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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 7 mars 2001, n° 1998-25816

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oakley Europe (SARL), Oakley (Inc)

Défendeur :

France Quick (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bernabé Chardin Cheviller

Avocats :

Mes Thieffry, Fauquet.

T. com. Paris, 15e ch., du 6 nov. 1998

6 novembre 1998

La société de droit américain Oakley Inc est titulaire en France du modèle de lunette n° 94.6518 déposé le 30 novembre 1994 et commercialisé sous le nom " Eye Jacket ".

La société Oakley Europe distribue en France de façon exclusive les modèles de la société américaine Oakley Inc.

Reprochant à la société France Quick d'offrir à ses clients, lors d'une opération promotionnelle, un modèle de lunette reproduisant les caractéristiques du sien, les sociétés Oakley, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon, le 8 octobre 1997, ont saisi le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles L. 122-4 et L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle sollicitant, outre les mesures d'interdiction, de confiscation aux fins de destruction, et de publication habituelles, paiement d'une somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, ainsi que d'une somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 6 novembre 1998, le tribunal de commerce tout en retenant que le modèle invoqué n'était pas original, dès lors qu'il ne faisait que refléter la tendance du marché, a reconnu que celui-ci présentait un caractère de nouveauté en raison de sa physionomie propre et estimé que le modèle déposé était valable au regard des disposition du Livre V du Code de la propriété intellectuelle. Il a toutefois considéré que les seuls éléments communs des deux montures relevaient d'un genre non protégeable et a débouté les sociétés Oakley de leurs demandes en contrefaçon de modèle. Relevant par ailleurs qu'il n'existait aucun risque de confusion et que, loin d'avilir le modèle, la médiocre qualité des lunettes publicitaires offertes ne pouvait que valoriser le modèle original, le tribunal a également rejeté les prétentions des demanderesses au titre de la concurrence déloyale, les condamnant solidairement à payer à la société France Quick la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 26 décembre 1998, par les sociétés Oakley Inc et Oakley Europe ;

Vu les conclusions du 29 janvier 2001 par lesquelles les sociétés Oakley Inc et Oakley Europe poursuivent l'infirmation de la décision entreprise et demandent à la Cour de :

- dire que les lunettes diffusées par la société France Quick dans le cadre de son opération promotionnelle constituent la contrefaçon du modèle 94.6518 dont la société Oakley Inc. est titulaire et qui est commercialisé en France par la société Oakley Europe ;

- dire qu'en distribuant de telles lunettes, la société France Quick s'est rendue coupable de contrefaçon de modèle au sens de l'article L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et de concurrence déloyale à leur préjudice,

en conséquence,

- interdire à la société France Quick d'offrir à la vente, de vendre, de distribuer, directement ou indirectement, toute paire de lunettes litigieuses, sous astreinte de 5.000 francs par infraction commise à compter de la signification de la décision,

- condamner la société France Quick à leur verser la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts né tant de la contrefaçon que de la concurrence déloyale,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans 5 journaux de leur choix et aux frais de la société France Quick dans la limite de 30.000 francs HT par insertion,

- condamner la société France Quick à leur payer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

faisant valoir à l'appui de leur demande :

- que la contrefaçon du modèle Eye Jacket est avérée, tant au regard de la nouveauté du modèle, laquelle ne fait l'objet d'aucune antériorité de toute pièce, qu'au regard de son originalité,

- que les actes de parasitisme et de concurrence déloyale résultent suffisamment du comportement de la société France Quick qui cherche, en copiant leur modèle phare, dans une couleur proche de celle qu'elles utilisent, pour une opération promotionnelle, à créer dans l'esprit du jeune public qui est concerné, un risque de confusion et s'approprier le bénéfice d'investissements financiers importants,

- que le préjudice subi est d'autant plus grave que le modèle incriminé, de peu de qualité est diffusé en quantités importantes, ce qui avilit leur modèle en le banalisant, porte atteinte à leur image de marque et détourne la clientèle, les privant du bénéfice des investissements qu'elles ont réalisés ;

vu les conclusions du 11 décembre 2000 par lesquelles la société France Quick conteste les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire qui lui sont reprochés soulignant que les éléments revendiqués par les appelantes comme caractéristiques de leur modèle, appartiennent à un genre non susceptible d'appropriation, et, sollicitant la confirmation de la décision entreprise, demande paiement d'une somme de 50.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Sur ce,

Sur la contrefaçon :

Considérant que la société Oakley Inc caractérise son modèle par une monture monobloc épaisse sans rupture de ligne, césure ou angle marqué et/ou simulé, dont la face avant, aux extrémités évasées encercle des verres de découpe ovale rejoints par un pont nasal horizontal, rabaissé par rapport au sommet de la monture, créant sur le bord supérieur un effet d'ondulation et lui conférant une silhouette parfaitement symétrique en forme de huit horizontal ;

Considérant qu'en application de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle est protégeable tout dessin nouveau, toute forme plastique nouvelle ou tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle ;

Considérant, comme la Cour devant laquelle les modèles en cause ont été produits a pu le constater, que le modèle des lunettes de la société France Quick constituent la copie quasi servile du modèle Eye Jacket de la société Oakley Inc tant dans l'agencement des différents éléments ci-dessus retenu que dans les volumes et proportions ; que la superposition des deux modèles se réalise de façon quasi parfaite ;

Que les différences qui tiennent au caractère bombé du pont nasal, à la découpe des branches et à la présence sur leur partie haute d'un " O " écrasé, lesquelles sont à peine perceptibles, n'affectent nullement l'impression d'ensemble qui se dégagent des deux modèles en présence ;

Que la contrefaçon de modèle est en conséquence amplement avérée ;

Que la couleur du modèle contrefaisant, au demeurant proche de celle du modèle opposé, est invoquée de façon inopérante par la société France Quick ;

Sur les actes de parasitisme :

Considérant que les sociétés Oakley justifient, par la production d'une importante revue de presse et par diverses plaquettes techniques que le modèle Eye Jacket constitue le modèle phare de la société Oakley Inc diffusé en France par la société Oakley Europe ; que l'image de marque qui s'attache au modèle se trouve renforcée par l'usage qu'en ont fait de nombreuses vedettes du sport ou du spectacle tel qu'en atteste l'importante revue de presse produite aux débats ;

Considérant qu'en adoptant un tel modèle pour promouvoir ses prestations de restauration rapide, la société France Quick a manifestement cherché à détourner à son profit la notoriété que les sociétés Oakley ont conféré au modèle à raison des efforts publicitaires et financiers et des investissement qu'elles ont consacrés pour la conception et la mise au point du modèle; que l'action parasitaire résulte suffisamment de l'utilisation qu'a faite la société France Quick du modèle contrefait ; que les actes de contrefaçon constituent en tout état de cause pour la société Oakley Europe, distributeur exclusif en France du modèle en cause, un acte de concurrence déloyale ;

Que l'absence de situation de concurrence entre les parties s'agissant d'une action parasitaire avérée, est inopérante et ne fait pas disparaître le comportement fautif de la société France Quick;

Sur la réparation du préjudice :

Considérant qu'en réduisant au rang d'un gadget publicitaire un modèle de lunettes jouissant d'une notoriété certaine tant en raison de sa qualité que de l'idée de luxe qui s'y rattache, la société France Quick a nécessairement porté atteinte à l'image de marque du modèle;

Que diffusé en grande quantité (plus de 50.000 exemplaires) et dans une qualité médiocre, le modèle contrefaisant avilit et banalise le modèle opposé ;

Que la clientèle potentielle, laquelle en raison des prix pratiqués peut légitimement exiger une exclusivité et une diffusion limitée du modèle, est nécessairement conduite, à brève échéance, à se détourner de ce dernier ;

Que le préjudice causé tant au titre de la contrefaçon de modèle pour la société Oakley Inc qu'au titre de la concurrence parasitaire pour les deux appelantes, justifie, outre l'octroi d'une somme de 500.000 francs de dommages-intérêts, le prononcé des mesures accessoires sollicitées, selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après ;

Considérant enfin que la société France Quick qui succombe, ne peut valablement prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il convient en revanche d'allouer aux sociétés appelantes la somme de 50.000 francs pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs, infirme la décision entreprise et statuant à nouveau, Dit que les lunettes diffusées par la société France Quick dans le cadre de son opération promotionnelle constituent la contrefaçon du modèle 94.65 18 dont la société Oakley Inc. est titulaires et qui est commercialisé en France par la société Oakley Europe, Dit qu'en distribuant de telles lunettes, la société France Quick s'est rendue coupable de contrefaçon de modèle au sens de l'article L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ainsi qu'au regard du droit d'auteur régit par le même Code, et de concurrence parasitaire à leur préjudice, en conséquence, Interdit à la société France Quick d'offrir à la vente, de vendre de distribuer, directement ou indirectement, toute paire des lunettes litigieuses, sous astreinte de 5.000 francs par infraction commise à compter de la signification de la décision, Condamne la société France Quick à verser aux société Oakley Inc et Oakley Europe la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts, Ordonne la publication de la décision à intervenir dans 3 journaux de leur choix et aux frais de la société France Quick dans la limite de 30.000 francs HT par insertion, Condamne la société France Quick à payer aux sociétés Oakley Inc et Oakley Europe la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Met les entiers dépens à la charge de la société France Quick et dit que ces dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.