CA Caen, ch. corr., 26 juin 1998, n° 97-00365
CAEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Manche, Caisse Régionale des Artisans et Commerçants de Basse-Normandie, Mutualité Sociale Agricole de la Manche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Deroyer
Conseillers :
Mmes Bliecq, Holman
Avocats :
Mes Aubert, Mast
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Saisi de poursuites dirigées contre Monsieur B Daniel d'avoir, à Saint-Lô, en tout cas sur le territoire national, courant 1993 et 1994 :
- trompé en présentant à des organismes sociaux, des factures ne reflétant pas le coût réel des fournitures et de les avoir ainsi déterminés à rembourser des sommes supérieures aux débours réels, en l'espèce la CPAM de la Manche, la Caisse Régionale des Artisans et Commerçants de Basse-Normandie, la Mutualité Sociale Agricole de la Manche ;
Infraction prévue et réprimée par l'article 405 du Code pénal abrogé et par les articles 313-1 al. 1 et 2, 313-7, 313-8, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal.
- effectué, pour une activité professionnelle, des achats de produits sans facture conforme ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 31 al. 3, al. 4, al. 5 et al. 6, 55 al. de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.
Le Tribunal Correctionnel de Coutances, par jugement en date du 6 mai 1997, a renvoyé Monsieur B Daniel des fins de la poursuite, et sur l'action civile a reçu la CPAM de la Manche, la Caisse Régionale des Artisans et Commerçants de Basse-Normandie et la Mutualité Sociale Agricole de la Manche en leurs constitutions de partie civile et les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur le Procureur de la République, le 13 mai 1997
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Manche, le 20 mai 1997
La Mutualité Sociale Agricole de la Manche, le 20 mai 1997
Par arrêt rendu le 6 février 1998, la Cour a renvoyé contradictoirement l'affaire à l'audience du 15 mai 1998 à 14h50.
Monsieur B Daniel et la SA C font plaider la confirmation du jugement en faisant valoir :
- l'absence d'élément matériel caractérisant l'infraction d'escroquerie et l'absence d'élément intentionnel
- le respect des dispositions applicables pour la facturation, dès lors que l'escompte de 5 % était le résultat d'une négociation entreprise par la C qui avait décidé de faire passer les délais de paiements de 60 à 180 jours, et alors que le délai est passé à 120 jours dès février 1996
- la modification de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 par la loi du 1er juillet 1996, qui moins répressive s'appliquerait rétroactivement en l'espèce et ôterait tout caractère répréhensible aux faits poursuivis
- qu'en raison de celle-ci, seules les réductions de prix acquises à la date de la vente, doivent apparaître sur la facture et que dès lors les factures litigieuses sont conformes à la réglementation nouvelle.
Le Ministère public a conclu à la réformation du jugement, à la déclaration de culpabilité quant au caractère irrégulier de la facturation et s'est rapporté à la justice sur le délit d'escroquerie.
Les organismes sociaux parties civiles concluent à la réformation du jugement.
La CMR de Basse-Normandie sollicite contre Monsieur B Daniel et la C :
- 6 022,66 F avec intérêts de droit à compter de chaque facturation illicite
- 7 700 F pour frais de recherche avec intérêts à compter du jugement
- 10 000 F en réparation de ses frais irrépétibles
La MSA de la Manche sollicite contre Monsieur B Daniel et la C,
- 15 466 F avec intérêts de droit à compter de chaque facturation illicite
- 22 000 F pour frais de recherche avec intérêts à compter du jugement
- 10 000 F en réparation de ses frais irrépétibles
La CPAM de la Manche sollicite contre Monsieur B Daniel et la C :
- 64 787,98 F avec intérêts de droit à compter de chaque facturation illicite
- 30 000 F pour frais de recherche avec intérêts à compter du jugement
- 10 000 F en réparation de ses frais irrépétibles
Le prévenu a eu la parole en dernier.
Motifs :
La SA C dont Monsieur B Daniel est le directeur s'approvisionne en prothèses auprès de divers fournisseurs et notamment auprès des Sociétés Yvonnick Richard, Syroco et Biomecanique Intégrée, qui pratiquaient des conditions de paiement similaires.
Après les interventions chirurgicales, la clinique transmet aux organismes sociaux les documents permettant le remboursement des actes de soins et des prothèses utilisées, ces dernières étant remboursées au vu des factures d'achat. Les Caisses adressent ensuite à la clinique les remboursements correspondants.
Il résulte du dossier et des débats les éléments suivants :
Un contrôle opéré dans les documents comptables de la SA C pour les années 1993, 1994 et 1995 a démontré que les sociétés Tarawest et Yvonnick Richard émettaient des factures avec paiement par traites à 60 jours sur relevé fin de mois. L'examen du compte de résultat de la clinique a révélé que ces sociétés octroyaient également à la clinique un escompte de 5 % sur le chiffre d'affaires réalisé sur les prothèses au cours du mois considéré, cet " escompte " étant porté sur un avoir mensuel.
En effet, dans une lettre du 23 mars 1993, confirmant une proposition faite la veille, la SARL Yvonnick Richard avait accordé à la C le bénéfice d'un " escompte de 5 % pour règlement sous quinzaine considéré comme un paiement comptant par rapport au règlement de nos autres clients ".
Or l'enquête de la DCCRF débutée le 26 juin 1995 révélait qu'au cours des années 1993 et 1994, la C payait par traites à 60 jours, mais que ces deux fournisseurs avaient cessé dès 1995 en septembre 1994 selon le prévenu, le versement de l'escompte de 5 % tout en maintenant inchangé le délai de paiement à 60 jours fin de mois, ce qui pour les enquêteurs établissait l'absence de contrepartie réelle et sérieuse à l'escompte consenti par la lettre du 23 mars 1993.
La DCCRF estimait que cet escompte avait en réalité un caractère de ristourne commerciale qui devait apparaître sur les factures des fournisseurs de prothèses dès lors que son principe et son montant étaient fixés par avance.
Monsieur B Daniel a soutenu que fin 1992, pour réduire les frais financiers de la clinique il s'était rapproché de ses fournisseurs pour leur demander un allongement des délais de paiement de 60 à 180 jours. Si les fournisseurs avaient refusé cette proposition, les sociétés Tarawest et Yvonnick Richard lui avaient proposé l'escompte en litige à condition de maintenir le délai de paiement à 60 jours et d'envoyer une traite en paiement des prothèses dans les 15 jours de la réception de la facture afin de leur permettre de déposer l'effet à l'escompte. Il a admis que dès septembre 1994, la C avait cessé de bénéficier des escomptes proposés par ces deux sociétés mais a soutenu que les délais de paiement avaient été portés dès février 1996 de 60 à 120 jours.
Enfin l'enquête a établi que la société Biomécanique Intégrée fournisseur de prothèses avait appliqué des conditions de paiement similaires, mais avait cessé de servir l'escompte dès février 1993.
En disposant que les factures doivent seulement mentionner, en plus du prix unitaire, toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de service et directement liée à cette opération, la loi du 1er juillet 1996 a restreint le champ d'application de l'incrimination prévue par l'article 31, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'elle modifie.
Ces dispositions nouvelles, entrées en vigueur le 1er janvier 1997, moins sévères que les dispositions anciennes doivent être appliquées à des faits antérieurs qui ne sont pas encore définitivement jugés.Il est constant que pour la période visée à la prévention, les factures des fournisseurs de la SA C, ne mentionnaient pas " l'escompte de 5 % ".
L'escompte est la réduction du montant d'une dette à terme lorsque celle-ci est payée avant l'échéance. Or l'enquête a établi que lorsque l'escompte de 5 % avait cessé d'être servi courant 1995, le délai de paiement de 60 jours avait néanmoins été maintenu sur toute l'année 1995 et jusqu'en février 1996 selon le prévenu.
Cela démontre que l'escompte était indépendant du délai de paiement.En effet, l'envoi d'une lettre de change dans les 15 jours de la réception des factures ne constituait pas une charge particulière pour la SA C dès lors que le paiement par traite était habituel depuis au moins le début de l'année 1993 donc avant l'accord du 23 mars 1993, et qu'il ne constituait pas un paiement immédiat.
Il convient donc de retenir que l'escompte de 5 % était en réalité une remise commerciale ayant un caractère fixe, s'appliquant uniformément à toutes les fournitures de prothèses, et dont les modalités avaient été déterminées à l'avance, dans le cadre d'un accord préalable entre les parties sur les conditions générales de paiement.
Cette remise constituait donc une réduction de prix acquise à la date de chaque vente et devait donc figurer sur les factures des fournisseurs conformément aux dispositions de l'article 31 modifié de l'ordonnance du 1er décembre 1986, s'appliquant indistinctement au vendeur et à l'acheteur.
Le jugement sera donc réformé et Monsieur B Daniel sera déclaré coupable de l'infraction prévue par le texte susvisé.
Sur le délit d'escroquerie :
Il est par ailleurs reproché au prévenu d'avoir présenté ces factures de prothèses d'un montant en réalité supérieur au prix d'achat réel, et d'avoir ainsi obtenu les remboursements correspondant auprès des organismes de sécurité sociale.
Monsieur B Daniel ne pouvait ignorer que les factures qu'il présentait au nom de la SA C à l'appui de ses demandes de remboursement, n'étaient pas conformes aux règles en vigueur sur la facturation, et que celles-ci étaient en réalité supérieures aux débours réels de la clinique.
Si les demandes de remboursement ne constituaient qu'un simple mensonge écrit sur le montant des dépenses, la présentation concomitante de factures irrégulières établies par un tiers, donnait force et crédit au mensonge initial, caractérisant ainsi des manœuvres frauduleuses destinées à persuader les organismes sociaux de la réalité de créances supérieures à celles auxquelles la clinique pouvait prétendre et déterminant des remboursements pour partie indue.
L'intention frauduleuse est suffisamment caractérisée par la connaissance du prévenu tant du caractère illicite des factures produites, que du fait que ces documents attestaient de montants supérieurs au coût réel des fournitures.
Le jugement entrepris sera donc réformé et Monsieur B Daniel sera déclaré coupable du délit d'escroquerie.
Il sera fait application de la loi pénale à son encontre en retenant qu'il agissait dans le cadre de fonctions salariées et n'était pas le bénéficiaire direct des infractions.
Sur les actions civiles :
Le préjudice des organismes sociaux est caractérisé par la différence entre le prix des fournitures remboursées et le coût réel supporté par la clinique résulte directement des infractions retenues contre Monsieur B Daniel.
Les conditions de paiement accordées par la société Biomécanique Intégrée étaient identiques à celles de la SARL Yvonnick Richard. Contrairement à ce qu'écrit le prévenu, les parties civiles ont fourni les factures et les états de remboursements litigieux, ou bien des tableaux récapitulant les sommes versées sur la période considérée au titre des remboursements de prothèses. Ces documents qui ne sont pas autrement critiqués établissent la réalité du préjudice invoqué par les parties civiles.
Le préjudice principal des parties civiles sera donc fixé ainsi qu'il suit, avec les intérêts de droit tels que sollicités :
- CPAM de la Manche : 64 787,98 F
- Mutualité Sociale Agricole de la Manche : 15 466 F
- Caisse Régionale des Artisans et Commerçants de Basse-Normandie : 6 020,66 F
Les frais de recherche ne sont pas exactement justifiés dans leur montant et sont compris dans les frais irrépétibles.
Ceux-ci seront fixés pour chaque partie civile à hauteur de 6 000 F pour l'ensemble de l'instance.
Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les parties en leurs appels ; Vu les articles 405 abrogé, 313-1 al. 1 et 2, 313-8, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 31 al. 2, al. 3, al. 4, al. 5 et al. 6, 55 al. 1 de l'ordonnance du 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Réforme le jugement entrepris ; Déclare Monsieur B Daniel coupable du délit d'achat avec facturation non conforme et du délit d'escroquerie ; Condamne Monsieur B Daniel à 5 000 F d'amende avec sursis ; Sur la peine d'amende avec sursis : Le Président a averti le condamné que si dans le délai de 5 ans à compter du prononcé de cette peine, il commettait à nouveau un crime ou un délit suivi d'une nouvelle condamnation sans sursis, cette dernière condamnation entraînera l'exécution de la présente condamnation avec sursis, sans confusion possible. A l'inverse en l'absence dans le même délai, de nouvelle condamnation de cette nature, la présente condamnation sera réputée non avenue ; Sur les actions civiles : Déclare recevables les demandes de la CPAM de la Manche, de la MSA de la Manche et de la CMR de Basse-Normandie ; Condamne Monsieur B Daniel solidairement avec la C son employeur à payer à la MSA de la Manche : 1) la somme de 15 466 F correspondant au montant des remises ne figurant pas sur les factures avec intérêts de droit au taux légal à compter de la date de chaque facturation 2) la somme de 6 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale Condamne Monsieur B Daniel solidairement avec la SA C son employeur à payer à la CPAM de la Manche : 1) la somme de 64 787,98 F correspondant au montant des remises ne figurant pas sur les factures avec intérêts de droit au taux légal à compter de la date de chaque facturation. 2) la somme de 6 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale Condamne Monsieur B Daniel solidairement avec la SA C son employeur à payer à la CMR de Basse-Normandie : 1) la somme de 6 020,66 F correspondant au montant des remises ne figurant pas sur les factures avec intérêts de droit au taux légal à compter de la date de chaque facturation 2) la somme de 6 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale Déboute les parties civiles de leurs autres demandes ; Condamne solidairement Monsieur B Daniel et la SA C aux dépens de l'action civile ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.