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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 23 septembre 1998, n° 96-11737

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garnier (ès qual.), Meghan Systems (SARL), Brogi, Leveau (Consorts), Tillocher

Défendeur :

Sicpa Aarberg AG (Sté), Sicpa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Lavergne & Associes

Avocats :

Mes Franc-Valluet, Melun.

T. com. Meaux, du 23 janv. 1996

23 janvier 1996

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé daté du 6 juillet 1990, la société Meghan Systems a acquis pour toute la France de la société Fabrique Chimique Aarberg ci-après dénommée la société Aarberg, la représentation exclusive du programme d'encres Aarberg pour l'impression d'étiquettes.

La société Aarberg a également confié à la société Meghan Systems à partir de l'année 1991 la commercialisation en France d'autres encres qui étaient exclues du contrat sus-visé.

Par lettre intitulée "Accord" datée du 12 novembre 1992, la société Aarberg a accepté le 16 du même mois la société Meghan Systems en qualité de "distributeur indépendant" de ses produits.

Par lettre datée du 26 février 1993 confirmée par deux autres respectivement des mois d'avril et de mai de la même année, la société Meghan Systems a été avisée par la société Aarberg que celle-ci entrait en collaboration avec le groupe Sicpa spécialisé dans la fabrication d'encres d'imprimerie qui a racheté la majorité de ses actions et a pris le nom de Sicpa-Aarberg AG, société de droit suisse.

La société Sicpa France qui possède en France son propre réseau de représentation et de distribution s'est du fait de la fusion-absorption des sociétés Sicpa et Aarberg trouvée en concurrence avec la société Meghan Systems.

Par lettre datée du 30 mai 1994, la société Sicpa Aarberg a annoncé à la société Meghan Systems "la décision de distribuer les produits par les représentations de Sicpa" et la résiliation de son contrat de représentation et de distribution en France au 30 juin 1994 avec effet au 31 décembre de la même année aux motifs que "Meghan change d'emplacement pour la 4e fois et que la formation des collaborateurs doit avoir lieu à chaque déménagement".

Par lettre datée du 19 août 1994, la société Sicpa a proposé à la société Meghan Systems la modification des conditions de vente en lui imposant des règlements comptants.

Le 19 septembre 1994, la société Sicpa a avisé la société Meghan Systems qu'elle était créancière de cette dernière d'une somme de 1.014.269,60 F et qu'à défaut de paiement de ladite somme, elle arrêtait toute livraison de marchandises.

A la date de sa mise en redressement judiciaire le 10 octobre 1994, la société Meghan Systems désormais représentée par Maître Garnier était débitrice envers la société Sicpa-Aarberg de la somme de 1.880.604,01 F qui a été déclarée à son passif.

La société Meghan Systems, Dominique Brogi, Zoé Develter veuve Leveau, Bernard Leveau et Jean-Jacques Tillocher, ces derniers ès qualités de porteurs de parts de la société Meghan Systems ont assigné les 13 et 29 décembre 1994 les sociétés Sicpa Aarberg et Sicpa France devant le tribunal de commerce de Meaux afin qu'elles soient notamment condamnées solidairement à leur payer en réparation du préjudice qu'ils ont subi respectivement les sommes de :

- 15.200.000 F à la société Meghan Systems,

- 2.000.000 F à Maître Garnier ès qualités de mandataire judiciaire et de représentant des créanciers correspondant au montant du passif, sauf à parfaire,

- 160.200 F à Dominique Brogi,

- 25.200 F à Zoé Leveau,

- 150.000 F à Bernard Leveau,

- 167.400 F à Jean-Jacques Tillocher, les quatre ès qualités de porteurs de parts,

- 700.000 F à Dominique Brogi ès qualités de mandataire social.

Maître Garnier ès qualités a par acte du 7 mars 1995 repris l'instance initiée par la société Meghan Systems.

Les sociétés défenderesses ont à titre principal soulevé l'incompétence du tribunal saisi, et à titre subsidiaire, tout en sollicitant la condamnation des demandeurs au paiement de certaines sommes, ont soutenu que le contrat de distributeur de la société Meghan Systems avait été régulièrement résilié, que la modification des conditions de crédit qui lui avaient été antérieurement consenties ainsi que la cessation des livraisons avaient été justifiées par la décision de la société Meghan Systems d'interrompre le paiement de ses achats sans juste motif et qu'elles n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale ou d'abus de position dominante.

Par jugement du 23 janvier 1996, le tribunal saisi :

- s'est déclaré incompétent pour connaître l'instance formée par la société Meghan Systems et ses associés à l'encontre de la société Sicpa Aarberg AG.

- a renvoyé les demandeurs à se pourvoir devant la juridiction commerciale du canton de Berne en Suisse, a déclaré irrecevable la demande dirigée par les demandeurs sur le plan contractuel à l'encontre de la société Sicpa France,

- s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action dirigée par la société Sicpa-Aarberg AG à l'encontre de la société Meghan Systems et de ses associés,

- a envoyé la société Sicpa-Aarberg à se pourvoir devant la même juridiction suisse,

- a condamné solidairement la société Meghan Systems, ses associés et Maître Garnier ès qualités à payer à la société Sicpa France au paiement des sommes de 10.000 F à titre de dommages et intérêts et de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Meghan Systems, Zoé Develter veuve Leveau, Bemard Leveau, Jean-Jacques Tillocher et Maître Garnier ès qualités ont dans leurs premières conclusions limité leur appel du jugement déféré au litige l'opposant à la société Sicpa France responsable selon eux d'actes de concurrence déloyale, et ont demandé qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que la décision de la procédure devant se dérouler en Suisse soit rendue.

Par conclusions additionnelles, la société Meghan Systems, Dominique Brogi, Zoé Develter veuve Leveau, Bernard Leveau, Jean-Jacques Tillocher et Maître Garnier ès qualités demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner la société Sicpa sans davantage de précision sur sa nature juridique, compte tenu des manœuvres dolosives auxquelles elle s'est livrée, à leur verser les sommes visées dans l'acte introductif de première instance et de condamner la société intimée à leur payer chacun à l'exception de la société Meghan Systems qui réclame la somme de 70.000 F, la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure ;

La société Meghan Systems, Maître Garnier ès qualités de mandataire judiciaire, Zoé Develter, veuve Leveau, Bernard Leveau et Jean-Jacques Tillocher ont interjeté appel du jugement susvisé le 24 avril 1996, tandis que Dominique Brogi a également exercé cette voie de recours le 17 février 1997.

La société Sicpa France intimée conclut au rejet de la demande formée contre elle par les appelants qui doivent être condamnés à lui payer, outre la somme de 50.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 250.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que le litige porté devant la Cour tel qu'il résulte des écritures des parties étant limité au grief de concurrence déloyale pour des faits commis en France, la demande de sursis à statuer formée par les appelants du fait de la connexité qui existerait entre le contentieux les opposant à la société Sicpa-Aarberg AG et la présente procédure doit être rejetée.

Considérant que ceux-ci reprochent à la "société Sicpa" qui a absorbé son fournisseur la société Aarberg d'avoir à partir de 1993 usé à l'égard de la société Meghan Systems de manœuvres déloyales résultant de ce que :

- le contrat de distribution exclusif qui le liait à la société Aarberg a été abusivement résilié,

- le crédit-fournisseur de 120 jours a été supprimé pour être remplacé par un paiement comptant,

- la société Sicpa France a démarché et détourné ses clients en prenant connaissance de la clientèle et des prix de vente des concurrents qu'elle avait communiqués à la société Aarberg.

Considérant que la société Sicpa France réplique que les appelants n'évoquent aucun fait susceptible d'étayer les faits de concurrence déloyale qui lui sont reprochés, et que les facilités offertes à la société Meghan Systems pour poursuivre son exploitation en compensant la perte du contrat Sicpa Aarberg par de nouvelles activités ont toutes été refusées par la société appelante.

Qu'elle allègue en outre qu'elle n'a pas absorbé la société Sicpa Aarberg qui a été rachetée par la Sicpa SA de Prilly, filiale suisse de la holding suisse Sicpa à Lausanne et que les problèmes survenus entre les sociétés Sicpa Aarberg AG et Meghan Systems ne la concernent pas, puisque que c'est la société Sicpa Aarberg AG qui après la rupture du contrat et le retrait du crédit aurait démarché, puis livré directement cette clientèle.

Qu'elle soutient encore que les reproches portés contre la société Sicpa Aarberg AG ne sont également pas fondés dans la mesure où :

- le contrat de représentation exclusive a été régulièrement dénoncé sept mois à l'avance,

- le crédit-fournisseur a toujours été de 90 jours et le retrait du crédit n'a pas affecté la société Meghan Systems qui a de son seul fait cessé tous ses règlements,

- la société Sicpa Aarberg n'a pas eu besoin de démarcher la clientèle de la société Meghan Systems, la cessation des paiements des livraisons qu'elle a effectuées à la société appelante ayant eu pour effet de les interrompre et d'amener les clients à adresser leurs commandes directement chez elle,

- la fourniture des adresses postales était destinée à informer les clients de la société Meghan Systems de l'alliance de la société Aarberg avec la société Sicpa,

- elle connaissait les clients français qu'elle livrait directement avant d'en confier en 1990 l'exploitation à la société Meghan Systems.

Considérant ceci exposé que la société Sicpa France contre laquelle les appelants dirigent leur action est une société de droit français qui dispose d'une autonomie juridique distincte par rapport à la société de droit suisse Sicpa Aarberg AG.

Que la société Meghan Systems ne peut donc opposer à la société Sicpa France les relations contractuelles qui ont existé entre elle et la société Aarberg d'une part, et la société Sicpa Aarberg d'autre part.

Qu'elle ne peut également pas faire état de la perte d'autonomie de la société Aarberg qui contrôlée par la société Sicpa Holding a dû se conformer à l'esprit de groupe en se ralliant au réseau de distribution de la société Sicpa France.

Que les appelants ne peuvent donc reprocher à la société Sicpa France la résiliation du contrat de représentation exclusive intervenue le 30 mai 1994 à l'initiative de la société Sicpa Aarberg AG avec effet au 31 décembre de la même année et la modification unilatérale du mode de paiement des factures prévu contractuellement à 90 jours par un règlement comptant (lettre datée du 19 août 1994).

Considérant que les sociétés Meghan Systems et Sicpa France qui sont des sociétés concurrentes spécialisées dans la commercialisation des encres prospectent en France la même clientèle.

Considérant que les appelants pour démontrer qu'antérieurement à la résiliation du contrat de représentation intervenue le 30 mai 1994, la société Sicpa France a démarché certains de ses clients, produisent des lettres émanant de :

- la société Sicpa France qui ne comporte ni indication du nom du destinataire, ni date d'envoi qui ont été volontairement effacés et qui contient en annexes les références des produits avec leurs prix,

- la société Sipse datée du 27 septembre 1993 qui se plaignant du désintérêt que lui porte la société Aarberg évoque la possibilité de contracter avec la société Sicpa,

- la société France Etiquette datée du 4 mai 1994 qui s'étonne de ce que la société Sicpa France lui propose de meilleurs prix.

Que pour la période postérieure au 30 mai 1994, elle s'appuie essentiellement sur les lettres de :

- la société APE datée du 7 octobre 1994 qui lui reproche de ne pas lui fournir les encres commandées et l'informe de ce qu'elle va devoir changer de fournisseur,

- la société Avery Dennison datée du 14 octobre 1994 qui se plaint de ce qu'elle passe commande à la société Meghan Systems et reçoit livraison par les fournisseurs Meghan et Sicpa.

Mais considérant que la société Meghan Systems liée à la société Aarberg, puis à la société Sicpa Aarberg SA par le contrat de représentation exclusive daté du 6 juillet 1990 ne saurait reprocher des actes de concurrence déloyale à la société Sicpa France postérieurement à la fusion de ces deux sociétés.

Qu'en effet à compter de cette date, la société Sicpa France qui possède des intérêts économiques et commerciaux dans la société Sicpa Aarberg AG ne peut plus être considérée comme une concurrente de la société Meghan Systems.

Que le fait d'utiliser le réseau de distribution de la société Sicpa France pour commercialiser en France les produits de la société Sicpa Aarberg AG au détriment de la société Meghan Systems ne constitue pas une attitude déloyale à l'égard de cette dernière.

Que les seuls actes de concurrence déloyale susceptibles d'être imputés à la société Sicpa France sont ceux qui auraient pu être commis antérieurement à l'acte de fusion absorption des deux sociétés rivales.

Mais considérant qu'il est établi que dès le 6 février 1993 comme le révèle la lettre adressée par la société Aarberg à la société Meghan Systems qui mentionne que "la fabrique d'encres d'imprimerie Aarberg renforce son activité internationale par une étroite collaboration avec le groupe Sicpa", la société Sicpa France a cessé d'être la concurrente de la société Meghan Systems.

Que celle-ci ne peut donc pas soutenir que la société Sicpa France a détourné son fichier clients qu'elle a communiqué à la société Aarberg.

Qu'en effet, celle-ci, outre qu'elle le connaissait du fait qu'elle recevait les bons de commande de la société Meghan Systems avec l'indication du nom des clients à livrer, était en droit de le porter à la connaissance de la société Sicpa France dans le but de parvenir à la fusion-absorption de la société Aarberg par la Sicpa Holding.

Que la preuve du comportement déloyal reproché par la société Meghan Systems à la société Sicpa-France n'est donc pas rapportée.

Que le jugement déféré sera par conséquent confirmé.

Considérant que la société Sicpa-France sollicite reconventionnellement la condamnation de la société Meghan Systems à lui payer la somme de 250.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Mais considérant que la société Meghan Systems, et les appelants face à une situation juridique complexe, n'ont commis aucune faute susceptible d'engager leur responsabilité et ont pu de bonne foi se méprendre sur la portée et l'étendue de leurs droits.

Qu'en règlement judiciaire selon jugement du 10 octobre 1994, la société Meghan Systems ne peut en outre être condamnée.

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties aux litiges la totalité des frais qu'elles ont dû engager tant en première instance qu'en cause d'appel.

Que le jugement déféré qui a condamné "solidairement" les appelants en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile sera par conséquent réformé.

Par ces motifs : Sur l'appel limité interjeté par la société Meghan Systems, Maître Garnier ès qualités de mandataire judiciaire, Zoé Develter, veuve Leveau, Bernard Leveau, Jean-Jacques Tillocher et Dominique Brogi, Confirme le jugement rendu le 23 janvier 1996 par le tribunal de commerce de Meaux en toutes ses dispositions, à l'exception de la condamnation au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Déboute la société Sicpa France de toutes ses demandes, Condamne in solidum Maître Garnier ès qualités, Zoé Develter veuve Leveau, Bernard Leveau, Jean-Jacques Tillocher et Dominique Brogi aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Lionel Melun avoué dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.