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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 2 juin 1999, n° 1999-04604

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Motek (SA)

Défendeur :

Apple Computer France (SARL), Apple Computer BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Charoy, Cabat

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, SCP Duboscq- Pellerin

Avocats :

Mes Berthault, Georges

T. com. Paris, prés., du 1er févr. 1999

1 février 1999

Vu l'appel interjeté le 26 février 1999 par la société Motek, exerçant sous l'enseigne CLG d'une ordonnance rendue, le 1er février 1999, par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris qui a donné acte aux sociétés Apple Computer BV et Apple Computer France de ce qu'elles acceptaient d'honorer les commandes antérieures au 29 décembre 1998, a dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande tendant à voir ordonner aux dites sociétés Apple de lui appliquer, sans discrimination, les dispositions du nouveau contrat de revendeur Apple Computer et l'a condamnée à payer la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 13 avril 1999 par lesquelles la société Motek, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, réitère devant la cour ses conclusions de première instance, et invoque à cet effet:

- l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant:

. du refus persistant d'Apple de tout approvisionnement direct, constituant, selon elle

* une pratique discriminatoire contraire à l'article 36.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

* une rupture brutale des relations commerciales contraire à l'article 36.5 de l'ordonnance précitée,

* un refus abusif engageant la responsabilité d'Apple sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

. des motifs invoqués pour rompre les relations contractuelles

* ceux invoqués dans la lettre du 15 décembre 1998, lui reprochant, sur des rumeurs véhiculées par une certaine presse, d'avoir participé à une fraude à la TVA (qu'elle conteste) et terni ainsi l'image de marque d'Apple, méconnaissant, selon elle, le principe fondamental de la présomption d'innocence;

* ceux évoqués devant le juge des référés, concernant la violation d'accord de confidentialité lors de la mise sur le marché de nouveau matériel, par la publication d'encarts publicitaires, étant totalement infondés

. de la volonté arrêtée des deux sociétés de s'opposer à sa stratégie commerciale, d'entraver son développement européen et d'évincer sur le marché un acteur qui devient pour elles de plus en plus gênant,

- l'existence d'un dommage imminent résultant:

. du refus des sociétés Apple de contracter avec elle, alors que son activité est totalement dédiée à l'environnement Apple, ce qui la discrimine fortement et l'empêche d'être compétitive sur le créneau qui est le sien et fait obstacle à la poursuite de sa politique de développement,

. de la dépendance économique dans laquelle elle se trouve, l'approvisionnement auprès des grossistes ne constituant pas, selon elle, une alternative valable en raison du caractère pénalisant de celui-ci,

- l'existence d'une obligation de faire non sérieusement contestable, les sociétés Apple en annonçant l'envoi des conditions nouvelles concomitamment à la dénonciation de l'ancien contrat ayant, selon elle, pris l'engagement ferme de poursuivre les relations contractuelles,

et demande paiement d'une somme de 100.000 F au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est vue contrainte d'engager;

Vu les conclusions récapitulatives du 4 mai 1999 aux termes desquelles Apple Computer France et Apple Computer BV, dénonçant le comportement de CLG:

- réfutent point par point les moyens précédemment exposés, contestant l'existence tant d'un trouble manifestement illicite que du dommage imminent ou de l'obligation de faire qui leur est opposée,

- dénient l'existence de toutes pratiques discriminatoires,

- dénoncent le comportement de la CLG,

- demandent à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et de leur allouer la somme de 100.000 francs pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel,

Sur ce,

Considérant qu'il est constant que les sociétés Apple commercialisent leurs produits au travers d'un réseau de distribution composé de grossistes liés à Apple par un contrat spécifique, de revendeurs directs, non exclusifs, qui bénéficient de certaines conditions et remises et s'approvisionnent directement chez elle, ainsi que de revendeurs indirects qui se fournissent chez les grossistes;

Considérant que par acte du 5 août 1996 la société Motek a conclu auprès de la société Apple Computer BV un contrat européen de revendeur Apple;

Que par lettre recommandée AR du 29 septembre 1998, la société Apple agissant au nom et pour le compte de la société Apple Computer BV et faisant part du souhait d'Apple d'adapter sa politique commerciale aux nouvelles conditions du marché, de renforcer à cet effet son partenariat avec les revendeurs qui investissent en expertise et promotion dans l'environnement Apple, a dénoncé ce contrat de revendeur européen Apple, comme tous ceux des revendeurs directs, conformément aux dispositions contractuelles, avec préavis de 90 jours, soit à effet du 28 décembre 1998, précisant qu'elle communiquerait dans les semaines qui viennent ses nouvelles conditions contractuelles et commerciales;

Que par lettre du 15 décembre 1998, Apple Computer BV, se référant à une campagne de presse relative à une vaste fraude intracommunautaire à la TVA à l'occasion de laquelle le nom de CLG avait été cité, a informé cette dernière qu'elle n'était pas en mesure, en l'état, d'envisager de conclure avec elle un contrat de revendeur Apple en raison de l'atteinte à l'image de marque qui en résultait, se refusant en conséquence de communiquer à CLG ses nouvelles conditions;

Considérant que pour voir condamner, en référé, la société Apple Computer BV à lui faire application, sans discrimination, des nouvelles conditions Apple, CLG invoque, comme précédemment exposé, l'existence d'un trouble manifestement illicite, le dommage imminent et l'existence d'une obligation non sérieusement contestable;

Sur le trouble manifestement illicite:

Considérant que CLG prétend que le refus d'Apple de lui appliquer les conditions du nouveau contrat de revendeur Apple Computer BV, notamment les conditions tarifaires correspondantes, constitue une pratique discriminatoire contraire à l'article 36-l de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que ce refus injustifié générerait pour elle un désavantage manifeste dans la concurrence.

Mais considérant, en premier lieu, comme le font à juste titre observer les appelantes, que l'existence d'une pratique discriminatoire suppose que soient traités de manière différente deux opérateurs placés dans la même situation; que CLG ne peut contester, en l'espèce, qu'elle a fait l'objet d'une violente campagne de presse la visant nommément dans le cadre d'une affaire de fraude à la TVA; qu'indépendamment des poursuites pénales exercées à l'encontre de ses dirigeants, cette campagne de presse, dont la presse nationale s'est amplement fait l'écho, qui l'implique directement sans qu'elle ait opposé un quelconque démenti, constitue, comme le souligne les appelantes, un fait objectif qui porte nécessairement atteinte à l'image de marque d'Apple ; que la qualité de revendeur direct et d'Apple Center, étroitement associée dans l'esprit du public à la marque, qui trouve ses contreparties tarifaires dans la participation active à la promotion de celle-ci, non seulement au niveau d'un support technique, mais d'actions publicitaires ayant pour vocation de véhiculer l'image qu'Apple tient à donner d'elle-même et de ses produits, est peu compatible avec une telle campagne de presse; que la décision prise n'apparaît manifestement pas contraire aux mesures qu'il appartenait à la société Apple de prendre dans un souci de protection de sa marque et de son réseau tant auprès des revendeurs que des consommateurs;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'est pas démontré que l'approvisionnement auprès des grossistes infligerait à CLG un "désavantage dans la concurrence" avéré, le taux de remise de 17,94 % qu'elle invoque, qui tient compte de paramètres totalement étrangers tels que les avoirs ou retours de marchandises, les remises consenties dans le cadre d'une protection des stocks en cas de baisse de prix, de programmes promotionnels d'opérations commerciales ponctuelles, apparaissant manifestement erroné ; que les sociétés Apple font valoir non sans pertinence, que les remises accordées aux revendeurs directs s'accompagnent de coûts que CLG n'a plus vocation ni obligation de supporter; que celle-ci ne démontre pas qu'elle aurait pu prétendre aux remises qu'elle invoque à défaut de remplir les conditions requises ; qu'il n'est nullement exclu, comme le soulignent pertinemment les appelantes, qu'elle ne puisse obtenir des grossistes des remises en raison du chiffre d'affaires allégué et qui son chiffre d'affaires en serait affecté, alors que, référence faite à ses propres déclarations, les achats directs n'excèdent pas 34 % de son chiffre d'affaire;

Considérant que CLG ne peut davantage se prévaloir, pour caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite, du refus de vente qui lui est opposé, l'interdiction qui en était faite ayant été abrogée par l'article 14 de la loi " Galland " du 1er juillet 1996 et ne constituant plus une faute civile, et les solutions alternatives à l'approvisionnement direct auprès des grossistes étant suffisamment avérées, peu important que celles-ci se révèlent financièrement plus onéreuses;

Que le caractère brutal de la rupture des relations commerciales n'est pas établi ; qu'il convient en effet de relever sur ce point que la dénonciation du contrat souscrit en août 1996 est intervenue dans les termes dudit contrat ; que la simple annonce de la communication de nouvelles conditions contractuelles ne comporte en soi aucun engagement de poursuivre les relations contractuelles ; qu'à supposer même qu'une telle annonce ait été constitutive d'un engagement de pourparlers, la rupture de ces pourparlers, en raison de la campagne de presse précédemment analysée, ne permettrait pas de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile;

Sur le dommage imminent :

Considérant qu'il n'est nullement établi que le différentiel de taux de remise serait tel qu'il la placerait dans l'impossibilité d'exercer ses activités et de mener un politique d'expansion;

Que l'état de dépendance économique qu'elle invoque, alors que moins de 50% de son chiffre d'affaires est réalisé en produits Apple et que pas plus de 34% de ce chiffre s'effectuait antérieurement par approvisionnement direct, n'est nullement établi, l'appelante disposant d'évidence de solutions alternatives, comme il l'a été relevé précédemment;

Qu'elle ne justifie pas de la mise en péril de sa politique d'expansion et ne peut sérieusement prétendre que la "stratégie qui a fait son succès" serait menacée ;

Que le prétendu dommage imminent n'est pas caractérisé ;

Considérant qu'il convient, au surplus, de relever que les griefs opposés par les sociétés Apple Computer BV et Apple France quant au comportement de CLG ne sont pas dépourvus de pertinence;

Qu'il n'est pas contesté que le contrat de revendeur européen et les conditions générales de vente qu'il comporte, réservant des remises spécifiques aux revendeurs qui acceptent de participer activement à la promotion de la marque en assurant un certain nombre de services destinés à développer les ventes (mise à disposition des clients d'un support technique adéquat pour les produits vendus, actions promotionnelles et publicitaires conformes à la stratégie marketing et à la politique de la marque) échappent aux prohibitions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Que le comportement de CLG, dénonçant la politique menée par les sociétés Apple et portant à leur encontre de graves accusations, s'est accompagné, à la veille de la mise sur le marché des deux nouveaux produits de la marque, d'actions publicitaires peu compatibles avec la politique menée par Apple que les revendeurs ont manifestement pour vocation de développer dans l'exercice d'une libre mais loyale concurrence ; qu'il apparaît que la publicité que CLG a fait paraître dans la presse spécialisée, en janvier 1999, au mépris de l'engagement de confidentialité, est peu conforme à un tel esprit; qu'elle ne peut, sans mauvaise foi, prétendre qu'elle aurait obtenu une autorisation écrite préalable dont elle ne justifie pas ; qu'elle n'ignorait pas que la confidentialité constituait d'un élément primordial de la stratégie uniforme qu'il appartenait aux revendeurs de respecter en toute loyauté et dont la violation était de nature à désorganiser la politique commerciale d'Apple et à déstabiliser le réseau de ses revendeurs;

Qu'un tel comportement est peu compatible avec le trouble manifestement illicite qu'elle prétend subir du fait de son éviction;

Que les sociétés appelantes dénoncent à juste raison le comportement persistant de CLG à utiliser la marque et le logo dans des conditions également peu conformes avec le statut de revendeur direct, l'association par CLG de son enseigne au logo Apple et à l'appellation "Discount Center" étant manifestement contraire à l'image de marque que le réseau des revendeurs Apple cherche à développer;

Considérant que cet ensemble d'éléments ne permet pas de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent qui justifierait les mesures sollicitées; que la demande n'est pas davantage fondée sur le fondement de l'article 36-l de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précité ; que la preuve d'aucune obligation non sérieusement contestable n'est rapportée;

Que l'ordonnance entreprise doit donc être confirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il convient par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile d'allouer aux sociétés Apple une indemnité globale de 100.000 F en raison des frais non répétibles qu'elles se sont vues contraintes d'engager devant la cour;

Que la société Motek qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée de ce chef ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme l'ordonnance entreprise, Condamne la société Motek à payer aux sociétés Apple France et Apple Computer BV la somme de 100.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande, Condamne la société Motek aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.