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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 21 octobre 1999, n° 734-97

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verra, Urbaco (SA)

Défendeur :

Sidest (SA), France Aménagement (SA), Pebeco (SA), Robert (ès qual.), Guibout (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Fedou

Avoués :

SCP Lefèvre-Tardy, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, SCP Fievet-Rochette-Lafon

Avocats :

Mes Gasnier, Ben Soussan, Chérubin

T. com. Dreux, du 28 nov. 1996

28 novembre 1996

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Yvan Verra est titulaire de divers modèles de mobilier urbain ayant fait l'objet d'un dépôt à l'Institut National de la Propriété Industrielle en date du 1er décembre 1986 pour une durée de 25 ans avec publicité, et d'un dépôt auprès de l'Organisation Mondiale de Propriété Industrielle, via l'Arrangement de La Haye en date du 31 juillet 1991 pour une durée de 5 ans renouvelable, ce dernier dépôt désignant notamment la France.

Parmi les modèles protégés se trouvent deux modèles de bornes, l'un constitué d'une borne haute à pied évasé surmonté d'une sphère, intitulé " borne arlésienne ", l'autre consistant en une borne cylindrique à sommet plat montée sur un pied lui-même cylindrique plus étroit.

Au motif que ces deux bornes étaient proposées à la vente dans un catalogue dont le titre est " Viva Cité " sous les dénominations de " Borne type Arles " et " Borne Arko " par deux sociétés, en l'occurrence les sociétés Sidest et France Aménagement, Monsieur Verra a, suivant requête en date du 7 octobre 1994, sollicité du Président du Tribunal de Grande Instance de Chartres l'autorisation de faire constater les actes de contrefaçon et de procéder à la saisie réelle de tous documents permettant l'établissement de la contrefaçon. Par ordonnance du même jour, il a été fait droit à cette requête, et, par acte du 21 novembre 1994, il était procédé à un constat à fin de saisie contrefaçon dans les locaux de ces deux sociétés.

Ayant appris que les sociétés Sidest et France Aménagement faisaient fabriquer le modèle de bornes Arko par la société Pebeco ayant son siège à 53410 Port Brillet, Monsieur Verra a, suivant requête en date du 28 octobre 1994, sollicité du Président du Tribunal de Grande Instance de Laval, l'autorisation de faire constater les actes de contrefaçon et de procéder à la saisie réelle de tous les documents et moules permettant la réalisation desdites bornes. Par ordonnance du même jour, il a été fait droit à cette requête. Par acte du 3 novembre 1994, était dressé un procès-verbal de saisie-contrefaçon avec saisie réelle de divers documents et de moules dans les locaux de la société Pebeco.

C'est dans ces conditions que, par actes en date du 1er décembre 1994, Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco, laquelle commercialise les modèles en cause, ont assigné les sociétés Sidest SA, France Aménagement SA et Pebeco SA devant le Tribunal de Commerce de Dreux pour voir dire et juger que celles-ci se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale connexe, pour voir désigner un expert ayant pour mission de chiffrer le préjudice subi par les demandeurs, et pour voir condamner les défenderesses au paiement de dommages et intérêts évalués à titre provisionnel.

Suivant jugement en date du 22 novembre 1995, le Tribunal de Commerce de Laval a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Pebeco SA, et a nommé Maître Michel Robert, en qualité d'administrateur judiciaire, et Maître Jean-Patrick Guibout, en qualité de représentant des créanciers.

Par jugement du 28 novembre 1996, le Tribunal de Commerce de Dreux a :

- dit que la société Sidest SA et la société France Aménagement SA se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale tant à l'égard de Monsieur Verra que de la société Urbaco SA sur la borne dite " Arles ",

- en conséquence, condamné solidairement les sociétés Sidest SA et France Aménagement SA au paiement de la somme de 48.000 F pour l'ensemble du préjudice subi,

- dit n'y avoir lieu à expertise,

- dit que des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ne sont pas retenus contre les sociétés Sidest SA, France Aménagement SA et Pebeco SA sur la borne dite " Arko ",

- condamné solidairement Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco à payer à la société Sidest SA et à la société France Aménagement SA la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive,

- condamné solidairement Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco à payer à la société Pebeco la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive,

- dit qu'il n'y a lieu ni à publication, ni à affichage,

- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes autres prétentions plus amples ou contraires des parties,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné solidairement Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco à payer à la SA Pebeco la somme de 4.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco d'une part et les sociétés Sidest SA et France Aménagement d'autre part.

Monsieur Yvan Verra et la société Urbaco SA ont interjeté appel de ce jugement.

A titre préalable, ils concluent au rejet de la fin de non recevoir soulevée par la SA Pebeco, par Maître Robert, en sa qualité d'administrateur judiciaire, et par Maître Guibout, en sa qualité de représentant des créanciers de ladite société, en faisant valoir que l'absence de déclaration de créance et de relevé de forclusion ne leur interdit pas de solliciter de la Cour qu'elle statue sur la responsabilité de la société Pebeco en raison des actes de contrefaçon qui lui sont reprochés.

Sur le fond, en premier lieu relativement à la borne dite " Arles ", les appelants combattent l'affirmation des sociétés Sidest et France Aménagement, selon lesquelles cette borne serait fabriquée et distribuée par de nombreuses autres sociétés, alors que :

- les bornes dont les intimés font état ne présentent aucune des caractéristiques requises pour constituer des antériorités de toutes pièces.

- Il n'est pas établi que d'autres bornes du même type existaient antérieurement au dépôt de la borne " Arlésienne " par Monsieur Verra.

- Cette borne " Arlésienne " présente de surcroît une configuration distincte de celles existant antérieurement, laquelle reflète la personnalité et le choix de l'auteur.

Aussi, ils demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la validité du modèle Arlésienne et en ce qu'il a relevé que la reproduction non autorisée dudit modèle doit s'analyser en une contrefaçon imputable aux sociétés intimées.

Ils ajoutent qu'à bon droit, le tribunal a retenu qu'ils avaient été victimes d'une concurrence déloyale, caractérisée d'une part par l'atteinte portée à leurs droits du fait de la reproduction servile reprochée aux sociétés Sidest et France Aménagement, d'autre part par l'utilisation par celles-ci du vocable " Arles ", proche du modèle original appelé " Arlésienne ".

Faisant grief au jugement entrepris d'avoir écarté le recours à une mesure d'expertise et d'avoir fixé le montant du préjudice global à 48.000 F au titre de la perte due au chiffre d'affaires détourné, les appelants demandent à la Cour de réformer de ce chef la décision des premiers juges et de désigner un expert ayant pour mission de se faire communiquer la comptabilité de chacune des sociétés requises relativement aux bornes contrefaites, et de chiffrer le préjudice subi par Monsieur Verra et par la société Urbaco exploitant ledit modèle sous licence dûment communiquée aux débats.

En second lieu, relativement à la borne de type " Arko ", Monsieur Verra et la société Urbaco font valoir que la combinaison de tous les éléments du modèle déposé par Monsieur Verra confère à ce modèle une physionomie propre et nouvelle constituant une configuration distincte et reconnaissable au sens des dispositions de l'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Ils relèvent également que la forme cylindrique adoptée pour le modèle de borne déposé par Monsieur Verra et commercialisé par la société Urbaco répond bien à un souci esthétique et non fonctionnel, de telle sorte que ce modèle est valide au sens des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle, et qu'il doit être considéré comme nouveau, faute pour la société Pebeco de produire aux débats des antériorités de toutes pièces répondant aux critères jurisprudentiels.

Ils concluent que ce modèle doit être considéré comme valable, à titre principal, au regard de la loi sur les dessins et modèles, à titre subsidiaire, au titre de la protection du droit d'auteur, l'existence d'une œuvre intellectuelle résultant en l'occurrence du fait que l'auteur a cherché, par la combinaison des différents volumes de la borne, à donner une certaine harmonie à l'ensemble de l'œuvre.

Alléguant que la borne de type " Arko " correspond en tout point à un modèle de borne déposé par Monsieur Verra, de sorte que la contrefaçon est parfaitement caractérisée, les appelants demandent à la Cour d'infirmer de ce chef le jugement déféré, et de dire que les sociétés Sidest SA, France Aménagement SA et Pebeco SA se sont toutes trois rendues coupables :

- d'actes de contrefaçon en reproduisant, offrant à la vente et vendant des bornes de type " Arko ", c'est-à-dire un modèle propriété de Monsieur Verra.

- d'actes de concurrence déloyale connexe à l'égard de la société Urbaco qui commercialise ladite borne, du fait de la confusion que les sociétés intimées ont cherché à entretenir dans l'esprit des clients.

- de violation des droits moraux et patrimoniaux que Monsieur Verra détenait sur ses œuvres.

Par voie de conséquence, Monsieur Verra et la société Urbaco demandent à la Cour de :

- faire interdiction aux sociétés requises de poursuivre la reproduction, la proposition à la vente ou la vente des bornes dites " Arles " et " Arko ", et ce, sous astreinte de 15.000 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- désigner tel expert qu'il plaira à la Cour avec mission de se faire communiquer la comptabilité de chacune des sociétés requises, relatives aux bornes contrefaites, et de chiffrer le préjudice subi par Monsieur Verra du fait de la contrefaçon, et le préjudice subi par les appelants du fait des actes de concurrence déloyale, jusqu'à la date de la décision à intervenir,

- condamner conjointement et solidairement les sociétés requises à payer :

- à Monsieur Verra la somme de 20.000 F en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit moral sur ses œuvres,

- à Monsieur Verra, à titre provisionnel, la somme de 300.000 F à valoir sur son indemnisation définitive au titre de la contrefaçon,

- à la société Urbaco, à titre provisionnel, la somme de 500.000 F à valoir sur son indemnisation définitive du fait des actes de concurrence déloyale résultant de l'exploitation des bornes contrefaisantes,

- à chacun des requérants la somme de 100.000 F en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon,

- ordonner l'affichage du dispositif de la décision à intervenir sur les portes de chacune des sociétés requises, et ce, pendant une période ininterrompue de un mois, à compter de la date de signification de l'arrêt, sous astreinte de 10.000 F par jour de retard dans l'affichage de cette décision, ou de 10.000 F par infraction constatée, consistant en un enlèvement prématuré ou un défaut d'affichage,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux nationaux et deux revues professionnelles, au choix des requérants, le coût de chaque insertion, qui doit être mis à la charge conjointe et solidaire des sociétés requises, ne pouvant excéder 25.000 F hors taxes par insertion,

- condamner conjointement et solidairement les sociétés requises à payer à chacun des requérants la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les sociétés Sidest SA et France Aménagement SA répondent, en ce qui concerne la borne dite " Arko ", que les ressemblances relevées par les appelants ne sont pas constitutives de contrefaçon, dès lors que le modèle revendiqué par Monsieur Verra est un modèle de base vendu par toute entreprise de " mobilier urbain ", et qu'il ne révèle pas l'existence par son auteur d'un effort de création quelconque.

Elles considèrent que le modèle de borne de Monsieur Verra, constitué d'un simple cylindre, est insusceptible, en raison de son caractère fonctionnel, de bénéficier de la protection instaurée par le droit de la propriété intellectuelle.

En conséquence, elles sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté que le modèle " Arko " n'était pas une contrefaçon, et en ce qu'il a débouté Monsieur Verra et la société Urbaco de leurs demandes à ce titre.

Elles concluent à la confirmation dudit jugement également en ce qu'il a condamné la société Urbaco SA à réparer le préjudice subi par elles du fait de la saisie abusive des moules.

Toutefois, elles demandent à la Cour, par voie d'infirmation, de porter à 200.000 F le montant des dommages et intérêts auxquels elles peuvent prétendre en réparation du préjudice subi par elles du fait de cette saisie abusive.

Subsidiairement, au cas où la Cour s'estimerait insuffisamment informée sur l'importance de ce préjudice, elles sollicitent l'institution d'une mesure d'expertise et, dans cette hypothèse, la condamnation des appelantes à leur payer la somme de 100.000 F à titre provisionnel.

En ce qui concerne la borne " Arles ", les sociétés Sidest SA et France Aménagement SA font valoir que la borne " Arlésienne " dont Monsieur Verra et la société Urbaco se prévalent ne répond pas à l'exigence de nouveauté requise pour bénéficier de la protection des dessins et modèles.

Alléguant que cette borne n'est le reflet d'aucune création particulière de la part de son auteur, et qu'elle n'est donc également susceptible d'aucune protection au titre des droits d'auteur, elles concluent que c'est à tort que les premiers juges ont énoncé qu'il y avait acte de contrefaçon.

Relevant que le marché du mobilier urbain est bien trop personnalisé pour qu'il y ait risque de confusion, et ajoutant que les produits litigieux sont nettement identifiables par les professionnels qui les acquièrent, de sorte que la clientèle concernée est insusceptible d'être trompée facilement, elles soutiennent que c'est également à tort que le tribunal a considéré que la dénomination " Arles " constituait un acte de concurrence déloyale.

En conséquence, elles demandent à la Cour, par voie de réformation, de débouter Monsieur Verra et la société Urbaco de toutes leurs prétentions relatives aux bornes de type " Arles ".

Enfin, les sociétés Sidest SA et France Aménagement SA concluent à la condamnation solidaire de la société Urbaco et de Monsieur Verra à leur payer la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Pebeco, laquelle s'est vue confier la fabrication de bornes type " Arko " par la société France Aménagement SA, Maître Michel Robert, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Pebeco et Maître Jean-Patrick Guibout, en sa qualité de représentant des créanciers de ladite société, demandent à la Cour à titre préalable de déclarer irrecevables les prétentions de Monsieur Yvan Verra et de la SA Urbaco, dès lors que ceux-ci ne justifient d'aucune déclaration de créance au passif de la SA Pebeco et ne démontrent pas davantage avoir sollicité un relevé de forclusion.

A titre subsidiaire sur le fond, tout en indiquant être totalement étrangère au litige relatif au modèle dit " Arles ", la SA Pebeco fait observer qu'en ce qui concerne la contestation relative à la borne " Arko ", le modèle de borne cylindrique revendiqué par Monsieur Verra n'est ni nouveau, ni original, et ne saurait être confondu avec le modèle de borne référencé " Arko " créé et diffusé par les sociétés Sidest et France Aménagement.

D'autre part, elle relève que le modèle de borne cylindrique sans aucune ornementation revendiqué par Monsieur Verra est le modèle de base de borne rétractable vendu par toute entreprise de mobilier urbain, de telle sorte qu'aucun effort de création ne peut être invoqué par l'appelant sur le modèle sur lequel il a cru pouvoir fonder son action.

Elle conclut que le modèle de borne revendiqué par Monsieur Verra ne peut bénéficier des protections accordées tant par la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, que par la loi du 11 mars 1957 sur le droit d'auteur.

D'autre part, elle explique que, le modèle de borne de Monsieur Verra étant constitué d'un simple cylindrique, celui-ci, en raison de son caractère fonctionnel, est insusceptible de protection au sens des dispositions légales sus-rappelées.

Au surplus, elle précise que le modèle Arko pour lequel un effort certain de création a été réalisé par les sociétés Sidest et France Aménagement ne peut être comparé au modèle basique cylindrique commercialisé par la SA Urbaco et présent dans tous les catalogues de vente de ses concurrents.

En conséquence, la SA Pebeco et ses représentants légaux concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Verra et la SA Urbaco de l'intégralité de leurs prétentions au titre de la contrefaçon.

A titre subsidiaire, s'il était jugé que le modèle de borne " Arko " a constitué une copie du modèle revendiqué par la société Urbaco, la société Pebeco demande à la Cour de dire que sa responsabilité ne saurait être engagée, dès lors qu'en l'occurrence elle a agi comme un simple fabricant sous-traitant, ayant réalisé des moules de fabrication et fondu les bornes " Arko " à partir d'un modèle créé par la société France Aménagement, sur lequel celle-ci avait justifié de ses droits par dépôt à l'INPI.

Par ailleurs, la société Pebeco considère que c'est également à tort que Monsieur Verra et la société Urbaco prétendent qu'elle se serait rendue coupable à leur égard d'actes de concurrence déloyale.

A cet égard, tout en rappelant que l'action en concurrence déloyale doit reposer sur des faits distincts de ceux invoqués à l'appui de l'action en contrefaçon, la société Pebeco fait valoir que le modèle " Arko " est un modèle concurrent parfaitement différent de celui revendiqué par les appelants, et qu'il présente ses propres spécificités, insusceptibles d'introduire une quelconque confusion dans l'esprit de la clientèle.

En conséquence, la société Pebeco, Maître Robert, pris en sa qualité d'administrateur judiciaire, et Maître Guibout, pris en sa qualité de représentant des créanciers de ladite société, concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants également de leur demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

A titre encore plus subsidiaire, ils relèvent que Monsieur Verra et la société Urbaco qui ne justifient pas des divers préjudices qu'ils invoquent, doivent être déboutés de leurs entières réclamations.

Invoquant le caractère particulièrement abusif de la saisie des moules de fabrication de la borne " Arko ", dès lors que cette saisie l'a empêchée de poursuivre toute fabrication du modèle pendant une durée de quatre ans, la société Pebeco sollicite de la Cour qu'elle porte à 300.000 F le montant des dommages et intérêts devant lui être attribués en réparation de son préjudice.

A titre infiniment subsidiaire, excipant de l'article 18 des conditions générales de vente de Fonderies Européennes, l'intimée conclut à la condamnation des sociétés Sidest et France Aménagement à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Enfin, la SA Pebeco, Maître Robert, en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Pebeco, et Maître Guibout, en sa qualité de représentant des créanciers, sollicitent la condamnation de Monsieur Verra et de la société Urbaco à leur payer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes de Monsieur Verra et de la SA Urbaco à l'encontre de la SA Pebeco

Considérant qu'aux termes de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement, et tendant :

- à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent,

- à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Considérant qu'au soutien de leur prétention, la SA Pebeco, Maître Robert, en sa qualité d'administrateur judiciaire et Maître Guibout, en sa qualité de représentant des créanciers de cette société font valoir que la SA Urbaco et Monsieur Verra ne justifient d'aucune déclaration de créance au passif de la SA Pebeco dans le délai de deux mois de l'article 66 de la loi du 25 janvier 1985, et ne démontrent pas davantage avoir sollicité un relevé de forclusion conformément à la procédure prévue par l'article 53 de ladite loi.

Mais considérant qu'en l'occurrence, il apparaît que l'action diligentée par les appelants tend pour l'essentiel à voir déclarer la SA Pebeco ainsi que les autres sociétés intimées, responsables d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, et à leur faire interdiction sous astreinte de poursuivre la reproduction, la proposition à la vente ou la vente des bornes dites " Arles " ou " Arko ".

Considérant que, dès lors qu'elle a avant tout pour objet et pour finalité de faire sanctionner par la juridiction saisie des agissements considérés comme contraires à la protection qui s'attache à la propriété industrielle et intellectuelle, la présente action ne rentre pas dans les prescriptions visées à l'article 47 susvisé.

Considérant que les demandes présentées par Monsieur Verra et par la société Urbaco à l'encontre de la SA Pebeco doivent donc être déclarées recevables.

- Sur les demandes présentées du chef de la contrefaçon

Considérant qu'en application de l'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, la protection légale dont bénéficient les dessins et modèles s'attache à tout dessin nouveau, toute forme plastique nouvelle, tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle.

Considérant qu'il s'ensuit que, pour qu'un modèle soit nouveau au regard de la loi, il ne suffit pas que sa forme n'ait pas été préalablement divulguée : qu'il doit également présenter un caractère original, décoratif ou ornemental, témoignant de l'effort personnel ou de l'interprétation individuelle de son auteur.

Considérant que c'est en fonction de ces critères qu'il convient de déterminer si les modèles revendiqués par Monsieur Verra et par la société Urbaco sont protégeables au sens tant de la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, que de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.

- En ce qui concerne la borne cylindrique et le modèle Arko

Considérant que, pour conclure à la spécificité du modèle déposé par lui, Monsieur Verra explique que ce modèle représente une borne constituée d'un " corps " cylindrique de diamètre et de hauteur définis, posé sur une " jambe " de géométrie cylindrique, mais plus étroite et moins haute que le " corps ", le tout posé sur un " pied " de géométrie cylindrique au diamètre plus large, mais à la hauteur nettement inférieure à ceux des deux autres éléments de l'objet.

Considérant que, selon les appelants, le modèle revendiqué par eux correspond à celui d'une borne amovible et non d'une borne rétractable, de telle sorte que l'adoption de la forme cylindrique répond à un souci d'ordre esthétique et non fonctionnel.

Mais considérant qu'il résulte des documents photographiques produits aux débats que le modèle dont s'agit est en réalité constitué d'une forme basique et générique, ne se différenciant pas de la gamme de produits vendus depuis de nombreuses années par des entreprises concurrentes.

Considérant que les premiers juges ont donc à bon droit relevé qu'à défaut de témoigner d'un effort particulier de création, cette forme cylindrique ne peut bénéficier de la protection instaurée par la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles.

Considérant, au surplus, que Monsieur Verra et la société Urbaco soutiennent que l'auteur du modèle a, par la combinaison des différents volumes, cherché à donner une harmonie à l'ensemble de l'œuvre.

Considérant toutefois que, dès lors qu'au vu des éléments de la cause, il s'avère impossible de déterminer avec précision en quoi l'œuvre ainsi revendiquée comporte l'empreinte de la personnalité de son auteur, c'est également en vain que les appelants invoquent la protection du droit d'auteur telle qu'elle est définie à l'article L. 111-1 alinéa 1er du Code de la Propriété Intellectuelle.

Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a énoncé que le modèle de borne cylindrique dont se prévalent les appelants ne peut bénéficier d'une protection et en ce qu'il a débouté ceux-ci de leur demande à l'encontre des sociétés intimées au titre de la borne de type " Arko ".

- En ce qui concerne la borne " Arlésienne " et la borne type " Arles "

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que, relativement à la borne dite " Arles ", aucun fait de contrefaçon ne peut être valablement reproché à la SA Pebeco, laquelle est totalement étrangère au litige concernant cette borne.

Considérant, en ce qui concerne le modèle " Arlésienne " déposé par Monsieur Verra et exploité par la société Urbaco, que, selon les appelants, la nouveauté de ce modèle bénéficie d'une présomption non combattue par l'existence démontrée d'antériorités de toutes pièces, et son originalité résulte de sa configuration spécifique, reflètent la personnalité de l'auteur grâce à une recherche esthétique.

Considérant toutefois qu'il est constant que l'originalité ou la nouveauté requises pour pouvoir prétendre à la protection du droit des dessins et modèles ou à celle du droit d'auteur ne se réduit pas à la simple constatation de l'absence d'antériorité; que cette protection suppose également l'existence démontrée d'un effort de création de la part de l'auteur du modèle revendiqué.

Or considérant, en l'espèce, que, d'une part, la preuve est rapportée par les documents produits aux débats que plusieurs autres sociétés concurrentes de la SA Urbaco commercialisent des bornes du même type que la borne " Arlésienne ".

Considérant que, d'autre part, l'examen attentif de la borne litigieuse ne permet pas de déduire qu'elle se différencie de ses similaires par une configuration distincte lui conférant une particulière originalité.

Considérant que, dès lors que les éléments de la cause ne caractérisent pas en quoi le modèle déposé porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, il s'ensuit que ce modèle est insusceptible de protection au sens tant de la loi sur les dessins et modèles que de celle relative à la propriété littéraire et artistique.

Considérant qu'il y a donc lieu d'accueillir l'appel incident formé par les sociétés Sidest SA et France Aménagement SA et de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que celles-ci se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon à l'égard de Monsieur Verra et de la SA Urbaco sur la borne " Arles ".

- Sur les demandes présentées à titre subsidiaire du chef de concurrence déloyale

Considérant que, pour pouvoir prospérer, l'action en concurrence déloyale doit reposer sur des faits distincts de ceux invoqués à l'appui de l'action en contrefaçon.

Considérant qu'au soutien de leur prétention sur ce fondement, Monsieur Verra et la société Urbaco relèvent que la diffusion des bornes " Arko " et " Arles " fait perdre aux modèles déposés par Monsieur Verra une partie de leur distinctivité de sorte que la société Urbaco se voit contrainte à un surcroît publicitaire et de prospection pour pallier les conséquences de cette concurrence déloyale.

Considérant toutefois que les sociétés intimées font justement observer que la clientèle susceptible d'être intéressée par l'achat de bornes urbaines est en fait limitée aux collectivités locales, lesquelles disposent de services d'achat spécialisés.

Considérant au demeurant que les légères différences affectant les bornes litigieuses par rapport à celles commercialisées par la SA Urbaco les rendent suffisamment identifiables par les professionnels intervenant sur ce marché.

Considérant que, pour la même raison, l'origine commune des dénominations " Arlésienne " et " Arles " n'est pas de nature à générer dans l'esprit de cette clientèle, un risque sérieux de confusion entre les produits concernés.

Considérant, en conséquence, qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a statué relativement à la borne " Arko ", mais de le réformer en ce qu'il a statué relativement à la borne " Arles ", et de débouter Monsieur Verra et la SA Urbaco de leur demande en dommages et intérêts présentées à titre subsidiaire pour concurrence déloyale liée à la diffusion par les sociétés intimées des bornes " Arko " et " Arles ".

- Sur le préjudice subi par les intimées

Considérant que ce préjudice est en l'occurrence justifié par le fait que la saisie par les appelants des moules de fabrication tant de la borne " Arko " que de la borne " Arles " a empêché illégitimement la poursuite de toute fabrication de ces bornes pendant toute la durée de la procédure.

Considérant, toutefois, que les sociétés intimées n'ont produit aux débats aucun élément permettant d'évaluer précisément les répercussions financières qui sont résultées pour elles de cet arrêt de fabrication.

Considérant que, dans ces conditions, les premiers juges ont correctement apprécié le manque à gagner et l'atteinte à leur réputation commerciale, endurés tant par la SA Pebeco que par les sociétés Sidest et France Aménagement du fait de cette saisie, en leur allouant respectivement une somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts.

Considérant qu'à défaut pour elles de démontrer qu'elles ont du fait de cette saisie abusive subi un préjudice plus conséquent, les sociétés intimées doivent, sans qu'il y ait lieu de recourir à la mesure d'expertise sollicitée à titre subsidiaire, être déboutées du surplus de leurs réclamations à ce titre.

Considérant que l'équité commande d'allouer à la SA Pebeco d'une part, aux sociétés Sidest SA et France Aménagement d'autre part, une indemnité de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en remboursement des frais irrépétibles exposés par les intimées tant en première instance qu'en appel.

Considérant qu'il n'est pas inéquitable que Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco conservent la charge des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en première instance et en appel.

Considérant que les appelants, qui succombent dans l'exercice de leur recours, doivent supporter les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Réforme partiellement le jugement déféré, déboute les parties de leurs autres et plus amples demandes, Rejette le moyen soulevé par la SA Pebeco, représentée par Maître Michel Robert, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Pebeco et par Maître Jean-Patrick Guibout, en sa qualité de représentant des créanciers de ladite société, tiré de l'irrecevabilité des demandes de Monsieur Yvan Verra et de la SA Urbaco, Déboute Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco, de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre des sociétés intimées du chef d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, relativement tant à la borne " Arko " qu'à la borne " Arles ", Condamne solidairement Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco à payer à la SA Sidest et à la SA France Aménagement la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive, Condamne solidairement Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco à payer à la SA Pebeco, représentée par Maître Michel Robert et par Maître Jean-Patrick Guibout, la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour saisie abusive, Condamne solidairement Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco à payer à la SA Sidest et à la SA France Aménagement la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne solidairement Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco à payer à la SA Pebeco, représentée par Maître Michel Robert et par Maître Jean-Patrick Guibout, la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette la réclamation de Monsieur Yvan Verra et de SA Urbaco sur ce fondement, Condamne Monsieur Yvan Verra et la SA Urbaco aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise d'une part la SCP Lissarrague-Dupuis & Associes, d'autre part la SCP Fievet-Rochette-Lafon, avoués, à recouvrer directement la part les concernant, conformément à ce qui prescrit par l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.