CA Rennes, 3e ch. corr., 4 juin 1998, n° 97-00251
RENNES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Segondat
Conseillers :
M. Buckel, Mme Legeard
Avocat :
Me Mallet
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal correctionnel de Rennes par jugement contradictoire en date du 5 septembre 1996, pour :
Facturation non conforme - Vente de produit, prestation de service pour activité professionnelle
A condamné D Jean-Claude à 30 000 F d'amende et M Jean-Jacques à 10 000 F d'amende,
A condamné solidairement la SA Polyclinique X au paiement des amendes ;
A ordonné la publication par extraits du présent jugement dans le journal Ouest-France dans la limite de 8 000 F, aux frais des prévenus ;
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur M Jean-Jacques, le 12 septembre 1996,
Monsieur D Jean-Claude, le 13 septembre 1996,
Monsieur le Procureur de la République, le 13 septembre 1996, à titre incident ;
La prévention :
Considérant qu'il est fait grief à D Jean-Claude et M Jean-Jacques d'avoir ensemble et de concert à Laval en 1990 et en 1991 effectué pour une activité professionnelle, un ou des achats de produits ou de prestations de services sans factures conformes à savoir que des remises de fournisseurs acquises et déterminées lors de la vente, comme prises en compte dans le calcul de prix d'achat effectif n'étaient pas mentionnées dans la facturation des produits ou des services concernés mais étaient présentées par avoirs séparés (factures Syroco, Prolig, Ophta Ouest, Merlin Médical, Landanger, Impra, Climo, Servision, Domiliens...), faits prévus et punis par les articles 31, 44 et 55 de l'Ordonnance du 1er décembre 1986
En la forme :
Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;
Considérant que par lettre du 22 mai 1997 reçue au Greffe de la Cour le 2 juin 1997, M Jean-Jacques a déclaré se désister de son appel ; qu'il convient de le constater ;
Au fond :
Considérant qu'il ressort du dossier et des débats les éléments suivants :
Le 3 mars 1992, la SA Polyclinique X sise 4 avenue des Français Libres à Laval, dont le Président du Conseil d'Administration était D Jean-Claude et le Directeur salarié M Jean-Jacques, faisait l'objet d'un contrôle de facturation par un fonctionnaire de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Mayenne.
Cette intervention faisait suite à d'autres vérifications, effectuées par ses homologues du Département du Morbihan auprès de la Clinique Y sise à Gourin, également exploitée par une SA, au sein de laquelle D Jean-Claude et M Jean-Jacques exerçaient les mêmes fonctions.
Il ressortait des investigations diligentées que plusieurs fournisseurs de matériel médico-chirurgical accordaient à la Polyclinique X des remises hors facture, payées par avoirs séparés, en application d'accords écrits ou seulement verbaux.
C'est ainsi que 5 fournisseurs sur 9 répertoriés acceptaient d'établir une convention écrite. Du rapprochement de celles-ci avec les factures d'achat et les avoirs correspondants, il apparaissait l'application de remises au taux de :
- 15 % par Syroco, versées trimestriellement, selon lettre du 10 janvier 1991
- 12 % par Ophta-Ouest, payables en fin d'année, suivant courrier du 7 janvier 1991 ;
- 7 % par Impra, calculées sur le chiffre d'affaires hors taxes facturé, payables en fin d'année, d'après correspondance du 26 juin 1990 ;
- 12 % par Climo, payables mensuellement selon missive du 10 janvier 1990 ;
- 10 % par Domiliens, calculées sur le chiffre d'affaires réalisé et payable en fin d'année, suivant accord écrit du 7 septembre 1990.
L'analyse des documents comptables établissait que les taux de remise réels pratiqués par Syroco et Climo s'élevaient respectivement à 15,14 % et 11,72 %.
S'agissant des accords verbaux, non contestés par les prévenus, les remises consenties étaient de :
- 10 % par Prolig, versées trimestriellement ;
- 7 % par Merlin Médical, calculées sur le montant des commandes et payables trimestriellement, le taux étant susceptible de varier en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires ;
- 7 % par Landanger ;
- 10 % par Servision, versées mensuellement ;
Celles réellement consenties par Prolig, Merlin-Médical et Landanger s'élevaient respectivement à 9,42 %, 7,57 % et 8,42 %.
Au cours de l'enquête préliminaire, tant D Jean-Claude que M Jean-Jacques affirmaient que ces remises n'étaient pas nécessairement acquises lors de la vente, leur taux pouvant varier en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires réalisé et leur montant n'étant, par conséquent, pas chiffrable au moment de la transaction, celui-ci ne pouvant être déterminé qu'à posteriori.
Devant le magistrat instructeur, D Jean-Claude maintenait cette position, estimant que l'infraction pour laquelle il est poursuivi n'était pas constituée.
Il laissait entendre qu'en vertu du contrat de travail de M Jean-Jacques, chargé des commandes, des achats, des relations avec les fournisseurs et des négociations avec ceux-ci pour obtenir les meilleures conditions possibles, ainsi que du suivi financier de la Polyclinique, celui-ci disposait implicitement d'une délégation de pouvoirs.
M Jean-Jacques ne contestait pas avoir négocié des remises avec les fournisseurs. Il admettait qu'avec certains d'entre eux, la remise était acquise dès la date de la vente et que celle-ci aurait dû figurer sur les factures correspondantes.
Devant le premier juge, D Jean-Claude ne contestait plus les faits.
Dans ses écritures en cause d'appel D Jean-Claude soutient :
- que, dans le cadre de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi 96-558 du 1er juillet 1996, édictant que les factures doivent mentionner tous rabais, remises, ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente, quelle que soit la date de leur règlement, le délit qui lui est reproché n'est pas caractérisé ; qu'en effet, les remises consenties aux cliniques par leurs fournisseurs de matériel médico-chirurgical ne constituent qu'une base de négociation ; que leur taux pouvait être remis en cause par les fournisseurs, en fonction du chiffre d'affaires représenté par les commandes qui leur étaient adressées et de la régularité de celles-ci ; que ces remises n'étaient donc pas déterminées au moment de la vente, mais postérieurement aux transactions, sur la base d'éléments inconnus par les acheteurs évalués par les seuls fournisseurs ; qu'ainsi, le principe de ces remises ne pouvait être considéré comme acquis, ni leur montant chiffrable au moment de la vente ;
- que sous l'empire de la loi 96-558 du 1er juillet 1996, entrée en vigueur le 1er janvier 1997, modifiant l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, disposant que la facture doit mentionner toute réduction de prix acquise à la date de la vente et directement liée à cette opération de vente, l'infraction n'est pas davantage constituée ; qu'en vertu de ce nouveau texte, immédiatement applicable, même aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur, conformément à l'article 112-1 al. 3 du Code pénal, les ristournes, remises ou rabais soumis à une condition suspensive non réalisée à la date d'émission de la facture n'ont pas à figurer sur celle-ci ; qu'en l'espèce ceux consentis à la Polyclinique X par ses fournisseurs non seulement n'étaient pas acquis à la date des transactions correspondantes mais au surplus faisaient l'objet de conditions suspensives non réalisées au moment de l'émission des factures, leurs modalités étant fixées unilatéralement par les fournisseurs au gré de leur bon vouloir ;
- que cette pratique était connue et parfaitement admise, notamment par les organismes de Sécurité Sociale, jusqu'à ce qu'il y ait été mis fin par voie réglementaire ;
- qu'en tout état de cause, le délit ne lui est pas imputable, M Jean-Jacques étant le délégataire de ses pouvoirs en matière, notamment, de commandes de matériels et de négociations des prix avec les fournisseurs ; qu'en sa qualité de Directeur, M Jean-Jacques était manifestement pourvu de la compétence, des pouvoirs et de l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des dispositions légales ; que la loi n'exige pas qu'une telle délégation soit matérialisée par un écrit ; qu'il n'aurait, pour ce qui le concerne, commis aucune faute personnelle ;
Par conclusion déposées devant la Cour en application des dispositions de l'article 56 de l'Ordonnance susvisée, le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Mayenne estime que la nouvelle rédaction donnée au texte ci-dessus mentionné par la loi du 1er juillet 1996 n'a aucune incidence sur la qualification des faits imputés aux prévenus. Il indique que ceux-ci étant établis, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Considérant que les modifications apportées à l'article 31 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1993 par la loi 96-558 du 1er juillet 1996 ont pour effet de restreindre le champ d'application des mentions obligatoires à porter dans les factures; qu'il s'agit donc de dispositions moins sévères que celles antérieurement édictées; qu'en vertu de l'article 112-1 al. 3 du Code pénal, elles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur; que les faits reprochés aux prévenus et soumis à l'appréciation de la Cour doivent ainsi être analysés à la lumière du texte modifié de l'article 31 de l'ordonnance précitée ;
Considérant que les documents figurant à la procédure et les vérifications opérées démontrent qu'il existait un consensus préalable entre les fournisseurs et la SA Polyclinique X sur l'octroi de remises dans le cadre de relations commerciales durables; qu'il y avait également accord sur la détermination des bases de calcul de ces remises, le montant des factures d'achat étant affecté d'un taux précis ne laissant place à aucune liberté pour les fournisseurs, dans un contexte de fonctionnement normal de l'établissement;
Considérant qu'aucun élément du dossier ne vient étayer les allégations des prévenus, selon lesquelles le paiement de ces remises aurait été lié à des conditions particulières spécialement de réalisation d'un chiffre d'affaires minimal: que ni D Jean-Claude, ni M Jean-Jacques ne rapportent la preuve qu'il s'agissait de remises faisant l'objet de conditions suspensives qui n'auraient pas été réalisées au moment des ventes correspondantes;
Considérant que le délit est ainsi caractérisé ;
Considérant, s'agissant de la délégation de pouvoirs invoquée par D Jean-Claude, que le contrat de travail de M Jean-Jacques ne contient aucune délégation réelle de pouvoirs comportant un abandon de son autorité par D Jean-Claude ; que l'exercice par M Jean-Jacques de ses fonctions de Directeur administratif et financier, salarié de l'entreprise, n'est pas de nature à dégager D Jean-Claude de sa responsabilité dans le domaine général de la politique commerciale et financière, ni dans celui des modalités de facturation des produits achetés, l'obligation de réclamer une facture conforme étant personnellement imposée au chef d'entreprise ;
Considérant que M Jean-Jacques qui choisissait les fournisseurs et négociait les prix avec eux, dans le cadre d'un système défini et accepté par le Président Directeur Général, doit être également retenu dans les liens de la prévention ;
Considérant que les faits visés à la prévention sont établis par les éléments du dossier ainsi que les débats et ont été exactement analysés par les premiers juges, qui ont infligé une sanction adéquate ;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de D Jean-Claude et par défaut à l'égard de M Jean-Jacques, En la forme Reçoit les appels, Constate le désistement d'appel de M Jean-Jacques ; Au fond Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Dit que le coût de la publication n'a d'autre limite que le montant maximal de l'amende prévue par la loi ; Prononce la contrainte par le corps à l'encontre de D Jean-Claude M Jean-Jacques, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale.