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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 22 janvier 1999, n° 98-01923

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vetrotex International (SA), Vetrotex España (SA), Vetrotex France (SA), Vetrotex Italia (SA)

Défendeur :

Brenntag (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Karsenty

Conseillers :

Mmes Robert, Martin

Avoué :

Me Barriquand

Avocats :

Mes Spaeth, Mendelsohn

T. com. Lyon, prés., du 5 mars 1998

5 mars 1998

Faits procédure prétentions et moyens des parties

Suivant exploit en date du 03-02-1998 les sociétés Vetrotex, Vetrotex Italia, Vetrotex España ainsi que la société Vetrotex International, leur mandataire commun, ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon d'une demande tendant à voir condamner la société Brenntag au paiement par provision des factures dont elle leur est redevable au titre de fournitures qu'elles lui ont livrées dans le cadre d'un contrat de distribution, mais que celle-ci refuse de leur payer en se prévalant d'une contre-créance indemnitaire de 9 900 000 francs dont elle s'estime titulaire à l'encontre de l'ensemble des sociétés du groupe Vetrotex pour résiliation abusive et déloyale de ce contrat qui lui a été notifiée par courrier du 28-08-1998 avec effet du 01-12-1998, et en paiement de laquelle elle a saisi le juge du fond par actes des 12 et 24-02-1998 aux fins de condamnation in solidum de l'ensemble des sociétés du groupe ;

Par ordonnance en date du 05-03-1998 le juge des référés, considérant que les sociétés demanderesses détenaient sur la société Brenntag des créances liquides, exigibles et certaines pour un montant total de 1 898 118, 54 francs HT et qu'il n'était pas compétent pour apprécier le bien fondé de la créance en dommages et intérêts invoquée en défense, a débouté celle-ci de sa demande de sursis à statuer ainsi que de son exception de compensation, et l'a condamnée à payer les sommes de 289 267, 35 francs à Vetrotex France, de 1 472 231, 56 francs à Vetrotex España et de 104 888, 15 francs à Vetrotex Italia, majorées des intérêts conventionnels à compter de leurs mises en demeure, mais, estimant néanmoins qu'elle justifiait d'un principe certain de créance à l'encontre du "groupe Vetrotex", a ordonné la consignation de ces sommes entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de Lyon dans l'attente de la décision du juge du fond ;

Les sociétés Vetrotex France, Vetrotex Italia, Vetrotex España et Vetrotex International, ont relevé appel de cette ordonnance qu'elles entendent voir réformer en ce qu'elle a ordonné la consignation de sommes incontestablement dues en vertu de créances considérées comme liquides, exigibles et certaines, au motif d'un prétendu principe de créance de dommages et intérêts à l'encontre du "groupe Vetrotex", entité dépourvue de personnalité morale ;

Au soutien de leurs prétentions elles font essentiellement valoir que ce faisant le juge a statué ultra petita, que la mesure de consignation qu'il a prescrite est dépourvue de fondement et d'intérêt en l'absence de tout péril allégué, qu'elle paralyse l'exécution d'une obligation non contestable et procède d'une contrariété de motifs dès lors qu'il avait, à juste titre, admis le bien fondé de leur demande en paiement et écarté la demande de sursis à statuer ainsi que l'exception de compensation comme ne remplissant pas les conditions requises quant à la certitude de la contre-créance invoquée et à la réciprocité des dettes faute d'identité des parties ;

Elles demandent donc à la cour de leur adjuger l'entier bénéfice de leurs demandes en paiement sauf à en actualiser le montant en fonction des factures devenues exigibles postérieurement à leur assignation en le portant à 1 683 815, 56 francs pour Vetrotex España et à 445 324, 03 francs pour Vetrotex France, celle de Vetrotex Italia demeurant inchangée ;

La société Brenntag a déposé des conclusions d'appel incident aux termes desquelles elle entend voir réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté comme ne constituant pas une contestation suffisamment sérieuse l'exception de compensation qu'elle opposait à la demande en paiement des requérantes et ordonné en conséquence la consignation des sommes réclamées ;

Au soutien de ses prétentions elle fait essentiellement valoir que les conditions dans lesquelles les sociétés Vetrotex ont rompu le contrat de distribution qui les liait depuis plus de 15 ans sont constitutives d'un abus manifeste caractérisé par les actes de déloyauté l'ayant accompagnée ainsi que par la brièveté du préavis accordé, abus dont elle est fondée à réclamer réparation et qui lui confère donc un droit de créance certain en son principe qu'elle est en droit d'opposer aux requérantes tenues in solidum avec l'ensemble des sociétés du groupe à réparer l'entier préjudice que chacune a concouru à créer ;

Elle soutient donc que l'exception alléguée remplit les conditions de la compensation pour dettes connexes ou du moins celles de la compensation judiciaire, et que, rendant contestable l'obligation au paiement invoqué par les requérantes, elle devait conduire le juge des référés à rejeter leur demandes ;

Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle conclut à la confirmation de l'ordonnance et en toute hypothèse à la condamnation in solidum des appelantes à lui verser une indemnité de procédure de 50 000 francs ;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que tenu, avant d'accorder une provision, de vérifier si l'existence de l'obligation de paiement invoquée par le créancier n'est pas sérieusement contestable, il appartient au juge des référés d'apprécier si l'éventualité d'une compensation entre dettes réciproques est de nature à rendre sa créance sérieusement contestable ;

Attendu qu'aux termes de l'ordonnance du 01-12-1986 la rupture d'une relation commerciale établie sans respect d'un préavis tenant compte des relations commerciales antérieures et des usages reconnus est de nature à engager la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé de son fait ;

Qu'il résulte en l'espèce des pièces versées aux débats que la société Brenntag s'est vue notifier le 24-07-1997 par la société Vetrotex International, et le 30-07-1997 par la société Lorcet, autre société du groupe Vetrotex, la résiliation, à compter du 01-12-1997, des contrats de distribution la liant depuis une quinzaine d'années aux sociétés du groupe Vetrotex, et que cette rupture, qui procède de la volonté de ces dernières de réorganiser leur réseau de distribution en développant un réseau interne confié à la société Vetrotex Renforcement, s'est accompagnée du débauchage, non contesté, d'un des vendeurs de la société Brenntag, M. Clément, recruté par cette dernière, ainsi que de l'envoi aux clients de la société Brenntag d'une lettre circulaire datée du 10-09-1997 les invitant à s'adresser dès à présent à elle, au mépris du préavis qui lui avait été accordé;

Or attendu que de telles circonstances sont de nature à caractériser un abus de la part des sociétés du groupe Vetrotex dans l'exercice du droit de résiliation du contrat de distribution les liant à la société Brenntag à laquelle avait été imposée une exclusivité d'achat des produits Vetrotex, et à lui causer un préjudice important dès lors qu'elle s'est trouvée privée brutalement et sans contrepartie financière de l'essentiel de son activité en même temps que d'une partie de la clientèle qu'elle avait acquise ;

Qu'elle justifie donc d'un principe certain de créance né de l'obligation d'indemnisation contre les auteurs de ce préjudice, à savoir l'ensemble des sociétés du groupe Vetrotex avec lesquelles elle était liée par des accords de distribution, et parmi lesquelles figurent les sociétés requérantes, ainsi que par la nouvelle société Vetrotex Renforcement auteur des pratiques déloyales incriminées ;

Qu'il s'en suit que se trouvant exposées, pour avoir par leurs fautes respectives concouru à la réalisation de ce préjudice, à se voir déclarer tenue de le réparer chacune pour le tout, les sociétés requérantes sont bien débitrices d'une obligation personnelle envers la société Brenntag dont l'éventuelle divisibilité n'est pas un élément de contestation suffisant pour permettre d'écarter l'exception de compensation au motif d'un défaut de réciprocité des dettes ;

Que dès lors la société Brenntag est bien fondée à soutenir que son exception de compensation présente un caractère suffisamment sérieux pour rendre contestable sa propre obligation de paiement et faire échec en conséquence à la demande de provision formée par les sociétés Vetrotex ;

Attendu que l'ordonnance sera donc infirmée en ce qu'elle a ordonné la consignation des sommes représentatives des créances des requérantes et celles-ci déboutées des fins de leur action ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, Réforme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, Déboute les sociétés Vetrotex France, Vetrotex Italia, Vetrotex España et Vetrotex International de leurs demandes en paiement ; Dit n'y avoir lieu à mesure conservatoire et ordonne en conséquence la restitution à la société Brenntag des sommes consignées ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne les appelantes aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct de ces derniers au profit de la SCP Dutrievoz avoués.