CA Poitiers, 2e ch. civ., 27 février 2001, n° 0003518
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nespresso France (SA)
Défendeur :
Cafés Albert (SA), Mc Cann Erickson Paris (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lerner
Conseillers :
Mme Baret, M. Pascot
Avoués :
SCP Musereau.-Mazaudon, SCP Gallet, SCP Landry-Tapon
Avocats :
Mes Destremau, Tuffreau, Gautheron-Vebret
Vu l'ordonnance rendue le 30 novembre 2000 par le magistrat des référés du Tribunal de Commerce de la Roche-sur-Yon qui a :
- Constaté que la Sté Les Cafés Albert a subi un trouble manifestement illicite du fait du message publicitaire diffusé dans la campagne publicitaire mise en œuvre par la Sté Nespresso France et mettant en scène un personnage dénommé "Albert" pour promouvoir du café et/ou des produits accessoires;
- Ordonné la cessation de toute référence à "Albert" dans le message litigieux sous astreinte de 100.000 F par infraction dûment constatée à compter du 1er décembre 2000;
- Condamné la Sté Nespresso France à payer à la Sté Les Cafés Albert une provision de 500.000 F sur le préjudice subi par celle-ci;
- Ordonné la publication du dispositif de cette ordonnance dans un journal ou revue de diffusion nationale et quatre publications de diffusion régionale au choix de la demanderesse et aux frais de la Sté Nespresso France, étant précisé que le coût total de ces publications ne saurait excéder un montant de 150.000 F;
- Constaté que la Sté Les Cafés Albert a reçu communication du plan media et débouté en conséquence ladite société de sa demande d'expertise;
- Donné acte à la Sté Mc Cann Erikson de son intervention volontaire, mais débouté ladite société de ses demandes;
- Condamné la Sté Nespresso France à payer à la Sté Les Cafés Albert 15.000 F au titre de l'article 700 du NCPC;
Vu les conclusions régulièrement déposées :
1- Pour la SA Nespresso France le 12 décembre 2000, demandant :
- Le rejet des prétentions émises à son encontre;
- Subsidiairement, une meilleure appréciation du préjudice et qu'il soit dit qu'il n'y a pas lieu à publication ;
- 15 000F au titre de l'article 700 du NCPC;
2- Pour la SA Mc Cann Erickson Paris, le 29janvier 2001, demandant qu'il soit dit qu'il n'y a pas lieu à référé sur les demandes de la société Les Cafés Albert en ce qu'elles tendent à la cessation de toute référence au prénom "Albert" dans le film publicitaire Nespresso, à l'octroi d'une provision et au prononcé d'une mesure de publication judiciaire;
3- Pour la SA Les Cafés Albert, le 26 janvier 2001, demandant :
- La confirmation de l'ordonnance attaquée;
- Qu'y soient ajoutée la solidarité de la Sté Mc Cann Erickson à supporter avec la Sté Nespresso France la charge des préjudices et leur condamnation solidaire à lui payer 60.000 F au titre de l'article 700 du NCPC,
Vu la déclaration d'appel de la Sté Nespresso France en date du 6 décembre 2000, l'autorisation d'assigner à jour fixe du 13 décembre 2000 pour le 29 janvier 2001 et les autres pièces de la procédure régulièrement produites.
La SA Les Cafés Albert commercialise depuis de nombreuses années du café sous ce nom commercial "Cafés Albert", ou plus simplement "Albert". Ainsi, pour l'exercice 1999-2000, son chiffre d'affaires sur la fourniture de café a approché les 15.000.000 F, avec plus particulièrement comme produit phare l'Expresso Albert, bien que l'image de marque de ce torréfacteur soit plutôt axée sur le traditionnel. Sa zone de distribution s'étend surtout en Vendée et sur les départements limitrophes, avec quelques débordements, notamment en Bretagne et Normandie; Ses principaux clients sont les cafés restaurants, les hôtels et les grandes et moyennes surfaces.
A partir du 11 novembre 2000 des spots publicitaires de 42 secondes; existant aussi sur internet, ont commencé à être diffusés de nombreuses fois sur les chaînes de télévision hertziennes et thématiques, débutant avec le discours suivant prononcé d'un ton naturel par un acteur:
"Chaque fois que l'on me propose un café, je suis obligé de mentir, de prétendre que je n'aime pas ça.
Je ne me vois pas dire : "Non merci, Albert, ton café éventé, je n'y tiens pas et en plus, mon pauvre vieux, tu vas mettre un quart d'heure avant de revenir avec deux expressos franchement moyens." Non, c'est plus prudent de dire que je n'aime pas ça. D'ailleurs, c'est le problème avec ce système, on n'a plus envie de boire un autre café. Même s'il est offert avec attention. L'attention, la gentillesse, ça ne remplace pas un expresso digne de ce nom."
Les clients de la SA Les Cafés Albert, notamment les grandes surfaces (Leclerc, Géant,...) ont été désagréablement surpris par cette publicité laissant entendre que le café Albert, plus particulièrement expresso, était dépassé et d'une médiocrité rebutante. Ils ont demandé à leur fournisseur d'intervenir pour faire cesser ce trouble à leurs propres ventes.
La SA Les Cafés Albert a exposé cette situation par fax le 21 novembre 2000.
La SA Nespresso France, et la SA Mc Cann Erickson Paris par l'intermédiaire de laquelle elle avait fait réaliser cette publicité, ont cherché à y porter remède, rappelant l'acteur du spot pour un nouvel enregistrement ne mentionnant pas le nom d'Albert, mais sans suspension de la campagne publicitaire en cours.
La nouvelle version du film, non critiquable, n'a commencé à être diffusée qu'à partir du 28 novembre 2000, l'ancienne continuant à être matraquée sur la plupart des chaînes jusqu'au 1er décembre 2000. Ce ne sont en définitive qu'une vingtaine de spots modifiés qui ont été diffusés contre plus de 500 dans les termes ci-dessus reproduits.
Aux termes de l'article 873 du NCPC le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, ainsi qu'accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
En l'espèce, sans qu'il soit besoin en référé de qualifier le fondement juridique de l'illicéité du trouble cause par la publicité litigieuse, ce qui rend sans objet de la discussion des longs développements des parties à cet égard, il suffit de constater avec le premier juge que celle-ci est manifeste, puisque ridiculisant les cafés Albert en les ciblant d'autant plus efficacement qu'elle les présente comme dépassés alors qu'ils jouent la carte de la tradition.
Il importe peu en cette matière, qu'il s'agisse notamment de dénigrement ou de concurrence déloyale, qu'il y ait eu ou non intention de nuire. En jetant le discrédit sur Les Cafés Albert la SA Nespresso France a généré un trouble manifestement illicite dont le principe de la réparation à la charge de son auteur n'est pas sérieusement contestable.
L'ordonnance attaquée apparaît donc justifiée en son principe, y compris en ce qui concerne les mesures de publication surtout régionales, mais un peu nationales, la publicité litigieuse ayant été nationale, ces mesures apparaissant avoir été les plus propres à restaurer l'image de la SA Les Cafés Albert et à réparer son préjudice.
Cependant cette publication ayant été réalisée dans les meilleurs délais, le préjudice résiduel de la SA Les Cafés Albert apparaît sérieusement contestable, alors de surcroît que les diminutions conjoncturelles avancées du chiffre d'affaires peuvent avoir une autre cause et se trouver ultérieurement compensées par le bruit finalement fait autour de cette affaire, bruit susceptible de bénéficier au plaignant.
S'il est vrai qu'il est de principe que la Cour, à l'instar du premier juge; se prononçant sur l'appel d'une décision prise en référé, doit se placer à la date à laquelle elle statue, ce principe ne saurait empêcher la confirmation de l'ordonnance attaquée, d'une part, sur les interdictions évidemment nécessaires et d'autant moins contestables que la SA Nespresso France et la SA Mc Cann Erickson Paris ont reconnu le trouble en affirmant aussitôt faire leur possible pour y mettre fin, sans toutefois parvenir à ce résultat, et, d'autre part, l'opportune publication de la décision, mais doit amener la Cour, en premier lieu, à rejeter la provision qui apparaît maintenant sérieusement contestable, et, en conséquence, à rejeter la demande émanant seulement de la SA Les Cafés Albert, de condamnation solidaire de la SA Mc Cann Erickson à supporter la charge des préjudices.
Il est équitable d'allouer à la SA Les Cafés Albert la somme supplémentaire de 6.000 F pour ses frais hors dépens.
Par ces motifs, et ceux non contraires de l'ordonnance attaquée, LA COUR, Confirme l'ordonnance en ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt; La réformant partiellement, et y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à provision ; Condamne la SA Nespresso France à payer à lia SA Les Cafés Albert la somme supplémentaire de 6.000 F (914,69 euros) au titre de l'article 700 du NCPC ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la SA Nespresso France aux dépens d'appel, à l'exception de ceux exposés par la SA Mc Cann Erickson Paris qui resteront à la charge de celle-ci, et autorise la SCP Jean & Henri Noël Gallet à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.