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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 2 juin 1993, n° 892-92

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Champeval

Conseillers :

MM. Solle Tourette, Massu

Avocat :

Me Dubos

TGI Rouen, ch. corr., du 22 oct. 1992

22 octobre 1992

Robert Y a été cité à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Rouen par le Procureur de la République suivant acte d'huissier délivré le 21 septembre 1992 à sa personne sous la prévention d'avoir à Rouen entre août 1988 et décembre 1990 effectué des achats, ventes ou prestations de service pour une activité professionnelle sans facture conforme.

Infraction prévue et réprimée par les articles 31 al. 2, 3, 4, 55 al. 1 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986.

Par jugement contradictoire en date du 22 octobre 1992 le Tribunal Correctionnel de Rouen a déclaré Robert Y coupable des faits reprochés, a condamné Robert Y à la peine d'amende de 50 000 F et a condamné la SA Clinique X civilement responsable solidairement avec le prévenu au paiement de l'amende étant notamment reproché à Robert Y directeur de la Clinique X des achats de prothèses avec des factures ne portant pas mention de ristournes ou remises dont le principe était acquis et le montant chiffrable lors de la vente.

Par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen effectuée le 30 octobre 1992 par leur avocat mandataire, Robert Y et la Clinique X ont interjeté appel de ce jugement.

Le Ministère public a fait appel incident le même jour.

Robert Y et la Clinique X ont fait déposer des conclusions tendant à la réformation du jugement entrepris en l'absence de tout accord préalable à l'octroi des ristournes et à la relaxe de Robert Y.

Ils soutiennent que contrairement à ce qu'indique le jugement qui dénature tant les déclarations de Robert Y que les données de fait les ristournes ont été variables dans leurs taux, toujours accordées a posteriori après livraison.

Outre diverses considérations sur les médicaments et les frais de laboratoire étrangères aux débats, ils prétendent que la comptabilité des exercices considérés montre que l'obtention de ces remises n'a pas empêché la clinique de supporter des pertes sur les prothèses, que les factures sont émises par les fournisseurs et que la réception d'une facture qui ne constitue pas un acte positif ne saurait par principe même être constitutive d'un délit ; et qu'à défaut par le poursuivant de rapporter cas par cas la preuve d'un accord pré-établi l'infraction n'est pas constituée ;

Le Ministère public requiert confirmation du jugement.

Dans ses conclusions devant la juridiction d'appel, le chef du service régional de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes du département de la Seine Maritime réplique aux arguments du prévenu et expose qu'en ne demandant pas à ses fournisseurs des factures conformes à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 Robert Y entrave la transparence des relations commerciales qu'il entretient avec eux et que les pratiques incriminées permettent d'obtenir des organismes d'assurance maladie des remboursements sur la base de prix supérieurs aux prix effectivement payés par la clinique.

Il demande à la Cour par jonction à ses conclusions de première instance de confirmer le caractère frauduleux des agissements du prévenu, prononcer à l'encontre de Robert Y telles peines requises par le Ministère public, condamner solidairement la SA Clinique X au paiement de l'amende prononcée conformément à l'article 54 de l'ordonnance n° 86-1986 ordonner la publication de la décision dans les conditions prévues par l'article 55 de ce même texte.

Attendu qu'il est reproché à Robert Y directeur de la Clinique X deux catégories de faits : achat de matériel de prothèses pour activité professionnelle avec facturation non conforme et ce en raison de l'absence de mention d'une part, des remises commerciales accordées par ses fournisseurs et d'autre part, des remises pour paiement rapide,

Attendu qu'aux termes de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence " Tout achat de produit ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer... la facture doit mentionner tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service quelle que soit leur date de règlement ".

Attendu que l'acheteur astreint par ce texte à réclamer une facture conforme est passible du délit au même titre que celui qui la délivre dans la mesure où il n'a pas rempli sa propre obligation en ne mettant pas son fournisseur en demeure de respecter la législation en vigueur,

Attendu que pour entrer en voie de condamnation le Tribunal a motivé comme suit sa décision : " Robert Y, directeur de la Clinique X a reconnu lors de l'enquête et à l'audience qu'il avait obtenu de la part de la plupart de ses fournisseurs des remises de prix notamment sous forme de remise systématique de 10 % et sous forme d'un abattement de 3 % pour paiement sous huit jours. En affirmant dans ses conclusions qu'il n'existait aucun accord préalable avec ses fournisseurs, le prévenu est en contradiction avec ses propres déclarations ".

Attendu que selon le Procès-verbal de délit Robert Y procédait à un abattement de 2 ou 3 % sur la facture pour paiement sous huit jours.

Attendu qu'il importe peu à cet égard que le Tribunal ait retenu un chiffre unique de 3 % pour paiement sous huit jours.

Attendu qu'en effet, l'omission sur la facture d'une remise pour paiement rapide ne peut être considérée comme constitutive du délit poursuivi dans la mesure où il s'agit d'un élément non imputable au prix d'achat et non pas d'une remise inconditionnelle dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente quelle que soit la date de règlement laissée à la seule initiative du payeur,

Attendu que le jugement doit donc sur ce point être réformé et Robert Y relaxé pour les faits d'absence de mention sur facture des remises pour paiement rapide,

Attendu qu'il n'en est pas de même de l'autre élément sur facture imputable au prix d'achat,

Attendu que Robert Y en contestant avoir admis l'existence d'un accord préalable de remise ne remet pas en cause les termes de ses déclarations consignées au Procès-verbal de déclaration du 5 février 1991 mais l'interprétation qu'en a fait le Tribunal.

Attendu qu'il est consigné sur ce Procès-verbal ;

" I - Remise commerciale. J'ai obtenu de mes principaux fournisseurs de prothèses, des remises inconditionnelles différées.

Les remises ont été négociées auprès de mes principaux fournisseurs par moi-même ou mes collaborateurs (personnel de la clinique). Elles n'ont fait l'objet d'aucun accord écrit ou de courrier.

Elles ne correspondent ni à une exclusivité de fourniture ni à un niveau de chiffre d'affaires déterminé, le choix du matériel ne m'incombant pas du tout, compte tenu de la liberté du choix du médecin. Ces remises ne sont pas mentionnées sur la facture, elles font l'objet d'avoir dont le versement est différé en fin d'année, de trimestre ou de mois ".

Attendu que si on peut éventuellement négocier en fin d'année ou de trimestre des remises sur chiffre d'affaires ou montant des factures dans le but d'obtenir de nouvelles commandes il ne s'agit à ce moment là nullement des remises inconditionnelles différées négociées par Robert Y, faisant l'objet d'un avoir dont le versement est reporté.

Attendu que, s'agissant d'une négociation antérieure à la vente, le principe en était acquis lors de la rédaction de la facture et le montant de la ristourne parfaitement chiffrable puisque le pourcentage quel qu'il soit, objet de la négociation, était nécessairement connu des deux parties lors de la conclusion de l'accord,

Attendu qu'il n'est pas contesté que pour les faits dont la Cour est saisie les avoirs annexés au Procès-verbal ne figuraient pas sur les factures initiales,

Attendu que les ristournes négociées obtenues atteignent pour les exercices comptables 88-89 et 89-90 les sommes suivantes :

SA Climo au taux de 10 % au total TTC de 112 160,96 F (annexes 3 à 35)

Laboratoire Domilens au taux de 10 % : 8 677,86 F (annexe 35) étant précisé au Procès-verbal de délit signé par le prévenu que pour l'exercice 1988-1989 cette société a accordé une remise de 13 677,02 F versée par chèque. Cette remise n'ayant fait l'objet d'aucune facture d'avoir et figurant seulement en écriture comptable au compte général du 10 janvier 1990 (annexe 2),

Société Ethnor au taux de 10 % : 2 449, 33 F (annexe 36),

Société Landanger-Lelandais au taux de 10 % : 80 068,11 F (annexe 37)

Société Merlin-Médical au taux de 3 % en 1987-88, de 8 % en 1988-89, de 10 % en 1989 pour un total de 69 616,30 F (annexes 38 à 44),

Attendu que cette manière de procéder par avoir postérieur à la vente permettait à la Clinique X de se faire rembourser par la Sécurité Sociale sur la base de factures sans ristournes, factures non conformes au texte qui s'inscrit dans le cadre de la transparence des relations commerciales.

Attendu que l'infraction d'achat pour activité professionnelle avec facturation non conforme est ainsi constituée même indépendamment du bénéfice final de la clinique sur les prothèses,

Attendu qu'en tenant compte de la nature des infractions dont les éléments sont ainsi constatés, des circonstances atténuantes de la cause et de la personnalité du prévenu qui n'a jamais été condamné et se trouve aujourd'hui retraité il y a lieu de réduire la peine d'amende à 30 000 F sans qu'il soit opportun en l'espèce d'ordonner la publication de la présente décision.

Par ces motifs : LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement. Réformant partiellement de jugement déféré, Renvoie Robert Y des fins de la poursuite relative aux faits d'absence de mention sur facture des remises pour paiement rapide, Confirmant sa culpabilité sur les autres faits reprochés relatifs aux remises commerciales pour les exercices comptables 88-89 et 89 au 30 septembre 1990, le condamne à la peine de 30 000 F d'amende. Confirme le jugement en ses autres dispositions. Liquide les frais de première instance dus au Trésor à la somme de 120,06 F et dit que la présente procédure est assujettie à un droit fixe d'un montant de 800 F dont est redevable Robert Y. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de Procédure Pénale.