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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 17 novembre 1993, n° 93-00485

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martinez

Conseillers :

Mmes Magnet, Barbarin

Avocat :

Me Distel

TGI Évry, 6e ch., du 17 nov. 1992

17 novembre 1992

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré Y François coupable :

- prestations de service pour une activité professionnelle, sans facture.

Sur le territoire national et depuis 1987 au 12 janvier 1988, à Corbeil-Essonnes, infraction prévue et réprimée par les articles 31 al. 1 ordonnance 86-1243 du 1/12/1986, article 31 al. 4 ordonnance 86-1243 du 1/12/1986, article 55 al. 1 ordonnance 86-1243 du 1/12/1986.

et, en application de ces articles, l'a condamné à 20 000 F d'amende aux dépens liquidés à 457,85 F.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur Y François, le 27 novembre 1992.

M. le Procureur de la République, le 27 novembre 1992 contre Monsieur Y François.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

François Y a été cité devant le tribunal correctionnel d'Evry (6e chambre) sous la prévention d'avoir, à Corbeil-Essonnes (91), en tout cas sur le territoire national, en 1987 et jusqu'au 12 janvier 1988, effectué des prestations de service sans qu'elles aient fait l'objet de facturations, faits prévus et réprimés par les articles 31 alinéas 1 et 4, 55 alinéa 1er, de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Par jugement contradictoirement en date du 17 novembre 1992, le tribunal l'a condamné, de ce chef, à 20 000 F d'amende.

Appel de cette décision a régulièrement été interjeté par le prévenu et par le ministère public.

A l'audience de la Cour du 31 mars 1993, le prévenu, représenté par son Conseil, demande à la Cour, par voie de conclusions, d'infirmer la décision entreprise et de le relaxer sans peine ni dépens. Il fait valoir, notamment, à l'appui de son recours :

- Qu'il est président d'une société concessionnaire de droits communaux qui a conclu, avec la ville de Corbeil-Essonnes, un traité de concession pour l'exploitation des marchés communaux ; qu'aux termes de ce traité, il perçoit comme fermier les droits de place qui sont la contrepartie de l'occupation du domaine public et reverse à la Commune concédante une redevance forfaitaire, mais ne réalise aucune prestation distincte de la gestion du domaine communal, et ne perçoit donc aucune rémunération pour service rendu à l'usager ;

- Que dans l'hypothèse où une quelconque infraction serait constituée, sa responsabilité ne pourrait être recherchée, puisqu'il a conféré à Claude F une délégation de pouvoir qui couvre le respect de l'ensemble de la législation économique ;

- Qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation que les droits de place perçus dans les marchés constituent une recette fiscale qui n'entre pas dans le champ de la législation sur les prix, et que les règles relatives à la facturation ne sont nullement applicables ;

- Qu'il n'a, en toute hypothèse, effectué aucune prestation qui aurait pu donner lieu à une facturation distincte.

La Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de Répressions des Fraudes d'Ile-de-France, Directeur de Paris, représentée à l'audience par M. Sellier, commissaire, demande à la Cour, par voie de conclusions, de confirmer le jugement attaqué. Il fait valoir notamment :

- qu'aux termes de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, " tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doit faire l'objet d'une facturation ", et que la chambre criminelle de la cour de cassation, dans son arrêt en date du 7 janvier 1986, distingue les droits de place et de stationnement, qui constituent des taxes strictement fiscales, non soumises à facturations et les redevances pour services rendus (droit de location de matériel, de table et de tréteaux), soumis à la TVA sur les prestations de service et aux règles de facturation ;

- que les quittances remises aux commerçants abonnés et les tickets-valeurs remis aux commerçants volants par la société concessionnaire comportaient pour certaines des mentions obligatoires devant figurer dans la facturation, en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que la perception par l'entreprise privée, auprès des commerçants, de droits excédant largement les sommes qu'elle verse à la commune montre que les droits de place comprennent bien la rémunération de services rendus aux usagers (location, mise en place et renouvellement du matériel, entretien des emplacements) ;

- que l'application de la TVA à une partie des sommes encaissées confirme bien qu'une partie des encaissements est destinée à rémunérer les services rendus.

I - Rappel des faits de la procédure :

Le 22 février 1988, deux commissaires de la DGCCRF en résidence à Evry (91) dressaient procès-verbal à l'encontre de Claude F, régisseur des marchés communaux de Corbeil-Essonnes et de Jean-Paul A, dirigeant de fait de l'entreprise " X ", pour non respect des règles de facturation prévues par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

Ils exposaient, que le 12 janvier 1988, ils s'étaient présentés à Claude F, régisseur des marchés de Corbeil-Essonnes pour le compte de l'entreprise " X " laquelle exploite ces marchés dans le cadre d'un contrat de concession conclu avec la commune ; que Claude F leur avait déclaré qu'il remettait :

- aux commerçants abonnés, chaque quinzaine une quittance, en contrepartie des sommes perçues pour cette période et, à chaque changement de tarif, une facture faisant apparaître le détail des droits perçus ;

- aux commerçants volants, à chaque " séance ", des tickets-valeurs en fonction du métrage occupé. M. F authentifiait les quittances de tickets-valeurs qui avaient été remis, préalablement à cet entretien, aux agents de la DGCCRF par le Président de l'Association des commerçants non sédentaires de Corbeil-Essonnes.

Les agents verbalisateurs estimaient que ces documents devaient être analysés à la lumière de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui énonce que toute prestation doit faire l'objet d'une facturation et en préciser les modalités, ainsi que les mentions qui doivent figurer sur les factures. Or, ils relevaient que le traité d'exploitation des marchés de Corbeil-Essonnes prévoyait la perception de droits de place comportant d'une part des taxes strictement fiscales, non assujetties à la TVA (droit de place strict perçu et de stationnement), et d'autre part, la rémunération pour services rendus (location, mise en place, renouvellement de matériel, entretien des emplacements ...) soumis à la TVA (les quittances délivrées aux commerçants comportaient la mention " TVA 18,60 % sur partie taxée seulement ") ; Ils en concluaient que les documents délivrés aux commerçants auraient du comporter toutes les mentions obligatoires prévues par la loi, alors que manquaient les mentions suivantes :

S'agissant des quittances remises chaque quinzaine aux commerçants abonnés :

- l'adresse du commerçant non sédentaire,

- la quantité,

- la dénomination précise de la prestation,

- le prix unitaire hors TVA de la prestation.

S'agissant des tickets-valeurs remis aux commerçants volants :

- le nom du commerçant,

- l'adresse de ce dernier,

- la date de la prestation,

- la quantité,

- la dénomination précise de la prestation,

- le prix unitaire hors TVA de la prestation.

Entendu par les services de Gendarmerie à la demande du parquet d'Evry, Claude F indiquait qu'il ne faisait qu'exécuter les ordres de la société " X " et qu'il n'était pas pénalement responsable de l'infraction relevée.

Jean-Paul A, également entendu, se présentait comme mandataire de la société de fait " X " et se déclarait surpris de la position de l'administration, contraire selon lui à la jurisprudence.

Jean-Paul A était cité seul, devant le Tribunal correctionnel d'Evry.

Par jugement en date du 29 mai 1990, devenu définitif, le Tribunal ordonnait un supplément d'information afin de rechercher le mandataire social de la SA " X ", concessionnaire des droits communaux de la ville de Corbeil-Essonnes.

Entendu sur commission rogatoire, François Y déclarait qu'il était PDG de la SA " X ", qui avait été inscrite au registre du commerce le 18 janvier 1988 ; qu'auparavant existait une société de fait composée de lui-même et des héritiers de MM. Bernard et Joseph A, laquelle avait donné mandat à la SA, le 30 novembre 1987, aux fins de gérer les concessions dont l'indivision était titulaire.

François Y précisait également que la concession toujours en vigueur, octroyée à la société de fait, avait été signée par Jean-Paul A sur procuration des membres de la société.

François Y était cité à son tour devant le Tribunal d'Evry.

Par jugement dont appel, les premiers juges renvoyaient Jean-Paul A des fins de la poursuite exercée à son encontre, et condamnaient François Y à 20 000 F d'amende, ainsi qu'il est rappelé en tête du présent arrêt.

II - Discussion :

Le traité de concession pour l'exploitation des marchés publics conclu entre le Maire de la ville de Corbeil-Essonnes, suivant délibération du Conseil Municipal du 15 juin 1987, et MM A et Y, représentant l'entreprise " X " ; concessionnaire de droits communaux, fait apparaître que le concessionnaire perçoit intégralement les droits de place dont le tarif, révisable, est fixé par délibération du Conseil Municipal, que ces droits de place sont exigibles d'avance par quatorzième de chaque mois et supportent les taxes légales ; en contrepartie, le concessionnaire verse à la commune, annuellement, un somme forfaitaire également révisable. En outre, le concessionnaire doit, toujours selon ce traité, mettre en place du matériel sur les marchés (bâhces, tubes alu), assurer le montage et le démontage de ce matériel avant et après chaque marché, ainsi que le nettoyage des marchés comprenant balayage et lavage.

Il ressort des soit-disant " factures " qui étaient délivrées aux commerçants abonnés par la société de fait " X ", jointes au procès-verbal, qui s'intitulent en fait " Devis-décompte d'abonnement ", qu'outre les droits de place proprement dits et de stationnement étaient perçus des droits pour la mise à disposition de matériel (retours ou tables, tréteaux). Ces documents comportent la mention " TVA : 18,60 % sur partie taxée seulement ".

Le prévenu conteste toutefois avoir fourni des prestations aux usagers des marchés de Corbeil aux motifs :

- Que la mention " TVA : 18,60 % sur partie taxée seulement " ne signifie nullement que la société concessionnaire distingue entre les droits de nature fiscale et ceux correspondant à des services rendus, comme il est soutenu au procès-verbal, mais que le concessionnaire, qui est soumis à la TVA sur sa rémunération (c'est-à-dire le montant des droits perçus diminué de la redevance forfaitaire versée à la commune), ne représente la TVA, dans les décomptes remis aux commerçants, que pour la fraction de la perception restant acquise à l'entreprise ;

- que les prestations de fourniture de matériel prévues au tarif ne sont pas effectuées sur les marchés de Corbeil, ainsi qu'il résulte d'un rapport d'expertise judiciaire déposé dans le cadre d'une instance civile.

Il convient d'observer, sur le premier point, que la société concessionnaire percevait les droits de place et de stationnement pour son propre compte, en contrepartie d'une redevance forfaitaire versée à la commune de Corbeil-Essonnes, et que sa rémunération, c'est-à-dire la différence entre le montant des recettes et ladite redevance, est effectivement soumise à la TVA, ce qui explique l'emploi de la formule " TVA : 18,60 % sur partie taxée seulement " ;

Sur le second point, il convient de constater que l'expertise dont le rapport a été versé aux débats par le prévenu a été diligentée par Serge Laviale, expert près la Cour d'Appel de Paris, en vertu d'une ordonnance du Tribunal d'Instance de Corbeil-Essonnes en date du 14 septembre 1990, soit bien après la période visée à la prévention, et qu'il ne peut donc en être tenu compte. Au demeurant, le moyen soulevé est inopérant puisque les devis-décomptes d'abonnement délivrés le 1er janvier 1988, par le concessionnaire, à des commerçants abonnés aux marchés de Corbeil, font apparaître les sommes dues pour la fourniture du matériel, à savoir " retour ou tables avec un ou deux tréteaux ". Or, cette fourniture de matériel est indiscutablement une prestation de service distincte de la gestion du domaine communal, effectuée au bénéfice exclusif des commerçants, et non de la commune concordante.

Cette prestation est également distincte de la gestion concédée dans le domaine public, laquelle constitue le fondement des droits de place et de stationnement.

Il résulte de la combinaison des articles 31 et 53 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 que toute prestation de service pour une activité professionnelle doit faire l'objet d'une facturation, que cette activité soit le fait d'une personne publique et d'une personne privée, dès lors, la société concessionnaire " X " aurait du délivrer aux commerçants vendant sur les marchés de Corbeil-Essonnes, qui lui payaient une redevance au titre de fourniture ou location de matériel, des factures comportant les mentions prévues par l'article 31 de l'ordonnance précitée du 1er décembre 1986. Il n'est pas discuté qu'elle n'a pas respecté cette règle, et l'infraction visée à la prévention se trouve donc établie en tous ses éléments.

Le prévenu fait valoir, dans ses écritures, que dans l'hypothèse où une infraction serait constituée, elle ne lui serait pas imputable, puisqu'il a conféré à Claude F, régisseur des marchés de Corbeil-Essonnes, une délégation de pouvoir imposant au délégataire de respecter la législation économique applicable sur les marchés, ce qui englobe les règles de facturation.

Claude F, entendu par les services de gendarmerie le 26 mai 1988, a formellement contesté sa responsabilité, affirmant qu'il " exécutait avec les éléments qu'on lui donnait " qu'il avait précédemment déclaré aux agents verbalisateurs que le concessionnaire lui avait demandé d'appliquer le tarif prévu par le traité de concession au 1er janvier 1988 selon l'ancien mode de calcul. Si la délégation de pouvoir qui lui avait été faite par François Y, le 4 janvier 1982, vise la législation sur les prix et la rédaction des factures, il apparaît à l'évidence que les règles de facturation relevaient de la compétence et de l'autorité des dirigeants de la société concessionnaire qui ont imposé à F et qu'au demeurant ceux-ci, devaient veiller au respect par leurs subordonnés de la législation et de la réglementation.

Que François Y, dirigeant au moment des faits visés à la prévention de la société de fait " X " et co-signataire du traité de concession pour les marchés de Corbeil-Essonnes, est donc pénalement responsable de l'infraction reprochée.

Considérant qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité du prévenu que sur la peine d'amende prononcée à son encontre, laquelle est équitable.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public ; Confirme le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité de François Y que sur la peine d'amende prononcée à son encontre.