Livv
Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 12 septembre 2001, n° 2001-04156

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hot Le Grand Magasin (SA)

Défendeur :

UPC France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

Mme Charoy, M. Pellegrin

Avoués :

Me Baufume, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Touraille, Barbier

T. com. Meaux, prés., du 6 oct. 2000

6 octobre 2000

La société HOT Le Grand Magasin (la société HOT) est une société de droit belge qui édite une chaîne de télévision consacrée au "télé-achat".

Cette chaîne a vocation à être retransmise par la voie de réseaux satellitaires ou câbles. Diffusée essentiellement en Belgique et au Luxembourg, elle a pris contact en 1999 avec plusieurs exploitants de réseaux susceptibles de retransmettre sa chaîne sur le territoire français.

La société HOT s'est notamment adressée à cette fin à la société UPC qui exploite directement ou indirectement des réseaux câblés multiservices (télévision, téléphone, internet) en divers points du territoire français.

Par lettre recommandée du 20 avril 2000, la société HOT a mis en demeure la société UPC de lui délivrer ses conditions techniques et commerciales "pour une retransmission en analogique et/ou en numérique, ainsi que pour l'utilisation de services interactifs".

Cette demande ayant été rejetée le 15 mai 2000, la société HOT a fait assigner la société UPC devant le président du tribunal de commerce de Meaux pour voir condamner sous astreinte la société défenderesse à communiquer les informations sollicitées.

Par ordonnance du 6 octobre 2000, le président du tribunal de commerce de Meaux a dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande, renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond et condamné la société HOT à payer à la société UPC la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société HOT a interjeté appel de cette ordonnance le 17 janvier 2001.

Par ses dernières écritures du 21 mai 2001, elle demande à la cour :

- de réformer l'ordonnance,

- de dire que sa demande tendant à la communication des conditions générales d'UPC ne se heurte à aucune contestation sérieuse et est donc recevable en vertu de l'article 872 du nouveau code de procédure civile, UPC étant un prestataire de services au sens de l'article L. 441-6 du Code de commerce,

- subsidiairement de faire droit à la demande sur le fondement de l'article 873 du nouveau code de procédure civile car le refus de communication de ses conditions générales par UPC constitue un trouble manifestement illicite,

- de condamner sous astreinte de 10 000 F par jour de retard la société UPC à communiquer à HOT les conditions générales de prestation de services sur la base desquelles elle contracte avec les chaînes thématiques en vue de leur retransmission sur les réseaux câblés qu'elle exploite,

- de débouter UPC de ses demandes,

- de la condamner à payer à HOT une somme de 20 000 F au titre de l'art 700 du nouveau code de procédure civile et à tous les dépens;

La société HOT soutient pour contester la décision déférée qu'UPC est bien un prestataire de services au sens de l'article L. 44l-6 du Code de commerce ; que l'analyse de la nature des obligations souscrites par l'exploitant d'un réseau câblé vis-à-vis de l'éditeur d'une chaîne de télé-achat démontre qu'il est conclu entre ces parties un contrat de prestation de services, car l'exploitant du réseau câblé reçoit de l'éditeur de la chaîne de télé-achat un signal qu'il transporte jusqu'au téléspectateur par le biais du réseau câblé, en contrepartie de quoi la chaîne de télé-achat verse à l'exploitant du réseau une rémunération ; que dès lors l'obligation de communication des conditions prescrite par l'article L. 441-6 du Code de commerce s'appliquerait pleinement à la société UPC en tant que prestataire de services ; qu'en toute hypothèse, la demande de HOT serait fondée au regard de l'article 873 du nouveau code de procédure civile, le refus de communication de ses conditions générales par UPC générant un trouble manifestement illicite;

Par ses dernières conclusions du 23 mai 2001 la société UPC demande à la cour de confirmer l'ordonnance en déboutant la société HOT de ses prétentions et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

La société intimée fait valoir que le contrat de diffusion d'une chaîne sur un réseau câblé s'inscrit dans un cadre juridique particulier, au sein duquel l'exploitant de réseau câblé ne peut être considéré comme un prestataire de services au sens de l'article L. 441-6 alinéa 1 à l'égard d'un éditeur de chaîne; que dans le cadre de ce contrat, UPC agirait en tant qu'acheteur et non en tant que fournisseur à l'égard de HOT, UPC ne pouvant être considéré comme un prestataire de services qu'à l'égard de ses abonnés ; qu'au contraire, HOT apparaîtrait comme un fournisseur d'UPC, qui verse souvent une redevance à ses éditeurs de chaînes en contrepartie de la mise à disposition de leurs programmes; que le fait pour UPC de percevoir une commission prévue en fonction du chiffre d'affaires et versée par une chaîne de télé-achat ne serait pas un critère déterminant, étant donné qu'un câblo-opérateur ne facture pas le coût du transport du signal de la chaîne sur son réseau et ne perçoit aucune rémunération en contrepartie de la diffusion des programmes de la chaîne, ce qui différencie le marché de la télévision par câble de celui de la télévision par satellite ; que la situation d'UPC vis-à-vis d'une chaîne de télé-achat peut dès lors s'analyser comme celle d'un distributeur qui se fait rémunérer par l'un de ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques, à savoir l'accès à la clientèle de ses abonnés au moyen de services interactifs; que cette hypothèse particulière étant prévue à l'article L. 44l-6 alinéa 4 du Code de commerce, l'article L. 441-6 alinéa 1er ne peut être applicable en l'espèce ; qu'il ne résulte pas du simple fait qu'une rémunération est versée par une chaîne de télé-achat dans le cadre d'une relation contractuelle spécifique et complexe que l'exploitant d'un réseau câblé deviendrait un prestataire de services à l'égard de cette chaîne ; que les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 1er août 2000, qui définit l'exploitant d'un réseau câblé comme un distributeur de services, exclut l'application de l'article L. 441-6 du Code de commerce ; que cet article n'étant applicable en aucune hypothèse, il ne peut y avoir de trouble manifestement illicite quant au non-respect de ses dispositions ; mais qu'en toute hypothèse, il existe une contestation sérieuse excluant la compétence du juge des référés;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 44l-6 du Code du commerce, tout prestataire de services est tenu de communiquer au demandeur de prestations de services pour une activité professionnelle son barème de prix et ses conditions de vente, celles-ci comprenant les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et ristournes;

Considérant que l'exploitant d'un ensemble de chaînes de télévision accessibles par un réseau câblé permet aux téléspectateurs souscrivant un contrat d'abonnement d'accéder à des programmes dont le nombre est variable selon la formule d'abonnement choisie ; qu'il entretient ainsi, grâce aux capacités de diffusion dont il dispose et à la technologie qu'il met en œuvre, des relations d'affaires aussi bien avec le public des téléspectateurs qu'avec des éditeurs de programmes à vocation généraliste ou thématique ; que ces relations dans les rapports de l'éditeur et de l'exploitant, prennent la forme d'une convention prévoyant notamment, pour le premier la fourniture d'un programme télévisé, pour le second l'engagement de distribuer intégralement et simultanément ce programme à ses propres abonnés, conformément aux conditions techniques d'exploitation de son réseau; qu'en outre, au moins lorsque l'éditeur exerce une activité de "télé-achat", cet éditeur verse à l'exploitant une rémunération en contrepartie de son intervention, cette rémunération pouvant consister en une redevance fixée par référence au chiffre d'affaires réalisé sur le réseau de télédistribution;

Considérant que dans la mesure où l'exploitant prend ainsi en charge l'obligation de faire quelque chose pour le compte d'un cocontractant à titre onéreux, la convention constitue manifestement un contrat de prestation de services susceptible de relever des dispositions de l'article 441-6 du Code de commerce;

Considérant que la nécessité d'interpréter strictement un texte dont la violation est assortie de sanctions pénales n'autorise pas néanmoins à restreindre la portée de ses dispositions et à opérer des distinctions qu'il ne comporte pas;

Considérant qu'à cet égard, le fait que les parties soient engagées dans une relation complexe mettant également à la charge de l'éditeur de programmes l'accomplissement de certaines prestations ne saurait dispenser UPC de l'obligation de communication prévue par le texte et reste sans incidence sur la nature ou la qualification des interventions de cette société, sollicitée en raison de sa compétence et des moyens dont elle dispose comme prestataire de services pour capter et retransmettre des messages audiovisuels;

Considérant en outre que les interventions d'UPC ne sont pas consenties à titre gratuit et comportent une contrepartie financière, les commissions susceptibles d'être versées par la société de "télé-achat" ayant pour objet de rémunérer l'exploitant de réseau lui-même, pour l'activité en vue de laquelle il est sollicité, en l'occurrence la mise en liaison d'un éditeur de programmes avec le public;

Considérant qu'il importe peu que les exploitants de réseaux soient considérés par une loi du 1er août 2000 modifiant celle du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication comme des "distributeurs de services", cette terminologie n'excluant pas, compte tenu de l'objet du contrat, de l'activité économique qu'il régit, de l'opération de réception et de retransmission des signaux émis par l'éditeur qu'il impose à l'exploitant contre une rémunération, l'engagement des parties dans des conditions caractéristiques d'une convention de prestation de services;

Considérant qu'il importe peu également pour l'application de l'article L. 441-6 du Code du commerce que la personne de l'éditeur ou la nature de ses programmes puissent être des éléments déterminants des contrats susceptibles d'être conclus avec un exploitant de réseau câblé, que celui-ci soit en droit de revendiquer la liberté de choisir ses cocontractants ou que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ait le pouvoir de contrôler la liste des services dont la diffusion est envisagée sur le réseau ; qu'en effet, par la généralité de ses termes, le texte susvisé n'autorise aucune distinction, s'applique à tout prestataire de services sollicité par un demandeur agissant comme client potentiel pour les besoins de sa profession, mais n'implique pas nécessairement la conclusion ultérieure d'une convention entre les parties; qu'il instaure seulement, dans un souci de transparence à l'égard des professionnels intéressés, une obligation de communication des conditions générales et tarifaires sur le fondement desquelles un contrat pourra éventuellement être conclu si des circonstances légitimes ne s'y opposent pas ; qu'aucune disposition du texte n'imposant au prestataire la communication d'informations susceptibles d'être couvertes par le secret d'affaires et la confidentialité des services spécifiques consentis à d'autres clients déterminés, le refus d'UPC de satisfaire à la demande de l'intimée constitue de sa part une méconnaissance évidente de ses obligations et un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés peut mettre fin en application de l'article 873 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile; qu'il convient dès lors d'infirmer l'ordonnance attaquée et de délivrer l'injonction requise, dans les limites définies par l'article L. 441-6 du Code du commerce,

Considérant que la société UPC qui succombe en cause d'appel, doit être condamnée au paiement à la société HOT d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens;

Par ces motifs : Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, Dit qu'en vertu de l'article L. 441-6 du Code de commerce, la société UPC devra communiquer à la société HOT dans le mois de la signification du présent arrêt et sous astreinte passé ce délai de 1000 F par jour de retard, son barème de prix et ses conditions de vente, comprenant les conditions de règlement et les éventuels rabais et ristournes pour une éventuelle diffusion des programmes de la société HOT sur le réseau câblé d'UPC, Condamne la société UPC à payer à la société HOT la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société UPC aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.