CA Paris, 4e ch. A, 16 janvier 2002, n° 1997-06313
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Saint Benoît Heupropac (SA), Bouillot
Défendeur :
Laboratoires Fumouze (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Regniez
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Bertholon, Mendras
La société Laboratoires Fumouze est titulaire de la marque verbale Sterimar, enregistrée sous le n° 1.424.154, déposée, le 26 octobre 1967, et régulièrement renouvelée, pour désigner, en classe 5, les produits hygiéniques. Elle commercialise sous cette dénomination une solution d'eau de mer destinée à l'hygiène à usage médical et/ou paramédical.
Le 21 juin 1994, Xavier Bouillot a déposé à l'INPI la marque dénominative Marister, enregistrée sous le n° 94.525.952, pour désigner, en classe 3 et 5, des produits cosmétiques, pharmaceutiques, vétérinaires et d'hygiène à usage médical et/ou paramédical. Il exploite cette marque, au travers de la société Aqualab, dont il est le gérant, pour un produit d'hygiène nasale à base d'eau de mer.
Prétendant que cette marque constitue la contrefaçon de la sienne, et reprochant à la société Aqualab de présenter son produit, de façon mensongère, comme étant " le seul spray marin garanti stérilisé sans recours au rayonnement gamma d'ions radioactifs ", la société Laboratoires Fumouze a, par acte du 14 mars 1995, assigné Xavier Bouillot et la société Aqualab devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale, sollicitant paiement d'une somme de 1 000 000 F de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque, et d'une somme de 1 000 000 F de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale, outre le prononcé des mesures d'interdiction et de publication d'usage et le paiement d'une somme de 35 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ordonnance du 23 juin 1995, confirmée par la cour d'appel, elle a obtenu l'interdiction de l'utilisation de la marque Marister et du slogan critiqué.
Par conclusions du 22 octobre 1996, la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, venant aux droits de la société Laboratoires Fumouze, est intervenue volontairement à l'instance, reprenant à son compte l'instance initiée par cette dernière.
Par jugement du 6 décembre 1996, le Tribunal de grande instance de Paris a:
- déclaré la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, recevable en son intervention volontaire,
- donné acte à cette société de ce qu'elle reprend à son compte l'ensemble des demandes de l'ancienne société Fumouze.
- rejeté la fin de non-recevoir tiré du défaut d'intérêt à agir,
- dit que Xavier Bouillot, en déposant la marque Marister n° 94.53 5952 et la société Aqualab, en l'exploitant, sans l'autorisation de la société Laboratoires Fumouze, ont commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque Sterimar n° 1.424.154 dont la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, est titulaire,
- dit qu'en présentant pour sa publicité le produit Marister comme le " seul spray marin garanti stérilisé sans recours aux rayonnements gamma d'ions radioactifs ", la société Aqualab a commis des actes de concurrence déloyale,
- en conséquence, interdit à Xavier Bouillot et à la société Aqualab de poursuivre ces agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- prononcé la nullité de l'enregistrement n° 94.525.952 de la marque Marister demandé, le 21 juin 1994, par Xavier Bouillot,
- condamné, in solidum, Xavier Bouillot et la société Aqualab à payer à la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour la contrefaçon de marque,
- condamné la société Aqualab à payer à la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, la somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts pour la concurrence déloyale,
- débouté Xavier Bouillot et la société Aqualab de leur demande reconventionnelle et celle au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné in solidum Xavier Bouillot et la société Aqualab à payer à la société Laboratoires Fumouze anciennement Email Diamant la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par acte du 17 février 1997, Xavier Bouillot et la société Laboratoires Aqualab ont interjeté appel de cette décision.
Par un précédent arrêt de cette chambre du 22 juin 1999, la cour a ordonné la réouverture des débats, enjoignant à la société Laboratoires Fumouze et Laboratoires Fumouze anciennement Email Diamant de produire toute justification de leur qualité à agir, et renvoyé l'affaire à la mise en état.
LA COUR,
Vu les dernières écritures de la société Aqualab et de Xavier Bouillot en date du 12 octobre 2000, aux termes desquelles elles sollicitent le débouté des intimés pour défaut de qualité à agir, faisant valoir à cet effet que la société Fumouze a été dissoute par l'opération de fusion absorption de la société Sofibel et que la société Fumouze, anciennement Email Diamant ne justifie pas de cette qualité;
Vu les conclusions du 15 novembre 2001 par lesquelles la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac, se disant venir aux droits de Xavier Bouillot et de la société Aqualab:
- soutient que la société Fumouze doit être déclarée irrecevable à agir, ayant été dissoute et radiée du registre du commerce, le 9 avril 1996,
- précise qu'elle vient aux droits de la société Aqualab qui a été absorbée par la société Nature & Life, à compter du 12 avril 1998, qu'elle a, à son tour, absorbée,
- s'estime en conséquence recevable à intervenir aux lieu et place de Monsieur Bouillot et de la société Aqualab,
- limite son appel aux seuls faits de concurrence déloyale qu'elle conteste, les produits s'adressant, selon elle, à une clientèle distincte et n'ayant été diffusés que pendant une période extrêmement courte, d'octobre 994 à janvier 1995,
- ajoute que le préjudice invoqué n'est pas justifié et que l'atteinte qui a pu être portée est restée modeste,
et demande en conséquence à la cour, réformant le jugement entrepris, de:
- dire que la société Aqualab n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Laboratoires Fumouze,
- dire que le préjudice subi, toutes causes confondues, ne pourra être que symbolique et tout plus évalué à la somme de 50 000 F,
- condamner la société Laboratoires Fumouze à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions du 30 juillet 2001 aux termes desquelles les sociétés Laboratoires Fumouze et Laboratoires Fumouze anciennement Email Diamant demandent à la cour de:
- constater qu'elles apportent la justification de leur qualité à agir et rejeter, en conséquence, l'exception d'irrecevabilité soulevée devant la cour par les appelants,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a accueilli l'action en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale, sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elles demandent de porter à la somme de 1 000 000 F, sollicitant de surcroît la publication de la décision à intervenir et le paiement d'une somme de 35 000 F à titre d'indemnité, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi,
Sur la recevabilité de la société Fumouze:
Considérant, référence faite au précédent arrêt de cette chambre du 22 juin 1999, qu'après avoir absorbé la société Fumouze, la société Sofibel a apporté l'activité " pharmacie-biologie " de celle-ci à la société Email Diamant, laquelle a adopté la dénomination Laboratoires Fumouze, reprenant celle de l'ancienne société;
Qu'après réouverture des débats, l'ancienne et la nouvelle société Laboratoires Fumouze ont justifié de la régularité des opérations sus-visées en produisant aux débats l'intégralité des actes qui s'y rapportent, établissant que les conditions suspensives, auxquelles ces opérations étaient soumises, ont bien été réalisées;
Que les appelants ne contestent d'ailleurs plus la qualité à agir de la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, laquelle, se trouvant aux droits de la demanderesse initiale, est recevable en son action, observations étant faites que le transfert des marques au profit de cette dernière a été régulièrement publié au registre national des marques;
Que le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Fumouze Email Diamant recevable à agir doit être confirmé;
Sur les actes de contrefaçon de la marque n° 1.424.154 Sterimar:
Considérant que les appelants ne remettent pas en cause les actes de contrefaçon de la marque Sterimar n° 1.424.154, qui appartient à la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, par la marque Marister n° 94.525.952, dont Xavier Bouillot est titulaire;
Que la société Laboratoires Saint-Benoit Heupropac, qui vient aux droits de la société Aqualab, pour l'avoir, via la société Nature & Life, absorbée, ne peut valablement prétendre qu'elle viendrait également au lieu et place de Xavier Bouillot, propriétaire de la marque contrefaisante Marister, faute de justifier d'un transfert de celle-ci à son profit, régulièrement inscrit au registre national des marques;
Que les actes de contrefaçon qui résulte du dépôt de la marque contrefaisante Marister, effectué, le 21 juin 1994, par Xavier Bouillot, restent imputables à ce dernier, en l'absence de transfert opposable aux tiers;
Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il énonce que Xavier Bouillot en déposant la marque Marister et la société Aqualab (aux droits de laquelle se trouve la société Laboratoires Saint-Benoit Heupropac), en l'exploitant, ont enfreint l'interdiction posée par l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle et commis des actes de contrefaçon par imitation;
Sur les actes de concurrence déloyale:
Considérant que l'aérosol Marister a été présenté dans la publicité comme " le seul spray marin garanti stérilisé sans recours aux rayonnement gamma d'ions radioactifs ";
Qu'il est constant que le produit Sterimar est également stérilisé sans recours à l'irradiation;
Que l'affirmation de la société Aqualab selon laquelle son produit serait le seul a être stérilisé sans irradiation est donc mensongère et caractérise un acte de concurrence déloyale avéré;
Considérant que la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac invoque en vain le fait que les deux produits ne seraient pas commercialisés par les mêmes réseaux de distribution, s'agissant de produits parfaitement concurrents et substituables, cette assertion étant au surplus contredite par les témoignages de pharmaciens versés aux débats;
Que le tribunal a exactement relevé que le slogan utilisé, en laissant supposer que les autres produits étaient stérilisés par irradiation, était de nature à provoquer un réflexe de peur chez le consommateur du produit Sterimar; qu'à tout le moins elle véhicule une image négative des autres produits, préjudiciable à la diffusion de ceux-ci;
Qu'il a justement estimé que la publicité faite par la société Aqualab, mensongère et dénigrante, était constitutive d'une concurrence déloyale;
Sur les mesures réparatrices:
Considérant que l'atteinte portée à la marque Sterimar est d'autant plus grave qu'il s'agit d'un produit largement diffusé, dont il n'est pas contesté qu'il est connu du grand public;
Que cette atteinte, même si les produits critiqués n'ont été diffusés par la société Aqualab que d'octobre 1994 à janvier 1995, engendre un préjudice important pour la société Laboratoires Fumouze, dévalorisant la marque en la banalisant; que ce préjudice ne saurait être évalué à une somme inférieure à celle de 250 000 F;
Que le préjudice qui s'infère nécessairement des actes de concurrence déloyale est d'autant plus grave que ces derniers ont véhiculé une image particulièrement négative du produit, peu important que la société Laboratoires Fumouze soit parvenue à maintenir le montant de son chiffre d'affaires; que le trouble commercial qui a été causé et le préjudice moral qui en est résulté justifie l'octroi à ce titre d'une somme de 200 000 F;
Considérant que si le tribunal a exactement ordonné les mesures d'interdiction qui s'imposent, il a rejeté, à tort, la demande de publicité, laquelle doit être ordonnée, à titre de dommages-intérêts complémentaires, selon les modalités énoncés au dispositif ci-après;
Considérant enfin que l'article 700 doit bénéficier à la société Laboratoires Fumouze; que la somme de 35 000 F doit lui être allouée à ce titre; que les appelants qui succombent doivent être déboutés de la demande qu'ils ont formé sur ce même fondement;
Par ces motifs, confirme le jugement entrepris en ce qu'elle a déclaré la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant, venant aux droits de la société Laboratoires Fumouze, recevable à agir dans le cadre de la présente instance; donne acte à la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac de son intervention volontaire et de ce qu'elle vient aux droits de la société Aqualab; confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le montant des dommages-intérêts, et statuant à nouveau à ce titre: condamne in solidum Xavier Bouillot et la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac, venant aux droits de la société Aqualab, à payer à la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant la somme de 38.112,25 euros (250 000 F) de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque, condamne la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac venant aux droits de la société Aqualab à payer à la société Laboratoires Fumouze anciennement Email Diamant, la somme de 30.489,80 euros (200 000 F) de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale; condamne in solidum Xavier Bouillot et la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac venant aux droits de la société Aqualab à payer à la société Laboratoires Fumouze, anciennement Email Diamant la somme de 5.335,72 euros (35 000 F) pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, en complément de la somme allouée par le tribunal pour ceux de première instance, condamne in solidum Xavier Bouillot et la société Laboratoires Saint Benoit Heupropac venant aux droits de la société Aqualab aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.