CA Bordeaux, 1re ch. A, 14 septembre 1998, n° 96005572
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Agrevo Prodetech (Sté), Hoechst Marion Roussel (SA)
Défendeur :
Coquillaud, Jean Coquillard (SARL), Barthe (ès qual.), Noël (ès qual.), Lavallart (ès qual.), Phytheron International (SA), Sodep (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bizot
Conseillers :
M. Cheminade, Mme Carbonnier
Avoués :
Me Bloch-Moreau, SCP Arsène-Henry & Lancon, SCP Puybaraud, SCP Boyreau
Avocats :
Mes Desmazières de Seychelles, Maillasson, Teboul, Ravina.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
1 - La société Roussel Uclaf (SA) est propriétaire de la marque de fabrique "Decis" qui couvre la totalité de ses produits dans les classes 1 et 5 et plus particulièrement "les produits chimiques destinés à l'industrie, l'agriculture, l'horticulture et la sylviculture - préparations pour détruire les mauvaises herbes et les animaux nuisibles".
Cette marque, déposée en France et à son nom le 7 Mai 1971 à l'INPI sous le n° 114.705, a fait l'objet d'un renouvellement de dépôt 10 ans plus tard et a été enregistrée sous le n° 1.169.424.
La société Procida (SA), filiale de la société Roussel Uclaf, assure, en sa qualité de distributeur exclusif en France, la commercialisation des insecticides sous le nom de marque Decis. Elle bénéficie pour ce faire d'une homologation délivrée le 30 novembre 1989 par le Ministère de l'Agriculture et sous le n° 7.700.204 ainsi que d'une licence de la marque Decis consentie par la société Roussel Uclaf et enregistrée à l'INPI le 27 Mars 1991.
Ayant eu connaissance de ce que la société Phytheron Holding (SA) importait et distribuait, sous la marque Decis, un produit similaire bien que de composition différente, en provenance du Brésil, les sociétés Roussel Uclaf et Procida ont été autorisées, par ordonnance du juge des référés du Tribunal de Grande Instance d'Angoulême en date du 28 Novembre 1990 à pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Jean Coquillaud, détentrice de ce produit. Cette saisie a été réalisée le 30 novembre 1990.
Au vu des éléments recueillis, les sociétés Roussel Uclaf et Procida ont par acte du 13 décembre 1990 assigné la société Phytheron Holding, en liquidation judiciaire, ainsi que Maître Lavallart, ès qualités de liquidateur de ladite société et Monsieur Jean Coquillaud aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire à leur payer diverses indemnités en raison de Laits constitutifs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.
Par acte du 29 octobre 1991, les demanderesses ont assigné en " déclaration de jugement commun " la SARL Jean Coquillaud et ont assigné par acte du 22 février 1993, Maître Noël et Maître Barthe en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers de ladite société en redressement judiciaire.
La SARL Jean Coquillaud a pour sa part, par acte du 7 novembre 1991, appelé en garantie son fournisseur la société Sodep (SA), laquelle a elle-même assigné le 4 mars 1992 la société Phytheron International (SA) qui, par conclusions en date du 6 décembre 1992 a déclaré intervenir volontairement.
Par ordonnance du 9 mars 1992, ces différentes instances ont été jointes.
La société Phytheron International a conclu au débouté de l'ensemble des demandes formées par les sociétés Roussel Uclaf et Procida et a sollicité reconventionnellement diverses indemnités.
La société Phytheron Holding et Maître Lavallart ont fait valoir que le jugement du Tribunal de Commerce de Romorantin du 12 octobre 1990 ouvrant la liquidation judiciaire de ladite société est opposable à l'égard de tous, et ont conclu à leur mise hors de cause, sollicitant en outre diverses indemnités.
Monsieur Jean Coquillaud a conclu au débouté des demanderesses.
Pour sa part, la société Sodep a fait valoir qu'aucune demande n'était directement dirigée à son encontre, a conclu à l'irrecevabilité des demandes formées par la société Roussel Uclaf et au débouté de l'ensemble de leurs demandes. Elle a en outre sollicité diverses indemnités.
La SARL Jean Coquillaud, Maître Noël et Maître Barthe ès qualités ont sollicité la mise hors de cause de ce dernier, ont indiqué qu'en l'absence de déclaration de créances, les sociétés demanderesses étaient irrecevables à en faire fixer le principe par le Tribunal, et ont réclamé diverses indemnités.
2- Par jugement contradictoire en date du 29 Juin 1995, le Tribunal de Grande Instance d'Angoulême a, au vu du procès-verbal de saisie-contrefaçon établi le 30 novembre 1990 par Maître Montagne-Fradin, déclaré irrecevable l'action intentée à l'encontre de la société Coquillaud et a déclaré la société Procida irrecevable à agir en contrefaçon. Il a mis hors de cause la société Phytheron Holding et Monsieur Jean Coquillaud, a dit que le produit Decis importé est un produit authentique Decis fabriqué au Brésil par la société Quimio Produtos et que la société Roussel Uclaf a donné son consentement à l'importation du dit produit brésilien en France. Il a débouté en conséquence la société Roussel Uclaf de sa demande du chef de contrefaçon de marque Decis, d'imitation frauduleuse et illicite de cette marque et d'usage de marque contrefaite, la déboutant en outre avec la société Procida du chef de tromperie en matière d'étiquetage. Il a dit que la société Phytheron International avait commis des actes de concurrence déloyale envers la société Procida, et l'a condamnée àverser la somme de 15.000 F à cette dernière, laquelle a été déboutée de son action en concurrence déloyale à l'encontre de la société Sodep. Ordonnant la publication de sa décision dans deux journaux ou revues au choix des sociétés demanderesses et aux frais de la société Phytheron International sans que le coût de cette insertion puisse dépasser la somme de 10.000 F, le Tribunal a débouté les sociétés Phytheron International, Phytheron Holding ET Sodep de leurs demandes reconventionnelles, a ordonné l'exécution provisoire de sa décision, a condamné la société Phytheron International à payer à la société Procida la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Il est fait ici expresse référence aux motifs de ce jugement quant au plus ample exposé des faits.
3- La société Roussel Uclaf et la société Agrevo Prodetech, anciennement dénommée Procida, ont régulièrement interjeté appel par déclaration commune en date du 7 Août 1995.
Par ordonnance en date du 17 avril 1996, l'affaire a été radiée du rôle de la Cour ; elle y a été réinscrite à l'initiative des appelantes le 6 Septembre 1996.
Les sociétés appelantes demandent à la Cour, au vu des dispositions invoquées en première instance, de les déclarer recevables et bien fondées en leur appel, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société Phytheron International a commis des actes de concurrence déloyale envers la société Procida et en ce qu'il a débouté les défenderesses de leurs demandes reconventionnelles.
Elles concluent à la réformation du jugement entrepris pour le surplus et demandent en conséquence à la Cour de les déclarer recevables en leur action intentée à l'encontre de la SARL Coquillaud, de leur donner acte de ce qu'elles ont régulièrement attrait dans la cause Maître Noël et Maître Barthe en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers de ladite société, de juger que l'instance peut se poursuivre régulièrement à l'encontre de la société Coquillaud à l'effet de voir fixer le principe de leur créance de dommages et intérêts, de voir constater les faits de contrefaçon perpétrés par la même société, de dire que la décision à intervenir sera opposable à la SARL Coquillaud et à la SA Phytheron Holding en liquidation. Elles soutiennent qu'en important et en commercialisant en France sans l'autorisation de la société Roussel Uclaf, les produits brésiliens considérés portant la marque Decis, les sociétés Phytheron International, Sodep et Coquillaud ont commis des actes de contrefaçon de ladite marque, qu'elles se sont ainsi rendues coupables de pratiques contraires aux règles du commerce et, faisant valoir qu'il résulte du rapport définitif d'expertise de Monsieur Brusset que le produit Decis d'origine brésilienne est de composition chimique différente du produit Decis pour lequel la société Procida est titulaire d'une homologation, les appelantes sollicitent la condamnation des sociétés Phytheron International et Sodep ou l'une à défaut de l'autre, à payer à la société Roussel Uclaf d'une part, la somme de 500.000 F, sauf à parfaire, en réparation du préjudice par elle subi du fait des agissements de contrefaçon de marque, imitation frauduleuse et illicite, usage de marque contrefaite, contrefaçon et tromperie en matière d'étiquetage dont la société Phytheron International s'est rendue coupable, et à la société Agrevo Prodetech d'autre part, la somme de 1.000.000 F, sauf à parfaire, en réparation du préjudice par elle subi du fait des agissements de concurrence déloyale et des pratiques contraires aux règles du commerce. Cette dernière demande en outre à la Cour d'ordonner d'une part la publication de la décision à intervenir dans 5 journaux ou revues, au choix des demanderesses et aux frais de la défenderesse et ce, au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires sans que la valeur globale puisse être supérieure à 50.000 F, outre la confiscation de tous les documents et produits contrefaisants pour leur être remis aux fins de destruction en présence de tel huissier qu'il plaira à la Cour de désigner, d'ordonner d'autre part sous astreinte de 3.000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir la cessation des actes de contrefaçon de marque et des agissements de concurrence déloyale perpétrés par les défenderesses. Les appelantes sollicitent enfin pour chacune d'elles une somme de 30.000 F au titre de leurs frais irrépétibles ainsi que la condamnation des intimées aux entiers dépens.
La société Phytheron International demande à la Cour de confirmer purement et simplement le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré qu'il résulte des dispositions particulières de l'accord de licence entre la société Roussel Uclaf et la société Quimio Produtos, tel que modifié à l'intervention de l'INPI brésilien, que la société Roussel Uclaf a donné son consentement pour autoriser la libre réexportation du produit fabriqué au Brésil, sous couvert de cette licence, dans le monde entier, y compris en France et qu'elle ne peut donc, de ce chef, la poursuivre de contrefaçon. Formant appel incident sur la concurrence déloyale, elle Lait valoir qu'elle ne s'est pas rendue coupable de concurrence déloyale ni par l'usage d'un numéro d'homologation déjà attribué, ni par le fait d'avoir vendu moins cher le produit ; elle conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Procida et sollicite l'infirmation dudit jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Procida la somme de 50.000 F en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle sollicite en outre la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la société Phytheron Holding et Maître Lavallart ès qualités et en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la société Roussel Uclaf. Elle réclame enfin la condamnation de cette dernière ainsi que de la société Procida aux entiers dépens d'appel.
Monsieur Jean Coquillaud et Maître Lavallart, ès qualités de liquidateur de la société Phytheron Holding, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a mis hors de cause et de condamner les sociétés Roussel Uclaf et Agrevo Prodetech aux entiers dépens.
La société Sodep demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés demanderesses de leur action en contrefaçon. Elle conclue au débouté de l'action en concurrence déloyale formée par ces dernières et sollicite une somme de 20.000 F à titre de dommages et intérêts, outre celle de 15.000 F au titre de ses frais irrépétibles ainsi que la condamnation desdites sociétés à supporter les entiers dépens.
La société Phytheron International ayant été déclarée en redressement judiciaire par jugement rendu le 14 mars 1997 par le Tribunal de Commerce de Romorantin, les sociétés Roussel Uclaf et Agrevo Prodetech ont régulièrement assigné et réassigné Maître Lavallart ès qualités de représentant des créanciers audit redressement judiciaire et ont demandé à la Cour de constater notamment qu'elles ont régulièrement déclaré leurs créances, de dire que Maître Lavallart ès qualités sera tenu de reprendre l'instance pendante et de juger que l'instance peut se poursuivre régulièrement à l'effet en particulier de voir fixer les créances de dommages et intérêts dont les sociétés appelantes sont titulaires. Elles font valoir que l'arrêt à intervenir sera déclaré commun à Maître Lavallart et réclament la condamnation de ce dernier, ès qualités, aux dépens.
A la suite de la fusion-absorption en date du 1er octobre 1997 en vertu de laquelle la société Roussel Uclaf a été absorbée par la société Hoechst Marion Roussel (SA), celle-ci a repris l'instance par acte du 31 Mars 1998 en ses lieu et place.
L'instruction a été close le 4 mai 1998.
Motifs
I- En procédure :
Doivent être rejetées d'office des débats, pour violation des articles 16 et 783 du Code de procédure civile d'une part "l'acte de signification" du 11 mai 1998 par lequel les sociétés appelantes ont notifié à Maître Barthe et Maître Noël ès qualités leurs conclusions du 30 avril 1998, d'autre part les conclusions prises par la SARL Jean Coquillaud seule le 18 mai 1998.
II- Au fond :
1. Sur la présence à l'instance de la SA Phytheron Holding et de Maître Lavallart ès qualités de liquidateur de ladite société :
Il convient de confirmer par adoption de motifs la mise hors de cause de la SA Phytheron Holding et de Maître Lavallart ès qualités de liquidateur de cette société prononcée à juste titre par les premiers juges.
En effet, ni les sociétés appelantes, ni aucune des autres parties n'ont dirigé quelque demande que ce soit, en cause d'appel, contre cette société et son liquidateur. De plus, les sociétés appelantes n'élèvent en cause d'appel aucun grief sérieux des motifs de cette mise hors de cause.
Les dépens exposés en cause d'appel du chef de cette mise en cause resteront à la charge des sociétés appelantes.
2. Sur la présence à l'instance de Monsieur Jean Coquillaud :
Il convient de confirmer par adoption de motifs la mise hors de cause de Monsieur Jean Coquillaud à juste titre prononcée par les premiers juges.
Les sociétés appelantes, ni aucune autre partie, n'ont dirigé quelque demande que ce soit contre cette personne physique, et n'élèvent en cause d'appel aucun grief sérieux des motifs de cette mise hors de cause.
Les dépens exposés en cause d'appel du chef de cette mise en cause resteront à la charge des sociétés appelantes.
3. Sur la présence à l'instance de la SARL Jean Coquillaud et de Maître Barthe et Maître Noël ès qualités :
Il convient de confirmer par adoption partielle de motifs (cf. page 11 paragraphes 6 et 7 et page 12 paragraphe 2 du jugement) la disposition du jugement déféré ayant déclaré irrecevable l'action des sociétés Roussel Uclaf et Procida (Agrevo Prodetech) dirigée d'abord contre la SARL Coquillaud puis contre Maître Barthe, ès qualités de représentant des créanciers et Maître Noël ès qualités d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de continuation de cette société en redressement judiciaire.
D'abord, les sociétés appelantes ne justifient toujours pas avoir régulièrement déclaré entre les mains du représentant des créanciers de la SARL Jean Coquillaud leurs créances résultant de l'indemnisation d'un dommage quelconque fondé sur un grief de contrefaçon de marque ou imitation illicite de marque (société Roussel Uclaf) ou sur un grief quelconque de concurrence déloyale (société Agrevo Prodetech), en sorte que non seulement l'instance engagée contre cette société a été interrompue mais que de telles créances sont éteintes en application de l'article 63 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985.
Ensuite, à supposer que les créances alléguées ne soient pas éteintes, il ressort des écritures et actes de l'instance d'appel que les sociétés appelantes se bornent à réclamer que la SARL Jean Coquillaud (par ses représentants légaux) soit déclarée convaincue d'actes de contrefaçon de la marque française Decis et d'actes de concurrence déloyale et pratiques contraires aux règles du commerce, mais ne dirigent de ces chefs l'une ou l'autre, aucune demande en réparation quelconque contre cette société, alors que, dans leurs conclusions, ces sociétés prennent soin de viser dans leurs demandes en réparation, publication et astreinte les deux seules sociétés Phytheron International et Sodep, et ne dirigent leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur l'article 695 du même code qu'à l'encontre de ces deux seules sociétés intimées ; alors que, de surcroît, si les sociétés appelantes ont bien pris le soin d'assigner en appel Maître Barthe ès qualités (le 13 septembre 1996) et Maître Noël ès qualités (le 19 août 1996) et de dénoncer ces actes de procédure aux autres parties intimées, elles n'ont par la suite nullement complété leurs demandes contre la SARL Jean Coquillaud ainsi représentée et ont au contraire ostensiblement tenu cette société et ses représentants àl'écart de la procédure à telle enseigne qu'elles ont omis de leur dénoncer les assignations délivrées le 25 juillet 1997 et le 9 janvier 1998 à Maître Lavallart ès qualités de liquidateur de la SA Phytheron International, ainsi que l'acte de reprise d'instance de la SA Hoechst Marion Roussel aux droit de la SA Roussel Uclaf le 31 mars 1998, et enfin tant leurs conclusions du 30 Avril 1998 que leurs pièces communiquées le 29 Avril 1998. D'où il suit qu'en tout état de cause, à l'issue d'un débat où le principe de la contradiction n'a pas été respecté jusqu'à son terme à l'égard de la SARL Jean Coquillaud et de ses représentants légaux, et quoique qu'elles en aient dit dans leurs conclusions du 7 décembre 1995 (cf. pages 25 à 27, 30, 31 et 32), les sociétés appelantes ne pourraient justifier avoir formé expressément en cause d'appel contre cette société et ses représentants légaux des demandes contenant des prétentions utiles au débat et susceptibles d'un examen immédiat.
4- Sur la recevabilité de la SA Agrevo Prodetech (ex Procida) à agir en contrefaçon par usage de marque contrefaite ou par imitation illicite ou frauduleuse de marque :
Des énonciations des conclusions d'appel des sociétés Hoechst Marion Roussel (ex-Roussel Uclaf) et Agrevo Prodetech (ex-Procida), il ressort que cette dernière société fonde ses demandes en réparation dirigées contre les sociétés Phytheron International et Sodep exclusivement sur des griefs de concurrence déloyale et assimilés.
Sont donc hors du champ de l'appel, au sens de l'article 562 du Code de procédure civile, les dispositions du jugement déféré ayant déclaré définitivement la société Procida irrecevable à agir en contrefaçon de marque.
5. Sur l'action en contrefaçon par usage de marque contrefaite ou par imitation illicite ou frauduleuse de marque (action de la société Hoechst Marion Roussel ex-Roussel Uclaf) :
A- Les parties au litige fondé sur la contrefaçon :
Des énonciations des conclusions d'appel des sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech, il ressort que seule la société Hoechst Marion Roussel forme des demandes diverses en réparation du chef de la contrefaçon de sa marque française Decis, et qu'elle ne les dirige que contre les sociétés Phytheron International et Sodep.
L'action, en ce qu'elle vise la société Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) ne peut tendre qu'à la fixation de créances de réparations. La société Roussel Uclaf justifie avoir régulièrement déclaré ces créances le 5 mai 1997 entre les mains de Maître Lavallart. L'instance a donc été valablement reprise de ce chef.
B- Sur le bien-fondé des griefs de contrefaçon :
Nonobstant d'une part le principe de territorialité des marques énoncé par l'article 6-3 de la Convention de l'Union de Paris du 20 mars 1883, d'autre part le caractère absolu de la propriété d'une marque française régulièrement déposée autorisant celui qui en est investi à agir contre tous deux qui y porte atteinte sous quelque forme que ce soit, la société Roussel Uclaf propriétaire, en l'espèce, de la marque française Decis appliquée à un produit insecticide commercialisé en France sous ce nom de marque, ne saurait reprocher à des commerçants français, importateurs, grossistes et détaillants, des actes de contrefaçon par usage de marque contrefaite ou par imitation illicite ou frauduleuse de marque pour avoir importé en France un produit insecticide similaire, voire identique en ses propriétés et en son usage, fabriqué et commercialisé au Brésil par une société Quimio Produtos de droit brésilien dans laquelle elle dispose de la quasi-totalité des parts sociales, et sous la marque identique Decis qu'elle a elle-même régulièrement déposée au Brésil, dès lors qu'elle a, en toute connaissance de cause, concédé à cette société brésilienne, à la demande de l'autorité administrative brésilienne compétente, une licence de fabrication et de commercialisation de ce produit sous cette marque Decis tant dans l'espace commercial brésilien qu'à l'exportation vers tous les pays du monde, y compris, nécessairement, la France. En effet, en concédant un tel droit général à l'exportation en tous pays, la société Roussel Uclaf a implicitement mais nécessairement renoncé à se prévaloir, en France, face aux importateurs, grossistes et détaillants, des prérogatives qu'elle pouvait tirer contre eux de la propriété de sa marque française Decis et s'est privée, par voie de conséquence, du droit de leur faire grief de l'importation et de la commercialisation en France sans son autorisation du produit de fabrication brésilienne sous marque brésilienne Decis, cette autorisation résultant, au contraire, de sa renonciation, au Brésil, à toute limitation géographique des exportations, y compris vers la France.
C'est donc en des motifs pertinents et suffisants, que la Cour adopte, et qui ont déjà répondu aux moyens et arguments développés de nouveau en cause d'appel (cf. page 12 paragraphes 6 et 7, pages 13, 14 et 15 entières, page 16 paragraphes 1 et 2 du jugement), que les premiers juges ont, à l'issue d'une juste analyse des documents de la cause, notamment des énonciations du contrat de licence du 10 mai 1982 modifié par l'avenant du 6 Mai 1983, exactement énoncé que la société Roussel Uclaf, qui était libre en ses décisions, a renoncé aux prérogatives tirées de son droit de propriété exclusif sur la marque française Decis et qu'elle ne peut agir en contrefaçon contre la société Phytheron International importateur du produit identique fabriqué au Brésil par sa licenciée société Quimio Produtos et contre la société Sodep, grossiste.
Il convient d'y ajouter, pour précision :
1°) quant au consentement à l'exportation sans restriction découlant de l'avenant du 6 mai 1983 au contrat de licence accordé à la société Quimio Produtos, que les exigences de l'INPI brésilien ont été formulées avant l'enregistrement du contrat de licence et qu'un délai de près d'une année s'est écoulé avant que, par l'avenant du 6 mai 1983, la société Roussel Uclaf ait rectifié l'article 8 du contrat dans le sens fixé par l'article 90 alinéa 2 du Code de la propriété industrielle brésilien, en sorte que c'est bien après réflexion, et en connaissance de cause que la société Roussel Uclaf a décidé malgré tout de renoncer aux restrictions qu'elle proposait dans le texte d'origine, et qu'elle ne saurait donc se prévaloir d'un consentement ou d'une autorisation "forcée" à raison du texte de l'article 90 du Code de la propriété industrielle brésilien pour prétendre priver de tout effet juridique la disposition du contrat de licence relative au droit d'exportation sans limitation.
2°) quant aux circonstances entourant la renonciation aux prérogatives nées de la propriété de la marque française Decis, qu'elles s'inscrivent à l'évidence dans le cadre d'une décision de stratégie commerciale à vocation planétaire aux termes de laquelle la société Roussel Uclaf a décidé de transférer dans un pays d'Amérique du Sud, le Brésil, une technologie bénéficiant de moindres coûts de fabrication, en acceptant, par l'effet d'une contrepartie compréhensible comme émanant d'un tel Etat aspirant à un niveau plus élevé de développement industriel et commercial par rapport aux États les plus industrialisés du monde, de ne limiter la faculté de contribuer à ce développement par la commercialisation du produit dont la technologie de fabrication a été ainsi transférée par aucune entrave à l'exportation ; en sorte que ces circonstances éclairent, si besoin est, le caractère général et libre du consentement donné et le caractère certain de la renonciation discutée.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Roussel Uclaf de ses demandes fondées sur la contrefaçon de marque dirigées contre la société Phytheron International et contre la société Sodep.
6. Sur les griefs de tromperie en matière d'étiquetage et de concurrence déloyale (action de la société Agrevo Prodetech ex-Procida dirigée contre les sociétés Phytheron International et Sodep) :
A- Sur les griefs de tromperie et de concurrence déloyale fondés sur la reproduction, sur les étiquetages du produit Decis fabriqué au Brésil, du numéro d'homologation français attaché au produit Decis fabriqué en France :
La réglementation applicable en matière d'homologation et d'importation des produits phytosanitaires en France, à savoir l'article 1er de la loi du 2 novembre 1943 sur l'organisation du contrôle des produits anti-parasitaires à usage agricole, et les arrêtés ministériels des 1er décembre 1987 et 20 juin 1989, fait obligation à tout responsable d'une mise sur le marché français résidant dans la Communauté Européenne de demander l'homologation, pour chaque spécialité, au ministre de l'agriculture suivant une procédure spécifique destinée essentiellement à vérifier l'efficacité et l'innocuité du produit, et tout importateur ne peut légalement introduire en France de tels produits qu'à la condition préalable d'obtenir une décision d'homologation (sauf régime dérogatoire prévu pour les importations en provenance d'un état membre de la Communauté Européenne, étranger au présent débat). Cette homologation spécifique doit être réclamée et obtenue par l'importateur quelque soit la similitude de composition ou d'usage du produit importé avec un produit fabriqué et commercialisé en France sous l'empire d'une précédente homologation. Il s'agit d'une démarche administrative obligatoire qui commande la légalité de l'importation et de la mise en circulation en France du produit importé, ainsi que son conditionnement pour la vente au détail en France, et dont l'importateur n'a pas à se faire juge de l'opportunité au prétexte, valable ou non, que le produit importé serait identique à un produit fabriqué et homologué en France et serait "couvert" par l'homologation attribuée à ce produit français, ce motif était inopérant et juridiquement infondé.
En l'espèce, face aux sociétés appelantes, qui soutiennent que la société Phytheron International n'a jamais demandé, encore moins obtenu une homologation spécifique au titre du produit Decis brésilien importé en France, force est de constater que cette société n'est pas en mesure de justifier avoir demandé et obtenu elle-même, pour le produit en cause, une homologation spécifique en vue de son importation. Cette justification ne saurait sérieusement résulter de la production en douane à l'occasion de cette importation, d'une copie d'un " certificat d'homologation " qui, à dires d'expert non contestés, ne correspondait pas aux pièces d'homologation émises par le Service de la Protection des Végétaux du Ministère de l'Agriculture, lesquelles ne concernent que la seule homologation du produit Decis français au seul profit de la société Procida.
Dès lors, même si le produit Decis brésilien importé a pu comporter en sa formulation et en ses préconisations d'emploi des caractéristiques identiques ou similaires à celle du produit Decis français, la reproduction, par la société Phytheron International sur l'étiquetage des emballages de cet insecticide d'origine brésilienne importé du numéro d'homologation du produit Decis français dont seule la société Procida était titulaire et qui ne pouvait réglementairement être attribué qu'à ce seul produit a constitué de sa part non seulement une tromperie, à l'égard du consommateur, sur la nature du produit au sens de l'article 422-1-2e du Code pénal ancien, mais encore un acte délibéré de concurrence déloyale, laissant accroire que le produit importé était régulièrement homologué en France et que, prêt à l'emploi sous son conditionnement d'origine, il répondait donc aux exigences réglementaires françaises en ce qui concerne son efficacité et son innocuité à la suite d'un examen positif par la commission des produits anti-parasitaires à usage agricole et par la commission d'étude des produits anti-parasitaires à usage agricole.
Il convient, en conséquence, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu ce grief de tromperie et par voie de conséquence, de concurrence déloyale à l'encontre de la société Phytheron International, importateur, du chef de l'utilisation indue d'un numéro d'homologation dont elle n'était pas titulaire sur les conditionnements d'un produit phytosanitaire importé.
B- Sur le grief de concurrence déloyale fondé sur la reproduction servile de l'étiquette utilisée pour la commercialisation du produit Decis français :
Les préconisations d'utilisation des produits phytosanitaires importés et commercialisés en France sont imposées par les articles 5149 à 5222 du Code de la santé publique, par le décret n° 88-1232 du 19 décembre 1988 et par l'arrêté ministériel du 28 mars 1989.
En l'espèce, où la traduction en langue française de l'étiquette brésilienne du produit brésilien Decis n'a pas été versée aux débats par les sociétés appelantes ou intimées, il doit être observé, au vu des productions et arguments échangés que l'étiquette en langue française du produit Decis brésilien importé contient la reproduction, traduite du brésilien, de l'ensemble des mentions obligatoires réglementaires; qu'elle contient en outre des mentions d'information relatives à l'utilisation du produit, telles que "Decis sera utilisé seul dans la majorité des cas en tant qu'insecticide" ou encore "il sera, avant de traiter, versé dans la cuve au dernier moment avant de traiter", qui paraissent reproduire les mentions de l'étiquette Decis français ainsi libellées : "en tant qu'insecticide Decis CE sera utilisé seul dans la majorité des cas" et "Decis CE sera versé dans la cuve au dernier moment avant de traiter".
Mais, comme le soutient à juste titre la société Phytheron International ces mentions, de nature purement technique, n'impliquant en elles-mêmes qu'un travail de conception et de rédaction des plus réduits et dépourvu de toute originalité créatrice, constituent des éléments d'information objectifs imposés par la définition même des produits, dont la composition est similaire et dont l'emploi est identique, et, surtout, sont imposées par les dispositions du Code de la santé publique, lesquelles prescrivent notamment d'énoncer les indications de danger, l'énumération des risques particuliers présentés par le produit et les conseils de prudence et précautions d'emploi, d'où il suit qu'en reproduisant les mêmes expressions ou des expressions similaires pour recommander l'utilisation isolée du produit ou pour recommander un mode de mise en œuvre du produit, la société Phytheron International et la société Sodep ne sauraient se voir reprocher une faute quasi-délictuelle quelconque, ces données ne pouvant caractériser un acte de concurrence déloyale. Par ailleurs les ressemblances de présentation en dimension, en couleur et en typographie ne sont pas telles qu'elles puissent caractériser la copie servile ou même l'imitation alléguée.
Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu le grief de concurrence déloyale du chef de la copie servile ou l'imitation de l'étiquetage du produit Decis français.
C- Sur le grief de concurrence déloyale fondé sur la pratique d'un prix inférieur :
Les sociétés appelantes, spécialement la société Agrevo Prodetech seule demanderesse en réparation du chef de la concurrence déloyale contre les sociétés Phytheron International et Sodep concluent de ce chef à la confirmation du jugement déféré par adoption de motifs. La société Phytheron International réplique exclusivement sur le terrain de la comparaison des prix de vente.
En ce qui concerne le grief de concurrence déloyale du chef du bénéfice retiré par la société Phytheron International pour avoir commercialisé en France le produit Decis brésilien en s'abstenant d'engager les frais de l'homologation spécifique de ce produit, il convient de confirmer le jugement déféré, qui a justement retenu que cette économie artificielle a concouru nécessairement à la fixation du prix en France du produit Decis brésilien à une valeur notablement inférieure (150 F le litre au lieu de 180 F pour le produit Decis français), faussant le jeu régulier de la concurrence.
D- Sur l'imputation à la société Sodep des griefs de concurrence déloyale retenus contre la société Phytheron International :
Contrairement à ce que soutiennent les sociétés appelantes, c'est à juste titre, en des motifs que la Cour adopte, que les premiers juges ont débouté la société Procida (Agrevo Prodetech) de sa demande en réparation dirigée contre la société Sodep du chef des actes de concurrence déloyale pour avoir revendu les produits Decis brésilien sous un emballage portant le numéro d'homologation attribué au seul produit Decis français et pour avoir pratiqué un prix d'achat et de revente inférieur à ceux du produit Decis français.
Rien, en effet, ne permet d'affirmer, sauf par pure pétition de principe, que la société Sodep, fût-elle professionnel de la vente de produits phytosanitaires agricoles, ait pu avoir connaissance, par simple examen des étiquettes et des documents de vente, du caractère "douteux" ou " illicite " du produit Decis brésilien acquis par elle auprès de l'importateur, voire qu'elle ait, en cette qualité, commis une faute d'imprudence ou de négligence en revendant ce produit sans s'être assurée de son "caractère licite". Ayant pu constater, sur l'étiquetage du conditionnement, l'existence d'un numéro d'homologation présumé authentique et correspondant au produit vendu, la société Sodep pouvait légitimement croire non seulement à la réalité de l'homologation mentionnée mais à la régularité de l'importation du produit qu'elle achetait, et cette apparence la dispensait de toute vérification complémentaire. De même, ayant acheté le produit Decis brésilien au pris de 150 F le litre, soit 30 F de moins que le produit Decis français, la société Sodep, commercialisant des produits phytosanitaires dans un marché soumis à la concurrence nationale et internationale, n'était pas censée devoir s'alarmer de cette différence de prix, et moins encore censée devoir vérifier si cette différence ne proviendrait pas, pour partie au moins, d'une économie sur les frais d'homologation spécifique du produit, donc d'un acte de concurrence déloyale commis en amont par l'importateur.
Il convient, en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Procida (Agrevo Prodetech) de son action en réparation dirigée contre la société Sodep, et de débouter les sociétés appelantes de leur appel tendant à obtenir au profit de la société Agrevo Prodetech la condamnation de la société Sodep in solidum avec la société Phytheron International à réparer le préjudice subi.
E- Sur la demande en réparation formée par la société Agrevo Prodetech seule du chef de la concurrence déloyale contre la société Phytheron International :
Il appartient à la société Agrevo Prodetech d'établir les préjudices qu'elle allègue du chef des actes de concurrence déloyale retenus contre la société Phytheron International. Pour réclamer globalement la somme de 1.000.000 F "sauf à parfaire", la société Agrevo Prodetech invoque une baisse du volume des ventes du produit Decis français en France, une baisse des prix de ce produit en France, un "préjudice moral" et des frais " engagés du fait des procédures en cours ", en soulignant qu'elle a engagé une action en réparation de même nature devant plusieurs tribunaux français, que le préjudice global subi par elle et par la société Hoechst Marion Roussel (celle-ci du chef de la contrefaçon) serait évalué à 111.370.953 F, et qu'elle se borne ici à réclamer une réparation forfaitaire sans rapport nécessaire avec le volume des ventes de produit Decis brésilien admis par la société Phytheron International, mais aussi fondé sur le caractère déceptif des actes de concurrence déloyale retenus contre cette société et qui ont "jeté le discrédit" sur les produits Decis français.
Il ressort des productions que dans sa déclaration de créance du 30 mai 1997 entre les mains du représentant des créanciers de la société Phytheron International, la société Agrevo Prodetech a fait figurer le quantum des condamnations qu'elle a obtenues contre cette société devant la Cour d'Appel d'Orléans par arrêts du 25 février 1997 et devant la Cour d'Appel de Toulouse, "sauf à parfaire". La société Agrevo Prodetech est donc fondée, contrairement à ce que soutient Maître Lavallart ès qualités, à invoquer devant la Cour d'Appel de céans le préjudice spécifique résultant des actes de concurrence déloyale retenu dans son ressort contre la société Phytheron International dès lors que, comme il s'évince sans ambiguïté de la motivation de ces arrêts, l'indemnisation fixée par ces deux autres cours d'appel a été arrêtée en excluant explicitement celle qui pourrait être attribuée dans le cadre des instances mettant en cause, dans différents autres ressorts judiciaires, les revendeurs du produit Decis brésilien en même temps que la société Phytheron International prise en qualité d'importateur-vendeur dans une aire géographique limitée, ensemble à la suite des procédures de saisie-contrefaçon diligentées par la société Roussel Uclaf. La demande en réparation de la société Agrevo Prodetech ne se heurte donc ni à l'autorité de la chose jugée, ni au principe découlant de l'adage " non bis in idem ".
Le préjudice réparable s'inscrit donc dans la limite des importations suivies de ventes réalisées par la société Phytheron International auprès de la société Sodep et des ventes de la société Sodep et la société Coquillaud des 9 et 22 novembre 1990 du produit brésilien qu'elle avait importé en octobre 1990 auprès de la société Coast Limited, observation faite qu'il n'est pas contesté que cette importation et cette commercialisation aient été renouvelées postérieurement à la date à laquelle le contrat de licence exclusif consenti par la société Roussel Uclaf à la société Procida a été rendu opposable aux tiers à la suite de son enregistrement à l'INPI, soit le 27 mars 1991, et que l'incidence dommageable de ces ventes doit s'apprécier exclusivement dans le cadre limité où se situe la zone d'activité commerciale de la société Sodep et de la société Coquillaud, exclusion faite de la région de Saintes où la société Agrevo Prodetech a introduit également une instance identique en réparation (contre une société Phytosem).
Il est constant que la société Phytheron International a revendu à la société Sodep 2.500 litres de produit Decis brésilien et que la société Sodep en a elle-même revendu 108 litres à la SARL Jean Coquillaud, dont le siège est situé dans le ressort du Tribunal de Grande Instance d'Angoulême. Cette dernière quantité doit être la mesure des préjudices allégués. Il revient à la société Agrevo Prodetech d'établir l'incidence de ces ventes spécifiques et des importations réalisées en amont sur les conditions dans lesquelles d'abord, dans le même laps de temps, et dans cette aire géographique, elle a pu enregistrer une baisse corrélative de ses ventes du produit Decis français auprès de sa clientèle habituelle, dans lesquelles encore elle a dû accepter alors une baisse de ses prix de vente et une réduction de ses marges, dans lesquelles enfin le caractère déceptif de la qualité du produit Decis brésilien a pu constituer pour elle un "préjudice moral" commercial en l'obligeant, en particulier, à un effort de promotion accru pour maintenir le niveau habituel de ses ventes malgré la concurrence causée par l'appropriation indue de l'homologation reconnue au Decis français et par l'offre du produit Decis brésilien à un prix inférieur.
Il est constant au vu des productions : 1°) qu'en 1990, la société Phytheron International a vendu en France 46.000 litres de produit Decis brésilien alors que la société Agrevo Prodetech (ex-Procida) a vendu en France 1.101.800 litres de produit Decis français, en sorte que la proportion purement arithmétique des unes par rapport aux autres est de 4,17 % et que la part des ventes opérées par l'intermédiaire de la société Sodep est de 0,22 % ; 2°) qu'à cette époque, le marché français des ventes d'insecticides à usage agricole a baissé, pour des causes conjoncturelles globales étrangères aux faits de l'espèce, de plus de 40 %, phénomène qui s'est poursuivi encore au-delà puisque la société Agrevo Prodetech reconnaît elle-même que ce marché est passé de 780 millions de francs en 1990 à 460 millions de francs en 1993 ; 3°) que spécialement, le marché spécifique des produits à base de pyréthrinoïdes, dont les produits Decis litigieux, a subi alors une baisse de prix significative ; 4°) que, dans le même temps, sont apparus sur ce marché spécifique une série de 22 produits contenant un pyréthrinoïde, dont la deltaméthrine employé dans les produits Decis français et brésilien ; 5°) que la société Procida, comme d'autres, notamment à partir de 1987 et en 1989, a décidé d'associer la molécule de pyréthrinoïde avec d'autres tels que le chorpyriphos-méthyl, le pyrimicarbe ou l'endosulfan, en sorte qu'une nouvelle série de produits insecticides à usage agricole a été, par cette société ou par d'autres, mise sur le marché, après homologation, entre 1990 et 1992 en vue de traitements insecticides agricoles de même nature.
Dans ces circonstances, l'incidence des ventes du produit Decis brésilien à la société Sodep et à la SARL Jean Coquillaud en octobre et novembre 1990 sur les ventes du produit Decis français dans le secteur d'activité commerciale considéré a été nécessairement très faible en pertes de volumes comme en valeur et n'a pu concourir que d'une manière insignifiante à la déceptivité du produit Decis français entré alors en concurrence avec des produits nouveaux ou avec une partie d'entre eux.
Il s'ensuit que, faute de meilleure preuve d'un dommage supérieur, l'indemnité réparatrice accordée par les premiers juges doit être tenue pour satisfactoire, et qu'il convient, en conséquence de débouter les sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech de leur appel incident du chef de l'évaluation du préjudice dont la seconde nommée réclame réparation, l'évaluation forfaitaire proposée n'étant nullement justifiée au regard des quantités importées et vendues en l'espèce, pas plus que ne sont justifiés l'incidence déceptive de ces ventes sur la notoriété et le prix du produit Decis français et l'effort de promotion corrélatif. Cette indemnité couvre de manière suffisante la perte de gains sur le produit Decis français et le dommage résultant du détournement, pour la campagne de traitement 1990, de la clientèle locale.
La réparation pécuniaire des actes de concurrence déloyale ci-dessus confirmée doit être accompagnée, à titre dé dommages et intérêts complémentaires justifiés par la publicité donnée alors au litige de la société Procida, par la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux ou revues au choix de la société Agrevo Prodetech et aux frais de la société Phytheron International comme ci-après précisé, par confirmation de la disposition semblable du jugement déféré.
De même, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a refusé d'assortir d'une astreinte un ordre de cesser la commission des actes de concurrence déloyale, cette réclamation étant alors, et de surcroît à la date du présent arrêt, devenue sans objet.
7- Sur les demandes annexes et les dépens :
A- Sur les demandes incidentes en réparation :
La société Sodep ne justifie pas mieux en cause d'appel qu'en première instance tant du caractère abusif de l'exercice, par les sociétés appelantes, du droit d'agir en justice à son encontre, que du préjudice distinct que lui aurait occasionné une telle faute. Elle doit donc être déboutée de sa demande incidente en réparation de ce chef.
Dans les circonstances de l'espèce telles qu'évoquées ci-dessus et dans les énonciations non contraires de l'exposé des motifs du jugement entrepris, la société Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) ne saurait être accueillie en son appel incident de la disposition du jugement déféré l'ayant déboutée de sa demande reconventionnelle en réparation fondée sur l'exercice abusif, par les sociétés Hoechst Marion Roussel (ex-Roussel Uclaf) et Agrevo Prodetech (ex-Provida) de leur droit d'agir en justice du chef de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale, cette dernière étant d'ailleurs accueillie et confirmée au profit de la société Agrevo Prodetech.
En outre, c'est à juste titre, en des motifs que la Cour adopte que les premiers juges ont écarté toute intention malicieuse de la société Procida dans l'énoncé des communiqués de presse parus, notamment dans le périodique Le Magasin Agricole du mois d'octobre 1991 et ont écarté de ce chef la demande reconventionnelle en réparation de la société Phytheron International, laquelle, de surcroît, n'a ni en première instance, ni en cause d'appel caractérisé le préjudice distinct qu'elle aurait subi dans l'exercice de son activité commerciale à raison du contenu de ces communiqués.
B- Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Le jugement déféré doit être confirmé en ses dispositions statuant sur les dépens et sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Les dépens d'appel exposés du chef de la mise en cause de la société Phytheron Holding (Maître Lavallart ès qualités), de la mise en cause de Monsieur Jean Coquillaud, et de la mise en cause de la SARL Jean Coquillaud et de ses représentants légaux (Maître Noël et Maître Barthe ès qualités) demeurent à la charge, in solidum, des sociétés Hoechst Marion Roussel (ex-Roussel Uclaf) et Agrevo Prodetech (ex-Procida).
Le surplus des dépens d'appel, dont il est fait masse, doit être mis à la charge in solidum des sociétés appelantes pour moitié et de la société Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) pour moitié.
L'article 700 du Code de procédure civile doit être appliqué, en équité, au profit de la société Agrevo Prodetech à la charge de la société Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) d'une part, et au profit de la société Sodep à la charge in solidum des sociétés appelantes d'autre part, ensemble comme précisé ci-après.
Par ces motifs, LA COUR, et ceux non contraires des premiers juges, Recevant en la forme l'appel des SA Roussel Uclaf et Agrevo Prodetech, I- En procédure : Vu les articles 16 et 783 du Code de procédure civile, Rejette des débats l'acte de signification des sociétés appelantes du 11 mai 1998 à Maître Barthe et Maître Noël ès qualités de représentants légaux de la SARL Jean Coquillaud en redressement judiciaire, et les conclusions desdits Maître Barthe et Maître Noël ès qualités du 18 mai 1998, II- Au fond : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la SA Phytheron Holding en liquidation judiciaire représentée par Maître Lavallart ès qualités de liquidateur et en ce qu'il a mis hors de cause Monsieur Jean Coquillaud, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable les actions en réparation des sociétés Roussel Uclaf et Agrevo Prodetech dirigées contre la SARL Jean Coquillaud du chef de contrefaçon et de concurrence déloyale, Constate que sont définitives les dispositions du jugement déféré ayant déclaré la société Agrevo Prodetech (ex-Procida) irrecevable à agir en contrefaçon de marque et, en tant que de besoin, confirme de ce chef le jugement déféré, Constate l'intervention volontaire à l'instance de la SA Hoechst Marion Roussel venant aux droits de la SA Roussel Uclaf, et de Maître Lavallart ès qualités de liquidateur de la SA Phytheron International en liquidation judiciaire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SA Roussel Uclaf (devenue la SA Hoechst Marion Roussel) de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SA Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) au titre de la contrefaçon de la marque française Decis, d'imitation frauduleuse et illicite de ladite marque et d'usage de ladite marque contrefaite pour avoir importé et commercialisé dans les départements de la Charente (SARL Coquillaud) et de la Charente-Maritime (SA Sodep) en octobre, novembre et décembre 1990 un produit phytosanitaire de marque brésilienne Decis fabriqué et exporté du Brésil par la société de droit brésilien Quimio Produtos, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la SA Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités) a commis des actes de concurrence déloyale envers la société Agrevo Prodetech (ex-Procida) par apposition trompeuse et indue sur l'emballage du produit de marque Decis brésilienne importé et commercialisé dans le département de la Charente et de la Charente-Maritime d'un numéro d'homologation 7.700.204 délivré le 30 novembre 1989 par le Ministère de l'Agriculture dont seule la SA Agrevo Prodetech était titulaire pour la fabrication et la vente au détail prêt à l'emploi du produit sous licence de la marque française Decis, et par pratique d'un prix de vente du produit sous marque Decis brésilienne inférieur au prix de vente du produit sous marque Decis française, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu comme fait constitutif de concurrence déloyale l'imitation servile de l'étiquette du produit de marque française Decis par l'étiquette du produit importé de marque brésilienne Decis, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé condamnation pécuniaire contre la SA Phytheron International du chef des actes de concurrence déloyale et statuant à nouveau, Déclare mal fondé l'appel principal de la SA Agrevo Prodetech du chef du montant des réparations réclamées au titre des actes de concurrence déloyale, Vu les articles 47, 48, 50 et 51 de la loi n° 15-98 du 25 janvier 1985, Fixe à la somme de 15.000 F (quinze mille francs) augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, le montant de la créance de la SA Agrevo Prodetech à l'égard de la SA Phytheron International en liquidation judiciaire (Maître Lavallart ès qualités) représentant l'indemnité réparatrice des dits actes de concurrence déloyale, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu le principe de la publication par voie de presse, et statuant à nouveau de ce chef, Dit que cette publication est ordonnée au seul profit de la SA Agrevo Prodetech et à titre de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, Ordonne en conséquence, par substitution aux dispositions similaires du jugement déféré, la publication du dispositif du présent arrêt par la SA Agrevo Prodetech dans deux quotidiens ou périodiques de son choix, aux frais de la SA Phytheron International, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser la somme de 10.000 F, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SA Agrevo Prodetech de sa demande tendant à voir ordonner sous astreinte la cessation des actes de concurrence déloyale, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SA Phytheron International (Maître Lavallart, ès qualités) de da demande reconventionnelle en réparation, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, Y ajoutant, Déboute la SA Sodep de sa demande incidente en réparations fondées sur l'exercice abusif du droit d'agir en justice ou sur la résistance abusive à l'exercice d'un droit, Laisse à la charge, in solidum, des SA Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech les dépens d'appel exposés du chef de la mise en cause de la SA Phytheron Holding (Maître Lavallart ès qualités), de Monsieur Jean Coquillaud et de la SARL Jean Coquillaud (Maître Noël et Maître Barthe ès qualités), Dit que le surplus des dépens d'appel, dont il est fait masse, est supporté pour moitié in solidum par les sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech, et pour moitié par la société Phytheron International (Maître Lavallart ès qualités). Autorise la SCP Arsene-Henry & Lancon, la SCP Boyreau et la SCP Michel Puybaraud (avoué de la société Phytheron Holding et Maître Lavallart ès qualités), Avoués, à recouvrer directement contre les parties condamnées ceux des dépens d'appel dont ils ont fait l'avance sans en avoir reçu provision.