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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 6 février 2002, n° 2000-05604

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pernod Ricard (SA), Compagnie Financière (SA), CSR (SA)

Défendeur :

Coopérative Elle & Vire (Sté), Val de Vire (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Lagourgue, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Lecomte, Mendras.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 12 janv…

12 janvier 2000

La société Pernod Picard est titulaire de la marque semi-figurative "Champomy, La boisson de la fête", déposée le 13 juin 1989, enregistrée sous le n° 1.595.176, pour désigner, en classe 32, les eaux minérales et gazeuses, bières, limonades, sirops, jus de fruits et autres boissons non alcooliques.

Cette marque, déposée en couleur, est exploitée par la société CSR Pampryl pour un jus de pomme gazéifié destiné aux enfants.

La société coopérative agricole Elle & Vire a déposé, également en couleur, le 24 novembre 1994, une marque semi-figurative "Gibus le pétillant de la fête", enregistrée sous le n° 94.546.408, pour désigner, en classes 32 et 33, les boissons de fruit et jus de fruits, les boissons alcooliques.

Cette marque sur fond bleu a été exploitée, telle que déposée, de 1994 à 1997, pour la vente d'un jus de pomme gazéifié, par la société Elle et Vire puis dans une forme modifiée, à compter de 1997, par la société Val de Vire.

Dénonçant le caractère illicite de ces agissements et après un échange de courriers infructueux, les sociétés Pernod Picard, CSR Pampryl (devenue CSR SA) et la société Cidreries Sopagly Réunies (devenue Compagnie Financière CSR) ont, par actes des 19 décembre 1997, 9, 16 et 21janvier 1998, assigné les sociétés Elle & Vire et Val de Vire en contrefaçon de marque et concurrence déloyale, devant le tribunal de grande instance de Paris.

Le 16 février 1998, la société Val de Vire a déposé une nouvelle marque semi- figurative, enregistrée sous le n° 98.718.601, reprenant l'étiquette modifiée, sur fond jaune et substituant au slogan"Le pétillant de la fête", celui de "Et ça pétille".

Par jugement du 12 janvier 2000, le tribunal de grande instance a débouté les sociétés Pernod Ricard, Pampryl et Cidrerie Sopagly Réunies de leurs prétentions et demandes, et, faisant droit à la demande reconventionnelle des sociétés Elle & Vire et Val de Vire, qui reprochaient à la société Pampryl d'avoir imité leur opération promotionnelle en offrant sur les emballages de trois bouteilles des cartons d'invitation, a condamné cette dernière, pour concurrence déloyale, à payer aux sociétés défenderesses la somme de 50.000 francs de dommages-intérêts, leur allouant au surplus une somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Pernod Picard, CSR SA et Compagnie Financière CSR ont interjeté appel de cette décision, le 2 février 2000.

LA COUR,

Vu les conclusions du 28 mars 2001 aux termes desquelles les sociétés Pernod Picard, CSR SA et Compagnie Financière CSR poursuivent l'infirmation de la décision entreprise et, réitérant leurs griefs de première instance, demandent à la Cour:

* la société Pernod Ricard, de :

- constater que les sociétés Elle & Vire et Val de Vire, en déposant la marque n° 94.546.408 et en l'exploitant sous les formes successives, ont commis des actes de contrefaçon de marque au préjudice de la société Pernod Ricard, titulaire de la marque n° 1.595.176,

- prononcer la nullité de la marque contrefaisante, ainsi que les mesures d'interdiction, de confiscation et de destruction d'usage,

- condamner in solidum les sociétés Elle & Vire et Val de Vire à payer àla société Pernod Picard la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts,

* la société CSR SA de :

- constater que la société Val de Vire en désignant un jus de pomme gazéifié sous la dénomination de vente "pur jus de pomme" a diffusé une publicité comportant une allégation fausse et de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles du produit en cause, lui causant un préjudice dont elle demande réparation à concurrence d'une somme de 300.000 francs,

- constater que les sociétés Elle & Vire et Val de Vire ont commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son détriment,

- prononcer les mesures d'interdiction habituelles,

- condamner les sociétés Elle & Vire et Val de Vire à lui payer la somme de 2.000.000 francs en réparation du préjudice que lui a causé l'utilisation des deux présentations successives de la boisson "Gibus, Le pétillant de la fête",et, subsidiairement, ordonner une mesure d'expertise sur l'évaluation du préjudice en lui octroyant au surplus une somme provisionnelle de 500.000 francs à valoir sur la réparation du préjudice,

* les sociétés Pernod Picard, CSR SA et Compagnie Financière CSR:

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir,

- d'allouer à chacune d'elle la somme de 100.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 15 décembre 2000 aux termes desquelles la société Coopérative Elle & Vire et la société Val de Vire, réfutant point par point l'argumentation des appelantes, poursuivent la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les sociétés Pernod Picard et Pampryl de leur action en contrefaçon de marque et concurrence déloyale, mais en sollicite l'infirmation en ce qu'elle n'a fait que partiellement droit à leurs demandes reconventionnelles en concurrence déloyale, reprochant aux appelantes, non seulement d'avoir imité leur opération promotionnelle en reproduisant sur l'emballage de leur produit des cartons d' invitation, mais également d'avoir eu recours à une publicité mensongère en présentant ce produit comme réalisé à partir d'une "sélection des meilleurs jus de pomme", et demandent en conséquence la condamnation des susnommées, "conjointement et solidairement" à leur payer la somme de 1.000.000 francs à titre de dommages- intérêts, l'autorisation de publier aux frais de celles-ci la décision à intervenir, dans trois journaux ou revues de leur choix, et l'allocation d'une somme de 75.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

SUR QUOI,

Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que la marque de la société Pernod Picard, déposée en couleur, n'étant pas reproduite à l'identique dans la marque de la société Elle & Vire, dont la nullité est demandée, il convient de rechercher s'il existe entre elles un risque de confusion ; que ce risque doit s'apprécier globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble qu'elles produisent, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ; que les signes doivent, au surplus, être comparés tels qu'ils ont été déposés, indépendamment de l'utilisation qui en est faite

Considérant que la marque n° 1.595.176 de la société Pernod Ricard reproduit, sur fond bleu, trois petits personnages, au nez rouge, deux d'entre eux, affublés d'un gibus, côtoyant le troisième qui porte un chapeau de fête et l'un d'eux tenant à la main un feu d'artifice ; que ces personnages surmontent la dénomination Champomy, inscrite en gros caractères rouges, elle-même soulignée du slogan "La boisson de la fête " le tout étant entouré de serpentins et boules de couleurs variées évoquant manifestement la fête;

Considérant que si le graphisme, en gros plan, d'une tête de clown affublé d'un gibus, reproduit sur fond bleu, accolé à la dénomination Gibus, en gros caractères jaunes, et au slogan "Le pétillant de la fête ", constituent autant d'éléments de la marque seconde qui évoquent la marque Champomy, cette évocation ne suffit pas, en soi, a créer entre les deux signes complexes - la marque première fut-elle notoire - un risque de confusion caractérisé;

Que tant la grosseur du personnage que la dénomination Gibus qui, visuellement, phonétiquement et intellectuellement, ne présente aucune ressemblance avec la dénomination Champomy, permet au signe critiqué de se démarquer suffisamment de la marque opposée pour éviter, en soi, un tel risque;

Que la demande en nullité des marques de la société Elle et Vire a été, à bon droit, rejetée par le tribunal ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire :

Considérant que le succès rencontré par la société Pernod Picard par la mise sur le marché, sous la marque Champomy, d'un jus de pomme gazéifié conçu pour les fêtes et les goûter d'enfants, lequel a reçu la médaille d'or du concours général agricole de 1997, procède essentiellement de la présentation du produit et de son univers de communication, ainsi qu'il résulte des différents commentaires qu'il a suscité dans la presse, professionnelle ou non, laquelle a unanimement souligné la particulière réussite du produit et sa notoriété;

Considérant que le produit commercialisé par la société Pampryl est étroitement lié à l'habillage de sa bouteille de forme champenoise à coiffe métallique qui se caractérise par l'adoption d'une étiquette à fond bleu, comportant les éléments festifs reproduits dans la marque déposée, d'une collerette apposée sous la coiffe à l'égal des bouteilles de champagne, reprenant partie des éléments de l'étiquette et de même couleur qu'elle ; que ces éléments identifient d'autant plus aisément, aux yeux du public, le produit en cause, auxquels ils sont indissociablement liés, que ce produit a rencontré un succès immédiat et jouit d'une grande notoriété, ce que ne contestent pas les intimées ;

Considérant que si la société Pernod Picard ne peut s'approprier le produit qu'elle commercialise, à savoir un jus de pomme gazéifié destiné à figurer dans les goûters de fête des enfants, force est de constater que les éléments de l'habillage de la bouteille de la société Pampryl ont été choisis de façon parfaitement arbitraire ; que même s'ils évoquent la fête, il ne présentent aucune nécessité, comme en attestent au demeurant les autres produits de la concurrence qui s'en démarquent parfaitement;

Considérant, dans de telles conditions, que la reprise de l'ensemble de ces éléments caractéristiques, sur un fond de même couleur, qui identifie le produit Champomy aux yeux du public dans ce qu'il a d'attractif, traduit la volonté délibérée des intimées de s'inscrire dans le sillage du produit le plus notoirement connu sur le segment de marché concerné afin de détourner partie de cette notoriété; que cette volonté est d'autant plus patente qu'au moment même où la société Pampryl a modifié son étiquette en substituant au fond bleu dégradé un fond bleu uni, la société Elle et Vire a modifié de même manière la sienne, et substitué des étoiles aux éléments carrés qui figuraient sur les anciennes étiquettes, lui conférant ainsi une impression d'ensemble plus proche de celle de son concurrent;

Que cette reprise a pour effet manifeste de créer une dilution des éléments identifiants de la société Pampryl et de leur notoriété, acquise par cette société au prix d'investissements financiers et humains importants et conduisant nécessairement à créer dans l'esprit du public, à brève échéance, par leur banalisation, un risque de confusion entre les produits en cause;

Considérant en revanche que le grief de concurrence déloyale et parasitaire ne saurait s'étendre, à l'étiquette sur fond jaune qui a pour effet de modifier l'impression d'ensemble de façon prépondérante;

Que les intimées ne peuvent non plus valablement opposer leur opération promotionnelle consistant à reproduire sur l'emballage de trois bouteilles des cartons d'invitation dès lors que les emballages en cause reproduisent de façon fautive l'ensemble des éléments identifiant le produit Champomy et ne sont, en soi, nullement liés, indépendamment des éléments graphiques qui les caractérisent et que ne reprend pars la société Pampryl, aux produits des intimés;

Que les mentions "pur jus de pomme" ou "sélection des meilleurs jus de pommes", que les parties se reprochent respectivement d'avoir adoptées, ne sont pas davantage susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale ; que le caractère mensonger de la mention "pur jus de pomme", même si celui-ci est gazéifié, n'est pas démontré, la seconde mention, quant à elle, n'excédant pas le caractère laudatif d'un argument de vente sur la portée duquel le consommateur moyen ne peut se méprendre;

Que ces griefs doivent donc être rejetés;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que les faits de concurrence déloyale et parasitaire ci-dessus retenus ont nécessairement causé à la société Pampryl , aujourd'hui CSR SA, un préjudice résultant du trouble commercial que le comportement fautif des sociétés intimées lui ont fait subir; que ce préjudice sera entièrement réparé, sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, par l'allocation d'une somme de 300.000 francs de dommages-intérêts;

Qu'il convient d'interdire la reprise sur fond bleu des éléments susvisés et d'ordonner la publication de la décision à intervenir selon les modalités énoncées au dispositif;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux appelantes, une somme de 30.000 francs devant leur être allouée pour leurs frais irrépétibles ; que les sociétés intimées doivent être déboutées de la demande qu'elle ont formulée sur le même fondement;

Par ces motifs : LA COUR : Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande en annulation de la marque n° 94.546.408, appartenant à la société Pernod Picard ; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau ; Dit que les sociétés Elle et Vire et Val de Vire, en adoptant pour la mise sur le marché de leur produit Gibus, pour l'habillage de leur bouteille, les éléments sur fond bleu identifiant le produit Champomy, ont commis des actes de contrefaçon déloyale et parasitaire au détriment de la société CSR SA; En conséquence, les condamne in solidum à payer à la société CSR SA la somme de 45.734,71 euros (300.000 francs) à titre de dommages-intérêts; Interdit aux sociétés intimées, en tant que de besoin, la poursuite des actes susvisés, sous astreinte de 76,22 euros (500 francs) par infraction constatée, Ordonne la publication de la présente décision, dans trois journaux ou revues au choix de la société CSR SA et aux frais in solidum des sociétés intimées, sans que le coût de chaque insertion excède 4.573,47 euros (30.000 francs) HT, Condamne in solidum les sociétés Elle et Vire et Val de Vire à payer aux société appelantes la somme de 7.622,45 euros (50.000 francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge in solidum des sociétés Elle et Vire et Val de Vire et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.