CA Versailles, 9e ch., 16 mars 1989, n° 190
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Chapelle, Direction nationale de la concurrence et des prix
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. de Thevenard
Conseillers :
Mme Cheron, M. Marill
Avocats :
Mes Saint-Esteben, Bermond.
LA COUR : - Statuant sur les appels formés les 28 et 29 avril 1988 par B Michel, la SNC X, civilement responsable, le Ministère Public et Chapelle Jean, partie civile, d'un jugement contradictoire du Tribunal correctionnel de Nanterre en date du 19 avril 1988 et dont le dispositif a été reproduit ci-dessus :
Considérant que B Michel et la SNC X demandent à la Cour :
Sur " conclusions sur l'action publique " :
- de les recevoir en leur appel, déclarant celui-ci bien fondé et infirmant dans cette mesure le jugement ;
- de dire et juger que ne constitue pas le délit d'imposition de prix ou marge minimale prévu à l'article 37-4° de l'ordonnance du 30 juin 1945 modifié par la loi du 30 décembre 1985 et remplacé par l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le fait de n'accorder certains rabais ou ristournes notamment qu'à la condition que le revendeur respecte la réglementation économique et les règles d'une concurrence loyale ;
- de dire et juger que Monsieur B n'a pas enfreint les textes précités en publiant dans " Paris Match " du 21 mars 1986 des prix indicatifs pour quelques lecteurs de compact disc ;
- de relaxer en conséquence Monsieur B des fins de la poursuite ;
- de mettre hors de cause la SNC X ;
Sur " conclusions en réponse aux conclusions de partie civile " :
- d'adjuger à X l'entier bénéfice de ses conclusions séparées quant à l'action publique et, sur l'action civile, de confirmer purement et simplement le jugement entrepris ;
Considérant que Chapelle Jean, partie civile, demande à la Cour de dire la prévention établie en tous ses chefs, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans " Le Monde ", " Les Echos " et " Le Figaro ", de condamner B Michel à lui verser la somme de 407 400 F à titre d'indemnisation de son préjudice ainsi que la somme de 3.500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour l'instance d'appel ;
Considérant que la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence demande à la Cour :
- de confirmer le jugement de la 15e Chambre du Tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a déclaré Monsieur B coupable du délit d'imposition d'un prix ou d'une marge minimum ;
- de dire que l'infraction était constituée avant le 3 janvier 1986 ;
- de dire l'infraction d'imposition d'un prix ou d'une marge minimum constituée à l'aide des conditions générales de vente et des accords de coopération ;
Considérant que le Ministère Public requiert de la Cour :
- qu'elle confirme le jugement en ce qu'il a renvoyé B Michel des fins de la poursuite pour les faits commis en 1985 et en ce qu'il l'a retenu dans les liens de la prévention pour avoir imposé en 1986 un prix minimum au prix de vente ou à une marge commerciale en donnant un caractère conditionnel aux ristournes constituant la marge des détaillants ;
- qu'elle réforme le jugement et passe condamnation pour ce même délit d'imposition de prix minimum par les offres de remboursement visées à la prévention mais renvoie B Michel des fins de la poursuite du chef de la prévention du même délit commis par la publication de prix indicatifs ;
- qu'elle signifie de manière la plus nette l'illégalité, au regard de l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, du dispositif mis en place en 1986 par la société X en subordonnant le paiement des ristournes ou remises au respect de la réglementation économique et confère à la totalité de celles-ci un caractère conditionnel différé ;
- qu'elle entre donc en voie de condamnation contre X à cette fin et ordonne la publication de l'arrêt ;
Considérant que de la procédure et des débats il résulte les faits suivants :
B Michel est prévenu d'avoir, sur le territoire national, courant 1985 et 1986, imposé un caractère minimum au prix de vente des produits d'électronique audiovisuelle domestique ou à une marge commerciale :
1°) en attribuant aux ristournes et remises de fin d'exercice résultant soit des conditions générales de vente, soit des accords de coopération, un caractère aléatoire du fait de leur subordination au respect de la législation économique et notamment de l'interdiction de vente à perte, empêchant ainsi les détaillants de les prendre en compte dans le calcul du seuil de revente à perte et par conséquent de les déduire du prix de base augmenté de la TVA, lesdites ristournes constituant dans certains cas la totalité de leur marge commerciale ;
2°) en diffusant dans l'hebdomadaire " Paris Match " du 21 mars 1986 une publicité comportant des " prix indicatifs " pour six platines " compact disc " correspondant pour cinq d'entre elles au prix de base augmenté de la TVA, la " marge arrière " du revendeur - montant des ristournes différées - constituant sa seule rémunération ;
3°) en organisant trois opérations publicitaires dites " offres de remboursement platine laser " par lesquelles la société X a proposé à tout acheteur d'un lecteur " compact disc " d'une valeur supérieure à une somme proche du prix de base du tarif TTC un remboursement de 400 F puis de 300 F dissuadant par ce moyen ses distributeurs de s'éloigner du prix de base, ne serait-ce qu'en répercutant la remise pour paiement comptant de 2 %, puisque cela aurait eu pour effet de faire perdre au consommateur le bénéfice du remboursement mentionné dans les offres publicitaires ;
Faits prévus et réprimés par l'article 37-4 de l'ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945 devenu l'article 34 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, l'article 55 alinéa 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.
Chapelle Jean est un commerçant qui revend à des prix " discount " dans son magasin situé 131 rue de Rennes, de l'électroménager et du matériel audio et vidéo.
Selon ses déclarations, pour vendre beaucoup, il se contente d'une marge de 11 à 12,5 % qui lui permet d'être très compétitif sur le marché.
Il portait plainte successivement les 22 août et 1er octobre 1986 contre la SNC X estimant que le système de prix pratiqué par cette société avait pour effet d'imposer à ses revendeurs un prix au dessous duquel ils ne pouvaient plus descendre. Il devait expliquer à l'audience de la Cour que ce système, le concernant, ne lui permettait dès lors plus de vendre au dessous des prix des grands revendeurs, ce qui l'empêchait de diminuer sa marge commerciale comme il le faisait pour les autres produits qu'il commercialisait. Il y avait donc dès lors pour lui impossibilité de vente.
Le chef de la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence faisait observer à l'audience de la Cour qu'il existait chez les grands industriels deux " philosophies " commerciales différentes auxquelles répondent des pratiques opposées :
- les uns vendent à des prix sinon nets du moins affectés, le cas échéant, des remises non aléatoires, laissant ensuite au revendeur toute latitude pour fixer ses prix ainsi qu'il l'entendait.
- les autres, préoccupés de contrôler leurs revendeurs, s'ingéniant, par des systèmes appropriés, à exercer leur droit de regard sur les prix, à la revente, de leurs produits, font varier leurs prix en fonction de certains critères.
X appartient à cette seconde catégorie et a d'autant plus intérêt à l'époque des faits au maintien des prix de ses produits à un certain niveau que X commercialise dans une position de leader sur le marché, le compact disc et le lecteur laser de compact disc que ses chercheurs ont les premiers mis au point.
En l'espèce, la société X utilisait-elle l'interdiction légale de la revente à perte pour imposer un caractère minimum au prix de vente de certains de ses produits par le biais d'engagements exigés des revendeurs soumis à ses conditions générales de vente et s'il y avait lieu à des conditions particulières prévues par des accords de coopération ?
C'est la première question posée à la cour par la prévention.
I - Sur le premier chef de la prévention :
A - Sur la revente à perte :
Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays étrangers, en France la revente à perte est prohibée. Elle a été prévue et réprimée par la loi n° 63-268 du 2 juillet 1963, toujours en vigueur.
A l'époque des faits, l'article 1°-I de cette loi était ainsi libellé :
" Est interdite la revente de tout produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif majoré des taxes sur le chiffre d'affaires afférentes à cette revente. Le prix d'achat effectif s'entend déduction faite des rabais ou remises de toute nature consentis par le fournisseur au moment de la facturation ".
Les infractions à cette disposition étaient assimilées à des pratiques de prix illicites constatées, poursuivies et réprimées dans les conditions fixées par les deux ordonnances du 30 juin 1945.
L'article 1°-I de cette loi, dans la rédaction nouvelle que lui a donnée l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est le suivant :
" Est puni d'une amende de 5.000 à 100.000 F le commerçant qui revend un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif. Le prix d'achat effectif est présumé être le prix porté sur la facture d'achat, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et, le cas échéant, du prix du transport ".
Ce texte appelle deux observations en rapport avec l'affaire en cause :
1°) ce n'est pas l'offre de revente à perte qui est sanctionnée mais la revente effective à perte.
2°) la connaissance de ce qu'il faut entendre depuis l'ordonnance du 1er décembre 1986 par " prix d'achat effectif " est désormais facilitée par la présomption créée par ce texte selon laquelle le prix inscrit sur la facture est le prix d'achat effectif majoré, s'il y a lieu, ainsi qu'il est dit.
Une telle présomption, il faut le souligner, n'existait pas à l'époque des faits de la cause et une incertitude existait non sur les majorations permettant de connaître le prix d'achat effectif mais sur les " rabais ou remises " consentis au moment de la facturation.
Il faut noter que l'article 31 alinéa 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précise désormais que la facture doit mentionner " le prix unitaire hors TVA des produits vendus ainsi que tous les rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de services ".
Si, ni le texte ancien, ni le texte nouveau ne répondent de manière péremptoire à la question de savoir quels sont les rabais déductibles qui permettent de connaître de manière précise quel est " le prix d'achat effectif " constituant le seuil au-dessous duquel il y a revente à perte, du moins y a-t-il lieu de considérer que ces textes interdisent la déduction des remises aléatoireset qu'il y aurait effectivement vente à perte au cas où le revendeur vendrait au dessous du prix d'achat diminué des ristournes conditionnelles.
Par conséquent, lorsque la marge du revendeur n'est constituée que de telles ristournes, il ne peut revendre au-dessous de ce " prix plancher " : prix d'achat + TVA puisqu'il ne peut répercuter tout ou partie des ristournes conditionnelles sur la clientèle sans commettre l'infraction de revente à perte.
Aussi dans les zones à forte densité de population où la concurrence est vive les commerçants qui, dans la nécessité où ils se trouvent pour vendre, de ne pas hausser leurs prix, se voient dans la pratique contraints de respecter ledit " prix plancher " puisqu'ils ne peuvent passer au dessous.
Le système a donc pour effet d'imposer un prix uniforme par produit dans un secteur géographique déterminé.
B - Sur les engagements dont la souscription est exigée des revendeurs de X et sur les accords de coopération liant certains revendeurs à cette société :
1°) Sur les " engagements " et les ristournes :
Pour pouvoir revendre les appareils " audio " et " vidéo " de marque X, le commerçant était invité, non seulement à s'engager, à réaliser sur l'année un certain chiffre d'affaires moyennant ristournes, mais aussi " à respecter " les " conditions générales de vente et de service dont un exemplaire " lui " a été remis ".
Ces " conditions générales de vente et de service des appareils électroniques domestiques X " prévoient notamment que " le paiement des ristournes éventuelles s'effectue sous forme d'avoir ; il est subordonné au règlement de toutes les factures à échéance et au respect de la réglementation économique et de la concurrence ".
L'application faite de cette clause à Chapelle Jean par X permet d'en mesurer l'exacte portée :
En effet, Chapelle Jean fait l'objet, par lettre du 5 mai 1986, d'une mise en garde de la part du Directeur Régional de X aux termes de laquelle la publicité de prix qu'il effectuait " relèverait, en l'état actuel de la réglementation sur la vente à perte, d'une pratique illicite " ; que Chapelle Jean apprenait du même directeur par une lettre du 18 juin 1986 qu'il avait " constaté que depuis plusieurs mois (cf. notre lettre du 5 mai 1986) vous ne respectiez plus vos engagements "... " Dans ces conditions, et en raison des manquements observés nous avons pris la décision de suspendre le versement de vos ristournes ".
Cette décision de suspension du versement des ristournes intervenait sans que, pour autant, X n'ait alors porté plainte contre Chapelle Jean pour une infraction quelconque.
L'aspect particulièrement pernicieux de la clause apparemment banale du respect exigé du cocontractant de X, de la réglementation économique résulte de l'utilisation qu'en fait X pour s'ériger ainsi en juge des comportements du distributeur vis-à-vis de la législation et prendre ainsi prétexte d'une violation supposée de tel ou tel texte réglementaire afin de lui refuser ses ristournes, le constituer ainsi en infraction par rapport à l'interdiction de vente à perte et y trouver prétexte à refus de vente.
La circonstance qu'un recours du revendeur devant l'autorité judiciaire puisse être exercé par le revendeur mécontent de l'interprétation de la loi fait par X n'enlève rien au caractère exorbitant du pouvoir que s'arrogeait ainsi X.
Cette " sanction privée " pour reprendre la juste expression du tribunal, est administrée discrétionnairement par X qui, en l'espèce au surplus, réprime l'offre de vente à perte (qui n'est punie par aucun texte ainsi qu'il a déjà été dit) et ce alors que, par ailleurs, rien n'établisse qu'en la cause l'offre de vente à perte supposée ait même été réalisée !
L'application faite par la société X de ses conditions générales de vente auxquelles elle soumet ses revendeurs montre bien le caractère conditionnel de l'ensemble des ristournes concédées aux commerçants par cette société puisque dans l'affaire Chapelle, X décide " de suspendre le versement de vos ristournes " à Chapelle Jean sans faire aucune distinction entre les ristournes.
La clause litigieuse des conditions générales de vente, selon les déclarations de B Michel, est actuellement modifiée. Elle ne subordonne plus le paiement des ristournes éventuelles au respect de la réglementation économique mais aux " engagements commerciaux " ; mais ce libellé nouveau ne change rien à l'esprit dans lequel sont concédées ces " ristournes éventuelles " dont il est toujours dit que " le paiement s'effectue sous forme d'avoir " dès lors que la clause - si persiste une utilisation par X semblable à celle qui en a été faite a pour effet de conférer à toutes les ristournes un caractère conditionnel, ce qui aboutit ainsi qu'on l'a vu - à imposer le prix d'achat (appelé par X " prix de base " abondé de la TVA) comme prix de revente.
L'analyse de l'" engagement " auquel doit souscrire tout revendeur montre d'ailleurs qu'indépendamment même de la clause des conditions générales de vente qui a changé ainsi qu'il a été dit, il existe des précisions complémentaires sur les " conditions de vente " imposées par X. Sous ce titre en effet et sur l'engagement proposé aux revendeurs par cette société il est précisé :
" Vous bénéficierez éventuellement d'une ristourne dont le versement est subordonné :
- à la réalisation des engagements annuels (relativement à un objectif de réalisations d'un certain chiffre d'affaires),
- au règlement des factures à l'échéance,
- au respect de la réglementation économique de la concurrence et notamment : des dispositions légales relatives à la publicité des prix, des obligations imposées par la réglementation relative à la disponibilité des matériels, de la loi interdisant la vente à perte, des textes qui condamnent la politique du prix d'appel, des règlements d'une concurrence loyale ".
Toutefois, le versement mensuel d'une avance de 12 % sur une ristourne annuelle de l'ordre de 2 à 4 % calculée sur le chiffre d'affaires (selon son importance ) que s'est engagé à réaliser le revendeur, est prévu et pouvait être revu en fin d'année.
Il est ajouté sur l'" engagement " à la suite de ces indications :
" La ristourne de fin d'exercice et ses avances ne seront en conséquence acquises qu'à l'expiration de l'année contractuelle.
Le versement à nos clients n'est pas exclusif d'une refacturation par notre société de ses avances en cas de manquement à l'exécution régulière des obligations stipulées ".
Ces phrases font ressortir une nouvelle fois le caractère conditionnel de ces ristournes.
En outre, le revendeur bénéficie d'une ristourne complémentaire annuelle de 1 à 2 % suivant la progression du chiffre d'affaires réalisé d'une année sur l'autre qui ne serait pas conditionnelle s'il n'était indiqué en outre dans ledit " engagement " :
" Vous devez respecter nos conditions générales de vente et de service dont un exemplaire vous a été remis ", ce qui soumet donc cette ristourne comme les autres au respect des conditions de la clause ci-dessus analysée.
En définitive, les différents types de ristournes en vigueur au cours de l'année 1986 ont été excellement résumées dans les réquisitions du Ministère Public ainsi qu'il suit :
a) Les ristournes concernant les appareils audio :
Cette catégorie comprend les appareils hi-fi et laser, RME (Radio Musique Enregistrement) et auto radio.
Deux types de ristournes sont stipulées :
- des ristournes dites de " classement par activité " liées au chiffre d'affaires prévisionnel (8 ou 12 %), sauf pour les appareils hi-fi et laser pour lesquels la remise qualifiée " avance ristourne mensuelle " est fixée à 12 % quel que soit le chiffre d'affaires,
- des ristournes par " activité " liées d'une part au chiffre d'affaires réalisé (2 à 4 % ) et d'autre part à l'augmentation du chiffre d'affaires par rapport à celui de l'exercice précédent.
b) Les ristournes concernant les appareils vidéo :
Pour cette catégorie d'appareils qui comprend les téléviseurs, magnétoscopes et caméras-vidéo, il existe trois types de ristournes :
- des " avances ristournes mensuelles " de 10 % indépendants du chiffre d'affaires,
- des " avances ristournes semestrielles " de 2 à 3 % selon le chiffre d'affaires réalisé,
- des " ristournes complémentaires annuelles " de 0 à 2 % selon l'augmentation du chiffre d'affaires.
c) Les ristournes résultant d'accords de coopération commerciale :
Une prime de coopération versée sous forme de ristourne mensuelle résultant d'accords entre la société X et certains distributeurs (Cibo Radio et Illel à Paris par exemple) peut s'ajouter aux ristournes sus-visées.
Elle est de 8 % pour les appareils audio et de 4 % pour les appareils vidéo.
Le versement de ces ristournes est subordonné à la réalisation d'un certain chiffre d'affaires, à des engagements relatifs à la politique de marketing de X et au respect des conditions générales de vente sus-énoncées.
d) Les remises promotionnelles :
Ces remises, qui sont de quatre sortes, sont les seules à ne pas avoir un caractère conditionnel et sont par conséquent déduites directement sur les factures.
2°) Sur les " accords de coopération " :
Il y a lieu d'observer que la défense soutient qu'indépendamment des remises promotionnelles certaines de ces ristournes ne seraient pas conditionnelles, ce qui serait le cas notamment des ristournes résultant d'accords de coopération.
Effectivement, sur ces " accords ", distincts des " engagements ", en ce qui concerne le matériel " audio ", la ristourne de 8 % accordée est, aux termes de l'accord de coopération, " une remise sur facture de 8 % ". Cependant elle est la seule de cette nature et l'accord de coopération précise là encore :
" Vous vous engagez, en outre, à respecter nos conditions générales de vente et de service, dont un exemplaire vous a été remis "...
Ce qui peut faire également tomber à volonté la remise sous le régime de la clause litigieuse ci-dessus rappelée.
En admettant même que certaines de ces ristournes accordées par X, telle la remise de 2 % pour paiement comptant, ne soit pas aléatoire du point de vue de cette société, le montant de ces ristournes non conditionnelles, à supposer qu'elles puissent être considérées comme telles, sont en réalité très faibles pour ne pas dire négligeables par rapport aux autres, sauf bien entendu - mais cela a été souligné - dans le cas de ventes promotionnelles. Or, X est loin de ne faire que des ventes promotionnelles.
Cette situation permet donc de considérer qu'en retirant au revendeur la possibilité de baisser ses prix au-dessous du prix dit de base par X, et en tout cas très peu en dessous de ce prix de base, par le biais d'une marge constituée presqu'exclusivement par des ristournes conditionnelles - en dehors des ventes promotionnelles - cette société, par ce moyen, impose un caractère minimum au prix de vente des produits considérés.
3°) Sur les enquêtes :
C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'aboutit l'enquête menée dans la région parisienne par la Direction Nationale des Enquêtes de Concurrence.
Sur le procès-verbal du 27 janvier 1987, il est indiqué que des relevés de prix effectués entre les 20 et 24 octobre 1986 auprès de 25 revendeurs X (commerces traditionnels, spécialistes, multispécialistes, grands magasins, hypermarchés et supermarchés) par les Directions de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne permettent de constater que les prix de marché - prix généralement pratiqués - correspondent soit :
1) au prix du tarif de base facturé toutes taxes comprises,
2) au prix du tarif de base minoré d'une partie ou de la totalité des remises promotionnelles.
Ces constatations contredisent les résultats de l'enquête incertaine dans sa nature, dans ses méthodes et dans sa fiabilité des panels GFK d'où il ressortirait que X aurait des prix de vente très variables et s'éloignant très sensiblement des " prix de base TTC ". Il est d'ailleurs possible que sur l'ensemble du territoire français les écarts constatés soient plus importants que sur les grandes concentrations urbaines. Mais le principe même de l'efficacité du système de vente X là où les ventes sont les plus importantes n'est pas contestable. Cela résulte encore des déclarations recueillies le 24 juillet 1987 de Koutznezoff pour la SARL Sarap, de Maurice René pour Radiophile, de Sokolowski Joseph pour Cash-Diffusion, tous revendeurs d'appareils audio et vidéo X.
Ainsi la preuve est-elle rapportée de ce que par la réduction de la marge du revendeur au montant des remises presque toutes exclusivement conditionnelles X parvenait à imposer au revendeur de ne pas descendre sensiblement au-dessous du prix de base qu'elle avait fixé - en dehors des promotions -. B Michel, qui ne conteste pas l'imputabilité à sa personne de la prévention tout en en déniant le bien fondé reconnaît néanmoins sa responsabilité dans le maintien de l'organisation du système de vente de X en vigueur depuis 1981.
Il échet de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu B Michel dans les liens de la prévention sur ce premier point.
II - Sur le deuxième chef de la prévention :
Une publicité parue le 21 mars 1986 dans " Paris Match " concernant six modèles de " platines compact disc " offrait :
la platine CD 104 MKH au " prix indicatif " de 3.290 F
la platine CD 150 MKH au " prix indicatif " de 2.990 F
la platine CD 450 MKH au " prix indicatif " de 4.290 F
la platine CD 350 MKH au " prix indicatif " de 3.490 F
la platine CD 555 MKH au " prix indicatif " de 5.990 F
la platine CD 10 MKH au " prix indicatif " de 2.990 F
Il est reproché à B Michel d'avoir utilisé comme prix indicatif des prix correspondant aux prix de base hors TVA pour imposer ces prix.
Mais l'abrogation par l'ordonnance du 1er décembre 1986 des dispositions de la première ordonnance du 30 juin 1945 qui prévoyait la possibilité d'une interdiction de telles formules en son article 3 bis alinéa 2 (ainsi que des dispositions de la seconde ordonnance du 30 juin 1945) a fait disparaître l'infraction qui découlait de cette législation, aucune réserve sur ce point n'existant dans l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Le jugement qui avait retenu la culpabilité de B Michel sur ce chef de la prévention sera donc réformé sur ce point.
III - Sur le troisième chef de la prévention :
En ce qui concerne le troisième chef de la prévention, il convient de rappeler que trois opérations dites " offre de remboursement platine laser " ont été organisées par X en 1986.
Aux termes d'une de ces offres, le placard publicitaire accolé à l'appareil indiquait " jusqu'au 31 octobre 1986, sur l'achat de ce lecteur compact disc X rembourse 300 F " ou encore sur un autre tract " X, inventeur du compact disc, X rembourse 300 F sur l'achat d'un lecteur compact pour tout achat réalisé entre le 1er et le 31 octobre 1986, sur l'achat d'un lecteur compact disc X d'une valeur supérieure à 2.650 F à l'exclusion des chaînes portables et des chaînes intégrales avec CD, vos frais d'affranchissement inclus ".
Il était précisé au verso du tract que le règlement complet de cette opération avait été déposé chez un huissier et qu'il pourrait être consulté dans tous les points de vente participant à cette opération.
De même, une autre opération publicitaire du même type avait été réalisée pour la période du 15 mars au 15 avril 1986. Cette première offre de remboursement était de 400 F et concernait tout acheteur d'un lecteur compact disc X d'une valeur supérieure à 2.950 F.
A titre indicatif, dans le cas de l'offre publicitaire du 1er au 31 octobre 1986 - dont la réglementation était en tout point semblable aux autres - le remboursement de 300 F était réservé à tout acheteur d'un lecteur compact disc X d'une valeur supérieure à 2.650 F.
Ou bien cette publicité devait être prise à la lettre et il était évident que ne pouvait bénéficier d'un " remboursement " de 300 ou 400 F selon le cas que l'acheteur qui avait effectué pour l'acquisition de son lecteur compact disc un versement effectif de plus de 2.650 F (ou 2.950 F le cas échéant) ou bien il s'agissait de comprendre le mot valeur comme devant être arbitrairement apprécié par X, ce qui ôtait toute garantie possible de remboursement à l'acquéreur lequel pouvait se voir opposer le fait qu'il ait acheté trop cher un appareil dont X estimait la valeur à un chiffre inférieur.
Dans la première hypothèse, l'offre publicitaire contribuait bien à imposer indirectement un prix minimum à un lecteur compact disc ; dans la seconde, l'absence de toute référence objective pour l'appréciation de la " valeur " et la possibilité par conséquent laissée à X d'apprécier discrétionnairement ladite " valeur " laissait à cette société la possibilité de ne jamais accorder le remboursement, si cette société le désirait. Par contre, elle était destinée à faire fallacieusement croire à l'acheteur à la réalité de ce remboursement et le délit de publicité mensongère eut dès lors été constitué.
Il échet de considérer que seule la première hypothèse doit être retenue et que le délit prévu à la prévention sur ce troisième chef est parfaitement constitué contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges et ce, même si B établit que nonobstant leur acquisition à un prix inférieur à celui de l'annonce, deux acheteurs de lecteurs compact disc (Nicole et Moriter) ont bénéficié des remboursements prévus pendant la période du 1er au 31 octobre 1986.
Le troisième exemple cité est celui de Goumelen qui a acquis son lecteur compact disc à 2.490 F le 15 novembre 1986, ce qui prouve mais n'est pas contesté qu'effectivement X a, discrétionnairement, décidé d'accorder des remboursements.
Il échet cependant d'observer que le système peut encourager dans certains cas la hausse apparente du produit. C'est ainsi que lorsque le prix du lecteur de compact disc est un peu inférieur à la " valeur " déterminée (2.650 F par exemple) permettant de bénéficier du remboursement, le détaillant désireux que son client puisse avoir droit au remboursement de la somme de 300 ou 400 F annoncée par la publicité est contraint d'augmenter le prix du lecteur pour le porter à ladite " valeur " minimale de 2.650 F fixée par X permettant d'avoir accès au remboursement de 300 ou 400 F annoncé.
B Michel sera donc retenu de ce chef dans les liens de la prévention.
IV - Sur l'application de la loi dans le temps et les peines encourues :
Les faits incriminés (ainsi que l'ont fait observer les premiers juges) d'imposition d'un caractère minimum aux prix des produits n'étaient punissables en application de l'article 37-4° de la première ordonnance du 30 juin 1945 que lorsqu'ils étaient commis " soit au moyen de tarifs ou barèmes soit en vertu d'ententes ", ce qui n'est pas le cas de l'espèce.
La relaxe prononcée pour les délits poursuivis en 1985 s'impose donc et le jugement sera confirmé sur ce point.
C'est d'autre part à juste titre que le tribunal observe que l'article 37-4° sus-visé de la première ordonnance du 30 juin 1945 a été modifié par la loi du 30 décembre 1985 qui a ajouté aux moyens employés par lesquels pouvait être commise l'infraction d'imposition d'un caractère minimum aux prix des produits la formule " soit par tout autre moyen ".
Effectivement, l'ordonnance du 1er décembre 1986 maintient cette infraction mais en punissant d'une simple peine d'amende de 5.000 à 100.000 F " le fait pour toute personne d'imposer directement ou indirectement un caractère minimal au prix de revente d'un produit... ".
Ainsi, nonobstant l'abrogation de la première ordonnance du 30 juin 1945, l'article 37-4° de cette ordonnance prévoyant l'infraction sus-dite en tant que délit assimilé à la pratique de prix illicite, reprise par l'ordonnance du 1er décembre 1986, était punissable courant 1986. Cependant, l'infraction définie à l'article 37-4° de la première ordonnance du 30 juin 1945 punie par l'article 40 de la deuxième ordonnance de la même date d'une peine d'emprisonnement de 4 mois à 4 ans et d'une amende de 60 F à 200.000 F se trouve par l'application de la règle de la rétroactivité " in mitius " punie désormais, du moins à titre principal, de la seule peine d'amende limitée à 100.000 F édictée par l'article 34 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les peines complémentaires restant les mêmes notamment celle de la publication.
Il faut ajouter qu'en tant qu'infraction sanctionnée par l'article 34 de cette ordonnance elle est expressément exclue de l'amnistie par l'article 39-12° de la loi du 20 juillet 1988.
Considérant qu'au vue de ce qui précède la peine d'amende de 30.000 F prononcée par les premiers juges contre B Michel délinquant primaire n'est ni insuffisante ni excessive ; qu'il convient de la confirmer ;
Considérant au surplus qu'il importe de faire cesser ou d'empêcher de telles pratiques ; qu'il paraît donc nécessaire d'ordonner la publication du présent arrêt ;
V - Sur les intérêts civils :
Considérant qu'il est constant que c'est par l'infraction d'imposition d'un caractère minimum au prix de ses produits commise par le moyen décrit au 1° de la prévention que Chapelle Jean a été lésé, ce qui a entraîné en outre pour lui à compter de juillet 1986 la suspension des ristournes et le refus momentané de vente de X ;
Considérant que le prévenu prétend, sans en apporter la preuve, que les commandes de Chapelle ne portaient que sur un seul type de produits X (les lecteurs de compact disc) ; qu'il y a lieu de prendre en compte l'ensemble des produits X " audio " et " vidéo " dont Chapelle Jean a été indûment privé par l'infraction commise qui représentaient effectivement (malgré les contestations de B Michel sur ce point) environ 20 % de l'ensemble de son chiffre d'affaires ; qu'il est constant également, contrairement aux allégations du prévenu, que Chapelle Jean avait la surface et les moyens nécessaires de commercialiser cette quantité de produits ;
Considérant que les calculs de B Michel tendant à démontrer que Chapelle Jean ne pouvait vendre avec les marges qu'il indique ne sont pas probants et ne seront pas retenus par la cour ;
Considérant en définitive que Chapelle Jean, pour asseoir sa demande à 407.400 F de dommages-intérêts, se réfère aux chiffres d'affaires qu'il a réalisés en 1985 et en 1986 ; qu'il ne pourra être tenu compte que des éléments relatifs à l'année 1986, la prévention n'étant pas retenue à l'encontre de B Michel en ce qui concerne l'année 1985 ;
Que c'est donc son chiffre d'affaires de 1986 qui sera retenu pour les 6/12e soit en chiffre arrondi 8.000.000 F ; que ses activités audio et vidéo ont été de l'ordre de 4.000.000 F ; que le chiffre qu'aurait pu réaliser Chapelle Jean en commercialisant des appareils X aurait dû être de 20 % de ce chiffre, soit de 800.000 F environ ; que la marge moyenne dégagée par Chapelle Jean dans les années 1985-1986 était de l'ordre de 12 % et l'escompte de X de 2 % ; qu'il sera donc retenu que le manque à gagner de Chapelle Jean a été de l'ordre de 800.000 x (12 + 2) % = 112.000 F ; que cependant la réalisation d'un chiffre d'affaires supplémentaire aurait occasionné des frais en rapport avec cette augmentation ; que la Cour a des éléments suffisants pour fixer en définitive à 100.000 F le préjudice subi par Chapelle Jean du fait de l'infraction et à 20.000 F le préjudice commercial qui en est résulté, lié au trouble créé par les agissements de B Michel ; qu'ainsi il sera alloué à Chapelle Jean,toutes causes de préjudice confondues, une somme de 120.000 F ; qu'en outre, il sera accordé à Chapelle Jean la somme de 3.500 F qu'il réclame en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme : Reçoit les appels réguliers de B Michel, de la SNC X, du Ministère Public et de Chapelle Jean ; Au fond : Sur la déclaration de culpabilité : Confirme la relaxe de B Michel pour les faits qui lui sont reprochés comme ayant été commis courant 1985 jusqu'au 2 janvier 1986 ; Réformant partiellement, Déclare B Michel non coupable d'avoir commis le délit d'imposition de caractère minimum à un prix ou une marge par publication de prix indicatifs ; Vu l'article 516 du Code de procédure pénale, Le renvoie des fins de la poursuite sur ce chef de la prévention ; Déclare B Michel coupable d'imposition de caractère minimum à un prix ou une marge dans les termes des 1° et 3° chefs de la prévention du 2 janvier 1986 au 31 décembre 1986 ; En répression, Réformant partiellement, Vu les articles 34, 54 et 55-1° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Confirme sur la peine de 30.000 F d'amende prononcée par les premiers Juges ; Y ajoutant, Ordonne la publication du présent arrêt aux frais du condamné, dans la limite de 10.000 F par insertion, dans les journaux : " Le Monde ", " Les Échos " et " Le Figaro " ; Confirme sur la qualité de civilement responsable de la SNC X. Sur les intérêts civils : Réformant, Reçoit Chapelle Jean en sa constitution de partie civile ; Condamne, in solidum, B Michel et la SNC X à verser à Chapelle Jean une somme de cent vingt mille F (120.000 F) à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues ; Condamne, en outre, B Michel à payer à Chapelle Jean la somme de trois mille cinq cents F (3.500 F) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute demande plus ample et conclusions contraires comme inopérantes ou non fondées ; Condamne B Michel aux dépens de première instance et d'appel liquidés à la somme de 835,99 F.