CA Paris, 1re ch. A, 16 janvier 1989, n° ECOC8910009X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tecnisom France (SA)
Défendeur :
Serap Ameublement (SARL), Directeur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la région Ile-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martzloff
Conseillers :
Mme Hannoun, M. Canivet
Avoués :
SCP Teytaud, Me Valdelievre, Ribaut
Avocats :
Mes Durand, Iselin-Lavauzelle
La SARL Serap Ameublement vend du mobilier meublant, dans un système de distribution à marge réduite, en procédant à cette commercialisation sur des surfaces de vente dont l'accès est réservé à une clientèle constituée par les membres du personnel de collectivités diverses ayant adhéré à la formule Serap.
De 1984 à 1987, elle a ainsi mis en vente, sans rencontrer de difficultés, des articles de literie de la marque Lattoflex qui lui étaient fournis par la société Tecnisom France.
Par une lettre du 6 mars 1987, cette société lui a fait connaître qu'elle avait décidé de modifier l'organisation de sa distribution, et que ses produits, à la distribution desquels la société Serap Ameublement avait jusqu'à présent contribué, seraient désormais commercialisés, à titre exclusif, par un réseau de distributeurs sélectionnés en fonction de critères objectifs de caractère qualificatif, tendant à assurer un meilleur service aux consommateurs et à développer la notoriété de sa marque.
Cette lettre ajoutait que cette nouvelle politique, qui allait prendre appui sur le réseau de "litologues agréés" constitué depuis le début de 1985, avec lesquels la société Tecnisom France avait récemment conclu un contrat de distribution sélective, ne lui permettrait pas de poursuivre avec la société Serap Ameublement ses relations commerciales au-delà du 6 avril 1987.
Il était certes précisé que pour faciliter la transition que justifiaient les relations commerciales entre les deux sociétés et le service des clients la société Tecnisom France honorerait l'exécution des commandes en cours et les ordres transmis avant le 6 avril 1987, mais il est constant que les commandes passées postérieurement à cette date par la société Serap Ameublement ont été chaque fois refusées par la société Tecnisom qui se référait en la circonstance à son courrier du 6 mars 1987.
Reprochant à la société Tecnisom France de pratiquer à son égard un refus de vente engageant la responsabilité de son auteur dans les conditions prévues par l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, la société Serap Ameublement a tout d'abord sur le fondement du dernier alinéa dudit art. 36 attrait en référé la société Tecnisom France devant le président du tribunal de commerce de Paris pour obtenir qu'il soit enjoint à cette société de cesser ses agissements et d'exécuter les commandes qu'elle lui avait transmises.
A cette occasion a été produit par la société Tecnisom France le "contrat d'agréation 1987" par elle élaboré, qui imposait à ses "distributeurs agréés" de respecter les normes et modalités d'action commerciale définies dans le cahier des charges annexé au contrat susdit, concernant notamment le local commercial, la qualité du service, la gamme des produits et le développement des ventes, l'action commerciale, la publicité, le service après-vente, et la garantie du réseau.
S'agissant plus spécialement du local commercial, le cahier des charges spécifiait que celui-ci devait être exclusivement centré sur le commerce de détail de meuble-literie, à l'exclusion de toute autre activité de vente (notamment matériel de hi-fi et électroménager), et ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation.
Par ordonnance du 26 mai 1987, le président du tribunal de commerce a fait droit à la demande de la société Serap Ameublement en enjoignant à la société Tecnisorn France de livrer à cette dernière toutes commandes transmises à compter du 6 avril 1987, et par un arrêt du 18 décembre 1987, la cour d'appel de Paris a confirmé cette ordonnance de référé, en ajoutant que l'injonction de livrer prendrait fin à la date de signification du jugement à intervenir sur le fond dans l'instance principale introduite devant le tribunal de commerce de Paris.
Le tribunal de commerce a été saisi au fond par la société Serap Ameublement suivant assignation du 15 avril 1987.
La société Serap Ameublement lui a demandé :
1° De lui donner acte de son accord, pour signer un contrat de "litologue agréé", sous réserve qu'en soit écartée la clause ci-dessus rappelée concernant les caractéristiques susvisées du local commercial, clause qu'elle disait être nulle par application des dispositions des articles 7 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986
2° De dire, à défaut de conclusion d'un tel contrat ou de la reprise des relations commerciales antérieures, que la clause susdite était nulle et l'infraction civile de refus de vente constituée, puis, en réparation du préjudice causé par ce refus de vente, de condamner la société Tecnisom France, soit de continuer à lui livrer ses commandes, sous peine d'astreinte, avec communication de toute documentation commerciale nécessaire, sans préjudice du paiement de dommages-intérêts pour comportement abusif, soit, à défaut de réparation en nature, de lui verser une indemnité de 2 500 000 F, avec livraison des commandes jusqu'à décision définitive sur le montant de la réparation sollicitée.
La société Tecnisom France a répliqué en demandant, en substance, au tribunal de commerce
1° De rejeter comme mal fondées les prétentions de la société Serap Ameublement ;
2° De dire qu'elle était en droit de refuser de satisfaire aux demandes d'achats de cette société dès lors que ces demandes présentaient un caractère anormal et n'étaient pas faites de bonne foi, en tant qu'émanant d'un acheteur refusant lui-même de vendre à certaines catégories de consommateurs ; et dès lors que son refus était justifié par les dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, son contrat de distribution sélective étant en tous points conforme aux critères de validité posés par ce texte et ne restreignant ni ne faussant le jeu de la concurrence au sens des articles 7 et 8 de ladite ordonnance ;
3° De condamner la société Serap Ameublement à lui payer une somme de 100 000F pour procédure abusive.
Devant le tribunal de commerce de Paris est intervenu volontairement le ministre chargé de l'économie, représenté par le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en Ile-de-France, lequel a fait connaître que, de son avis, la clause litigieuse, dictée par un objet anticoncurrentiel, tombait sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans bénéfice des dispositions de l'article 10, qu'elle devait être réputée nulle au regard de l'article 9 du même texte et que le refus de vente qu'elle fondait n'avait aucune légitimité.
Le ministre chargé de l'économie a demandé en conséquence l'abrogation de cette clause et la poursuite des livraisons dans des conditions non discriminatoires.
Les parties à l'instance et le directeur de la concurrence ont encore développé et précisé leurs argumentations respectives au moyen de notes en délibéré, et c'est à la suite du dépôt de la note du directeur de la concurrence que la société Tecnisorn France a fait valoir que la position de la société Serap Ameublement constituait une entrave à la concurrence, dans la CEE, puisque, par exemple, un acheteur italien, ne faisant pas partie d'une entreprise italienne agréée par la Serap se verrait refuser la vente au mépris des règles fondamentales du Traité de Rome.
Disant se référer encore aux énonciations d'une décision rendue par la Commission des communautés européennes dans l'affaire concernant la société Grundig, la société Tecnisom France a fait valoir que cette décision avait approuvé globalement la totalité des clauses du contrat de distributeur détaillant utilisé par la société Grundig et avait ainsi validé, avec l'ensemble des autresdispositions du contrat, la clause de libre accès de la clientèle au magasin de vente en détail des produits de cette marque.
Elle en a tiré pour conséquence que cette décision, par application du principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national, se trouvait applicable de plein droit en droit interne français et que le juge national ne pouvait la méconnaître.
Par jugement rendu le 8, mars 1988, le tribunal de commerce de Paris :
- a pris acte de l'intervention volontaire de M. le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la région Ile-de-France
- a donné à la société Serap Ameublement l'acte requis.
Sur le refus de vente
- a dit que la clause par laquelle la société Tecnisom France exigeait de ses distributeurs qu'ils disposent d'un " local exclusivement centré sur le commerce de détail de meuble literie, à l'exclusion de toute autre activité de vente (notamment matériel de hi-fi et électroménager), et ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation" n'était pas conforme aux critères de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que, de ce fait, elle rendait illicite, au nom de l'article 36 de la même ordonnance, le refus de vente opposé par cette dernière société à la société Serap Ameublement
- a dit que la société Tecnisom France était toutefois fondée à subordonner la vente des produits Lattoflex à la société Serap Ameublement à la signature par cette dernière du contrat d'agréation produit aux débats sans la clause mentionnée ci-dessus mais avec, si la société Tecnisom France l'exigeait, une clause par laquelle la société Serap Ameublement s'engagerait à affecter à la commercialisation des produits Lattoflex un local consacré exclusivement à la vente des produits d'ameublement et de literie, séparé de ceux ayant pour objet d'autres activités et bénéficiant d'une isolation phonique suffisante, ainsi qu'un personnel de vente spécialement formé à cet effet et qui ne pourrait se consacrer à d'autres activités que celles relatives à la vente des produits d'ameublement et de literie ;
- a dit que, jusqu'à la signature d'un tel contrat ou l'expiration d'un délai de quinze jours suivant une mise en demeure non suivie d'effet de la société Tecnisom France à la société Serap Ameublement de signer un tel contrat, la société Tecnisom France devrait :
* continuer à livrer à la société Serap Ameublement toutes les commandes faites par celle-ci sous astreinte définitive de cinq cents francs par article commandé et par jour de retard à partir du délai contractuel de livraison,
* et remettre à la société Serap Ameublement toute documentation commerciale généralement quelconque nécessaire à la vente des produits Lattoflex que la société Tecnisom France a publiée pour l'année 1987 et sera amenée à publier par la suite, et notamment tous nouveaux catalogues, nouveaux modèles, nouveaux tarifs, nouvelles notices techniques.
Sur les autres demandes, des parties,
- a sursis à statuer sur les demandes de dommages-intérêts formées par les parties et renvoyé la cause à six mois afin qu'il soit statué en tenant compte de la solution choisie par elles et de leur comportement respectif ;
- a dit les parties mal fondées en le surplus de leurs demandes, les en a déboutées respectivement ;
- a ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie et a condamné la société Tecnisom France aux dépens.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal de commerce, en substance :
- a estimé que la demande de produits faite par la société Serap Ameublement ne présentait aucun caractère anormal et qu'elle était faite de bonne foi ;
- a dit qu'il y avait lieu de distinguer, comme le fait l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre les " pratiques anticoncurrentielles " réglementées par les articles 7 à 27 du titre III et les "pratiques restrictives ", objet des articles 28 à 37 du même titre ;
- a considéré que la pratique du refus de vente dénoncée par la société Serap Ameublement était une pratique restrictive, et non pas une pratique concurrentielle ; qu'elle échappait ainsi aux critères d'appréciation édictés pour caractériser ces dernières, et notamment à l'examen du seuil de sensibilité à la concurrence évoqué par la société Tecnisom France pour justifier de sa régularité ; qu'elle devait donc être examinée au seul regard de sa justification par rapport aux conditions posées pour celle-ci par l'article 10-2 de l'ordonnance ;
- a estimé qu'il était en mesure de statuer sur ce point sans consulter le Conseil de la concurrence et a jugé que la société Tecnisom France ne rapportait pas la preuve d'un fait justificatif lui permettant de refuser de vendre à la société Serap Ameublement la literie Lattoflex, si celle-ci acceptait de signer un contrat répondant aux autres exigences imposées aux " litologues agréés " ;
- a dit relever que l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne prévoyait de nullité que pour les clauses contractuelles se rapportant aux " pratiques anticoncurrentielles " prévues par les articles 7 et 8, et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire droit à la demande en nullité de dispositions tombant sous le coup de l'article 36 ;
- a décidé de fixer les conditions dans lesquelles la société Serap Ameublement pourrait continuer à commercialiser les produits Lattoflex dans le cadre d'un "contrat d'agréation" de la société Tecnisom France, dûment modifié.
La société Tecnisom France, qui a relevé appel de ce jugement à l'encontre de la société Serap Ameublement, a obtenu, par une ordonnance du premier président de cette cour rendue le 4 juillet 1988, que l'exécution provisoire dont il était assorti soit arrêtée.
Par conclusions signifiées le 8 août 1988, la société Tecnisom France a conclu au fond pour solliciter la réformation du jugement entrepris, en faisant état, tout particulièrement, d'une lettre que lui avait adressée le 1er juillet 1988 la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes en réponse à la notification qu'elle avait faite le 20 avril 1988 à cet organisme de son contrat de distribution sélective, et en arguant du fait que la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes, " parfaitement informée du présent litige ", avait validé la clause litigieuse fondant le refus de vente, qui imposait que le local du distributeur des produits Lattoflex fût ouvert à tout consommateur quelconque sans autre restriction.
La société Tecnisom France a d'autre part, précisé que sur certains points autres que celui concernant le libre accès de toute clientèle au local commercialisant les produits Lattoflex, lequel demeurait strictement maintenu, elle avait modifié son contrat d'agréation dans le sens souhaité par la commission.
Par la suite, disant constater que le ministre chargé de l'économie, représenté par le directeur de la concurrence, était intervenu volontairement devant la cour en faisant signifier des conclusions d'intervention le 22 septembre 1988, elle a, par écritures du 29 septembre 1988, conclu à l'irrecevabilité de cette intervention.
Le 30 septembre 1988, le ministre chargé de l'économie a signifié ses conclusions sur le fond de l'affaire, aux termes desquelles, après avoir notamment discuté du moyen tiré de la réponse de la direction de la concurrence de la Commission des communautés européennes, il a demandé à la cour de se prononcer ainsi qu'il l'avait précédemment sollicité en déclarant nulle la clause litigieuse, en prononçant son abrogation et en ordonnant le rétablissement des livraisons dans des conditions non discriminatoires.
Le 4 octobre 1988, la société Serap Ameublement a fait à son tour signifier des conclusions au fond en priant la cour de confirmer le jugement attaqué.
Le 7 octobre 1988, le directeur de la concurrence a conclu au rejet de la fin de non-recevoir que lui opposait la société Tecnisom France.
Par nouvelles conclusions au fond signifiées le 14 octobre 1988, la société Serap Ameublement a demandé à la cour, à titre subsidiaire, de dire et juger nulle, par application des articles 7 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la clause litigieuse.
C'est alors que par conclusions dites " de procédure ", signifiées le 18 octobre 1988, la société Tecnisom France a prié la cour de dire nulles et subsidiairement irrecevables les demandes formées par le ministre de l'économie, des finances, et du budget, et encore de dire nulles les écritures prises le 30 septembre 1988 par le ministre, ainsi que les conclusions prises le 14 octobre 1988 par la société Serap Ameublement.
Dans le cadre d'un incident "de communication de pièces " formé par la société Tecnisom France qui réclamait à la société Serap Ameublement de produire aux débats les conventions intervenues entre elle-même et ses adhérents, les conditions d'admission du personnel des entreprises adhérentes et la liste des adhérents, il a été rendu le 26 octobre 1988 par le conseiller de la mise en état une ordonnance disant n'y avoir lieu à la production des pièces revendiquées par la société appelante, le magistrat saisi ayant estimé qu'eu égard au litige porté devant la cour, la nature de la clientèle groupée à qui la société intimée entendait limiter l'accès à ses lieux de vente était suffisamment définie sans qu'il y ait lieu de connaître les modalités de l'adhésion et la liste des collectivités concernées.
La société Tecnisom France a encore fait signifier des conclusions au fond le 24 octobre 1988.
Le ministre chargé de l'économie a répliqué aux conclusions de procédure de la société Tecnisom par des écritures signifiées le 27 octobre 1988, et la société Serap Ameublement a encore conclu au fond le 2 novembre 1988, en faisant état, à son tour, d'une lettre adressée à son conseil le 13 octobre 1988 par la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes.
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire ayant été rendue le même jour, 2 novembre 1988, la société Tecnisom France a fait observer, par écritures signifiées le 7 novembre 1988, qu'elle n'avait pu s'expliquer sur cette lettre communiquée en même temps que les conclusions adverses du 2 novembre 1988, et a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture, en complétant son argumentation sur le fond de l'affaire.
La cour, estimant qu'en raison de la production de la pièce susdite, une cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture s'était révélée après qu'ait été rendue celle-ci, a décidé, dès après l'ouverture des débats, de révoquer cette ordonnance et de recevoir les dernières écritures de la société Tecnisom France, signifiées le jour même de l'audience, le 7 novembre 1988.
Le ministère public a conclu oralement sur la nullité et l'irrecevabilité des demandes formulées par le ministre chargé de l'économie, ainsi que sur la nullité des écritures visées par la société appelante et a donné son avis sur les prétentions émises par chacune des parties à l'instance.
Le ministre chargé de l'économie a développé verbalement à l'audience des conclusions au moyen desquelles il a précisé sa position sur le fond de l'affaire, et a répondu aux écritures " de procédure " de la société Tecnisom France du 18 octobre 1988.
Les moyens et arguments des parties, exposés dans leurs conclusions d'appel auxquelles il est fait expressément référence pour un exposé détaillé de celles-ci, en même temps que référence est faite au jugement entrepris, seront présentés au cours de la discussion qui en sera faite ci- après.
Sur quoi LA COUR :
Considérant qu'il importe de relever dès l'abord qu'en cet état devant la cour, à la suite de certaines modifications apportées par la société Tecnisom France à la clause litigieuse du contrat d'agréation telle que mentionnée au dispositif du jugement entrepris, le litige opposant la société Serap Ameublement à la société Tecnisom trouve sa source dans la rédaction actuelle de cette clause, formulée comme suit :
" Local centré sur le commerce de détail de meuble literie et ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation ".
Qu'il doit encore être précisé que c'est l'expression " ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation" qui fonde la détermination de la société Tecnisom France à refuser la vente des produits Lattoflex à la société Serap Ameublement.
Considérant qu'il est constant que la société Serap Ameublement, en raison de ce refus de vente, a engagé contre la société Tecnisom France l'action en réparation prévue à l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;
Considérant qu'aux termes de l'article 56 de ce texte il est dit que, pour l'application de la présente ordonnance le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience ;
Considérant que, par conclusions signifiées le 22 septembre 1988, le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la région Ile-de-France, agissant au nom du ministre de l'économie, des finances et du budget, a déclaré intervenir volontairement dans la présente instance d'appel, en demandant qu'il lui soit donné acte de son intervention et de son intention de déposer des conclusions ;
Qu'il a ensuite conclu sur le fond, de l'affaire, le 30 septembre 1988 ;
Considérant que cette intervention volontaire étant arguée d'être irrecevable, et les demandes exprimées par le ministre chargé de l'économie étant prétendues nulles, il importe qu'il soit d'abord statué sur les divers moyens de procédure invoqués par la société Tecnisom France tant à l'encontre de l'intervenant qu'à l'encontre de la société Serap Ameublement, dont il est dit que les écritures signifiées le 14 octobre 1988 seraient également nulles ;
I. - Sur les moyens de procédure :
A.- Sur la recevabilité devant la cour de l'intervention volontaire du ministre de l'économie, des finances et du budget, effectuée par conclusions du 22 septembre 1988 et sur la nullité de ses demandes, ainsi que des écritures par lui prises le 30 septembre 1988.
Considérant que pour prétendre, d'une part, que cette intervention volontaire serait irrecevable en la présente cause d'appel, la société Tecnisom France soutient :
- que dans la mesure où le ministre chargé de l'économie avait été partie à la première instance, il devait, respecter les moyens de procédure mis à sa disposition pour être régulièrement partie devant la juridiction du second degré, c'est-à-dire user soit d'un appel principal, soit d'un appel incident, et ne pouvait intervenir sur le fondement de l'article 554 du NCPC, ce texte concernant les personnes qui n'avaient été ni parties, ni représentées en première instance ;
- que dans la mesure où les conclusions signifiées le 22 septembre 1988 par le ministre de l'économie n'avaient pour seul objet que de se faire donner acte de son intervention et de son intention de déposer ultérieurement des conclusions contenant les observations de l'administration sur le fond, sans faire connaître aux autres parties à l'instance " l'action" de leur auteur au sens de l'article 30 du NCPC et sans exprimer les moyens de celui-ci, ces conclusions n'ont pas respecté le principe du contradictoire, destiné à assurer l'instauration d'un débat loyal entre les parties ;
Considérant que le ministre de l'économie, après avoir signifié ses moyens de fond par conclusions du 30 septembre 1988, a, par écritures du 7 novembre 1988, conclu au rejet de la fin de non-recevoir invoquée par la société Tecnisom France, en faisant valoir qu'il n'était pas partie principale au procès et que son intervention n'obéissait qu'aux règles dérogatoires de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Qu'il a ajouté que, surabondamment, l'article 549 du NCPC permet à toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance, de former un appel incident.
Considérant tout d'abord que si le ministre de l'économie, des finances et du budget, représenté par le directeur de la concurrence, a estimé, dans le litige soumis au tribunal de commerce, puis à l'examen de la cour, devoir déposer, conformément aux dispositions de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des conclusions en se présentant comme " intervenant volontaire ", il reste que la place qu'il occupe devant ces juridictions de l'ordre judiciaire à l'occasion des débats qui s'y déroulent et le pouvoir de police juridique qui lui est reconnu pour une exacte et uniforme application des dispositions de l'ordonnance susdite ne permettent pas de l'assimiler à une " partie " défendant des intérêts particuliers et privés ;
Qu'il est donc vain pour la société Tecnisom France de prétendre contester la recevabilité de son " intervention " - laquelle doit s'entendre au sens le plus général du terme, et non s'apprécier par référence aux énonciations des articles 325 et suivants du NCPC - en invoquant les dispositions de l'article 554 du même code ;
Considérant ensuite que d'aucune manière le principe de la contradiction ne saurait avoir été violé par les conclusions susdites du ministre chargé de l'économie, alors que l'instauration d'un débat loyal entre les parties a été aussitôt assuré par la signification, dès le 30 septembre 1988, des conclusions au fond du représentant du ministre, dans une affaire qui ne devait être plaidée que le 7 novembre 1988 ;
Considérant que pour prétendre, d'autre part, que le ministre de l'économie aurait formulé le 30 septembre 1988 des demandes nulles, et subsidiairement irrecevables, la société Tecnisom France allègue que ce dernier, qui ne pouvait qu'émettre une opinion, comme n'étant pas partie principale à l'instance, avait, en formulant des demandes, modifié l'objet du litige et violé ainsi le principe fondamental de la procédure accusatoire tel que codifié dans les articles 4 et 5 du NCPC, violation devant être sanctionnée par la nullité absolue des conclusions portant ces demandes ;
Que, soutenant au surplus que l'intervention du pouvoir exécutif au procès civil ne peut se faire avant que les parties au procès n'aient circonscrit l'objet de leur litige et développé leurs moyens, la Société Tecnisom France voit encore une cause de nullité absolue de ces écritures du ministre du 30 septembre 1988, pour avoir été prises avant que la partie intimée ait elle-même exprimé sa demande et ses moyens ;
Considérant qu'aux termes de ses conclusions du 7 novembre 1988 développées oralement à l'audience le ministre chargé de l'économie, soulignant encore qu'il intervenait dans une instance de cette nature, non pas pour défendre, en tant que partie, des intérêts privés mais pour y exposer son interprétation afin de contribuer à assurer une exacte et uniforme application des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a répliqué que ce rôle particulier qui lui était reconnu l'autorisait, sans excéder les limites posées, à l'article 4 du NCPC, à demander à la cour de constater, outre l'irrégularité du refus de vente opposé à la société Serap Ameublement, la contrariété entre certaines stipulations contractuelles et les règles établies, par le droit de la concurrence ;
Qu'il a ajouté que ses conclusions, se rattachant directement aux prétentions originaires des parties, étaient, par là même conformes aux dispositions de l'article 4 du NCPC ;
Considérant qu'en demandant à la cour dans ses conclusions signifiées le 30 septembre 1988, de bien vouloir dire et juger que la clause litigieuse tombait sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans bénéfice de l'article 10, qu'elle devait être réputée nulle au regard de l'article 9 et abrogée, et enfin que le rétablissement des livraisons dans des conditions non discriminatoires soit ordonné, le ministre de l'économie n'a pas exprimé les prétentions d'une partie à l'instance déterminant l'objet du litige au sens de l'article 4 du NCPC, mais n'a fait, dans l'exercice des prérogatives qui lui sont dévolues, ainsi qu'il a été rappelé ci- dessus, que formuler son avis sur l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 au litige déféré en son entier à la connaissance de la cour par l'effet dévolutif de l'appel du jugement de première instance, interjeté par la société Tecnisom France, litige dont il est d'ailleurs constant que son objet, déterminé devant les premiers juges par les parties elles-mêmes, portait sur les points de droit examinés par le ministre chargé de l'économie dans ses conclusions susdites du 30 septembre 1988 ;
Qu'il est donc vain pour la société Tecnisom de prétendre que l'expression de l'avis du ministre serait de nature à modifier l'objet de ce litige et à violer ainsi les dispositions de l'article 4 du NCPC ;
Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de déclarer nulles les conclusions du ministre de l'économie du 30 septembre 1988, et que pas davantage il n'y a lieu de les déclarer irrecevables, aucun moyen d'irrecevabilité n'étant au demeurant argué ni soutenu à leur encontre ;
Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition légale ni principe directeur du procès tiré des dispositions des articles 4 et 5 du NCPC n'impose ni ne commande que le dépôt par le ministre chargé de l'économie, des conclusions destinées à faire connaître son avis sur l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 au litige opposant les parties, ait lieu après que la partie intimée ait elle-même conclu au fond ; qu'il n'y a donc encore pas lieu de déclarer nulles les conclusions dont s'agit ;
B. - Considérant enfin, s'agissant des conclusions de la Société Serap Ameublement signifiées par celle-ci le 14 octobre 1988 que ces écritures, contrairement aux dires de la société Tecnisom France, ne constituent d'aucune manière " la reprise d'un moyen nul exprimé par le représentant du pouvoir exécutif, modifiant l'objet du litige et muant ainsi la nature de la procédure, du type accusatoire au type inquisitoire ", mais ne font que réitérer, dans les termes propres à l'argumentation personnelle de la société Serap Ameublement, la même demande en nullité de la clause litigieuse que cette société avait précédemment présentée devant les premiers juges, qui faisait déjà l'objet du litige opposant les parties, et qu'il était donc loisible à la société Serap Ameublement de soumettre à nouveau à la cour ;
Qu'en conséquence, ces conclusions du 14 octobre 1988 ne sont aucunement entachées de nullité ;
II. - Sur le fond
Considérant qu'aux termes de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ... lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi, et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance susdite ;
Que l'article 10 dispose ainsi qu'il suit :
" Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques :
- qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;
- dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès. "
Considérant que devant la cour, la société Tecnisom France, appelante, à qui réparation est demandée par la société Serap Ameublement pour cause de refus de lui vendre les lits Lattoflex, rappelle tout d'abord qu'elle a modifié son contrat d'agréation dans le sens souhaité par la lettre de la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes du 1er juillet 1988, puis dit s'opposer à la prétention de la société Serap Ameublement en alléguant essentiellement :
1° Que son refus de vente est justifié par le caractère anormal de la demande d'achat des produits Lattoflex faite par la société Serap Ameublement, lequel résulte, à l'évidence, de l'inadéquation de la structure de sa distribution aux exigences du réseau du fournisseur ;
Qu'ayant elle-même le droit de modifier librement son système de distribution sans commettre d'abus, ce qu'elle a fait, tout distributeur ne répondant pas à ses nouveaux critères est ainsi l'auteur d'une demande anormale ;
Que de surcroît, ainsi qu'elle l'a soutenu précédemment, la demande d'achats de la société Serap Ameublement est encore anormale dans la mesure où cette société pratique de son côté un refus de vente an opérant un " tri " parmi la clientèle pour ne vendre qu'à certains consommateurs.
2° Que faute par la société Serap Ameublement de justifier de la licéité de sa sélection de clientèle en fonction d'arguments de droit précis et complets, cette société se trouve dans la position d'un demandeur d'achats de mauvaise foi ;
3° Que son refus de vendre à la société Serap Ameublement est licite sans qu'il soit besoin de le justifier au moyen des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où la clause litigieuse qui le fonde ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article 7 de cette ordonnance que cette clause n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence en cherchant à exclure un type de distribution, étant observé que la part de la société Tecnisom France dans le marché des lits à lattes est d'un pourcentage trop faible pour que soit atteint le seuil de sensibilité, et que son réseau comprend précisément une grande surface telle que la Compagnie du lit ;
4° Que de même le refus de vente qu'elle appose à la société Serap Ameublement, fondé sur un système intégrant une sélection qualitative n'impose pas qu'il soit nécessaire de recourir aux justifications du bilan économique prévu par l'article 10 susvisé, puisque celui-ci ne se conçoit que dans l'hypothèse d'une sélection quantitative ;
5° Subsidiairement, que son système de distribution sélective remplit toutes les conditions imposées par ledit article 10 ;
6° Que par application du principe édictant la primauté du droit communautaire sur le droit national, la clause du contrat d'agréation dont il est prétendu qu'elle rend non justifié son refus de vente s'impose au droit interne français dès lors qu'elle a été reconnue licite, au regard du droit de la concurrence, par la Commission des communautés européennes à l'occasion de l'examen par celle-ci des affaires concernant les sociétés Grunding et Villeroy et Bosch, et qu'elle a été validée par cette commission, aux termes de la lettre du 1er juillet 1988 portant réponse à la notification de son contrat de distribution ;
Que cette lettre, contrairement à l'appréciation de la société Serap Ameublement et à celle du ministre chargé de l'économie, ne constitue pas une "lettre de classement" ou une attestation négative, mais exprime clairement la position des autorités communautaires sur cette clause essentielle qui était soumise à leur examen ;
Qu'au surplus, à la suite de l'intervention effectuée auprès de la Commission par le conseil de la société Serap Ameublement, et de la réponse adressée à ce dernier le 13 octobre 1988, cette lettre du 1er juillet 1988 est devenue une décision opposable à tout tiers, et notamment aux juridictions nationales ;
7° Que dès lors, la clause dont s'agit est parfaitement licite, qu'elle s'impose au juge national, et que le refus de vente qu'elle oppose à la société Serap Ameublement est entièrement justifié.
Considérant que la société Tecnisom France prie ainsi la cour :
-de lui donner acte de la modification par elle apportée à son contrat d'agréation, en constatant la nouvelle rédaction de la clause relative au local commercial
- de dire que les demandes d'achats de la société Serap Ameublement sont anormales et faites de mauvaise foi, et de rejeter dès l'abord les prétentions de la société Serap Ameublement
- de déclarer licite la clause fondant son refus de vente comme ne constituant pas par elle-même une pratique anticoncurrentielle visée par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, subsidiairement comme répondant aux conditions de l'article 10-2 de cette ordonnance, enfin comme s'imposant au juge français pour avoir été validée par la Commission des communautés européennes
- de débouter la société Serap Ameublement de toutes ses prétentions, de réformer entièrement le jugement attaqué, et de condamner la société Serap Ameublement à lui verser une somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Considérant que la société Serap Ameublement, intimée, contredit cette argumentation en répliquant, en substance :
1° Qu'elle est de bonne foi, et qu'elle a présenté des demandes d'achat normales, aucunement constitutives par elles-mêmes de refus de vente dans la mesure où il n'existe pas de décalage entre les termes de l'offre qu'elle formule et ses conditions de vente, et dans lesquelles il ne peut être trouvé un caractère anormal au prétexte qu'elles n'auraient pas satisfait aux nouvelles conditions instaurées par le contrat de distribution sélective de la société Tecnisom, France, sauf à vider de toute portée la condition posée par l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2° Que le refus de vente dont elle fait grief à la société Tecnisom France concerne une pratique restrictive discriminatoire qui doit s'apprécier par référence aux seuls, critères énoncés par l'article 10-2 de l'ordonnance, en dehors de toute considération de marché tirée des énonciations de l'article 7 de celle-ci, et que les conditions dudit article 10-2 ne sont pas remplies ;
Qu'en effet, cette clause exclut de la commercialisation d'un produit grand public toute entreprise qui réserve son accès à une catégorie de clientèle, sans apporter les justifications prévues, par ledit article 10-2, car il n'est aucunement démontré par la société Tecnisom France que l'obligation d'ouvrir les locaux de vente à la clientèle sans aucune restriction ni limitation, répondrait aux objectifs de progrès économique spécifiés par ce texte.
3° Que, subsidiairement, la clause litigieuse est illicite, au regard de l'article 7, comme ayant un objet anticoncurrentiel ; qu'elle doit dès lors, en cas d'examen par rapport aux énonciations de cet article, être déclarée nulle par application de l'article 9, ce qui la conduit encore à conclure que son action intentée à la société Tecnisom France pour cause de refus de vente se trouve bien fondée.
4° Qu'une prétendue validation de cette clause par la Commission des communautés européennes ne saurait être invoquée en l'espèce, dans la mesure où la présente affaire concerne exclusivement une distribution de produits sur le seul territoire français entre des sociétés de commerce françaises, sans aucune incidence dans les autres pays de la Communauté économique européenne ; qu'il s'agit donc d'un litige de pur droit interne, dont l'appréciation ne relève que de la règle de droit français
5° Qu'au surplus, la " décision " du 1er juillet 1988 dont se prévaut la société Tecnisom France n'est qu'une simple lettre de classement qui ne lie pas le juge national ;
Que d'ailleurs, la lettre du 13 octobre 1988 qu'a fait parvenir à son conseil la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes précise nettement que si cette affaire reste limitée à la France, elle ne saurait être appréhendée que par le seul droit national français ;
6° Qu'il ne peut être valablement prétendu que la Commission des communautés européennes se serait déjà prononcée sur la clause litigieuse pour la valider, imposant ainsi au juge français de respecter la primauté du droit communautaire, les décisions invoquées rendues dans les affaires Grundig et Villeroy et Bosch n'ayant procédé à aucun examen critique de cette clause au titre de ses effets anti-concurrentiels ;
Considérant que la société Serap Ameublement demande en conséquence à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la clause litigieuse n'était pas conforme aux critères de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et qu'elle rendait illicite, au nom de l'article 36.2 du même texte, le refus de vente qui lui était opposé par la société Tecnisom France ;
- subsidiairement, de dire cette clause nulle par application des articles 7 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et en conséquence bien fondée son action intentée pour cause de refus de vente ;
- de lui donner acte de son offre de signer le contrat de litologue agréé proposé par la société Tecnisom France, sous réserve qu'en soit écartée la clause illicite ;
- de dire qu'à défaut par la société Tecnisom d'accepter cette offre de contracter ou de reprendre avec elle les relations commerciales antérieures, la livraison des commandes devra être reprise, sous peine d'astreinte définitive de 500 F par article commandé et par jour de retard à partir du délai contractuel de livraison ;
- d'imposer à la société Tecnisom l'obligation de lui fournir toute documentation commerciale nécessaire ;
- de prescrire une mesure d'expertise destinée à évaluer le montant du préjudice par elle subi, en lui allouant une provision de 500.000 F ;
- de condamner la société Tecnisom France à lui verser une somme de 25000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Considérant que le ministre chargé de l'économie, représenté par le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d'Ile-de-France, a conclu devant la cour en donnant son avis :
1° Sur la valeur juridique de l'appréciation portée sur le contrat Tecnisom par la Commission des communautés européennes, en exposant que la lettre du 1er juillet 1988, expédiée sans que les mesures de publicité prévues aient été effectuées et n'ayant fait l'objet d'aucune publication constitue une simple lettre administrative " de classement " qui ne lie pas le juge national.
2° Sur la licéité au regard des principes du droit communautaire de la condition relative au libre accès aux magasins, en disant relever que la clause litigieuse, en excluant un type de distribution, avait un effet anticoncurrentiel et que, cet aspect d'une telle clause n'ayant pas été expressément examiné dans les décisions de la Commission des communautés européennes invoquées par la société Tecnisom France (affaire Grundig et affaire Villeroy et Boch), les décisions susdites ne pouvaient être tenues comme imposant au juge français de s'incliner devant l'opinion des autorités communautaires ;
Qu'il a fait observer, au demeurant, que lors de l'éventuel renouvellement de la décision Grundig, valable seulement jusqu'au 28 mars 1989, l'attention de la commission serait appelée sur le point précis des conséquences restrictives de concurrence en cette affaire, dès lors qu'avec le développement des systèmes de vente de type Serap, elles pouvaient avoir pour effet d'éliminer certaines formes de distribution ;
3° Sur l'éventuelle infraction de refus de vente dont se plaint la société Serap Ameublement, sur la licéité du système de la société Tecnisom France et sur le seuil de sensibilité de la concurrence, en disant se référer à ses conclusions déposées en première instance et jointes en annexes à celles-ci, aux termes desquelles, en substance :
- il a contredit que la société Serap ait présenté une demande anormale et fait preuve de mauvaise foi ;
- il a soutenu que la clause incriminée, seule invoquée par la société Tecnisom France pour légitimer son refus de vendre à la société Serap Ameublement, avait un objet anticoncurrentiel, dont la régularité n'était pas destinée à être appréciée, par référence à un critère tel que l'atteinte non sensible à la concurrence ;
- il a dit estimer que la clause tombait ainsi sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'elle n'était pas justifiée par celles de l'article 10-2, qu'elle était donc nulle par application des dispositions de l'article 9, et qu'elle ne pouvait légitimer un refus de vente ;
Considérant que le ministre chargé de l'économie a en conséquence maintenu devant la cour ses demandes telles que formulées devant les premiers juges et rappelées comme précédemment ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société Tecnisom France, dont il est constant qu'elle a refusé de satisfaire aux commandes de produits Lattoflex à elle adressées après le 6 avril 1987 par la société Serap Ameublement, précédemment livrée par elle pendant plus de trois ans, doit réparation du préjudice causé par ce refus de vente lorsqu'il est établi que se trouvent remplies les conditions prévues par l'article 36-2 ; qu'il convient en conséquence d'examiner successivement celles-ci ;
A. - Sur l'absence de caractère anormal des demandes de la société Serap Ameublement
Considérant qu'il ne peut être trouvé dès l'abord un caractère anormal dans les demandes d'achat faites par la société Serap Ameublement au seul motif qu'elles ont été effectuées par un acheteur de produits ne satisfaisant pas à la clause d'accès au local de vente nouvellement instaurée par la société Tecnisom France, alors que cette clause est la raison d'être du conflit opposant les parties, que c'est elle qui fait obstacle à la conclusion entre elles du contrat d'agréation qui la comporte, et que la demande de la société Serap Ameublement, en tant que formée en application des dispositions de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, requiert précisément, pour qu'il soit prononcé sur la justification de ce refus, l'appréciation de la clause susdite au regard de l'article 10 ;
Considérant d'autre part que la société Tecnisom France est mal fondée à prétendre attribuer un caractère anormal aux demandes d'achat de la société Serap Ameublement en alléguant que cette dernière, en sélectionnant sa clientèle, se livrerait à un refus de vente au consommateur tel que prohibé par l'article 30 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que cette sélection de clientèle, destinée à permettre à tous les acheteurs potentiels des collectivités démarchées par la société Serap Ameublement d'acheter à meilleur prix, n'est fondée sur aucun critère de caractère illégitime, et que, clairement portée à la connaissance du public par des documents publicitaires explicites, elle ne laisse aucunement croire à tout consommateur qu'il peut acheter les produits mis en vente dans ses magasins pour refuser ensuite l'accès de ceux-ci à certains d'entre eux ;
Que de surcroît il n'est pas sans intérêt de relever que ce prétendu refus de vente, attribué aujourd'hui à la société Serap Ameublement, n'a jamais été dénoncé par la société Tecnisom France pendant les trois années de relations commerciales poursuivies entre les deux sociétés de 1984 à 1987 ;
Considérant qu'ainsi la société Serap Ameublement, en faisant valoir, à bon droit que ses demandes de produits postérieures au 6 avril 1987 ne sont autres que celles effectuées habituellement, sans la moindre observation, ni critique, pendant plusieurs années auprès de la société Technisom France, établit que ces demandes ne présentent aucun caractère anormal ;
B. - Sur la bonne foi avec laquelle ont été ou non effectuées les demandes de la société Serap Ameublement
Considérant que la société Serap Ameublement établit encore que ses demandes, effectuées ainsi qu'elle avait pour habitude d'y procéder, sans intention malicieuse, et sans que puisse lui être reprochée une pratique répréhensible de sélection de clientèle, ont été faites de bonne foi ;
C. - Sur l'absence de justification du refus de vente de la société Tecnisom France par les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986
Considérant que par application des dispositions de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le refus de vente opposé par un fournisseur à un distributeur de produits peut se trouver justifié par les dispositions de l'article 10 ;
Considérant que dans la mesure où les faits énumérés à l'article 10 sont prévus par ce texte pour justifier des pratiques qui échappent, par ce moyen, aux dispositions des articles 7 et 8, il en résulte que pour bénéficier de ces possibilités de justification, le refus de vente entre professionnels édicté par l'article 36-2 doit faire partie des pratiques soumises aux articles 7 et 8 de l'ordonnance susdite ;
Considérant qu'en l'espèce, la pratique instaurée par les contrats d'agréation conclus entre la société Tecnisom France et ses " litologues agréés " consiste dans l'établissement d'un système de distribution non seulement qualitative, mais également quantitative, contrairement aux dires de la société Tecnisom France, dans la mesure où, en imposant que le local de vente soit ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation, ce système, invoqué exclusivement de ce chef à l'encontre de la société Serap Ameublement pour lui refuser la vente des lits Lattoflex, a manifestement cherché à écarter de la distribution de ces articles de literie une entreprise telle que cette société en ce qu'elle ne vendait qu'à une clientèle composée des personnels de collectivités diverses ; qu'il aboutit donc à exclure par nature une forme de commerce ainsi déterminée, sans que soit mise en cause l'aptitude de celle-ci à satisfaire aux critères qualitatifs de sélection imposés par le contrat d'agréation ;
Considérant que ce système de sélection quantitative constitue dès lors une pratique ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché des lits à lattes, pratique prohibée comme telle par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Qu'il est inopérant pour la société Tecnisom France de faire état d'une "inapplicabilité" de l'article 7 à ce système de distribution sélective en prétendant que sa part sur le marché (1 p. 100 de la literie traditionnelle, 7 p. 100 du marché de la literie à lattes) représenterait un pourcentage trop faible pour que soit atteint le seuil de sensibilité, étant observé qu'au soutien de cette allégation, cette société se borne à produire une attestation établie par elle-même, selon ses déductions personnelles, au seul vu d'un article de presse consacré à la literie paru dans l'Officiel de l'ameublement en avril-mai 1987 ;
Qu'il appartient ainsi à la société Tecnisom France de justifier que la pratique instaurée par la clause de libre accès du local de vente à toute clientèle satisfait alors aux conditions posées par l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant sur ce point qu'il apparaît tout d'abord, au vu des explications contenues dans ses écritures que la société Tecnisom France entend justifier essentiellement, au regard des dispositions de l'article 10-2, l'ensemble de son système de distribution sélective pris dans ses éléments d'ordre qualitatif (aménagement du local, cadre approprié, "atmosphère adaptée", conseils aux clients par des vendeurs spécialisés, etc.), en faisant abstraction du caractère quantitatif de ce système représenté par la clause litigieuse ;
Que la cour observe cependant que la motivation de son refus de vente n'a jamais été alléguée comme consistant dans une inaptitude de la société Serap Ameublement à satisfaire aux critères d'ordre qualitatif posés par le contrat d'agréation, et que la société Tecnisom France ne conteste d'aucune manière que ce soit la clause de libre accès-au local de vente qui fasse seule obstacle à l'admission de la société Serap Ameublement comme " litologue agréé "
Qu'il est donc vain pour la société Tecnisom France d'insister sur l'adéquation de ses critères qualitatifs de sélection aux exigences posées par l'article 10-2, laquelle n'est pas discutée ;
Considérant que s'agissant de la seule pratique dans laquelle trouve sa source le présent litige, la société Tecnisom France allègue seulement que le fait de refuser, sans motif valable, l'accès de son magasin à des catégories de consommateurs définies arbitrairement serait le contraire du progrès économique ;
Mais considérant qu'il ne s'agit pas en l'occurrence pour la société Tecnisom France de discuter du point de savoir si le choix de la société Serap Ameublement de vendre à une clientèle déterminée contribue ou non au progrès économique, mais de démontrer que l'obligation imposée par la société Tecnisom France, aux termes de son contrat d'agréation, d'ouvrir les surfaces de vente à toute clientèle a pour effet d'assurer un progrès économique ;
Or, considérant que la société Tecnisom France auteur de la pratique incriminée n'apporte aucune démonstration de ce chef ; qu'elle ne met en évidence aucun élément positif et concret conduisant à reconnaître que le refus d'autoriser la vente des lits Lattoflex à une clientèle sélectionnée telle que celle de la société Serap Ameublement profite à l'ensemble des consommateurs de ce produit et à l'économie générale, alors que précisément, elle prive une partie non négligeable des consommateurs d'acquérir, aux conditions de vente, certes avantageuses de la société Serap Ameublement, un article dont la promotion et le succès commercial sur le marché des lits à lattes ne peuvent au contraire qu'être encouragés et recherchés, par la société Tecnisom France ; que d'autre part, la pratique fondée sur la clause spécialement incriminée ne se révèle d'aucune manière comme répondant à la nature du produit ou réalisant une meilleure adaptation de l'offre à la demande ; que par ailleurs, il n'est nullement établi par la société Tecnisom France que cette pratique réserve aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle du produit en cause ; que la cour en déduit que le refus de vente opposé par la société Tecnisom France à la société Serap Ameublement sur le fondement de la clause imposant l'accès du local de vente à toute clientèle sans restriction ni limitation n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
D. - Sur l'obligation pour le juge national d'admettre la validité de cette clause en tant que reconnue par le droit communautaire
Considérant que la pratique anticoncurrentielle instaurée par la société Tecnisom France apparaît susceptible d'affecter le commerce entre États membres de la Communauté européenne, dans la mesure où il est constant que les produits de literie Lattoflex sont fabriqués en Belgique et sont commercialisés à l'intérieur du Marché commun ;
Considérant que courant avril 1988, la société Tecnisom France a déposé auprès de la Commission des communautés européennes (direction générale de la concurrence) une demande d'attestation négative en lui soumettant son contrat de distribution sélective, et en énumérant les principales caractéristiques et dispositions de celui-ci ;
Que notamment, la société Tecnisom France a insisté sur la clause selon laquelle " le local doit être accessible à tout public, sans restriction ni limitation ", en précisant que cette clause était essentielle à ses yeux, car elle-même entendait s'opposer à ce que des acheteurs potentiels se voient refuser l'accès aux magasins distribuant ses produits ;
Qu'elle a très clairement explicité sa position en faisant valoir que, de son avis, " la concurrence serait faussée si les grossistes ou les revendeurs discriminant leur clientèle, dont les charges sont proportionnellement plus légères à raison même de leur mode de distribution, faisaient aux détaillants agréés une concurrence au stade de la distribution de détail " ; qu'elle a encore ajouté que la clause du libre accès au local "avait été du reste expressément approuvée dans la décision Grunding précitée, de même que dans la décision Villeroy et Boch "
Considérant que par une lettre en date du 1er juillet 1988, le directeur de la direction générale de la concurrence auprès de la Commission des Communautés européennes a fait connaître à la société Tecnisom France " que cette affaire, si elle restait limitée à la France, pouvait bénéficier de la communication de la commission concernant les accords d'importance mineure " ; que cela dit, au cas où le contrat type serait appliqué à tous les pays de la CEE, il pourrait bénéficier d'une appréciation favorable dans le cadre du droit communautaire de la concurrence si la clause "local exclusivement centré sur le commerce de détail du meuble literie" était modifiée, " comme elle l'envisageait d'ailleurs, de manière à faire ressortir clairement que seulement une part de la surface de vente, isolée des autres produits sous l'angle de l'espace et du bruit, était réservée aux produits contractuels " ;
Considérant que, mis d'autre part en possession par le conseil de la société Serap Ameublement des conclusions échangées par les parties en la présente instance, ainsi que du nouveau texte de la clause " local commercial " après sa modification par la société Tecnisom France, le directeur de la direction générale de la concurrence a, par une deuxième lettre du 13 octobre 1988, répondu en ces termes :
"Je tiens à vous faire savoir que ces documents ne sont pas de nature à faire modifier l'appréciation que la commission avait donnée par sa lettre adressée le 1er septembre 1983 à la société Tecnisom France et dont vous avez eu connaissance, à savoir que si cette affaire reste limitée à la France, elle peut bénéficier de la communication de la commission concernant les affaires d'importance mineure ... Dès lors, cette affaire ne saurait être appréhendée que par le seul droit national français" ;
Considérant qu'à bon droit la société Serap Ameublement, qui rejoint sur ce point les observations présentées par le ministre chargé de l'économie, objecte à la société Tecnisom France que la réponse de la direction générale de la concurrence de la Commission des communautés européennes en date du 1er juillet 1988, ne constitue d'aucune manière une décision d'exemption de l'application de l'article 85 § 3 du traité CEE, ou une décision d'attestation négative, susceptibles comme telles de lier le juge national ; qu'en effet cette lettre, expressément confirmée, sous la même forme, par celle du 13 octobre 1988 adressée à la société Serap Ameublement, et assortie à cette occasion d'une précision supplémentaire, en ce que son signataire spécifiait que l'affaire ne saurait être appréhendée que par le seul droit national français, a été expédiée sans que des mesures de publicité aient été effectuées et n'a fait l'objet d'aucune publication ; qu'étant exclu que "intervention" de la société Serap Ameublement auprès de la Commission des communautés européennes soit de nature, à défaut d'accomplissement des formalités prévues par les articles 19 et 21 du règlement n° 17 du conseil, à conférer à cette lettre valeur de décision opposable à tout tiers et notamment aux juridictions nationales, il en résulte que la lettre susdite, complétée par celle du 13 octobre 1988, présente de par ses énonciations le caractère d'une lettre administrative de classement, qui ne fait aucunement obstacle à ce que la pratique fondée sur la clause litigieuse soit appréciée par le juge national au regard des dispositions du droit interne de la concurrence, et qui, bien mieux, en l'occurrence, dit même estimer que telle est la solution, qui s'impose ;
Considérant enfin que pour invoquer encore devant le juge français, au nom du principe de la primauté de la règle communautaire, des décisions de la Commission des Communautés européennes consacrant la validité de la clause litigieuse, la société Tecnisom France est mal fondée à se prévaloir du fait que cette commission a rendu une décision d'exemption des dispositions de l'article 85 § 3, du traité CEE, au profit de la société Grundig, et une décision d'attestation négative au profit de la société Villeroy et Bosch à l'occasion de l'examen des contrats de distribution sélective mis en place par ces sociétés ; qu'en effet, il n'a aucunement été statué de façon particulière et expresse sur la licéité, au regard de son effet sur le jeu de la concurrence, d'une clause identique à celle imposéepar les contrats d'agréation de la société Tecnisom France, au nom de laquelle est opposé un refus de vente indépendamment de toute conformité de la société Serap Ameublement aux critères d'ordre qualitatif exigés par ces contrats ;
Considérant en conséquence que, faute de rapporter la preuve de l'ensemble des faits par elle allégués pour justifier son refus de vente, la société Tecnisom France voit sa responsabilité engagée par ce refus, et doit réparation du préjudice qu'elle a causé, l'existence dudit préjudice étant, évidente dès lors que le refus de vente a privé la société Serap Ameublement d'offrir elle- même à la vente, à partir du 6 avril 1987, comme précédemment, les produits Lattoflex ; qu'une mesure d'expertise apparaît toutefois nécessaire pour parvenir à déterminer le montant du dommage subi ; qu'en cet état, il n'y a pas lieu d'ordonner le versement d'une provision par la société Tecnisom France ;
E. - Sur la nullité de la clause litigieuse
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est nulle toute clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la clause d'accès au local de vente de toute clientèle sans restriction ni limitation, opposée à la société Serap Ameublement et fondée sur une pratique anticoncurrentielle prohibée doit être déclarée nulle.
F. - Sur le surplus des demandes des parties
Considérant qu'il convient de constater :
- que la société Tecnisom France a modifié la clause litigieuse de son contrat d'agréation, en ce sens que celle-ci est désormais ainsi formulée :
" Local centré sur le commerce de détail de meubles literie et ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation ".
- que la société Serap Ameublement se dit prête à souscrire aux clauses et conditions du contrat d'agréation, à l'exception de celle imposant l'ouverture du local à toute clientèle.
Considérant qu'il y a lieu, la société Technison France se trouvant déboutée de ses prétentions, de faire droit à la demande de la société Serap Ameublement, d'enjoindre à la société Tecnisom France de lui livrer les commandes par elle faites, sous astreinte telle que prévue au dispositif du présent arrêt, et de lui adresser toute la documentation commerciale nécessaire ;
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais non répétibles par elles exposés ;
Par ces motifs, LA COUR, Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 2 novembre 1988 ; Statuant à nouveau : Dit recevable l'intervention du ministre chargé de l'Économie devant la cour ; Dit recevables et régulières les conclusions par lui signifiées le 30 septembre 1988, ainsi que celles signifiées par la société Serap Ameublement le 14 octobre 1988 ; Constate que la société Tecnisom France a modifié la clause du contrat d'agréation qu'elle oppose à la société Serap Ameublement, en ce sens que celle-ci est ainsi formulée : " Local centré sur le commerce de détail de meubles literie et ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation " ; Déclare nulle la clause de ce contrat stipulant que le local de vente doit être ouvert à la clientèle sans aucune restriction ni limitation ; Constate que la société Serap Ameublement se dit prête à souscrire aux clauses et conditions du contrat d'agréation de la société Tecnisom France, à l'exception de celle qui vient d'être déclarée nulle ; Dit que le refus de La société Tecnisom France de satisfaire, sur le fondement de cette clause, aux demandes d'achat des produits Lattoflex formées par la société Serap Ameublement engage la responsabilité de la société Tecnisom France et l'oblige à réparer le préjudice causé. Dit que la société Tecnisom France devra continuer de satisfaire aux demandes d'achat de la société Serap Ameublement sans pouvoir lui opposer la clause ci-dessus déclarée nulle, et ce sous astreinte de 500 F par article commandé et par jour de retard à partir du délai contractuel de livraison ; Dit que la société Tecnisom France devra remettre à la société Serap Ameublement, à compter de la signification du présent arrêt, toute documentation commerciale nécessaire à la vente des produits Lattoflex publiée pour l'année 1987 ainsi, que celles postérieures, et notamment tout nouveau catalogue, nouveau modèle, nouveau tarif, nouvelle notice technique, Avant dire droit sur le montant de la réparation du préjudice subi, Désigne en qualité d'expert M. Félix Thorin, expert-comptable, 51, boulevard Saint-Michel, 75005, Paris, avec mission de rechercher et dire quels sont les éléments caractérisant la consistance et l'étendue du dommage subi par la société Serap Ameublement du fait du refus de vente, et de proposer, au moyen d'un avis motivé, l'évaluation chiffrée de ce dommage ; Dit que l'expert devra donner son avis dans les six mois de sa mise en œuvre, et fixe à la somme, de 6.000 F le montant de la provision à valoir sur sa rémunération ; Dit que la société Serap Ameublement devra consigner cette provision au greffe de cette cour avant le 31 mars 1989 ; Dit n'y avoir lieu, en l'état, au versement d'une provision par la société Tecnisom France ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires des parties, incompatibles avec la motivation du présent arrêt ; Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC, Condamne la société Tecnisom France aux dépens de première instance et à ceux d'appel exposés au jour du présent arrêt, et admet Me Valdelièvre, avoué à la cour, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC, Réserve les dépens ultérieurs.