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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 11 mars 1999, n° 98-0001302

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Socasport (SA)

Défendeur :

Décathlon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM Derdeyn, Prouzat

Avoués :

Me Rouquette, SCP Touzery-Cottalorda

Avocats :

Mes Vezian, Courrech.

T. com. Perpignan, du 4 nov. 1997

4 novembre 1997

La société anonyme Décathlon exploite, depuis plusieurs années, un magasin d'articles de sport situé au lieu-dit " Mas Conte ", route nationale n° 9 à Perpignan, actuellement avenue d'Espagne.

Le 20 février 1996, le Maire de Perpignan a délivré, sur la base d'une autorisation de lotir résultant d'un arrêté du 28 avril 1994, trois permis de construire, dont celui n° 6613695PO336, obtenu par une société civile immobilière " LES ROSES " pour l'implantation d'un bâtiment à usage commercial, d'une surface de vente de 1.499 m² ; ce bâtiment, aujourd'hui achevé et ouvert au public depuis début juillet 1997, est donc situé dans un lotissement dénommé " Les Portes de l'Europe ", rond point des Arcades à Perpignan.

Au motif que ce bâtiment avait été édifié en vertu d'un permis illégal au regard des règles d'urbanisme, particulièrement en ce qui concerne l'autorisation de la commission départementale d'équipement commercial prévue à l'article 29 de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, et que son exploitation commerciale constituait ainsi une concurrence déloyale, la société anonyme Socasport, elle-même propriétaire d'un magasin d'articles de sport à l'enseigne " Intersport " situé avenue d'Espagne à Perpignan, a assigné le 22 août 1997 la société Décathlon devant le Tribunal de Commerce de Perpignan en vue d'obtenir la fermeture sous astreinte du fonds de commerce et le versement de la somme de 300.000 Francs à titre de dommages et intérêts et, subsidiairement, la saisine du Tribunal administratif de Montpellier d'une question préjudicielle sur la légalité du permis de construire n° 6613695PO336 délivré le 20 février 1996 à la SCI " Les Roses " et du retrait, le 23 mai 1997, des permis de construire n° 6613695PO062 et 6613695PO063, également délivrés le 20 février 1996, à la SCI " Les Mimosas V " et à la SCI " Les Palmiers V ".

Par jugement du 4 novembre 1997, la juridiction consulaire a débouté la société Socasport de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Décathlon la somme de 5.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Socasport a régulièrement relevé appel de ce jugement le 6 mars 1998.

Par arrêt avant dire droit du 1er octobre 1998, la Cour a invité la société Socasport à fournir, pièces justificatives à l'appui, ses explications quant au préjudice direct et certain qu'elle prétend subir du fait de l'exploitation par la société Décathlon d'un magasin de vente sans autorisation d'urbanisme commercial.

La société Socasport soutient en substance que :

- les trois permis de construire délivrés le 20 février 1996 constituaient une même opération d'aménagement foncier au sens de l'article 29-1 de la loi du 27 décembre 1973 modifiée par la loi " Doubin " du 31 décembre 1990, d'une surface commerciale supérieure à 1.500 m², et nécessitaient donc l'obtention d'une autorisation préalable d'urbanisme commercial,

- le retrait, en mai 1997, des deux permis de construire délivrés à la SCI " Les Mimosas V " et à la SCI " Les Palmiers V ", n'a pu avoir pour effet de rendre légal le troisième permis de construire, dés lors qu'à la date de la délivrance du permis à laquelle il convient de se placer, celui-ci se trouvait entaché d'illégalité à défaut d'une autorisation préalable de la Commission départementale d'équipement commercial, et la décision de retrait prise par le Maire de Perpignan, après l'expiration des délais de recours contentieux, est elle-même illégale,

- le magasin " Décathlon II " forme un site commercial, tel que prévu à l'article 29-1 de la loi du 27 décembre 1973 modifiée, avec le garage Renault Perpignan, les concessionnaires Toyota, Fiat et Opel, ainsi que dernièrement Quick, conçu pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements, ce dont il résultait qu'une autorisation d'exploitation commerciale était nécessaire à la validité du permis,

- les deux établissements de la société Decathlon situés de part et d'autre de l'avenue de l'Espagne, font d'ailleurs partie d'un même ensemble commercial au regard des critères définis à l'article 29-1 susvisé, dés lors qu'ils se trouvent sur le même site géographique et qu'ils font l'objet d'une gestion commune que caractérise notamment une même publicité commerciale et qu'ils sont réunis par une structure juridique commune, l'exploitation du magasin implanté dans le lotissement " Les Portes de l'Europe " étant également, de ce fait, illégale,

- par lettre du 18 février 1997, le Préfet des Pyrénées Orientales a mis en demeure la société Décathlon de cesser les travaux, injonction à laquelle il n'a pas été déféré, malgré son caractère exécutoire,

- le permis d'aménagement modificatif déposé le 9 juin 1997 par la société Décathlon n'a pas été délivré, entraînant ainsi l'irrégularité de l'exploitation actuelle de cette surface commerciale et de l'apposition de l'enseigne " Décathlon ",

- le fait pour la société Décathlon d'exploiter illégalement une surface commerciale de 1.500 m² constitue un acte de concurrence déloyale à l'origine d'un préjudice manifeste,

- l'étude du cabinet d'expertise comptable Bonnet et Maury révèle en effet que la progression du magasin Intersport a été stoppée en août 1997, lors de l'ouverture illégale du magasin Décathlon, que la reprise de la progression, en avril 1998, n'est qu'apparente, puisque sa surface de vente passée à cette date de 1.000 à 1.750 m² et que pour la période d'août 1997 à novembre 1998, la perte de chiffres d'affaires s'établit à 11.440.661 Francs, soit un préjudice de 3.774.659 Francs par rapport à un taux de marge brute de 39,79 %.

La société Socasport conclut donc, par réformation du jugement, à la fermeture du fonds de commerce " Décathlon " exploité dans le lotissement " Les Portes de l'Europe ", sous astreinte de 50.000 Francs par infraction constatée 8 jours après la signification de l'arrêt à intervenir, et la condamnation de la société Décathlon au paiement des sommes de 3.774.659 Francs a titre de dommages et intérêts et 20.000 Francs sur le fondement d l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; subsidiairement, elle demande qu'il soit sursis à statuer dans l'attente du sort du recours formé par la SCI " Les Roses " à l'encontre de la mise en demeure préfectorale du 18 février 1997 ou dans l'attente de la question préjudicielle posée au Tribunal administratif de Montpellier quant à la légalité du permis de construire n° 6613695PO336 et du retrait des permis de construire n° 6613695PO062 et 6613695PO063 ; elle sollicite, dans cette perspective, que la Cour ordonne, à titre de mesure provisoire, soit la fermeture sous astreinte du fonds, soit l'enlèvement de toute enseigne " Décathlon ", de tout signe distinctif sur le bâtiment ou le parking, le retrait de toute publicité mentionnant l'existence du magasin " Décathlon II " et l'interdiction de toute publicité, de quelque nature que ce soit, y afférente.

La société Décathlon conclut pour sa part à la confirmation du jugement et sollicite la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 50.000 Francs en remboursement de ses frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

- le retrait, en mai 1997, des deux permis de construire délivrés à la SCI " Les Mimosas V " et à la SCI " Les Palmiers V " a opéré de manière rétroactive, en sorte que lesdits permis sont considérés n'avoir jamais existé, le retrait des deux autorisations de construire garantissant ainsi la régularité de la construction du magasin Décathlon qui, compte tenu d'une surface de vente inférieure à 1.500 m², ne nécessitait pas une autorisation préalable d'urbanisme commercial,

- le magasin " Décathlon II " ne forme pas un ensemble commercial, au sens de la loi " Doubin ", avec le garage Renault dés lors qu'il n'existe aucun aménagement conçu pour permettre à une même clientèle de circuler entre ces deux magasins, ce que confirme d'ailleurs le Préfet des Pyrénées Orientales dans un courrier du 31 janvier 1996 adressé au Maire de Perpignan,

- il ne saurait davantage constituer un ensemble commercial avec les concessionnaires Toyota, Fiat et Opel, situés de l'autre côté de la rocade sud et donc, sur un emplacement géographique distinct,

- les deux magasins Décathlon sont séparés entre eux par la route nationale n° 9 dont l'axe comporte un mur en béton infranchissable pour les piétons, chacun présente un accès automobile distinct et les trajets permettant de se rendre de l'un à l'autre ont une longueur de 2 kms environ et entraînent le passage de plusieurs ronds-points, ce dont il résulte qu'ils ne sont pas situés sur le même site et que la qualification d'ensemble commercial se trouve exclue,

- dés lors que les travaux de construction du second magasin ont été entrepris en vertu d'un permis de construire obtenu le 20 février 1996, devenu définitif, la SCI " Les Roses ", titulaire du permis, n'avait pas à se plier à une mise en demeure du Préfet d'interrompre les travaux, mise en demeure manifestement illégale puisqu'elle avait pour effet de revenir sur des droits acquis et qu'elle ne reposait sur aucun fondement légal,

- la demande de permis de construire modificatif du 9 juin 1997 est sans incidence sur la régularité de l'exploitation commerciale,

- la société Socasport ne justifie pas, en toute hypothèse, du préjudice financier qu'elle prétend subir du fait de l'ouverture du magasin Décathlon, la stagnation de son chiffre d'affaires d'août 1997 à mars 1998 tenant à l'effet conjugué de l'ouverture de magasins concurrents dont 4 pour la seule ville de Perpignan et des travaux d'agrandissement de son propre magasin de vente.

Sur quoi :

Attendu que la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, dans sa rédaction de la loi du 29 janvier 1993 applicable en la cause, dispose que sont notamment soumis pour autorisation à la commission départementale d'équipement commercial, les projets de constructions nouvelles entraînant création de magasins de commerce de détail d'une surface de plancher hors œuvre supérieure à 3000 m2, ou d'une surface de vente supérieure à 1500 m2;

Attendu que l'article 29-1 de ladite loi édicte par ailleurs que pour la détermination des seuils de superficie prévus au 10 de l'article 29, il est tenu compte de tous les magasins de commerce de détail qui font partie ou sont destinés à faire partie d'un même ensemble commercial et que sont regardés comme faisant partie d'un même ensemble commercial, qu'ils soient ou non situés dans des bâtiments distincts et qu'une même personne en soit ou non le propriétaire ou l'exploitant, les magasins qui sont réunis sur un même site et qui :

- soit ont été conçus dans le cadre d'une même opération d'aménagement foncier, que celle-ci soit réalisée en une ou en plusieurs tranches,

- soit bénéficient d'aménagements conçus pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements,

- soit font l'objet d'une gestion commune de certains éléments de leur exploitation, notamment par la création de services collectifs ou l'utilisation habituelle de pratiques et de publicités commerciales communes,

- soit sont réunis par une structure juridique commune, contrôlée directement ou indirectement par au moins un associé, exerçant sur elle une influence au sens de l'article 357-1 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ou ayant un dirigeant de droit ou de fait commun ;

Attendu que même si trois permis de construire ont été délivrés, le 20 février 1996, par le Maire de Perpignan en vue de l'édification, dans le lotissement " Les Portes de l'Europe ", de trois bâtiments à usage commercial excédant les seuils de superficie prévus à l'article 29 de la loi du 27 décembre 1973, il s'avère que deux des trois permis de construire ont été ultérieurement retirés, que seul le bâtiment dans lequel se trouve actuellement exploité, depuis juillet 1997, le magasin " Décathlon II ", a été édifié en vertu du permis de construire n° 6613695PO336 délivré à la SCI " Les Roses " pour une surface de plancher hors œuvre nette de 2.689 m² et une surface de vente de 1.499 m² et que ledit permis dont la légalité n'a pas été contestée devant la juridiction administrative, est devenu définitif ;

Attendu que l'obtention d'un permis de construire sans l'autorisation préalable requise à l'article 29 de la loi du 27 décembre 1973, a pour effet d'interdire l'exploitation des surfaces commerciales concernées ; qu'en l'espèce, l'unique bâtiment édifié dans le lotissement " Les Portes de l'Europe " sur la base d'un permis devenu définitif, ne peut être regardé comme faisant partie d'un même ensemble commercial avec des magasins, également projetés dans le lotissement, mais qui ont fait l'objet de permis de construire retirés ;

Attendu qu'il ne peut davantage être considéré que le magasin " Décathlon II " forme un ensemble commercial avec le garage Renault ou les concessionnaires automobiles Toyota, Fiat et Opel, du fait de l'existence d'aménagements conçu~ pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements ;

Attendu que si le magasin " Décathlon II " se trouve implanté sur une parcelle contigue de celle du garage Renault, les deux magasins ayant un accès commun, sur une dizaine de mètres à partir du rond-point formé par l'avenue d'Espagne et la rocade sud, il apparaît que leurs voies de circulation sont nettement distinctes, aucun aménagement ne permettant de circuler de l'un à l'autre, les voies étant à sens unique ; qu'en outre, lesdits magasins sont séparés par une clôture grillagée d'environ 2 mètres de hauteur interdisant aux piétons d'accéder de l'un à l'autre, le garage Renault disposant d'une sortie distincte, située, avant le rond-point, sur l'avenue d'Espagne, ainsi que d'une entrée secondaire ou " entrée nord " ;

Attendu que les concessionnaires Toyota, Fiat et Opel sont séparés du magasin " Décathlon II ", distants de 300 mètres environ, par la rocade sud ; que la sortie du magasin " Décathlon II " se fait, à partir d'un passage sous la rocade sud, par une voie de désenclavement également utilisée par les concessionnaires automobiles, mais les accès aux magasins sont différents, qu'ils s'effectuent soit par le rond-point formé par l'avenue d'Espagne et la rocade sud, soit par le rond-point du Mas Comtoroux ;

Attendu qu'en ce qui concerne les deux magasins Décathlon implantés l'un au lieu-dit " Mas Conte " et l'autre dans le lotissement " Les Portes de l'Europe ", ils sont certes réunis par une structure juridique commune, mais ils ne peuvent être considérés comme installés sur un même site, c'est à dire dans une même zone géographique ; qu'il importe en effet de relever que les deux magasins, distants de 300 mètres environ, sont séparés par une voie à grande circulation, la route nationale n° 9, impossible à traverser du fait d'un mur de béton implanté sur l'axe médian et que la communication entre les deux points de vente ne peut s'effectuer, pour la clientèle potentielle, que par des carrefours giratoires, qu'il s'agisse du rond-point du Mas Comtoroux, du rond-point du 18 juin 1940 ou du rond-point Auchan, conduisant à un rallongement des trajets ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que par courriers des 8 et 11 février 1997 adressés au gérant de la SCI " Les Roses ", le Préfet des Pyrénées Orientales a soutenu que l'implantation du magasin " Décathlon II " dans le bâtiment alors en cours de construction " pourrait être de nature, à elle seule, à constituer un ensemble commercial avec le magasin déjà existant et que le dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme commercial était dés lors nécessaire ", que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 février 1997, le Préfet a ainsi mis en demeure " de cesser les travaux concernant le projet mis en œuvre pour la réalisation d'une surface commerciale soumise aux dispositions de la loi d'orientation du commerce et de l'artisanat " ;

Attendu que la méconnaissance par la SCI " Les Roses " de la mise en demeure du Préfet d'avoir à cesser les travaux ne peut à elle seule fonder l'action en concurrence déloyale de la société Socasport, la Cour considérant en effet que le magasin " Décathlon II " ne se trouve pas implanté dans un ensemble commercial au sens de l'article 29-l de la loi du 27 décembre 1973 ; qu'au surplus, la mise en demeure du Préfet est intervenue après l'expiration des délais de recours contentieux relatifs au permis de construire, lequel a été affiché en Mairie du 28 février au 30 avril 1996 et sur le terrain, à compter du 6 mars 1996 ;

Attendu que le défaut de délivrance d'un permis de construire modificatif faisant suite à une demande déposée le 9 juin 1997 par la société Decathlon, relativement au réaménagement intérieur de son magasin, n'est pas, pour sa part, de nature à empêcher l'exploitation commerciale du magasin, la société Socasport ne justifiant pas davantage du préjudice que lui cause l'absence de délivrance de ce permis modificatif ;

Attendu que la société Décathlon n'a donc pas commis de faute, liée à l'exploitation d'un commerce de détail dans des conditions irrégulières au regard des règles d'urbanisme commercial ; qu'il convient en conséquence, par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Attendu que l'appelant qui succombe doit être enfin condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à l'intimé la somme accessoire de 8.000 Francs en remboursement des frais non taxables que celui-ci a dû exposer dans cette procédure et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement entrepris, Condamne la société Socasport aux dépens d'appel et à payer à la société Décathlon la somme accessoire de 8.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.