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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 janvier 2002, n° 1999-24463

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Time and Diamonds (SA)

Défendeur :

Pierre Lannier (SARL), Bureau Système (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

SCP Goirand, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Maître Mare, Lakits Josse.

T. com. Bobigny, 5e ch., du 2 sept. 1999

2 septembre 1999

La cour est saisie d'un appel interjeté par la société anonyme Time and Diamonds (ci-après Time) d'un jugement du 2 septembre 1999 rendu par le tribunal de commerce de Bobigny dans un litige l'opposant à la SARL Pierre Lannier et à la SARL Bureau Système.

Se prévalant de droits d'auteur sur une montre diffusée sous la marque Guy Clarac (référencée 811) et prétendant que Time commercialiserait des montres qui en seraient la reproduction, la société Lannier, après avoir procédé à une saisie contrefaçon le 21 juillet 1998 dans les locaux de cette société, l'a fait citer devant le tribunal de commerce de Bobigny par acte du 20 août 1998, en contrefaçon, pour obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 20.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Puis, par écritures du 21 janvier 1999, Lannier a également demandé que son adversaire soit déclarée coupable de contrefaçon par copie de "la série 811 de Pierre Lannier" et de concurrence déloyale par commercialisation à un prix inférieur.

Bureau Système, qui est intervenue volontairement par écritures du 15 avril 1999, a demandé aux côtés de Pierre Lannier de dire que Time avait commis des actes de concurrence déloyale par copie du modèle de bracelet montre référencé 740 et de condamner par provision Time à lui payer la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts, dans l'attente d'une mesure d'expertise.

Time avait conclu au rejet de toutes ces demandes, exposant notamment que Pierre Lannier ne démontrait pas qu'elle était titulaire de droits d'auteur, ne justifiait pas d'une antériorité sur le modèle invoqué et que les montres commercialisées par elle n'étaient pas la contrefaçon de la montre de son adversaire. Elle avait réclamé la condamnation de Pierre Lannier au paiement de la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

" - dit que Pierre Lannier est propriétaire des droits d'auteur des modèles de montre commercialisés sous la marque Guy Clarac qui lui appartient,

- condamné à titre de provision avant expertise Time à payer à Lannier la somme de 50.000 F au titre des dommages et intérêts pour préjudice commercial issu de la contrefaçon,

- condamné à titre de provision avant expertise Time à payer à Bureau Système la somme de 3. 000 F au titre des dommages et intérêts pour préjudice commercial issu de la contrefaçon,

- fait interdiction à Time de reproduire et/ou commercialiser les modèles de montres querellés, ce, sous astreinte de 600 F par infraction relevée,

- ordonné l'exécution provisoire sans caution de garantie pour ces provisions,

- dit que les condamnations porteront sur tous les faits connus jusqu'au jour de la décision définitive après expertise,

- réservé les condamnations au titre de l'article 700 et des dépens,

- désigné M. Benyamin en qualité d'expert pour notamment établir l'état des montres vendues et stockées ".

Appelante de ce jugement, Time par ses dernières écritures du 1er juin 2001, exposant que la qualité d'auteur de son adversaire n'est pas établie et qu'il n'existe pas de contrefaçon dans la mesure où les ressemblances ne portent que sur des éléments se trouvant dans le domaine public et estimant qu'il n'existe pas de préjudice réel subi par ses adversaires, ni de concurrence déloyale, demande à la Cour de :

- "reformer le jugement et statuant à nouveau,

- rejeter toutes les demandes des sociétés Pierre Lannier et Bureau Système comme infondées,

- condamner Pierre Lannier à lui verser la somme de 35.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile."

Par écritures du 28 septembre 2001, les sociétés Lannier et Bureau Système concluent à la confirmation du jugement et demandent à la Cour d'évoquer et de statuer sur le préjudice subi par elles, en conséquence de :

- "condamner Time à payer à Bureau Système la somme de 421.569 F,

- la condamner à payer à Pierre Lannier la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 revues ou périodiques du choix de la société Pierre Lannier aux frais de la société Time dans la limite de 25.000 F HT par insertion,

-la condamner à payer les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 51.797,77 F, ainsi que les frais de saisie-contrefaçon d'un montant de 7. 309,66 F et la somme de 60.000 F au titre des frais non compris dans les dépens."

Sur ce, LA COUR,

Considérant que Pierre Lannier se prévaut de droits d'auteur sur une série de montres sur le thème du sport et du loisir, fabriquées par elle et commercialisées, notamment dans les magasins Auchan, sous les références 811 suivi de 2 ou 3 chiffres suivant le modèle, depuis 1993, et 740 depuis 1995 ;

Que selon elle, l'originalité de la montre référencée 811 se caractérise par les éléments suivants :

- boîtier couleur vieux bronze,

- cadran finition vieil argent comportant le dessin frappé en relief d'un motif lié au sport et/ou loisirs,

- le boîtier de la montre est plein et mesure environ 3 cm de diamètre,

- le remontoir du boîtier est enchâssé,

- le bracelet en cuir-brun avec des surpiqûres blanches ;

Qu'il convient de relever que bien que la société Lannier caractérise les éléments originaux de la montre référencée 740, elle ne forme toutefois en appel pas de demande en ce qui concerne cette montre sur la contrefaçon mais seulement sur la concurrence déloyale.

Sur la qualité d'auteur de Lannier :

Considérant que l'appelante soutient que le tribunal a, à tort, retenu une présomption d'auteur de la société Lannier, en se fondant uniquement sur la commercialisation d'un objet et non pas sur la divulgation d'une œuvre couverte par le droit d'auteur ;

Mais considérant que cette prétention ne saurait être retenue dès lors que :

- il est constant qu'en l'absence de toute revendication de la part de la/ou des personnes physiques ayant réalisé l'œuvre, les actes de possession de la personne morale qui l'exploite sous son nom font présumer que cette personne est titulaire sur l'œuvre quelle que soit sa qualification du droit de propriété incorporelle de l'auteur,

- en l'espèce, les montres en litige sont commercialisées par la société Lannier (au moins depuis 1995 selon les pièces mises aux débats) ;

Que c'est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont estimé que Lannier pouvait se prévaloir de la présomption d'auteur des montres ci-dessus référencées 811, (Lannier ne se prévalant pas de droit d'auteur sur le modèle référencé 740) ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la contrefaçon de la montre référencée 811 :

Considérant que pour s'opposer à l'action en contrefaçon, Time fait valoir que les montres qu'elle commercialise comportent des éléments décoratifs s'inspirant de la même idée que les montres Pierre Lannier, à savoir le sport mais que l'ensemble des éléments caractéristiques aux deux produits sont essentiellement des éléments, qui ne sont pas protégeables en eux mêmes car ils se trouvent sans le domaine public, ou dont l'existence est liée à la nature et la fonctionnalité du produit, à savoir une montre bracelet ;

Qu'elle soutient que :

- l'assemblage par Lannier d'éléments figurant dans le domaine public (bracelets, boîtiers...) ne présente pas un caractère d'originalité particulièrement fort " qui attire à lui seul le caractère distinctif protégeable ",

- " le dessin du motif sportif figurant sur le cadran présente un caractère d'originalité particulièrement fort qui attire à lui seul le caractère distinctif protégeable ",

- si une création originale résulte d'une combinaison d'éléments connus, elle n'est protégeable que dans son ensemble, sa globalité,

- par suite, un auteur ne saurait reprocher à ses concurrents l'usage isolé de certains éléments figurant dans le domaine public, dans la mesure où ces éléments isolés communs ne sont pas assembles de telle manière qu'ils induisent un risque de confusion par ressemblance ;

Qu'elle ajoute que :

- l'originalité des montres Lannier consiste dans le dessin figurant sur le fonds du cadran et non pas sur les autres éléments, dessin qui n'a pas été reproduit sur les montres litigieuses,

- les montres en cause présentent de nombreuses différences tant au niveau des bracelets que des boîtiers (cadran et aiguilles),

- le seul élément commun porte en définitive sur le thème du sport et du loisir comme élément décoratif, thème qui n'est pas en tant que tel protégeable ;

Considérant qu'au-delà des éléments nécessaires à la montre que sont le boîtier dans lequel sont représentées les heures et le bracelet montre, la forme particulière de ce boîtier présente un aspect esthétique qui confère une originalité à l'objet, qu'il en est de même du bracelet montre et de l'attache prévue pour fixer le bracelet ; qu'en l'espèce, même s'il existe des différences entre les montres en litige, la reprise de la combinaison des éléments suivants forme du boîtier identique, y compris dans ses dimensions et son aspect laiton, le cadran en couleur argent sur lequel est frappé un dessin relatif à un thème sportif ou de loisir, le remontoir enchâssé dans le boîtier et un bracelet de couleur marron avec des surpiqûres blanches, reprise qui au surplus donne aux deux montres en présence une configuration d'ensemble très proche constitue un acte de contrefaçon, des lors que, contrairement à ce qui est soutenu, une telle combinaison n'appartient pas au domaine public ; qu'il est sans importance que les dessins ne soient pas identiques dès lors que l'originalité de la montre ne tient pas à ce seul élément décoratif ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Time pour contrefaçon de la montre référencée 811 ;

Sur les actes de concurrence déloyale :

Considérant qu'à l'égard de la société Bureau Système qui commercialise les montres référencées 811 auprès d'Auchan, les ventes par la société Time de produits contrefaisants caractérisent des actes déloyaux; qu'il est en outre soutenu que la vente des produits copie des montres référencées 740 est également constitutive de concurrence déloyale, ce que conteste Time qui prétend que ces montres ne sont que la reprise d'éléments courants de montres du domaine public ;

Considérant que la montre 740 comporte les éléments suivants :

- graphisme particulier des chiffres 4 et 6,

- chiffres représentés par des petites barrettes dorées,

- aiguilles dorées et phosphorescentes,

- cadran nacré,

- boîtier doré,

- bracelet "genre croco"

Considérant que l'examen des montres saisies fait ressortir que Time a copié de manière quasi-servile cette montre, notamment en reprenant un boîtier identique, comportant un cadran nacré avec des chiffres dorés d'une typographie identique, les chiffres impairs étant représentés par des petites flèches dorées, un bracelet montre en imitation croco; que ces reprises ne sont pas nécessaires ; qu'en outre, ces montres ont été proposés à Auchan qui était un client de Bureau Système à des prix inférieurs à ceux pratiqués par cette société; que l'ensemble de ces actes révèle le comportement fautif de Time ; qu'il convient en conséquence de retenir également ces actes comme constitutifs de concurrence déloyale au détriment de Bureau Système ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que les parties s'étant expliquées sur le préjudice subi après avoir eu connaissance du rapport de l'expert et les intimées demandant à la Cour d'évoquer, il convient de faire droit à cette demande ;

Considérant que l'expert a relevé que Time avait acquis 7300 bracelets-montres contrefaçon de la référence 811 et en a vendu 7074 ; qu'elle a acquis 1000 exemplaires des montres, copies de la référence 740 et en a vendus 965 ; qu'il a également estimé que la marge de Bureau Système sur les ventes manquées s'élevait à la somme de 421.569 F ;

Considérant que Time critique ces conclusions, faisant observer, d'une part, que sa marge bénéficiaire a été moins importante, d'autre part, que son adversaire ne justifie pas de ce qu'il aurait eu une capacité suffisante pour vendre une même quantité de montres et qu'en conséquence le préjudice tel que retenu par l'expert doit être minoré ;

Considérant toutefois que, comme le fait observer exactement Bureau Système, pour apprécier le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale doit être pris en compte non pas le bénéfice réalisé par celui qui est à l'origine du préjudice, mais celui qui aurait dû être réalisé sur les ventes manquées ; que les chiffres vérifiés par l'expert ne sont pas sérieusement discutés par Time qui allègue sans le prouver que son adversaire n'aurait pas eu la capacité financière de fabriquer la quantité litigieuse ; que le préjudice subi par Bureau Système sera donc exactement réparé par l'allocation de la somme de 421.569 F ;

Considérant qu'au titre de la contrefaçon, Lannier réclame paiement de la somme de 300.000 F qui prend en compte son manque à gagner de 70.000 F sur les ventes manquées pour la référence 811 et le préjudice subi du fait de la dépréciation du modèle ;

Mais considérant que l'ensemble du préjudice subi par Lannier ne saurait avoir l'importance alléguée par elle ; que compte tenu des éléments relevés par l'expert et en prenant en compte l'atteinte portée à ses droits d'auteur sur la création ainsi avilie par la contrefaçon, la cour estime avoir des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 100.000 F le préjudice subi par Lannier ;

Considérant que les mesures de publication ne sont pas nécessaires ; qu'il convient en revanche de confirmer les mesures d'interdiction ordonnées par les premiers juges ;

Considérant que l'appelante qui succombe sera condamnée à payer les frais d'expertise soit la somme de 7.896,52 euros (soit 51.797,77 F) ;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées la somme de 40.000 F au titre des frais non compris dans les dépens dans laquelle sont inclus les frais de saisie contrefaçon réclamés ;

Par ces motifs : Confirme le jugement; Evoquant et y ajoutant, Condamne la société Time and Diamonds à payer à la société Bureau Système la somme de 64.267,78 euros (421.569 F) à titre de dommages et intérêts ; La condamne à payer à la société Pierre Lannier la somme de 15.244,90 euros (100.000 F) à titre de dommages et intérêts, La condamne à payer la somme de 7.896,52 euros au titre des frais d'expertise, ainsi que celle de 6.097,96 euros (40.000 F) au titre des frais non compris dans les dépens, Condamne la société Time and Diamonds aux entiers dépens; Autorise la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay à recouvrer les dépens d'appel selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure.