Cass. com., 25 avril 2001, n° 98-12.874
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Elida Fabergé (SA)
Défendeur :
Colgate Palmolive (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Defrénois, Levis, SCP Célice, Blancpain, Soltner.
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Colgate Palmolive que sur le pourvoi principal formé par la société Elida Fabergé ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 1998), que la société Elida Fabergé (société EF) qui produit et commercialise des pâtes dentifrices, notamment sous la marque Signal, a diffusé deux films publicitaires télévisés concernant le dentifrice "Signal ultra protection fluor" alléguant que le plus grand test dentaire d'Europe aurait prouvé que des deux principaux types de fluor contenus dans les pâtes dentifrices, celui de "Signal" qui contient du fluorure de sodium (NaF) était supérieur au monofluorophosphate de sodium (SMFP) ; que la société Colgate Palmolive (société CP) a assigné la société EF pour publicité de nature à induire en erreur et concurrence déloyale ;
Sur le pourvoi principal : - Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société EF reproche à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait diffusé des films publicitaires de nature à induire en erreur le consommateur et d'avoir prononcé à son encontre des condamnations et interdictions destinées à faire cesser ces publicités et à remédier à une concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) qu' après avoir exactement énoncé que dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, il incombait à Colgate Palmolive de prouver la fausseté des messages diffusés par Elida Fabergé et que les informations de celle-ci ne sauraient a priori être considérées comme mensongères sans renverser la charge de la preuve et sans méconnaître la présomption de bonne foi qui s'attache à toutes relations commerciales, méconnaît ces principes et viole l'article L. 121-1 du Code de la consommation la cour d'appel qui décide finalement de condamner Elida Fabergé "puisqu'elle ne démontre pas la véracité de son affirmation" déduite du test du professeur Stephen ; 2°) que l'incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d'une preuve doivent être nécessairement retenus au détriment de celui qui a la charge de la preuve, de sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans intervertir ladite charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil, considérer que le demandeur pouvait se borner à faire état d'une prétendue controverse scientifique sur la supériorité du fluor NaF sur le fluor SMFP et que le défendeur se trouvait ainsi dans l'obligation d'apporter une "vérité scientifique irréfutable" à titre de "contre- preuve" ; 3°) que dès l'instant où elle considère que le demandeur se serait acquitté de la preuve qui lui incombait en faisant état d'une controverse scientifique sur la supériorité du fluor NaF par rapport au fluor SMFP, la cour d'appel mettait de ce seul fait, et pour reprendre ses propres énonciations, le défendeur dans l'obligation d'apporter une "contre-preuve" de nature à lever toute incertitude scientifique ; qu'en statuant de la sorte la cour d'appel a manifestement interverti, en violation de l'article 1315 du Code Civil, la charge de la preuve ; 4°) qu'en autorisant le demandeur, sur qui pèse la charge de la preuve, à triompher par la démonstration d'un simple doute et en exigeant de son contradicteur une preuve scientifique irréfutable, la cour d'appel, qui exige des degrés de preuve très différents suivant la qualité des parties, méconnaît le principe de l'égalité des armes dans le débat judiciaire et, partant, viole l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société CP apportait la preuve de l'existence d'un "débat virulent" opposant la communauté scientifique qui contestait les résultats de l'étude du professeur Stephen sur laquelle la société EF avait fondé ses messages publicitaires, et que la société EF ne justifiait pas du bien-fondé des allégations contenues dans les publicités qu'elle diffusait, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve ni méconnaître le principe de l'égalité des armes, pu statuer comme elle a fait ;que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses six branches : - Attendu que la société EF fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que se contredit, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui énonce tour à tour que lors de la diffusion des publicités litigieuses Elida Fabergé détenait déjà "des éléments d'informations (sur l'étude du professeur Stephen), certes fragmentaires mais suffisants pour prétendre comme elle l'a fait, que les effets sur les caries du fluor NaF étaient supérieurs au fluor SMFP" et que "rien du débat scientifique ne permettait d'affirmer comme l'a fait la société intimée de façon péremptoire que le fluor NaF incorporé dans un dentifrice à base de silice apporte au niveau de la prophylexie des caries une supériorité au dentifrice ayant la même base mais dans lequel a été incorporé le fluor SMFP" et qui, après avoir indiqué "qu'il n'était pas contesté par les parties que le dentifrice Signal Ultra Protection Fluor est à base de silice qui, additionné à du fluor NaF, posséderait une supériorité prophylactique anti-carieuse par rapport à une pâte renfermant une même base et une égale proportion de fluor SMFP", énonce, par ailleurs, "que la société Colgate Palmolive apporte la preuve" que rien ne "permet de dégager un consensus sur la supériorité du fluor NaF sur le fluor SMFP adjoint à une base de silice" ; 2°) que l'article L 121-1 du Code de la consommation n'impose pas à l'annonceur de faire la démonstration scientifique irréfutable de l'action des "principes utiles" dont il revendique la présence et qu'il permet la simple référence aux "qualités substantielles" du produit offert, à condition qu'elle soit sincère, de sorte que viole ce texte l'arrêt qui, ayant à statuer sur des publicités portant sur le dentifrice Signal Ultra Protection Fluor et ventant l'efficacité du fluor NaF contenu dans ce produit, fait grief au fabricant de ne pas avoir été en mesure d'établir devant la communauté scientifique la supériorité de l'action anti- carieuse du fluor NaF dans n'importe quelle autre condition d'utilisation, ladite supériorité étant pourtant reconnue par les parties lorsque, comme dans le cas du dentifrice Signal Ultra Protection Fluor, ledit fluor est additionné à une base de silice qui est l'abrasif disponible chimiquement le plus inerte ; 3°)qu'en imposant une comparaison scientifique entre l'action des deux fluors, pris isolément et indépendamment de leur association indispensable à une base quelconque, la cour d'appel perd de vue l'objet du litige qui concerne des publicités faisant la promotion d'une pâte dentifrice à destination des éventuels acheteurs de ce produit et une action en concurrence déloyale entre deux fabricants de pâte dentaire, violant par là-même l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; 4°) que viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel, qui pour écarter l'étude du professeur Stephen et la reconnaissance par Colgate Palmolive de la supériorité du fluor NaF additionné à une base de silice, se prononce par les motifs purement divinatoires selon lesquels "rien ne permet d'affirmer si une quantité identique de fluor SMFP mélangé à une autre base que la silice n'aurait pas un effet supérieur sur les caries que le mélange proposé par le dentifrice Signal Ultra Protection Fluor" ; 5°) que l'arrêt prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code de la consommation en reprochant à Elida Fabergé d'avoir induit les consommateurs en erreur en omettant de signaler la présence de silice, simple abrasif chimiquement le plus inerte dans la pâte Signal Ultra Protection Fluor, le texte susvisé n'exigeant nullement que le message publicitaire indique la liste de tous les composants concourant à la fabrication d'un produit et qu'il mentionne les limites de l'efficacité d'un principe utile (fluor NaF) dans d'autres applications que celles prévues par la publicité ; 6°) que faute de préciser en quoi l'information selon laquelle l' efficacité du fluor NaF était liée à une association avec de la silice abrasive, aurait été de nature à dissuader le consommateur d'acheter le produit ainsi composé, la cour d'appel ne caractérise nullement une omission de nature à induire en erreur le consommateur et prive à nouveau sa décision de toute base légale au regard des articles L. 121-1 du Code de la consommation et 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, répondant aux conclusions de la société CP qui soutenait que lors de la diffusion des messages publicitaires la société EF n'avait pu avoir connaissance de l'étude du professeur Stephen publiée quelques semaines plus tard, relève que cette société disposait avant cette diffusion d'éléments d'information suffisants sur cette étude ; qu'après examen des documents produits par la société CP et du rôle de l'abrasif à base de silice associé au fluor, la cour d'appel a pu, sans contradiction, déduire de ces différents éléments que rien dans le débat scientifique ne permettait d'affirmer comme l'avait fait la société EF, que le fluor NaF incorporé dans un dentifrice à base de silice apportait au niveau de la prophylaxie des caries une supériorité au dentifrice ayant la même base mais dans lequel avait été incorporé du fluor SMFP ;que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de considérer que des faits allégués par les parties étaient constants au seul motif qu'ils n'avaient pas été contestés par les parties, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que la publicité diffusée par la société EF, en ne précisant pas l'emploi de silice comme base abrasive, était de nature à induire en erreur le consommateur, la cour d'appel qui, en statuant ainsi, a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, a, sans méconnaître l'objet du litige, légalement justifié sa décision;
Attendu, en troisième lieu, qu'en relevant que rien dans l'étude Stephen ne permettait d'affirmer si une quantité identique de fluor SMFP mélangée à une autre base que la silice n'auraient pas un effet supérieur sur les caries que le mélange proposé par la société EF, la cour d'appel n'a pas statué par un motif hypothétique ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société EF fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à la société CP, pour concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) que l'action en concurrence déloyale suppose que soit rapportée la preuve d'un préjudice certain, de sorte que prive sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil la cour d'appel qui, pour condamner Elida Fabergé à payer à Colgate Palmolive la somme de 3 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, se borne à faire référence aux frais de campagne publicitaire engagés par Elida Fabergé, sans rechercher la prétendue incidence sur le chiffre d'affaires de Colgate Palmolive desdites campagnes ; 2°) qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel écarte, sans aucunement en justifier, les motifs des premiers juges qui avaient relevé "que l'évolution des parts de marché des dentifrices des deux parties de janvier 1994 à août 1995 fait apparaître une lente décroissance dans les deux cas et que les campagnes publicitaires d'EGF n'ont pas eu d'influence appréciable sur les ventes de Colgate Palmolive" ;
Mais attendu que, sous couvert de griefs non fondés de manque de base légale, le pourvoi ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond de l'existence et du montant du préjudice ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu, dès lors que la Cour rejette le pourvoi principal, qu'il n'y a pas lieu d'examiner le pourvoi incident formé à titre éventuel ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi principal ; Dit n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi incident.