CA Paris, 4e ch. B, 19 octobre 2001, n° 2001-14569
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Wolke Inks & Printers (GMBH)
Défendeur :
Imaje (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Schoendoerffer, Regniez
Avoués :
SCP Monin, SCP Moreau
Avocats :
Mes Chapouillie, Banchereau.
La société Imaje, qui a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de systèmes de marquage et de codage, notamment à jet d'encre, ainsi que la commercialisation des pièces détachées et des consommables destinés à ces systèmes, est titulaire des marques suivantes :
- la marque semi-figurative Imaje déposée le 12 novembre 1984 et enregistrée sous le n° 1.289.702 pour désigner des produits des classes 7, 9 et 42 dont les imprimantes à jet d'encre et les têtes d'impression à jet d'encre. Cette marque a été renouvelée le 22 juin 1994,
- la marque semi-figurative Imaje déposée le 26 octobre 1992 et enregistrée sous le n° 92.438.884 pour désigner différents produits et services des classes 2, 7 et 37 dont les encres d'imprimerie, machines à imprimer, la réparation et la maintenance des machines à imprimer et des imprimantes à jet d'encre.
Depuis 1997, elle exploite deux sites internet aux adresses www.imaje.fr et www.imaje.com.
Ayant constaté l'existence d'un site " imaje-ink.com " ouvert par la société Wolke-Jet Bedarf, devenue depuis Wolke Inks & Printers et désignée ci-après sous le nom de Wolke, Imaje, par acte du 20 avril 2000, a fait assigner cette société en contrefaçon, usurpation de dénomination sociale, de nom commercial et de nom de domaine et en concurrence parasitaire, sollicitant outre le paiement de dommages-intérêts, des mesures d'interdiction et de publication ainsi que le transfert du nom du domaine :
Parallèlement elle a obtenu du juge des référés, par application de l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle, qu'il soit fait interdiction, à titre provisoire, à Wolke d'utiliser la dénomination " Imaje " pour l'identification de son site internet.
Par jugement rendu le 6 juillet 2001, le tribunal de grande instance de Paris a :
- écarté des débats les écritures et pièces communiquées le 4 avril 2001, postérieurement à l'ordonnance de clôture intervenue le 12 février 2001,
- dit qu'en créant un lien hypertexte incluant la dénomination Imaje pour permettre l'accès à un site internet, sans l'autorisation de la société Imaje, la société Wolke a porté atteinte aux droits de cette société sur ses marques n° 1.289.702 et 92.438.884 sur sa dénomination sociale et sur son nom de domaine,
en conséquence,
- interdit à la société Wolke de faire usage de la dénomination Imaje, sous quelque forme que ce soit pour désigner un site internet, sous astreinte de 5.000 Francs par infraction constatée à compter de la signification de sa décision,
- ordonné l'exécution provisoire de cette mesure,
- condamné la société Wolke à payer à la société Imaje la somme de 80.000 Francs à titre de dommages et intérêts,
- débouté la société Imaje du surplus de sa demande,
- autorisé la société Imaje à faire publier le dispositif dans deux publications de son choix aux frais de la société Wolke, sans que le coût de ces insertions, à la charge de cette dernière, puisse excéder la somme totale de 40.000 Francs,
- ordonné à la société Wolke de publier sur la page d'accueil de son site internet www.Wolke.de le dispositif de sa décision pendant une durée de deux mois à compter de la signification de celle-ci,
- condamné " la société Imaje à la société Wolke la somme de 18.000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens" (sic)
La société Wolke Inks & Printers a interjeté appel de cette décision le 20 juillet 2001.
A sa requête, elle a été autorisée à plaider à jour fixe devant la cour et a fait délivrer assignation à cette fin à la société Imaje.
La société Wolke Inks & Printers conclut, en premier lieu, à la déchéance pour défaut d'exploitation de la marque n° 1.289.702 en ce qu'elle désigne des imprimantes à jet d'encre, et ce, avec effet au 28 décembre 1996.
Par ailleurs, elle demande à la cour de dire que le nom de domaine est le seul signe distinctif sur internet et que les fabricants de pièces et accessoires sont fondés, dès lors, à indiquer au besoin sur un nom de domaine la destination des produits qu'ils commercialisent à condition qu'il n'y ait pas de confusion dans l'origine.
Elle fait valoir que :
- le sous-domaine qu'elle utilise " imaje-ink.com " associe la dénomination descriptive " Ink " au nom du fabricant,
- qu'elle ne fait donc qu'indiquer la destination des produits à savoir les consommables commercialisés par elle en Allemagne,
- que le site imaje-ink.com permettait de se connecter sur la page d'accueil du site " wolke- ink.de " et qu'il n'existait donc aucun risque de confusion sur l'origine des produits.
Elle estime n'avoir commis ni contrefaçon ni usurpation du nom commercial et de la dénomination sociale d'Imaje, relève que cette société n'invoque aucun fait distinct de concurrence déloyale et de parasitisme de ceux invoqués au titre de la contrefaçon de ses marques et ne justifie d'aucun préjudice. Elle conclut en conséquence au débouté de toutes les demandes de l'intimée et sollicite reconventionnellement le paiement d'une somme de 100.000 Francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une somme de 50.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Imaje, par conclusions signifiées le 13 septembre 2001, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il n'a pas retenu d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme distincts des actes de contrefaçon et en ce qu'il a évalué le préjudice subi par elle à la somme de 80.000 Francs.
Relevant que le site " imaje-ink.com " se situe sur le moteur de recherche Google en seconde position derrière son propre site " imaje.fr ", ce qui est susceptible d'entraîner une confusion entre les deux sites et permet à l'appelante de se situer dans son sillage, elle demande à la cour de dire que Wolke a commis des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon de marques et d'usurpation de dénomination, de nom commercial et de nom de domaine.
Elle conclut à ce que Wolke soit condamnée à lui payer une somme de 1.000.000 Francs à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, outre une somme de 50.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Ceci exposé, LA COUR,
Sur la déchéance pour défaut d'exploitation de la marque n° 1.289.702
Considérant que, bien que n'ayant pas été soumise à l'examen des premiers juges, cette demande est recevable pour la première fois en appel dès lors qu'elle tend à faire écarter la prétention adverse de contrefaçon de la dite marque ;
Considérant, au fond, que Wolke soutient qu'Imaje, qui revendique deux marques " Imaje " pour des " machines à imprimer " et " imprimantes à jet d'encre ", n'exploite pas sa marque n° 1.289.702, particulièrement pour des imprimantes à jet d'encre, alors qu'elle doit faire un usage sérieux pour chacun des produits et services revendiqués dans chacune des marques ;
Considérant, cependant, que les deux marques portent très exactement sur le même signe :
Qu'Imaje produit de nombreux documents publicitaires et pages de magazines datés de novembre 1996 à janvier 2001 portant la marque Imaje et présentant des imprimantes à jets d'encre ainsi que divers appareils à imprimer et leurs dispositifs de contrôle et de commande, des têtes d'impression pour divers usages, des encres et divers accessoires ;
Qu'Imaje rapportant donc la preuve de l'exploitation de sa marque n° 1.289.702, Wolke sera déboutée de sa demande tendant à la déchéance de celle-ci ;
Sur la contrefaçon
Considérant que Wolke, se prévalant des dispositions de l'article L. 713-6 2°, soutient que, sur internet, l'utilisation d'un nom de domaine est le seul moyen d'indiquer qu'elle vend des encres pour les imprimantes Imaje, que dès lors qu'elle a fait suivre le nom Imaje du mot " ink ", il n'existe aucun risque de confusion et ce d'autant plus que l'internaute saisissant le nom de domaine est dirigé sur la page d'accueil du site " wolke-ink.com " ou " wolke- ink.de " ;
Considérant, cependant, que le tribunal a justement retenu que la seule adjonction du terme " ink " traduction anglaise du mot encre, ne fait pas perdre au terme " imaje " son caractère attractif et que la création du lien hypertexte qui, à partir de l'adresse internet " www.imaje- ink.com ", amène à la page d'accueil du site " wolke-ink.de " appartenant à Wolke qui commercialise des produits identiques ou complémentaires de ceux vendus sous les marques " Imaje " induit un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne amené à attribuer la même origine aux produits vendus sur ce site et à ceux commercialisés sous lesdites marques ;
Qu'à ces justes motifs, il convient d'ajouter que contrairement à ce que soutient Wolke, la création d'un nom de domaine internet, incluant la marque d'un tiers pour commercialiser les mêmes produits et des produits complémentaires, ne constitue pas une référence nécessaire pour indiquer la désignation des accessoires vendus et, en toute hypothèse, crée, en l'espèce, une confusion manifeste sur l'origine des produits dès lors que le terme " imaje " n'est assorti que du mot " ink " désignant en anglais lesdits produits ;
Considérant, encore, que Wolke qui indique qu'elle avait " souhaité explorer de nouveaux marchés et particulièrement l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre et la France " (confer page 3 de ses conclusions) et qui présente les produits qu'elle commercialise sur un site internet accessible en français en proposant l'envoi, sur divers supports, d'informations notamment sur des encres, ne peut pas sérieusement soutenir, sans produire aucun document à l'appui de cette affirmation, qu'elle " ne vend pas ses produits en France " ;
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que les faits reprochés à Wolke étaient constitutifs de contrefaçon ;
Sur l'action en concurrence déloyale
Considérant que le tribunal a exactement retenu, à ce titre, que l'usage d'un nom de domaine incluant la dénomination sociale et le nom de domaine de la société Imaje et renvoyant à un site internet proposant à la vente des produits concurrents est constitutif d'une usurpation de ces signes distinctifs ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Considérant que les autres faits dont Imaje se prévaut ne sont pas distincts de ceux retenus au titre de la contrefaçon, la circonstance que le site " imaje-ink.com " apparaisse dans les annuaires du moteur de recherche Google immédiatement après le site " imaje.fr " n'étant qu'une conséquence de la contrefaçon pratiquée ; que la décision sera encore confirmée en ce qu'elle n'a pas retenu ces faits, étant observé que, contrairement à ce que soutient Imaje, le tribunal n'a pas débouté cette société de sa demande en concurrence déloyale, retenue au titre de l'usurpation de la dénomination sociale et du nom de domaine ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'Imaje demande le paiement d'une somme de 1.000.000 Francs, que Wolke estime que l'intimée n'a subi aucun préjudice ;
Considérant qu'aucun élément nouveau en appel ne justifie une modification de la somme de 80.000 Francs exactement fixée par le tribunal, observation faite que contrairement à ce que soutient Imaje ce dernier n'a pas inexactement retenu que Wolke ne commercialisait pas ses produits en France mais a constaté que le site internet de Wolke ne permettait pas de passer directement commande des produits concernés, ce qui diminuait considérablement le préjudice de la demanderesse qui ne justifie pas d'une baisse de son chiffre d'affaire ou d'une perte de clientèle ;
Qu'il convient encore d'observer que l'appelante a rendu son site " wolke.de " inaccessible à partir du site " imaje-ink.com " à partir du 4 novembre 2000 ;
Considérant que le jugement sera, en outre, confirmé en ce qu'il a interdit à Wolke de faire usage de la dénomination " Imaje ", sous quelque forme que ce soit pour désigner un site internet et ce à peine d'une astreinte de 5.000 Francs par infraction constatée à compter de la signification de sa décision qui était assortie sur ce point de l'exécution provisoire ; qu'une telle astreinte est en effet suffisante en l'espèce ;
Considérant, enfin, que Wolke ne démontre nullement le caractère abusif de l'action d'Imaje à son encontre, qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'Imaje les frais irrépétibles de l'instance ; que le jugement sera confirmé sur ce point ; qu'il sera encore alloué à l'intimée, au titre de l'instance en appel, une somme complémentaire de 20.000 Francs ;
Par ces motifs et ceux non contraire des premiers juges, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déboute la société appelante de sa demande en paiement de dommages et intérêts, Condamne la société Wolke Inks & Printers, à payer à la société Imaje, au titre de l'instance en appel, la somme de vingt mille francs (20.000 Francs ou 3.048,98 Euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Wolke Inks & Printers aux entiers dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.