;

Attendu en conséquence qu'il convient de réformer le jugement déféré et de déclarer Gilles M coupable du délit poursuivi à son encontre ;

Attendu qu'une amende de 10 000 F sanctionnera efficacement l'infraction commise ;

Sur les actions civiles :

Attendu que l'association de consommateurs UFC Que Choisir, dont les agréments résultant d'arrêtés préfectoraux des 18 août 1977 et 18 août 1982 ne sont pas contestés, dispose, en vertu de l'article L. 421-1 du code de la consommation, des droits reconnus à la partie civile quant aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs; qu'en l'espèce il ne saurait être contesté que les agissements susvisés perturbent les principes de la libre et loyale concurrence devant régir les relations commerciales et que sa constitution de partie civile apparaît ainsi recevable;

Attendu qu'il en est de même, en application de l'article 411-11 du Code du travail, des organisations syndicales FFCC et CSARL, régulièrement déclarées et dont les statuts sont versés aux débats, qui ont subi, tant au sens de cet article que de l'article 2 du code de procédure pénale, un préjudice directement causé aux intérêts de la profession qu'elles représentent, par les troubles ainsi apportés aux principes susvisés de libre et loyale concurrence;

Attendu que la Cour fixera le montant des dommages-intérêts qui leur seront alloués à 2 000 F pour l'association UFC Que Choisir, et à un franc, conformément à leur demande, pour chacune des deux autres parties civiles, et à 2 000 F celui de l'indemnité qui leur sera accordée en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Attendu toutefois que les éléments de la cause ne justifient pas qu'il soit fait droit à la demande présentée par les organisations FFCC et CSARL aux fins de publication dudit arrêt à titre de supplément de dommages-intérêts ;

Attendu que la société X sera déclarée civilement responsable de son préposé Gilles M ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement sur le rejet de l'exception tirée de la nullité prétendue des citations, L'infirmant pour le surplus, Déclare Gilles M coupable du délit de revente à perte et le condamne à une amende de dix mille francs, Déclare la société X civilement responsable, Sur les actions civiles, condamne in solidum Gilles M et la société X à payer : - à l'association UFC Que Choisir, la somme de 2 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, - à chacune des organisations syndicales FFCC et CSARL, la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, Rejette les autres demandes des organisations FFCC et CSARL, Les condamne in solidum aux frais des actions civiles, Dit que Gilles M sera tenu au droit fixe de procédure, Fixe en tant que de besoin la contrainte par corps conformément à la loi, Le tout par application des articles 1er de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 alors applicable à la date de commission des faits, 32 de l'ordonnance n° 86-1243 dans sa rédaction issue de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, 473, 485, 509, 512, 513, 514, 514, 749 et 750 du code de procédure pénale.