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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 9 septembre 1993, n° 3998-91

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Elbeuf Distribution (SA)

Défendeur :

CPC France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Credeville

Conseillers :

Mme Masselin, M. Dragne

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet, SCP Gallière, Lejeune

Avocats :

Mes Pointel, Nyssen.

T. com. Elbeuf, prés., du 13 nov. 1991

13 novembre 1991

Faits et procédure

La société CPC France est spécialisée dans la fabrication et la vente de produits alimentaires qu'elle commercialise notamment sous la marque connue " Maïzena ".

Elle comptait parmi ses clients, aux travers de la société Coopérative d'Approvisionnement (Scanormande), la société Elbeuf Distribution exploitant un magasin à l'enseigne " Centre Leclerc ".

Arguant de pratiques de vente à perte, contraires aux prescriptions de la législation en vigueur et d'un accord signé sous l'égide du CNPF, la société CPC France les a faites toutes deux assigner en référé.

Par ordonnance du 13 novembre 1991, le Président du Tribunal de commerce d'Elbeuf a statué comme suit :

- mettons hors de cause la société Scanormande,

- faisons défense à la société Elbeuf Distribution de vendre le produit Maïzena à un prix inférieur au prix d'achat tel que défini par les dispositions législatives et contractuelles, et ce sous astreinte de 3 000 F par infraction constatée, chaque infraction étant constituée par l'offre en vente ou la vente de chaque boite de Maïzena,

- condamnons la société Elbeuf Distribution à payer à la société CPC France la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Appelante de cette décision, la société Elbeuf Distribution reprend ses moyens vainement invoqués devant le premier juge.

En sa qualité de fabricant - soutient-elle en premier lieu - la société CPC France ne pourrait se prévaloir des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur les ventes à perte. Seul un autre distributeur pourrait éventuellement justifier d'un intérêt à agir.

La vente du produit " quelques centimes de plus ou de moins " n'aurait pu entraîner un trouble économique ou une dépréciation de l'image de marque de CPC France.

En tout état de cause, la demande de CPC France serait sans objet dès lors que le produit aurait été retiré de la vente dès le 1er novembre 1991. De surcroît, la société Elbeuf Distribution serait fondée à invoquer l'exception d'alignement en raison de prix pratiqués par d'autres concurrents régionaux.

La Cour devrait donc réformer la décision entreprise et :

- déclarer la société CPC France irrecevable en ses demandes,

- constater en tout état de cause qu'à la date de l'ordonnance dont appel et à plus forte raison à la date de l'arrêt à intervenir le trouble allégué avait cessé,

- en conséquence, décharger la concluante de toutes les condamnations prononcées,

- condamner CPC France au paiement d'une indemnité de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société CPC France s'est attachée à réfuter point par point cette argumentation.

Pour elle, il appartiendrait à la Cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise et additionnellement, de :

- condamner la société Elbeuf Distribution au paiement de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Sur les faits :

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'au mois de septembre 1991, la société Elbeuf Distribution a mis en vente des produits " Maïzena " fournis par la société CPC France à un prix inférieur au prix d'achat, contrairement aux prescriptions :

- de l'article 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence,

- précisées, dans les rapports entre les parties, par un " Accord Industrie Commerce " du 12 décembre 1989 ayant pour objet de " définir de façon opérationnelle les éléments constitutifs du prix d'achat et, par voie de conséquence, le seuil du prix de revente à perte " ;

Qu'au demeurant, ces circonstances résultent des pièces du dossier, et notamment des mises en demeure successivement adressées par la société CPC France à la société Elbeuf Distribution par télex des 27 septembre et 4 octobre 1991, ainsi que par un constat d'huissier du 16 octobre suivant ;

Attendu qu'il n'est pas plus contesté que la société Elbeuf Distribution a fait retirer ces produits de ses rayons le 1er novembre 1991 ; qu'elle a fait constater le jour même ce retrait par huissier ;

Sur la recevabilité de la demande :

Attendu sans doute que la société CPC France ne saurait s'ériger en gardienne des dispositions de l'ordonnance précitée, ressortissant à la réglementation économique, et édictées dans l'intérêt général;

Qu'elle n'en est pas moins recevable à invoquer la faute que constitue leur non-respect, au sens de l'article 1382 du code civil, dès lors qu'elle peut justifier d'un intérêt;

Attendu que tel est bien le cas; qu'en effet, la pratique de vente à perte sur le produit Maïzena ne pouvait qu'exposer la société CPC France :

- d'une part, à une dépréciation de l'image de marque du produit susceptible d'apparaître comme bradé, la différence de " quelques centimes " mise en avant par la société Elbeuf Distribution ne pouvant être négligée compte tenu du faible prix unitaire des paquets ;

- d'autre part, et surtout, les soupçons des autres distributeurs quant à l'existence de conditions préférentielles consenties à des concurrents et mettant en péril sa politique commerciale;

Sur la compétence du juge des référés ;

Attendu que malgré deux sommations et un constat d'huissier, la société Elbeuf Distribution a attendu le lendemain de l'assignation en référé pour cesser sa pratique de vente à perte ;

Qu'encore cette cessation n'a-t-elle consisté qu'à retirer le produit de la vente, tout en le conservant en réserve ; que, dans ces conditions, c'est donc à bon droit que le premier juge a délivré l'injonction critiquée compte tenu du risque de réitération de l'infraction ;

Attendu que le risque n'a pas disparu ; qu'en l'état des pièces versées aux débats, la société Elbeuf Distribution ne justifie nullement de l'obligation dans laquelle elle se serait trouvée d'aligner ses prix sur ceux pratiqués par ses concurrents ;

Que l'ordonnance entreprise sera donc confirmée ;

Sur les autres demandes :

Attendu que la société Elbeuf Distribution, qui succombe, doit supporter les dépens ;

Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société CPCP France les frais irrépétibles qu'elle s'est trouvée contrainte d'exposer en cause d'appel ; qu'il sera fait droit, à hauteur de 4 000 F, à sa demande au titre de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la société Elbeuf Distribution en son appel, L'en déboute, Confirme l'ordonnance de M. le Président du Tribunal de commerce d'Elbeuf du 13 novembre 1991, Condamne la société Elbeuf Distribution à payer à la société CPC France une somme supplémentaire de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Gallière et Lejeune, avoués associés, dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.