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Décisions

Cass. crim., 13 octobre 1999, n° 98-84.617

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Roger

Avocat général :

Mme Commaret

Avocat :

Me Cossa

TGI Saint-Étienne, ch. corr., du 26 juin…

26 juin 1997

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par M Gilles, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, du 1er juillet 1998, qui, pour vente de carburant à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, l'a condamné à 10 000 francs d'amende, a déclaré la société X civilement responsable et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui pose le principe du droit à l'égalité d'armes et du droit à un procès équitable, ensemble violation des articles 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963, 121-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles M coupable du délit de revente à perte et l'a condamné à une amende de 10 000 francs ;

"aux motifs que les prix de vente de deux carburants pratiqués par l'hypermarché X le 27 mars 1995 ont été inférieurs, d'un centime pour le surpercarburant "sans plomb 98" et de deux centimes pour le gazole, à leurs prix d'achat effectifs ; que l'hypermarché X a aligné les prix sur ceux pratiqués pour les mêmes produits par les établissements Y distants de 13 kilomètres, depuis deux jours, soit le 25 mars 1995 ; que, compte tenu de l'importance des surfaces commerciales concernées et de leur zone géographique de clientèle potentielle, la Cour est en mesure de déterminer qu'elles relèvent toutes deux de la même zone d'activité ; mais que l'exception d'alignement n'est recevable que si les prix litigieux sont alignés sur ceux légalement pratiqués par le concurrent ; qu'il résulte des pièces produites par l'Administration, puis par le ministère public, que les prix de vente de ces deux carburants pratiqués depuis le 23 mars 1995 par les établissements Y étaient illicites pour avoir été fixés en dessous de leur prix d'achat effectifs et ont donné lieu à une condamnation de leurs dirigeants de ce chef par un jugement du tribunal correctionnel de Montbrison ; que l'illicéité des prix de référence sur lesquels s'est aligné l'hypermarché X étant ainsi démontrée, le prévenu et son civilement responsable ne sauraient revendiquer à leur profit le bénéfice de l'exception d'alignement ; que le prévenu a reconnu s'être aligné sur les prix de son concurrent, dès qu'un de ses subordonnés les ait eu portés à sa connaissance, sans procéder à la moindre vérification de leur licéité ; que, dans ces conditions, la violation des prescriptions légales susvisées implique nécessairement de sa part l'intention coupable exigée par l'article 121-3 du Code pénal ;

"alors, d'une part, que, dès lors que le concurrent, sur les prix duquel s'est aligné celui qui est prévenu de revente à perte, est le seul à même de contester les appréciations de l'Administration ou du ministère public sur son propre seuil de revente à perte et sur la licéité des prix qu'il a pratiqués, le droit du prévenu à un procès équitable, de nature à lui permettre de s'expliquer à égalité d'armes sur la prétendue illicéité du prix de référence et sur les diligences normales qui lui incombaient, implique d'attraire ce concurrent à l'instance ; qu'en l'espèce, sans avoir satisfait à cette exigence, la cour d'appel a fondé sa décision sur une condamnation prononcée par une autre juridiction contre ce concurrent et sur le défaut de vérification du prévenu quant au caractère licite du prix sur lequel il s'est aligné ; que, ce faisant, elle a méconnu les droits susénoncés, consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

"alors, d'autre part, et subsidiairement que, pour permettre à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur les différents éléments de l'infraction de revente à perte, lorsque la partie poursuivante oppose à l'exception d'alignement sur la concurrence le caractère illicite du prix pratiqué par le concurrent, les juges du fond doivent établir eux-mêmes ce caractère illicite, au regard des explications fournies par la partie poursuivante sur qui repose la charge de la preuve ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer, par voie de référence à un jugement de condamnation du concurrent, que les prix des carburants vendus par celui-ci avaient été fixés en dessous de leur prix d'achats effectifs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour condamner le prévenu du chef de revente à perte, l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'il résulte des pièces produites par l'Administration, puis par le ministère public, que les prix de vente des carburants pratiqués depuis le 23 mars 1995 par "Y" sur les tarifs duquel la société X s'était alignée, étaient eux mêmes illicites ayant donné lieu, au demeurant, à une condamnation de leurs dirigeants, de ce chef, par un jugement du tribunal correctionnel de Montbrison, territorialement compétent ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'illicéité des prix pratiqués par "Y", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, en date du 1er juillet 1998, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi ; renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.