CA Colmar, ch. corr., 20 mai 1998, n° 09700727
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bodard (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Schilli, Bertin
Avocat :
Me Goepp
Vu le jugement rendu le 10 juillet 1997 par le Tribunal correctionnel de Saverne qui, a rejeté l'exception de nullité de la procédure et qui, sur l'action publique, a déclaré le prévenu coupable, d'avoir, à Pfaffenhoffen, courant 1994 et 1995, effectué, pour une activité professionnelle, un ou des achats de produits, ou une ou des ventes de produits, ou une ou des prestations de service sans facture,
Faits prévus et réprimés par les articles 31 al. 1, 5 et 6 et 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986,
Qui, en répression, l'a condamné à une amende de 100 000 F,
Vu les appels réguliers et recevables, interjetés contre ce jugement le 11-07-1997 par le prévenu et par le Ministère public ;
I- La procédure :
Il est reproché à M. X d'avoir effectué dans le cadre d'une activité professionnelle des achats ou ventes de produits ou de prestations de service sans facture.
Les faits ont été révélés à la suite d'un contrôle fiscal effectué au siège de la société à responsabilité Y à Habsheim, qui commercialise des produits cosmétiques et diététiques en France et à l'étranger.
La commercialisation de ces produits s'effectue auprès de clients particuliers, par l'intermédiaire de personnes exerçant des activités paramédicales.
Ces praticiens sont alors rémunérés par la SARL Y par commission sur les produits vendus.
Le contrôle effectué par les services fiscaux auprès de la SARL Y a révélé qu'elle avait payé les commissions à ses différents intermédiaires, notamment M. X, en espèces, et sans aucune facture ni pièce justificative.
Ce premier contrôle auprès de la SARL Y était suivi d'une vérification fiscale auprès de M. X.
Pour ce faire, les services fiscaux sollicitaient du Président du Tribunal de grande instance de Saverne l'autorisation d'effectuer en application de l'article 48 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 des visites et saisies dans les locaux professionnels de M. Jean-Claude X, et dans les locaux d'habitation du couple X.
Par ordonnance du 8 juillet 1996, le Président du Tribunal de grande instance de Saverne autorisait l'Inspecteur Divisionnaire Stirn et l'Inspecteur Heissler et plusieurs assistants, dont les noms et domiciliations professionnelles étaient précisées dans l'ordonnance " à procéder aux visites et saisies nécessitées par la recherche de la preuve de ses agissements dans les lieux ci-après " :
- locaux professionnels occupés par M. Jean-Claude X masseur-kinésithérapeute, Impasse du Faubourg, 67350 Pfaffenhoffen,
- locaux d'habitation occupés par M. et Mme Jean-Claude X, Impasse du Faubourg, 67350 Pfaffenhoffen,
Cette ordonnance désignait également l'Officier de Police Judiciaire chargé d'assister à ces opérations, et donnait pour instruction particulière, notamment que toute visite nécessaire de nouveaux lieux découverts au cours de l'opération serait subordonnée à l'autorisation du Président.
Dans des conclusions déjà développées devant le Tribunal de grande instance de Saverne et reprises à hauteur d'appel, M. X fait plaider l'irrégularité de l'intervention des services fiscaux, et en conséquence la nullité de la procédure.
Cette irrégularité de l'intervention des services fiscaux résulterait d'une part de la présentation sous forme de trois procès-verbaux d'une seule intervention et, d'autre part, d'une audition qui n'aurait pas été autorisée par le Président du Tribunal.
- sur la présentation sous forme de trois procès-verbaux :
Les trois procès-verbaux contestés sont d'une part un procès-verbal de visite et de saisie dans les locaux professionnels de M. X, laquelle visite s'est déroulée le 10 juillet 1996 à 8 heures 45 et 10 heure, un deuxième procès-verbal de visite et saisie dans les locaux d'habitation du couple X, laquelle visite a commencé à 10 heures 20 pour s'achever à 12 heures 15, et un procès-verbal d'audition de M. X dans les locaux de son habitation, le 10 juillet de 13 heures à 16 heures.
S'agissant de trois opérations distinctes, l'établissement de trois procès-verbaux est représentatif des démarches effectuées, lesquelles sont parfaitement conformes aux termes de l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Saverne, dont la teneur a déjà été rappelée, et qui autorisait à procéder aux visites et saisies nécessitées dans la recherche de la preuve des agissements de M. X dans les locaux désignés.
- sur l'audition de M. X :
Il en conteste le principe, au motif que les services fiscaux n'ont pas été autorisés par le Président du Tribunal de grande instance à effectuer une telle démarche procédurale, et se réfère tant à l'article 48 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 sur les prix qu'à l'article L 16 B du Livre des procédures fiscales.
Il convient de relever que la procédure a été diligentée exclusivement sur le fondement du premier texte cité, et qu'il n'a été introduit en temps utile aucun pourvoi en cassation contre l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Saverne, seule voie de recours autorisée par l'article 48 paragraphe 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Il résulte de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que les fonctionnaires habilités ... peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la présente ordonnance, et il entre bien évidemment dans le cadre général de ce pouvoir d'enquête, de procéder aux auditions des personnes concernées.
Seules les visites et saisies, en application de l'article 48 sont soumises à autorisation du Président du Tribunal, dans la mesure où il s'agit d'actes pouvant porter atteinte à la vie privée des personnes concernées.
Cette audition consacrée par procès-verbal constitue l'acte d'enquête le plus banal qui soit, et est, d'ailleurs, dans l'intérêt même des particuliers, puisqu'elle leur permet d'apporter immédiatement des explications sur les infractions dont les services fiscaux recherchent la preuve, et d'être ainsi informés avec précision tant du cadre juridique de leur intervention, que de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.
La remise de la copie de ce procès-verbal d'audition, comme d'ailleurs la remise de la copie des procès-verbaux de visites et saisies, en application de l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, assure la transparence de l'intervention des inspecteurs désignés par le Président du Tribunal de grande instance de Saverne.
Enfin, le fait pour M. X d'invoquer qu'il était à l'époque de cette vérification en maladie, laissant sous-entendre ainsi qu'il n'aurait peut-être pas eu toutes ses capacités pour suivre avec vigilance les opérations ordonnées par le Président du Tribunal, est un argument particulièrement mauvais, puisque le 10 juillet, il travaillait et recevait de la clientèle.
Il a donc désigné son épouse pour être présente dans les différentes visites, et a au contraire, profité de la liberté d'action qui lui était laissée, pour tenter de distraire aux agents vérificateurs des sommes d'argent en francs, francs suisses, dollars enfermés dans un coffre du bureau, preuve s'il en est de sa totale lucidité.
Cet événement témoigne donc d'une particulière mauvaise foi du prévenu.
Ainsi, c'est à juste titre que le Tribunal correctionnel de Saverne a rejeté l'exception de nullité qui était invoquée, la procédure s'avérant être d'une régularité scrupuleuse.
II- Sur la culpabilité :
Pour faire connaître ses produits et les diffuser auprès de la clientèle, la SARL Y utilisait les services de M. X, lequel se défendait de prescrire les produits de cette société.
Il n'en demeure pas moins, et selon les propres déclarations de M. X à l'audience, qu'il recommandait les produits de la SARL, car c'était des produits de bonne qualité, auprès de sa clientèle.
Au-delà de ce rôle d'" incitateur " auquel le prévenu se limite, il est établi d'une part qu'il avait à sa disposition :
- des bons de commande à entête du laboratoire Y à Habsheim,
- des enveloppes pré-imprimées et pré-affranchies à cette adresse,
toutes pièces confiées par le laboratoire qu'il remettait à ses patients, à l'appui de ses recommandations.
D'autre part, M. X percevait une rémunération établie à partir des commandes effectuées, puisque chaque bon de commande comprend un code individualisé par prescripteur.
Les commissions étaient de 10 à 30 % du montant des ventes, en fonction du chiffre d'affaires réalisé, et selon les calculs de l'administration fiscale, M. X a généré un chiffre d'affaires pour Y de 743 676 F pour la période 1994/1995, et a perçu des commission d'un montant de 269 811 F.
Nonobstant ses dénégations, son activité pour le compte de la SARL Y correspond à celle d'un agent commercial, qui au terme de la définition donnée par l'article 1 al. 1 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 définit un agent commercial comme " un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achats de locations ou de prestations de services, aux noms et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ".
Il n'est pas contesté que la SARL Y ne vend ses produits que par correspondance et que sur prescription de praticiens, médecins ou auxiliaires médicaux, lesquels restent indépendants par rapport à la société Y, mais sont rémunérés par une commission sur la commande qu'ils suscitent.
À ce titre, et pour répondre à l'argumentation de M. X qui consiste à dire qu'il n'était jamais certain de la commande définitivement faite par son patient, l'article 1er de la loi n° 91-953 du 25 juin 1991, n'exige pas que les contrats aient été réellement conclus, puisqu'une négociation est suffisante pour caractériser le contrat d'agence commerciale.
Doctrine et jurisprudence s'accordent pour dire que l'agent commercial n'est tenu qu'à une obligation de moyens, c'est à dire d'accomplir dans la négociation toutes les diligences d'un bon professionnel.
Sur ce point, les vérifications auprès de la SARL Y permettent de s'assurer que l'activité de M. X entrait pour une part non négligeable dans le chiffre d'affaires de la SARL Y, avec une progression régulière et conséquente entre 1993 et 1996. (C 32 et C 29).
En échange, la SARL Y remplissait les deux obligations traditionnellement mises à la charge d'un mandant, à savoir mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat, par la communication d'informations, la fourniture de documentation et de prestations de formation, l'exécution des contrats traités par l'agent avec les clients, et le paiement de la rémunération convenue, c'est à dire la commission, déterminée sur la base de son activité par le code prescripteur pré-figurant sur le bon de commande.
Il est évident que la dissimulation convenue et voulue par les deux parties de cette activité est exclusive d'une preuve du contrat d'agence soit à travers un écrit, soit à travers une immatriculation réelle du contrat ayant lié la société Y à M. X, comme l'ont caractérisé les premiers juges.
Les modalités de calcul de la commission dispensaient M. X de l'établissement d'une facturation et le fait qu'il ne garde ni double ni copie de ses prescriptions, ou ne fasse aucune vérification des sommes remises par la SARL Y est indifférent, et ne peut au contraire que conforter sa volonté de dissimulation, laquelle participe à une fraude fiscale, qui si elle ne lui est pas pénalement reprochée, est sous-jacente à la présente procédure, voire établie par les paiements de commissions en espèces par coupures de 500 F, remises par l'un ou l'autre des époux B, à son cabinet à Khel.
En conséquence, la culpabilité de M. X, telle que définie par le Tribunal correctionnel de Saverne, est parfaitement caractérisée.
III- Sur la peine :
Le défaut de facturation n'a qu'une finalité, celle d'empêcher l'appréciation de l'importance des revenus d'une personne ou d'une société pour échapper à la fiscalité inhérente à toute rémunération au sens large.
L'on est en mesure de se faire une idée sur l'importance des sommes ainsi gagnées par M. X, dans l'escroquerie dont il dit avoir été victime au courant de l'année 1994.
En effet, dans sa déclaration du 10 juillet 1996, il explique avoir réalisé un placement par l'intermédiaire d'un financier allemand, en lui confiant une somme d'environ 500 000 F, dont il n'a plus eu aucune trace.
Il n'a fait effectuer des recherches que par un cabinet de détective privé, l'absence de plainte démontrant si besoin était sa pleine connaissance des dissimulations opérées.
Le délit de défaut de facturation est une infraction délibérément commise par son auteur, de façon réitérée, au moins sur les deux années 1994/1995 retenue dans la prévention, et de nature à porter gravement atteinte à l'ordre public dans son aspect social, s'agissant, par ce biais, d'une impossibilité de redistribution des richesses.
Les manquements de M. X à ses devoirs élémentaires de citoyen, apparaissent d'autant plus anormaux, que le supplément de bénéfice frauduleusement acquis, résulte de l'exploitation d'une activité paramédicale, et de profits tirés sur les consultations de personnes recherchant soit un bien-être, soit l'apaisement de souffrances réelles.
En conséquence, les circonstance de fait et les éléments de personnalité que révèle l'ensemble de ce dossier, justifient une aggravation de la sanction prononcée par le Tribunal correctionnel de Saverne, et la peine d'amende sera donc portée à 150 000 F.
En outre, en application de l'article 55 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la présente décision sera publiée intégralement dans les journaux DNA et l'Alsace, aux frais du condamné.
Par ces motifs, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire ; Reçoit les appels comme réguliers en la forme ; Au fond : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de procédure ; Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité ; L'infirme sur la peine et, statuant à nouveau : Condamne M. X à une peine d'amende de 150 000 F. ordonne la publication de l'intégralité de l'arrêt dans les journaux " Les Dernières Nouvelles d'Alsace " et " L'Alsace " aux frais du condamné. Ordonne la confiscation des scellés. Le tout par application des articles visés dans le corps de l'arrêt.