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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. soc., 4 mars 1999, n° 96-1494

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rabito

Défendeur :

MSAS Cargo International (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Labignette

Conseillers :

M.Blanc, Mme Vidal

Avocats :

Mes Lazreug, Lemaire.

Cons. prud'h. Grasse, du 15 déc. 1995

15 décembre 1995

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme Rabito a été engagée à compter du 17 mars 1980 en qualité de chef de bureau par la Société Heppner, transitaire commissionnaire ayant un établissement à Grasse. Le fonds de commerce de cette société à Grasse a été racheté par la Société MSAS Heppner en mars 1991 et les salariés ont alors signé avec cette société de nouveaux contrats de travail avec reprise de l'ancienneté acquise chez leur ancien employeur.

Mme Rabito a donné sa démission de son emploi à la Société MSAS Heppner par lettre en date du 24 janvier 1994. Son employeur lui a alors rappelé les clauses de non concurrence et de propriété de clientèle insérées dans son contrat de travail.

S'étant aperçue que Mme Rabito avait été, immédiatement après son départ, embauchée par une entreprise concurrente sur Grasse, la Société Office Maritime Monégasque (OMM), la Société MSAS Heppner a saisi le Conseil de Prud'hommes de Grasse d'une demande tendant à la condamnation de Mme Rabito à lui verser une somme de 72.990 F en application de la clause pénale contenue dans son contrat de travail et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le Conseil de Prud'hommes, suivant jugement en date du 15 décembre 1995, a condamné Mme Rabito à verser à son employeur les sommes suivantes :

* Indemnité pour non respect de la clause de non-concurrence: 36.495 F,

* Indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 3.000 F.

Le 17 janvier 1996, Mme Rabito a régulièrement relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 10 janvier précédent.

Mme Rabito conclut à l'infirmation du jugement entrepris et sollicite :

- au principal, qu'il soit dit et jugé que la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail avec la Société MSAS Heppner est nulle et non avenue et que l'employeur soit débouté de la totalité de ses demandes,

- subsidiairement, qu'il soit constaté que la Société MSAS Heppner n'a subi aucun préjudice et que la sanction pécuniaire prévue à la clause de non-concurrence soit réduite à une somme symbolique.

En tout état de cause, Mme Rabito réclame la condamnation de la Société MSAS Cargo International à lui verser la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société MSAS Heppner, relevant appel incident de la décision, conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a constaté la violation par Mme Rabito des clauses de non concurrence et de propriété de clientèle stipulées dans le contrat, mais réclame sa condamnation à lui payer la somme de 72.990 F en application de la clause pénale et en réparation du préjudice subi, ainsi que celle de 15.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité des clauses de non concurrence et de propriété de la clientèle insérées dans le contrat de travail de Mme Rabito;

Attendu que le contrat de travail conclu entre la Société MSAS Heppner et Mme Rabito en février 1991 comprend les clauses suivantes :

clause de non-concurrence :

" En cas de rupture du présent contrat par l'une quelconque des parties, hormis le cas de licenciement abusif le salarié s'oblige pour une durée de deux ans et dans le département des Alpes Maritimes et les départements limitrophes à ne pas ecploiter, directement ou indirectement, une entreprise directement concurrente ou similaire.

De convention expresse seront seules considérées comme susceptibles de concurrencer l'Entreprise à laquelle le salarié loue présentement ses services, les entreprises concevant, fabricant ou vendant les mêmes produits et services que l'entreprise.

Le salarié s'oblige en cas d'infraction à la présente clause de non-concurrence (et après une mise en demeure de cesser l'infraction non suivie d'effet) à verser à l'entreprise une indemnité qui ne sera pas inférieure à 3 mois de salaire, et ce, dans les 10 jours, sans préjudice des dommages et intérêts éventuels envers l'entreprise et de la possibilité pour cette dernière de faire ordonner, sous peine d'astreinte, la cessation de l'infraction.

Cette clause respectera le droit au travail du salarié et lui laissera la possibilité d'utiliser ses compétences dans le secteur professionnel de l'entreprise. Il appartiendra donc au salarié de signaler au nouvel employeur cette clause de même que la suivante. "

Clause de propriété de clientèle :

" La clientèle est réputée propriété de l'entreprise. En cas de cessation de relation entre l'entreprise et le salarié s'interdit expressément d 'entraîner, de déplacer, directement ou indirectement, cette clientèle, d'entrer au service de cette clientèle ou de l'assister extérieurement dans une fonction d'organisation qui serait concurrente à celle de l'entreprise. Ces interdictions sont formelles et leur effet reste entier pendant deux ans dans les départements des Alpes Maritimes et les départements limitrophes.

De la même façon, en cas d'infraction à la présente clause, le salarié s'oblige à verser à l'entreprise une indemnité qui ne sera pas inférieure à 3 mois de salaire et ce, dans les 10 jours, sans préjudice de tous dommages et intérêts éventuels envers l'entreprise et la possibilité pour cette dernière de faire ordonner, sous peine d'astreinte, la cessation de 1 'infraction. ";

Attendu que c'est vainement que Mme Rabito soutient que ces clauses seraient nulles comme constituant des modifications de son contrat de travail apportées par le nouvel employeur en violation des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du Travail;

Qu'en effet, si l'article L. 122-12 impose à l'acquéreur d'un fonds de commerce poursuivant l'activité de l'ancien employeur, de reprendre les salariés dont les contrats sont en cours, la poursuite des contrats de travail n'implique pas automatiquement le maintien de tous les éléments du contrat, le nouvel employeur pouvant proposer aux salariés un aménagement des clauses de leur ancien contrat ou un nouveau contrat qui se substituera à l'ancien;

Que le pouvoir de l'employeur ne subit que cette double restriction, d'une part que les modifications ne soient pas mises en place pour faire échec aux dispositions de l'article L. 122-12, d'autre part que, s'agissant de modifications dites substantielles apportées au contrat de travail, elles soient acceptées par le salarié, sous peine, à défaut, de rendre la rupture imputable à l'employeur;

Qu'en l'espèce, les modifications apportées par la Société MSAS Heppner du fait de l'ajout des clauses de non concurrence et de propriété de clientèle au contrat de travail de Mme Rabito ont fait l'objet d'un accord exprès de la salariée puisque celle-ci a signé le nouveau contrat de travail qui lui était proposé;

Qu'il n'est pas établi que le consentement de Mme Rabito aurait été vicié par erreur, dol ou violence au moment de la signature de ce nouveau contrat de travail;

Que Mme Rabito avait la possibilité de refuser ces clauses, l'employeur restant alors libre de rompre le contrat de travail pour motif économique sous réserve de justifier que les aménagements qu'il entendait apporter au contrat de travail étaient décidés dans l'intérêt de l'entreprise;

Que dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article L. 122-12 du Code du Travail sera rejeté comme non fondé;

Attendu que Mme Rabito se prévaut de la convention de cession du fonds de commerce conclue entre la Société Heppner, son ancien employeur, et la Société MSAS Cargo International pour soutenir que cette dernière y aurait pris l'engagement de ne pas modifier les termes des contrats de travail des salariés et, soutenant que cet engagement a été violé par la Société MSAS Cargo International, en conclut qu'elle "ne peut invoquer sa propre turpitude" pour invoquer le respect d'une clause qu'elle a obtenue par fraude;

Que cette convention n'est cependant pas produite aux débats, Mme Rabito se contentant de communiquer un courrier adressé par le Groupe Heppner à Mme Lajoubert reprenant les termes de l'article 4 de la Convention;

Que ce seul document sans valeur probante ne suffit pas à établir l'existence d'une stipulation pour autrui dont le bénéficiaire - Mme Rabito - pourrait éventuellement demander l'exécution au promettant;

Attendu que sera également écarté le moyen de nullité des clauses comme interdisant en fait aux salariés de la Société MSAS Heppner d'exercer leur activité professionnelle habituelle;

Qu'en effet, contrairement à ce qui est prétendu, la clause, concernant exclusivement les entreprises exerçant une activité concurrente de celle de l'employeur, limitée dans le temps (deux ans) et dans l'espace (Alpes Maritimes et départements limitrophes) ne privait pas les salariés de la possibilité de retrouver un nouvel emploi;

Sur la violation par Mme Rabito des clauses de non-concurrence et de propriété de clientèle :

Attendu que Mme Rabito sollicite de la Cour une interprétation restrictive de ces clauses dont elle considère le libellé ambiguë;

Qu'elle affirme qu'en cas de rédaction équivoque d'une clause, celle-ci doit être interprétée strictement en ce qu'elle apporte une dérogation au principe de la liberté du travail;

Qu'en réalité, il appartient au juge, s'agissant de la détermination de l'objet de l'obligation de non concurrence, de ne pas s'en tenir à la lettre de la clause laquelle doit être prise en considération dans le cadre général de la relation de travail, sans qu'il soit formellement distingué entre la clause de non-établissement et celle de non-réembauchage;

Qu'ainsi la clause portant interdiction d'exploitation directe ou indirecte d'une activité concurrentielle à celle de l'employeur emporte-t-elle interdiction pour le salarié d'accepter un emploi similaire dans une entreprise concurrente, même non créée par lui;

Que la volonté des parties dans la mise en place de la clause de non-concurrence - complétée par la clause de propriété de clientèle - a été d'interdire au salarié de détourner la clientèle de son employeur en exerçant, pour son compte ou celui d'un tiers une activité concurrentielle;

Attendu qu'il est avéré :

* que Mme Rabito a quitté ses fonctions au sein de la Société MSAS Heppner le 25 février 1994, à l'issue de son préavis de démission;

* que la Société MSAS Heppner lui a notifié son intention de voir respecter les clauses contractuelles de non concurrence et propriété de clientèle;

* que Mme Rabito a été embauchée en mars 1994 en qualité de responsable d'exploitation par la Société OMM (cf constat d'huissier en date du 8 juillet 1994);

* qu'elle a été en vain mise en demeure par la Société MSAS Heppner, par lettre du 26 juillet 1994, de cesser son activité concurrentielle;

Attendu qu'il a été constaté que plusieurs clients de la Société MSAS Cargo International étaient devenus les clients de la Société OMM à partir du mois de mars 1994, date à laquelle l'agence de Grasse de cette dernière société a commencé à fonctionner et a ouvert ses livres d'export, d'import et de transport national (cf constat d'huissier sus visé);

Que, toutefois, il n'est pas établi que le transfert de ces clients de la Société MSAS Heppner vers la Société 0M serait la conséquence directe d'un fait fautif de Mme Rabito, alors même qu'il est constant que l'agence de Grasse de la Société MSAS Heppner connaissait des difficultés économiques et que, s'étant trouvée, dès le mois de mars 1994, dépourvue de tout salarié, elle a cessé de fonctionner, ce qui a eu pour effet inévitable le départ de ses clients vers d'autres transitaires;

Attendu dès lors que l'infraction à la clause de propriété de clientèle reprochée à Mme Rabito n'est pas établie;

Que c'est par contre à juste titre que le Conseil de Prud'hommes de Grasse a considéré que Mme Rabito avait violé la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail au profit de la Société MSAS Heppner;

Sur l'application de la clause pénale contractuelle et le préjudice subi par la Société MSAS Heppner:

Attendu qu'en application de l'article 1152 alinéa 2 du Code Civil, le juge peut modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue en considération du caractère excessif ou dérisoire de la sanction prévue;

Que cette appréciation doit s'opérer de manière objective par comparaison entre le préjudice effectivement subi et le montant de l'indemnité prévue;

Attendu qu'en l'espèce, la clause de non-concurrence prévoyait, à titre de sanction de sa violation, la condamnation du salarié à payer à son employeur une somme équivalent à 3 mois de salaire, soit, pour ce qui concerne Mme Rabito, la somme de 36.495 F;

Qu'il est avéré que la Société MSAS Heppner a subi du fait du départ de ses salariés vers une agence concurrente, un préjudice financier et commercial important et que, contrairement à ce que soutient la salariée, ce préjudice n'est pas purement symbolique;

Que l'employeur n'apporte toutefois pas à la Cour d'éléments probants lui permettant d'apprécier la mesure du préjudice résultant directement du fait de la salariée, qui, certes, occupait des fonctions de responsabilité au sein de l'agence - chef de bureau - étant ajouté, en outre que, si la Société MSAS Heppner a effectivement subi une importante chute de son chiffre d'affaires en 1994 par rapport aux années précédentes, elle se trouvait déjà dans une situation économique difficile puisqu'elle avait décidé de procéder au licenciement économique de son chef d'agence, Mme Lajoubert, en février 1994;

Qu'eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour considère qu'il n'est pas démontré que la clause pénale contractuelle serait excessive ou dérisoire par rapport au préjudice subi et confirme la décision du Conseil de Prud'hommes de Grasse en ce qu'il a condamné Mme Rabito à verser la somme de 36.495 F à la Société MSAS Heppner pour violation de la clause de non-concurrence;

Mme Rabito à verser la somme de 36.495 F à la Société MSAS Heppner pour violation de la clause de non-concurrence;

Attendu que l'équité en la cause commande de condamner Mme Rabito, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à payer à la Société MSAS Heppner une somme de 4.000 F au titre des frais exposés tant en première instance que devant la Cour et non compris dans les dépens;

Vu l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale,

Confirme la décision du Conseil de Prud'hommes de Grasse, sauf à porter à la somme de 4.000 F le montant de l'indemnité duc au titre des frais irrépétibles engagés tant en première instance que devant la Cour. Condamne Mme Rabito aux dépens.