CA Paris, 4e ch. A, 27 mars 2002, n° 2001-20977
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
JP Labalette (Sté)
Défendeur :
Conseil et Service Assurances (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mme Magueur, Mme Rosenthal-Rolland
Avoués :
Me Cordeau, SCP Menard Scelle Millet
Avocats :
Mes Thibault, Durand.
La société JP Labalette, courtier en assurance, offre aux conducteurs rencontrant des difficultés pour bénéficier d'une assurance automobile un produit spécifique qu'elle désigne sous l'acception " SOS Malus ".
Le 29 mars 1989, elle a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque figurative " SOS Malus ", enregistrée sous le n° 1.624.384, pour désigner, en classe 36, les produits et services suivants : plan de protection des souscripteurs de polices d'assurance automobile faisant l'objet soit de majorations tarifaires pour une cause contractuelle, accidentelle, occasionnelle ou récidivante, soit d'une dénonciation de garantie de leur compagnie d'assurances pour cause de sinistre ou non paiement de prime.
La société Godon-Conseil Service Assurances (dite ci-après CSA) ayant déposé, le 30 mai 1994, à titre de marque, la dénomination " Stop Malus " inscrite dans un panneau octogonal noir reproduit dans un carré, enregistrée sous le n° 94.522.661, pour désigner, en classe 36, les produits et services d'assurances automobiles, la société Labalette s'est émue auprès de cette société de ce qu'elle considère comme une contrefaçon par imitation de sa marque, précisant que depuis 1986 ses campagnes de publicité associaient l'expressions " SOS Malus au panneau de circulation Stop.
Par lettre du 8 octobre 1994, la société CSA, dénonçant la banalité du mot malus et du logo dans le cadre d'une activité d'assurance, précisait " qu'elle ne souhaitait pas la guerre ", d'autant que les prospects recueillis par sa propre publicité venaient grossir le portefeuille du cabinet Labalette auprès duquel elle souscrivait les contrats relevant de ce type d'assurés autos.
Constatant que la société CSA avait cessé de souscrire auprès d'elle de tels contrats et exploitait, sous la marque litigieuse, des produits concurrentiels, la société Labalette, a déposé en couleur, le 9 février 1999, une marque semi figurative " SOS Malus ", enregistrée sous le n° 99.775.035, visant les mêmes produits et services que sa marque précédente, ladite marque représentant le panneau rouge et blanc de signalisation routière Stop dans lequel ce vocable est remplacé par l'expression " SOS Malus ".
Par acte du 15 avril 1999 et après nouvelle mise en demeure, elle a assigné la société CSA en contrefaçon de marque devant le tribunal de grande instance d'Evry-Corbeil.
Par jugement du 6 septembre 2001, le tribunal a :
- débouté la société Labalette de ses demandes en contrefaçon de la marque " SOS Malus " n° 1.624.384, et de ses demandes présentées au titre de la concurrence déloyale,
- déclaré nulle la marque SOS Malus n° 99.775.035 déposée par la société Labalette, le 9 février 1999,
- condamné la société Labalette à procéder à la radiation de cette marque dans le mois de la signification,
- ordonné à la société Labalette de cesser toute publicité associant les termes SOS Malus à un panneau STOP,
- condamné ladite société à payer à la société CSA la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, en réparation des actes de contrefaçon,
- ordonné la publication de la décision entreprise dans deux journaux professionnels au choix de la société CSA et aux frais de la société Labalette sans que le coût d'insertion puisse excéder 20.000 francs,
- alloué à la société CSA la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société JP Labalette a interjeté appel de cette décision, le 10 octobre 2001.
LA COUR,
Vu les conclusions du 11 février 2002 aux termes desquelles la société JP Labalette prétend :
- qu'il existe un risque de confusion entre sa marque verbale " SOS Malus " et la marque semi figurative " Stop Malus " de la société CSA en raison de leur similitude intellectuelle,
- qu'en déposant sa marque semi figurative, la société CSA s'est inscrite sans son sillage et a voulu détourner à son profit les efforts publicitaires qu'elle a développés en créant, de surcroît, un risque de confusion dans l'esprit du public,
- que la dénomination " SOS Malus ", associée au panneau stop, pour désigner le produit phare de la société Labalette, est diffusée sur l'ensemble du territoire et constitue, son nom commercial et son enseigne, faisant obstacle à toute utilisation ultérieure par un tiers à titre de marque,
- que la société CSA ne peut valablement soutenir que l'appel serait dépourvu d'objet ensuite de la radiation de la marque semi figurative " SOS Malus ", enregistrée sous le n° 99.775.035 à laquelle elle n'a procédé qu'en raison de l'exécution provisoire assortissant cette mesure,
- que la société CSA est, à tout le moins, déchue de ses droits sur sa marque à défaut de justifier d'un usage sérieux de celle-ci pendant une période ininterrompue de 5 ans,
- que le dépôt opéré par cette société, le 30 mai 1994, est frauduleux,
- qu'elle ne justifie d'aucun intérêt à voir retirer du marché la marque semi figurative de la société Labalette,
et demande en conséquence à la Cour de :
- constater la nullité de la marque " Stop Malus ", ou, à tout le moins sa déchéance,
- constater les agissements de contrefaçon et de concurrence déloyale commis à son détriment,
- dire que la société J.P. Labalette est fondée à déposer la marque figurative comprenant un hexagone rouge avec la mention " SOS Malus ",
En conséquence,
- interdire sous astreinte de 1.000 francs, par jour et par infraction constatée l'utilisation de la dénomination " Stop Malus " ainsi que du panneau Stop associé à un produit d'assurance destinés à la clientèle des conducteurs " malusés ",
- ordonner la radiation de la marque " Stop Malus " auprès de l'INPI sous astreinte de 1.000 francs par jour, à compter du prononcé de la décision,
- dire que la société JP Labalette pourra se faire assister de tout huissier de son choix pour la constatation des infractions,
- autoriser ledit huissier à pénétrer en tous lieux où se trouveraient le sigle et la marque et l'autoriser à se faire assister le cas échéant de la force publique,
- constater la validité du dépôt de sa marque figurative,
- condamner la société CSA à lui payer la somme de 22.867 euros à titre de dommages- intérêts pour son préjudice matériel, et la somme de 15.244,90 euros au titre de son préjudice moral,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens de diffusion nationale (Le Figaro, Le Monde et Libération) ainsi que dans trois journaux gratuits distribués à Paris dans le région parisienne et dans des encarts d'au moins un demie page,
- lui octroyer la somme de 4.574,47 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 15 février 2002 par lesquelles la société CSA, réfutant point par point l'argumentation de l'appelante, souligne que la radiation de la marque semi figurative n° 99.775.035 à laquelle la société JP Labalette a procédé, prive celle-ci de tout intérêt à agir sur le fondement de cette marque et à demander que soit constaté la validité du dépôt qui en avait été fait, le 9 février 1999, poursuit la confirmation de la décision entreprise sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 50.000 euros, tant au titre de la contrefaçon de marque qu'au titre de la concurrence déloyale, conclut au rejet de la demande en déchéance de sa marque présentée pour la première fois en appel, et réclame paiement d'une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
Considérant que la société JP Labalette poursuit l'annulation de la marque complexe " Stop Malus " qui appartient à la société CSA, opposant à cet effet sa marque et son nom commercial " SOS Malus " qui leur sont antérieurs ;
Mais considérant que la marque verbale " SOS Malus " est parfaitement banale et faiblement distinctive, du fait même de son fort pouvoir évocateur, s'agissant de désigner des produits d'assurance destinés aux conducteurs rencontrant des difficultés pour se faire assurer en raison des malus qui leur sont infligés ; que cette faible distinctivité de la marque n'est, par ailleurs, pas compensée par une quelconque notoriété ; que la société Labalette se contente d'invoquer sans en justifier, les publicités auxquelles elles se réfèrent à cet effet n'étant pas de nature à établir que la marque serait connue d'une partie significative des personnes concernées ;
Que la reprise à l'identique, par la marque seconde, du terme Malus, lequel n'est pas distinctif des produits visés, n'est pas pertinente, dès lors que le vocable " Stop " qui s'y trouve associé, placé en attaque, permet à l'expression " Stop Malus " de se distinguer de la marque opposée, tant visuellement et phonétiquement qu'intellectuellement, les deux termes d'attaque " Stop " et " SOS ", étant immédiatement perçus, même par un consommateur d'attention moyenne, dans leur spécificité et leur différence ;
Que pour des motifs identiques qui tiennent à l'absence de tout risque de confusion entre les signes en présence, la société JP Labalette n'est pas davantage fondée à opposer la dénomination " SOS Malus " à titre de nom commercial, étant observé que ce nom, qui sert à distinguer l'entreprise, aux yeux du public, dans ses activités économiques, ne s'étend pas au panneau de forme octogonale en forme de panneau Stop qu'accompagnent le seul mot " Malus " ou l'expression " Operation SOS Malus agent agréé " tels qu'ils figurent dans les publicités ;
Qu'elle invoque en vain, pour les mêmes motifs, son enseigne dont elle ne justifie pas, au surplus faire usage pour désigner son établissement ;
Qu'elle ne démontre pas que la marque de la société CSA, qu'elle critique, aurait été déposée en fraude d'un droit qu'elle serait fondée à opposer à cette société ;
Que le tribunal a exactement estimé qu'il n'existait aucun risque de confusion entre les deux dénominations en cause et a rejeté, à bon droit, le grief de contrefaçon de marque par imitation ;
Considérant que la société JP Labalette n'est pas fondée à faire valider sa marque semi- figurative n° 99.775.035, dès lors qu'elle a fait procéder, quel qu'en soit le motif, à sa radiation sur le registre national des marques de l'INPI ;
Qu'elle est, en revanche, bien fondée à poursuivre l'infirmation de la décision dont appel en ce qu'elle l'a condamnée pour contrefaçon de marque en raison du dépôt qu'elle avait opéré le 9 février 1999 ;
Considérant sur ce point que la société CSA ne peut valablement prétendre que la représentation octogonale d'un panneau STOP serait suffisamment distinctive des produits se rapportant à l'assurance pour en interdire toute reproduction par un tiers ; qu'elle a d'ailleurs elle-même reconnu ce fait dans la lettre en réponse adressée le 8 octobre 1994 ; que la marque " SOS Malus " ne constitue pas la contrefaçon par imitation de la marque semi figurative " Stop Malus ", les deux dénominations, qui occupent une place prédominante au sein des deux marques semi figuratives en présence et s'imposent immédiatement au public moyennement attentif, étant de nature à écarter tout risque de confusion ; que la société CSA n'est pas fondée dans ces conditions à prétendre que le dépôt du 9 février 1999 aurait été opéré en fraude de ses droits ;
Qu'il convient, en conséquence, d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société JP Labalette au paiement de dommages-intérêts pour contrefaçon de marque et de débouter la société CSA de la demande qu'elle a formée à ce titre ;
Considérant que la société JP Labalette sollicite la déchéance de la société CSA de ses droits de marque faute d'utilisation sérieuse pendant une période ininterrompue de 5 ans ;
Considérant que si cette demande est recevable en appel dès lors qu'elle tend à s'opposer aux demandes que la société CSA, elle est toutefois mal fondée, la société CSA justifiant, par la production de factures et de coupures de presse, qu'elle a fait un usage sérieux et constant de sa marque depuis 1994, sous une forme qui n'en altère pas le caractère distinctif ; que la société JP Labalette interprète au surplus de façon erronée le texte de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle qui régit les demandes de déchéance, la période interrompue de 5 ans visant la période de non exploitation de la marque, et non, comme elle le soutient à tort, la durée d'exploitation de celle-ci ;
Considérant que la société JP Labalette soutient encore que la société CSA, en reproduisant le panneau octogonal Stop qu'elle utilisait depuis de longues années pour communiquer auprès du public des " malusés ", s'est inscrite dans son sillage et a cherché à tirer profit, sans bourse délier, de la publicité qu'elle ne cesse d'engager pour développer son produit ;
Mais considérant, comme il l'a été précédemment indiqué, que la déclinaison d'un panneau Stop comme élément de communication d'un produit d'assurance est particulièrement banale et ne peut faire l'objet, en soi, d'une quelconque appropriation; que la société JP Labalette ne verse aucun élément de nature à établir que la représentation graphique d'un panneau Stop serait indissociablement liée, dans l'esprit du public, à son nom en raison des investissements publicitaires qu'elle a engagés ;
Considérant que la société JP Labalette, qui ne justifie d'aucun acte distinct de concurrence déloyale ou parasitaire, doit être déboutée des demandes qu'elle a formées à ce titre ;
Que la société CSA ne justifie pas davantage d'actes de concurrence déloyale à raison de l'utilisation d'un tel panneau ;
Qu'elle doit également être déboutée des demandes qu'elle a formulée à ce titre ;
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, la demande de publication de l'arrêt à intervenir n'apparaît pas justifiée ; qu'il convient au surplus de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles en cause d'appel, la somme de 10.000 francs allouée à la société CSA au titre de ses frais de première instance devant lui rester acquise ;
Par ces motifs, confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société JP Labalette des demandes formulées au titre de la contrefaçon de la marque n° 1.624.384 " SOS Malus " et au titre de la concurrence déloyale et a octroyé une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la société CSA pour ses frais irrépétibles de première instance ; l'infirmant sur le surplus et statuant à nouveau, rejette toutes autres demandes et prétentions formulées par les parties, dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.