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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 27 septembre 2001, n° 00-06508

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hot Le Grand Magasin (Sté)

Défendeur :

TPS (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Keime- Guttin, SCP Lissarague-Dupuis & Boccon-Gibod

Avocats :

Me Meunier, SCP Deprez Dian Guignot

T. com. Nanterre, du 30 juin 2000

30 juin 2000

Par courrier du 7 février 2000, la société de droit belge "Hot Le Grand Magasin" qui édite une chaîne thématique de téléachat, a fait connaître à la société Télévision par satellite (TPS), qui diffuse et commercialise des programmes et services audiovisuels en mode numérique et par satellite à destination des foyers européens francophones, son souhait de faire diffuser cette chaîne en France dès le 1er avril suivant, dans le cadre de la directive Télévision sans frontières du 3 octobre 1989.

Les pourparlers ébauchés n'ayant pas abouti, et la société TPS ayant fait connaitre que la reprise de cette chaîne dans son bouquet ne pourrait se faire qu'à la suite d'une négociation commerciale et si elle y trouvait elle-même intérêt, la société Hot Le Grand Magasin l'a mise en demeure, en sa qualité de prestataire de services de diffusion satellitaire et de services connexes de publicité, de lui communiquer sous huit jours, ses conditions générales tarifaires, en application de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Cette mise en demeure étant restée vaine, elle l'a assignée en référé le 25 avril 2000 aux fins de la voir condamner sous astreinte à procéder à cette communication.

Elle a fait valoir qu'elle était victime d'une discrimination lui interdisant d'être reçue en clair par les téléspectateurs équipés du décodeur TPS et de bénéficier des services offerts par la société TPS et des commandes des téléacheteurs, et qu'il y avait urgence à statuer en raison de l'expiration au 30 juin 2000 de l'offre de la société Bêta digital, qui fournit les capacités de transpondeur numérique sur le satellite Eutelstat.

En défense, la société TPS a soutenu qu'elle était libre de sa politique éditoriale et commerciale, que la diffusion d'une chaîne thématique par un opérateur satellitaire suppose nécessairement, outre la volonté préalable de l'opérateur d'inclure celle-ci dans le bouquet de chaînes qu'il offre à sa clientèle, que l'éditeur de la chaîne lui consente lui-mérne le droit de commercialiser ses programmes, que le droit éventuellement consenti par l'éditeur de diffuser ses programmes ne fait pas l'objet de "conditions générales" unilatéralement émises par l'opérateur mais de conditions définies entre les parties sur la base des tarifs de l'éditeur, ou en tout cas de ses demandes, que l'opérateur satellitaire n'est pas un prestataire de services visé par l'article L. 441-6 du Code de commerce, qu'il achète au contraire le droit de diffuser les contenus d'une chaîne pour les transmettre à sa clientèle, qu'on ne saurait exiger de l'opérateur qu'il établisse des "conditions générales" s'appliquant à une situation particulière dans laquelle c'est l'éditeur qui consent à l'opérateur le droit de commercialiser son programme, que ce n'est qu'une fois acquis le droit de diffuser les programmes de la chaîne, que l'opérateur satellitaire sera en situation de prestataire de services.

Par ordonnance du 30 juin 2000, le Président du tribunal de commerce de Nanterre a estimé qu'en raison des contestations sérieuses et multiples opposant les parties, il n'y avait pas lieu à référé, a renvoyé les parties à se pourvoir au fond à la première audience utile en raison de l'urgence alléguée, et a pris acte du refus de la société TPS de communiquer ses conditions commerciales, tarifaires et techniques au motif principal de ne pas introduire une nouvelle chaine de téléachat dans son bouquet.

Appelante, la société Hot Le Grand Magasin revendique à nouveau le bénéfice des dispositions de l'article L. 441-6 alinéa 1er du Code de commerce, qui prévoit que "tout ... prestataire de services ... est tenu de communiquer à tout acheteur de produits ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente" est applicable à l'activité de cette société.

Elle affirme que le contrat que passe un exploitant d'un réseau satellitaire, qui reçoit de l'éditeur d'une chaîne de téléachat, en contrepartie d'une rémunération versée par celui-ci, un signal qu'il rend accessible au consommateur grâce à la technologie fournie à ce dernier, s'analyse en effet en un contrat de prestation de services ou contrat de louage d'ouvrage, défini par l'article 1710 du Code civil comme un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre moyennant un prix convenu entre elles.

Elle affirme que l'article L. 441-6 est de portée générale et s'applique à tout prestataire de services sollicité par un demandeur agissant comme un acheteur potentiel pour les besoins de sa profession sans impliquer nécessairement la conclusion d'un contrat ultérieur; que peu importe à cet égard que demeure entièrement libre de son choix de distribuer ou non telle ou telle chaîne.

Que si ce texte n'impose pas expressémcnt aux opérateurs économiques d'élaborer "a priori" leurs conditions générales sous une forme particulière, il ne les dispense pas pour autant de communiquer celles-ci à ceux qui les demandent.

Elle soutient encore que la société TPS se prévaut en vain d'une prétendue spécificité de son activité, l'article L. 441-6, qui vise "tout prestataire de service" ne faisant aucune exception à cet égard; que quoiqu'en dise la société TPS, même si certaines prestations annexes peuvent être fournies au profit de tel ou tel éditeur de chaîne, la prestation fondamentale est toujours la reprise du signal émis par la chaîne thématique, que rien n'interdit donc à la société TPS d'élaborer des conditions générales relatives à la fourniture de cette prestation et des conditions particulières pour ces prestations supplémentaires, que d'ailleurs la société TPS a produit aux débats les conditions de son offre d'hébergement des sites boutiques qui souhaitent être présents dans sa galerie marchande, également accessible dans le cadre de son bouquet satellitaire.

Elle estime enfin qu'est sans portée l'argument de la société TPS tiré de l'absence de pratiques discriminatoires et de l'absence de violation de la directive européenne du 24 octobre 1995, dès lors que sa demande ne tend pas à faire reconnaître le caractère illicite du comportement de la société TPS au regard du principe de l'interdiction de ces pratiques ou des obligations résultant de cette directive.

Affirmant l'absence de toute contestation sérieuse, et invoquant en tout état de cause le trouble manifestement illicite causé par le refus de la société TPS de satisfaire à ses demandes, elle prie la Cour:

- d'infirmer l'ordonnance déférée,

- de condamner la société TPS à lui communiquer sous 48 heures à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte de 10.000 francs par jour de retard,

* son barème de prix et ses conditions de vente comprenant les conditions de règlement, et le cas échéant, les rabais et ristournes consentis aux autres chaînes de télévision consacrées au téléachat, pour une diffusion en position fixe sur son réseau satellitaire ainsi qu'en vue de la fourniture de services interactifs,

* les conditions générales sur la base desquelles elle accorde aux éditeurs de chaînes thématiques, consacrées ou non au téléachat, la possibilité de figurer dans la page éditoriale du mensuel de TPS "liste des chaînes", de débouter la société TPS de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 25.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.

Intimée, la société TPS qui déclare ne pas contester agir en qualité de prestataire de services, "lorsqu'elle transmet le signal des chaînes de télévision reprises sur son bouquet", affirme en revanche qu'au stade de la décision, qui lui appartient, de reprise d'une chaîne sur son bouquet, elle ne peut être qualifiée de telle; qu'elle agit à l'égard des éditeurs de chaînes, comme acheteur et distributeur des programmes de ces chaînes, en exécution d'un contrat de concession du droit de commercialiser leurs programmes, elle-même assortie d'un accord sur les modalités de mise à disposition, de traitement et de transport du signal émis par la chaîne, laquelle, si elle se définit comme une prestation de services, n'est que l'accessoire de l'accord principal de distribution.

Elle précise que les services interactifs qu'elle offre en outre aux téléspectateurs, et pour lesquels elle publie d'ailleurs ses conditions générales ne constituent pas des programmes audiovisuels et que leur intégration dans son bouquet se fait donc sur des bases différentes de celles des chaînes de télévision.

Elle maintient qu'en revanche l'achat de droits de diffusion d'une chaîne ne fait pas l'objet de conditions générales, que l'article L. 441-6 du Code de commerce vise à assurer la transparence des offres et à permettre à chaque client de comparer ces offres et de choisir en toute connaissance de cause; que la société Hot Le Grand Magasin n'est pas en position de choisir d'être reprise ou non dans son bouquet, qu'elle n'est pas demandeur de prestations de services dès lors qu'un refus à cet égard lui a été opposé, que ce n'est que si cette offre avait été acceptée qu'elle aurait pu réclamer la fourniture de prestations techniques (capacité satellitaire, promotion de la chaîne par l'intermédiaire du guide électronique de programmes et du magazine des abonnés).

Elle soutient qu'il existe à tout le moins une contestation sérieuse entraînant l'incompétence du juge des référés, que la preuve d'un trouble manifestement illicite n'est pas rapportée, que la société Hot Le Grand Magasin ne peut exiger la production des conditions de diffusion des chaînes hors bouquet, cette prestation n'étant pas offerte à sa clientèle,

Elle demande à la Cour:

- de confirmer l'ordonnance entreprise,

- de rejeter les demandes de la société Hot Le Grand Magasin comme se heurtant à des contestations sérieuses,

- de lui donner acte de ce qu'elle communiquera ses conditions générales de vente d'émission et de transport du signal des chaînes reprises sur son réseau satelittaire, si la société Hot Le Grand Magasin ne peut solliciter que les conditions générales de traitement et de transport du signal d'une chaîne, de lui donner acte de ce qu'elle a communiqué ses conditions générales de vente de publicité 2001 au sein du magazine des abonnés TPS,

- de condamner la société Hot Le grand magasin au paiement de la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.

Considérant que même s'il est exact que la société TPS n'est pas tenue de diffuser le programme de toute chaîne qui lui en fait la demande, et conserve toute liberté de reprendre ou non une chaîne dans son "bouquet", il est non moins constant qu'elle a vocation, en sa qualité d'exploitant de réseau satellitaire, à fournir aux éditeurs de programmes à caractère généraliste ou thématique, des prestations consistant à rendre ces programmes technologiquement accessibles à ses abonnés;

Que la fourniture de ces prestations intervient, en tout cas en matière de téléachat, en contrepartie d'une rémunération sous forme de versement d'un pourcentage du montant des ventes réalisées auprès des abonnés,

Qu'il est vain de soutenir, comme le fait la société TPS, qu'il y aurait lieu d'opérer une distinction entre la "convention de diffusion des programmes" et la "convention de traitement de transport du signal de la chaîne", dès lors que c'est au stade de la formation de l'accord de reprise que sont débattues et définies les conditions de commercialisation de la chaîne et le montant de la rémunération de l'opérateur satellitaire, et qu'il ne s'agit ensuite, ainsi qu'il résulte des propres écritures de l'appelante, que de "mettre en œuvre l'accord de diffusion et de commercialisation passé", et d'élaborer les modalités techniques de la prestation convenue.

Que par suite la société TPS est soumise aux dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commercequi prévoit que "tout ... prestataire de services... est tenu de communiquer à tout acheteur de produits ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente"; que ces dispositions, destinées à assurer la transparence tarifaire et à prévenir les pratiques discriminatoires n'imposent pas nécessairement la conclusion ultérieure d'un contrat; que l'absence d'élaboration d'un barème préétabli ne dispense pas la société TPS de communiquer à la société Hot Le Grand Magasin les éléments d'information souhaités;

Considérant que son refus de satisfaire à cette obligation constituant un trouble manifestement illicite, il convient d'y mettre fin dans les conditions qui seront précisées au dispositif, sous réserve de lui donner acte toutefois de ce qu'elle a d'ores et déjà communiqué à la société Hot Le Grand Magasin ses conditions générales de vente de publicité 2001 au sein du magazine des abonnés TPS et de ce qu'elle communiquera ses conditions générales de vente d'émission et de transport du signal des chaînes reprises sur son réseau satellitaire;

Considérant qu'il sera fait application du profit de la société Hot Le Grand Magasin des dispositions de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement : Infirme l'ordonnance entreprise, Donne à la société Télévision par satellite les actes par elle requis, Enjoint à la société Télévision par satellite de communiquer à la société Hot Le Grand Magasin, sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard et passé le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, son barème de prix et ses conditions de vente comprenant les conditions de règlement et le cas échéant les rabais et ristournes consentis aux autres chaînes de téléachat pour une diffusion en position fixe sur son réseau satellitaire, ainsi qu'en vue de la fourniture de services interactifs. Condamne la société Télévision par satellite à payer à la Société Hot Le Grand Magasin la somme de 10.000 francs (dix mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC, La condamne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés pour ces derniers par la SCP Keime et Guttin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.