CA Aix-en-Provence, 9e ch. soc., 4 mars 1999, n° 96-1495
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MSAS Cargo International (Sté)
Défendeur :
Moline
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Labignette
Conseillers :
M. Blanc, Mme Vidal
Avocats :
Mes Lazreug, Lemaîre.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. Moliné a été engagé à compter du 2 janvier 1986 en qualité de commis en douane par la Société Heppner, transitaire commissionnaire ayant un établissement à Grasse. Le fonds de commercé de cette société à Grasse a été racheté par la Société MSAS Cargo International en mars 1991 et les salariés ont alors signé avec cette société de nouveaux contrats de travail avec reprise de l'ancienneté acquise chez leur ancien employeur.
M. Moliné a donné sa démission de son emploi à la Société MSAS Cargo International par lettre en date du 21 février 1994. Son employeur lui a alors rappelé les clauses de non concurrence et de propriété de clientèle insérées dans son contrat de travail.
S'étant aperçue que M. Moliné avait été, immédiatement après son départ, embauché par une entreprise concurrente sur Grasse, la Société Office Maritime Monégasque (OMM), la Société MSAS Cargo International a saisi le Conseil de Prud'hommes de Grasse d'une demande tendant à la condamnation de M. Moliné à lui verser une somme de 54.000 F en application de la clause pénale contenue dans son contrat de travail et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Conseil de Prud'hommes, suivant jugement en date du 15 décembre 1995, a condamné M. Moliné à verser à son employeur les sommes suivantes :
* indemnité pour non respect de la clause de non-concurrence: 27.000 F,
* indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 3.000 F.
Le 17 janvier 1996, M. Moliné a régulièrement relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 10 janvier précédent.
M. Moliné conclut à l'infirmation du jugement entrepris et sollicite:
- au principal, qu'il soit dit et jugé que la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail avec la Société MSAS Cargo International est nulle et non avenue et que l'employeur soit débouté de la totalité de ses demandes,
- subsidiairement, qu'il soit constaté que la Société MSAS Cargo International n'a subi aucun préjudice et que la sanction pécuniaire prévue à la clause de non-concurrence soit réduite à une somme symbolique.
En tout état de cause, M. Moliné réclame la condamnation de la Société MSAS Cargo International à lui verser la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société MSAS Cargo International, relevant appel incident de la décision, conclut à la sommation de la décision déférée en ce qu'elle a constaté la violation par M. Moliné des clauses de non concurrence et de propriété de clientèle stipulées dans le contrat, mais réclame sa condamnation à lui payer la somme de 54.000 F en application de la clause pénale et en réparation du préjudice subi, ainsi que celle de 15.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la validité des clauses de non concurrence et de propriété de la clientèle insérées dans le contrat de travail de M. Moliné :
Attendu que le contrat de travail conclu entre la Société MSAS Cargo International et M. Moliné en février 1991 comprend les clauses suivantes :
clause de non-concurrence :
" En cas de rupture du présent contrat par l'une quelconque des parties, honnis le cas de licenciement abusif le salarié s'oblige pour une durée de deux ans et dans le département des Alpes Maritimes et les départements limitrophes à ne pas exploiter, directement ou indirectement, une entreprise directement concurrente ou similaire.
De convention expresse seront seules considérées comme susceptibles de concurrencer l'Entreprise à laquelle le salarié loue présentement ses services, les entreprises concevant, fabricant ou vendant les mêmes produits et services que l'entreprise.
Le salarié s'oblige en cas d 'infraction à la présente clause de non-concurrence (et après une mise en demeure de cesser l'infraction non suivie d'effet) à verser à l'entreprise une indemnité qui ne sera pas inférieure à 3 mois de salaire, et ce, dans les 10 jours, sans préjudice des dommages et intérêts éventuels envers l'entreprise et de la possibilité pour cette dernière de faire ordonner, sous peine d'astreinte, la cessation de l'infraction.
Cette clause respectera le droit au travail du salarié et lui laissera la possibilité d 'utiliser ses compétences dans le secteur professionnel de l'entreprise.
Il appartiendra donc au salarié de signaler au nouvel employeur cette clause de même que la suivante. " ;
Clause de propriété de clientèle :
" La clientèle est réputée propriété de l'entreprise. En cas de cessation de relation entre l'entreprise et le salarié, le salarié s'interdit expressément d'entraîner, de déplacer, directement ou indirectement, cette clientèle, d'entrer au service de cette clientèle ou de l'assister extérieurement dans une fonction d 'organisation qui serait concurrente à celle de l'entreprise. Ces interdictions sont formelles et leur effet reste entier pendant deux ans dans les départements des Alpes Maritimes et les départements limitrophes.
De la même façon, en cas d'infraction à la présente clause, le salarié s 'oblige à verser à l'entreprise une indemnité qui ne sera pas inférieure à 3 mois de salaire et ce, dans les 10 jours, sans préjudice de tous dommages et intérêts éventuels envers l'entreprise et la possibilité pour cette dernière de faire ordonner, sous peine d'astreinte, la cessation de l'infraction. " ;
Attendu que c'est vainement que M. Moliné soutient que ces clauses seraient nulles comme constituant des modifications de son contrat de travail apportées par le nouvel employeur en violation des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du Travail;
Qu'en effet, si l'article L. 122-12 impose à l'acquéreur d'un fonds de commerce poursuivant l'activité de l'ancien employeur, de reprendre les salariés dont les contrats sont en cours, la poursuite des contrats de travail n'implique pas automatiquement le maintien de tous les éléments du contrat, le nouvel employeur pouvant proposer aux salariés un aménagement des clauses de leur ancien contrat ou un nouveau contrat qui se substituera à l'ancien;
Que le pouvoir de l'employeur ne subit que cette double restriction, d'une part que les modifications ne soient pas mises en place pour faire échec aux dispositions de l'article L. 122-12, d'autre part que, s'agissant de modifications dites substantielles apportées au contrat de travail, elles soient acceptées par le salarié, sous peine, à défaut, de rendre la rupture imputable à l'employeur;
Qu'en l'espèce, les modifications apportées par la Société MSAS Cargo International du fait de l'ajout des clauses de non concurrence et de propriété de clientèle au contrat de travail de M. Moliné ont fait l'objet d'un accord exprès du salarié puisque celui-ci a signé le nouveau contrat de travail qui lui était proposé;
Qu'il n'est pas établi que le consentement de M. Moliné aurait été vicié par erreur, dol ou violence au moment de la signature de ce nouveau contrat de travail;
Que M. Moliné avait la possibilité de refuser ces clauses, l'employeur restant alors libre de rompre le contrat de travail pour motif économique sous réserve de justifier que les aménagements qu'il entendait apporter au contrat de travail étaient justifiés par l'intérêt de l'entreprise;
Que dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article L. 122-12 du Code du Travail sera rejeté comme non fondé;
Attendu que M. Moliné se prévaut de la convention de cession du fonds de commerce conclue entre la Société Heppner, son ancien employeur, et la Société MSAS Cargo International pour soutenir que cette dernière y aurait pris l'engagement de ne pas modifier les termes des contrats de travail des salariés et, affirmant que cet engagement a été violé par la Société MSAS Cargo International, en conclut qu'elle "ne peut invoquer sa propre turpitude" pour invoquer le respect d'une clause qu'elle a obtenue par fraude;
Que cette convention n'est cependant pas produite aux débats, M. Moliné se contentant de produire un courrier adressé par le Groupe Heppner à Mme Lajoubert reprenant les termes de l'article 4 de la Convention;
Que ce seul document sans valeur probante ne suffit pas à établir l'existence d'une stipulation pour autrui dont le bénéficiaire - M. Moliné- pourrait éventuellement demander l'exécution au promettant;
Attendu que sera également écarté le moyen de nullité des clauses comme interdisant en fait aux salariés de la Société MSAS Cargo International d'exercer leur activité professionnelle habituelle;
Qu'en effet, contrairement à ce qui est prétendu, la clause, concernant exclusivement les entreprises exerçant une activité concurrente de celle de l'employeur, limitée dans le temps (deux ans) et dans l'espace (Alpes Maritimes et départements limitrophes) ne privait pas les salariés de la possibilité de retrouver un nouvel emploi;
Sur la violation par M. Moliné des clauses de non-concurrence et de propriété de clientèle :
Attendu que M. Moliné sollicite de la Cour une interprétation restrictive de ces clauses dont il considère le libellé ambiguë :
Qu'il affirme qu'en cas de rédaction équivoque d'une clause, celle-ci doit être interprétée strictement en ce qu'elle apporte une dérogation au principe de la liberté du travail;
Qu'en réalité, il appartient au juge, s'agissant de la détermination de l'objet de l'obligation de non concurrence, de ne pas s'en tenir à la lettre de la clause laquelle doit être prise en considération dans le cadre général de la relation de travail, sans qu'il soit formellement distingué entre la clause de non-établissement et celle de non-réembauchage;
Qu'ainsi la clause portant interdiction d'exploitation directe ou indirecte d'une activité concurrentielle à celle de l'employeur emporte-t-elle interdiction pour le salarié d'accepter un emploi similaire dans une entreprise concurrente, même non créée par lui;
Que la volonté des parties dans la mise en place de la clause de non-concurrence - complétée par la clause de propriété de clientèle - a été d'interdire au salarié de détourner la clientèle de son employeur en exerçant, pour son compte ou celui d'un tiers une activité concurrentielle;
Attendu qu'il est avéré :
* que M. Moliné a quitté ses fonctions au sein de la Société MSAS Cargo International le 23 mars 1994, à l'issue de son préavis de démission;
* que la Société MSAS Cargo International lui a notifié son intention de voir respecter les clauses contractuelles de non concurrence et propriété de clientèle;
* que M. Moliné a été embauché en mars 1994 en qualité de déclarant en douane par la Société OMM (cf constat d'huissier en date du 8 juillet 1994);
* qu'il a été en vain mis en demeure par la Société MSAS Cargo International, par lettre du 26 juillet 1994, de cesser son activité concurrentielle;
Attendu qu'il a été constaté que plusieurs clients de la Société MSAS Cargo International étaient devenus les clients de la Société OMM à partir du mois de mars 1994, date à laquelle l'agence de Grasse de cette dernière société a commencé à fonctionner et a ouvert ses livres d'export, d'import et de transport national (cf constat d'huissier sus visé);
Que, toutefois, il n'est pas établi que le transfert de ces clients de la Société MSAS Cargo International vers la Société 0M serait la conséquence directe d'un fait fautif de M. Moliné, alors même qu'il est constant que l'agence de Grasse de la Société MSAS Cargo International connaissait des difficultés économiques et que, s'étant trouvée, dès le mois de mars 1994, dépourvue de tout salarié, elle a cessé de fonctionner, ce qui a eu pour effet inévitable le départ de ses clients vers d'autres transitaires;
Attendu dès lors que l'infraction à la clause de propriété de clientèle reprochée à M. Moliné n'est pas établie;
Que c'est par contre ajuste titre que le Conseil de Prud'hommes de Grasse a considéré que M. MOL1NE avait violé la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail au profit de la Société MSAS Cargo International;
Sur l'application de la clause pénale contractuelle et le préjudice subi par la Société MSAS Cargo International :
Attendu qu'en application de l'article 1152 alinéa 2 du Code Civil, le juge peut modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue en considération du caractère excessif ou dérisoire de la sanction prévue;
Que cette appréciation doit s'opérer de manière objective par comparaison entre le préjudice effectivement subi et le montant de l'indemnité prévue;
Attendu qu'en l'espèce, la clause de non-concurrence prévoyait, à titre de sanction de sa violation, la condamnation du salarié à payer à son employeur une somme équivalent à 3 mois de salaire, soit, pour ce qui concerne M. Moliné, la somme de 27.000 F;
Qu'il est avéré que la Société MSAS Cargo International a subi, du fait du départ de ses salariés vers une agence concurrente, un préjudice financier et commercial important et que, contrairement, à ce que soutient le salarié, ce préjudice n'est pas purement symbolique;
Que l'employeur n'apporte pas à la Cour d'éléments probants lui permettant d'apprécier la mesure du préjudice résultant directement du fait du salarié, compte tenu de ses fonctions et de ses responsabilités au sein de l'agence (simple commis en douanes), étant précisé au surplus que, si la Société MSAS Cargo International a effectivement subi une importante chute de son chiffre d'affaires en 1994 par rapport aux années précédentes, il est constant qu'elle se trouvait déjà dans une situation économique difficile puisqu'elle avait décidé de procéder au licenciement économique de son chef d'agence, Mme Lajoubert, en février 1994 ;
Qu'eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour considère qu'il n'est pas démontré que la clause pénale contractuelle serait excessive ou dérisoire par rapport au préjudice subi et confirme la décision du Conseil de Prud'hommes de Grasse en ce qu'il a condamné M. Moliné à verser la somme de 27.000 F à la Société MSAS Cargo International pour violation de la clause de non-concurrence;
Attendu que l'équité en la cause commande de condamner M.Moliné, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à payer à la Société MSAS Cargo International une somme de 4.000 F au titre des frais exposés tant en première instance que devant la Cour et non compris dans les dépens;
Vu l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, Confirme la décision du Conseil de Prud'hommes de Grasse, sauf à porter à la somme de 4.000 F le montant de l'indemnité due au titre des frais irrépétibles engagés tant en première instance que devant la Cour. Condamne Monsieur Moliné aux dépens.