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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 28 mars 2001, n° 1999-04081

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sebagh

Défendeur :

Stéphane Kelian (SA), Mosquitos (Sté), Compagnie Internationale de la Chaussure (Sté), Polygone (Sté), Bach (ès qual.), Martin (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseiller :

M. Lachacinski

Avoués :

SCP Regnier-Bequet, SCP Baskal, SCP Fisseller Chiloux Boulay, SCP Teytaud

Avocats :

Me Nusimovici, SCP Nataf, Fajgenbaum, Mes Baschet, Tuffreau.

T. com. Paris, 15e ch. du 20 nov. 1998

20 novembre 1998

La société Stéphane Kelian a pour principale activité la création, la fabrication et la commercialisation d'articles de maroquinerie et de chaussures pour hommes et femmes, qu'elle commercialise notamment sous la marque "Stéphane Kelian".

Revendiquant les droits de propriété intellectuelle sur le modèle de chaussure pour femme qu'elle a créé pour sa collection Automne/Hiver 1996/1997 et qu'elle commercialise, depuis cette époque, sous la référence CAPE, tant auprès de clients détaillants multimarques que dans les magasins qu'elle exploite au travers de sa filiale, la société Turbulence, sous les enseignes "Stéphane Kelian" et "Martien Kelian", la société Stéphane Kelian a fait pratiquer des saisies contrefaçon:

* le 30 janvier 1998, au sein d'un magasin "Shoe Bizz" exploité par Monsieur Raphaël Sebagh,

* le 12 décembre 1997 au sein de la société Compagnie Internationale de la Chaussure (dite CIC), filiale du groupe Andre, qui commercialisait un modèle contrefaisant dans des magasins à l'enseigne Orcade,

* le 15 décembre 1997, sur le stand Orcade des Galeries Lafayette de Montparnasse,

lesquelles opérations ont révélé que les modèles incriminés avaient été fournis par la société Francelor.

Par acte des 29 janvier et 27 février 1998 la société Stéphane Kelian et la société Turbulence (devenue Mosquitos) ont assigné Monsieur Sebagh, la société CIC et la société Francelor devant le tribunal de commerce de Paris, en contrefaçon de modèle et/ou en concurrence déloyale.

Par jugement du 20 novembre 1998, le tribunal de commerce de Paris a :

* dit le modèle Cape digne de protection,

* validé les différentes saisies contrefaçon,

* dit que la société Francelor, la société CIC et Monsieur Sebagh exerçant sous la "marque" Shoe Bizz se sont rendus coupables de contrefaçon au préjudice de la société Stéphane Kelian et les a condamnés, in solidum, à ce titre, à payer lui payer la somme de 500.000 F de dommages-intérêts,

* dit que la société Francelor s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'encontre de la société Stephane Kelian et l'a condamnée à ce titre à lui payer la somme de 480.000 F de dommages-intérêts,

* dit que la société CIC et Monsieur Sebagh se sont rendus coupables de concurrence déloyale au préjudice de la société Turbulence et les a condamnés à ce titre à payer à cette société les sommes respectives de 1.150.000 F et 780.000 F de dommages-intérêts,

* fait interdiction aux défendeurs de poursuivre la fabrication et la commercialisation d'articles contrefaisants le modèle CAPE, sous astreinte de 3.000 F par article à compter de la signification du jugement,

* ordonné en tant que de besoin la confiscation au profit de la société Stéphane Kelian aux fins de destruction de toutes les chaussures contrefaisantes encore en la possession des défendeurs, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard à l'expiration du mois suivant la signification du jugement,

* autorisé la publication par la société Stéphane Kelian de tout ou partie du jugement dans les journaux ou périodiques de son choix, disant que la société Francelor devra lui rembourser la somme maximum de 100.000 F au titre de cette publication,

* condamné in solidum les défendeurs à payer à la société Stéphane Kelian et à la société Turbulence la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* condamner la société Francelor à garantir la société CIC et Monsieur Sebagh des condamnations prononcées à leur encontre du chef de la contrefaçon de modèle ainsi qu'au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Cour,

Vu les appels interjetés à l'encontre de cette décision, les 20 janvier 1999 et 5 février 1999 par Monsieur Sebagh et par la société Francelor;

Vu l'intervention de Me Franklin Bach et de Me Patrick Martin, ès qualités de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire de la société Francelor, devenue la société Polygone, qui a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Angers du 4 octobre 2000

Vu les dernières conclusions du 14 février 2001 aux termes desquelles Monsieur Sebagh soutient:

- sur la contrefaçon de modèle

* à titre principal, que le modèle CAPE revendiqué par la société Stéphane Kelian n'est pas original et ne peut bénéficier de la protection légale,

* à titre subsidiaire, que le modèle Chypre ne constitue pas la contrefaçon du modèle Cape, les ressemblances autres que celles liées à un impératif technique, ne portant que sur des éléments déjà connus et la physionomie des deux modèles en présence étant notoirement différente,

- sur la concurrence déloyale : qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché tant à l'égard de la société Stéphane Kelian qu'à l'égard de la société Turbulence devenue Mosquitos, laquelle ne détient aucune exclusivité sur le modèle en cause et ne peut s'approprier un modèle dit de genre,

- sur le préjudice subi, que les sociétés susdites ne démontrent pas l'existence du préjudice qu'elles invoquent et qu'en tout état de cause, celui-ci a été surévalué par le tribunal de commerce et doit être réduit à plus juste proportion,

- sur l'appel en garantie à l'encontre de la société Francelor, que celui-ci est parfaitement valable tant en raison de l'engagement souscrit par cette dernière, le 2 mars 1998, que par application des dispositions de l'article 1625 et suivants du Code civil, le tribunal ayant par ailleurs statué ultra petita en rejetant la demande de garantie formée à l'encontre de la société Francelor qui n'opposait sur ce point aucun moyen,

et demande en conséquence à la Cour

* d'infirmer la décision entreprise et donner mainlevée pure et simple des saisies contrefaçon pratiquées le 30 janvier 1998,

* de condamner la société Stéphane Kelian à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral, et, in solidum, la société Stéphane Kelian et la société Turbulence à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour son préjudice matériel,

* d'ordonner la restitution de la somme de 390.000 F avec intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt à intervenir qu'elle a versée au titre de l'exécution provisoire assortissant les condamnations prononcées par le tribunal à concurrence de la moitié,

* subsidiairement, de fixer pour les causes sus énoncées au franc symbolique les dommages- intérêts qu'il conviendrait d'allouer à la société Stéphane Kelian au titre de la contrefaçon,

* de débouter la société Stéphane Kelian de son appel incident,

* de fixer pour les causes sus énoncées à 60.000 F le montant des dommages-intérêts qu'il conviendrait d'allouer à la société Turbulence et condamner ladite société à lui restituer la somme de 330.000 F avec intérêt au taux légal à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

* d'infirmer la décision rendue en ce qu'elle a limité la garantie de la société Francelor au seul chef de la contrefaçon, et fixer sa créance au montant des condamnations prononcées à son encontre, au passif de la société Francelor,

* condamner la société Francelor à lui payer la somme de 30.000 F au titre de l'article 70 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions du 19 février 2001 de la société Groupe André, venant aux droits de la société CIC soutient également :

* que le modèle Cape par sa banalité et son absence de nouveauté n'est pas digne de bénéficier de la protection légale et ne peut donc servir de fondement à une action en contrefaçon,

* que la société Stéphane Kelian n'a d'ailleurs pas cru devoir le déposer à titre de modèle,

* qu'aucune action n'est possible sur le fondement de la concurrence déloyale à défaut de tout risque de confusion et en l'absence de toutes pratiques parasitaires ou de "galvaudage" du modèle,

* que l'évaluation du préjudice opérée par le tribunal est critiquable et inéquitable tant en son principe qu'en son montant,

* qu'en tout état de cause, la société Francelor doit être condamnée à la garantir de l'intégralité des condamnations qui seraient mises à sa charge en raison des engagements souscrits par celle-ci, lesquelles condamnations ne sauraient au surplus être prononcées de façon in solidum à défaut d'agissements de concert,

et demande en conséquence à la Cour, infirmant la décision entreprise, de :

* condamner solidairement les sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos à payer à la société Groupe André la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure manifestement abusive et injustifiée,

* condamner la société Mosquitos à restituer à la société Groupe André la somme de 575.000 F avec intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

* condamner les sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos à lui payer la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* subsidiairement, de dire que la société Polygone Francelor devra la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, et fixer sa créance au montant des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au passif de ladite société

Vu les conclusions du 16 février 2001 par lesquelles Me Bach et Me Martin ès qualités de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire de la société Francelor, devenue Polygone:

* contestent les faits tant de contrefaçon que de concurrence déloyale, ainsi que le préjudice invoqué qu'ils prétendent non démontré, soulignant à cet effet que la société Francelor n'a réalisé aucune marge bénéficiaire sur les modèles critiqués et n'a tiré aucun profit de l'opération dénoncée, n'en voulant pour preuve que les pertes par elle subies,

* s'opposent à l'action en garantie de Monsieur Sebagh et de la société Groupe André, prétendant que les revendeurs ne justifiant pas de leur bonne foi, ne peuvent valablement exercer un recours en garantie à l'encontre de la société qu'ils représentent et doivent assurer les conséquences de leurs propres agissements et précisant que le Groupe André ne peut se prévaloir d'une quelconque créance à défaut de déclaration régulière dans le délai de l'article 66 du décret 27 décembre 1997,

et demandent en conséquence à la Cour :

* de débouter les sociétés Stéphane Kelian de toutes leurs demandes,

* à tout le moins, de donner acte à la société Francelor de ce qu'elle s'est acquittée auprès de la société Stéphane Kelian d'une somme de 500.000 F correspondant aux causes du jugement assorties de l'exécution provisoire,

* de déclarer Monsieur Sebagh et la société CIC (Groupe André) mal fondés en leur action en garantie,

* de condamner la société Stéphane Kelian à leur payer ès qualités la somme de 60.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions du 9 février 2001 par lesquelles les sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos (anciennement Turbulence), qui prétendent que la société Stéphane Kelian qui a divulgué le modèle CAPE sous son nom, est parfaitement recevable à agir en contrefaçon artistique de ce modèle, réfutent point par point l'argumentation qui leur est opposée et poursuivent la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le grief de concurrence déloyale à l'encontre de la société Groupe André et de Monsieur Sebagh et sur le montant des sommes allouées par les premiers juges à titre de dommages-intérêts, demandant à la Cour de :

* porter la fixation du préjudice subi par la société Stéphane Kelian du chef de la contrefaçon artistique de son modèle Cape à la somme de 2.500.000 F et celui du chef de la concurrence déloyale à la somme de 2.000.000 F,

* porter la fixation du préjudice subi par la société Mosquitos du chef des actes de concurrence déloyale commis par le Groupe André à la somme de 2.128.000 F et celui subi du chef des actes de concurrence déloyale commis par Monsieur Sebagh à la somme de 1.294.000 F,

* dire que Monsieur Sebagh, la société Groupe André et la société Polygone (Francelor) seront tenus in solidum de toutes les réparations des préjudices des sociétés concluantes,

* en conséquence, condamner les susnommés in solidum au paiement des sommes susvisées, sauf pour la société Polygone (Francelor) pour laquelle les dites sommes ne valent qu'à titre de fixation de créance,

* ordonner, outre les mesures d'interdiction habituelles et la remise à la société Stephane Kelian de tous les exemplaires des modèles contrefaisants qui seraient en possession des parties adverses, la publication dans 10 publications de leur choix, aux frais in solidum de la société Groupe André et de Monsieur Sebagh, sans que le coût de ces publications n'excède la somme de 300.000 F HT, la dite somme valant au titre de la fixation de créance au passif de la société Polygone (Francelor),

* condamner in solidum la société Groupe André et Monsieur Sebagh à leur payer une somme de 50.000 F pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel, et fixer à cette somme leur créance au passif de la société Polygone (Francelor);

Sur quoi,

Sur la recevabilité à agir en contrefaçon de la société Stéphane Kelian :

Considérant que dans le dernier état de ses écritures, Monsieur Sebagh ne conteste plus la qualité à agir de la société Stéphane Kelian détentrice, sur le modèle CAPE, qui lui est opposé, des droits d'exploitation d'auteur ;

Qu'il convient surabondamment de relever que les multiples pièces produites aux débats démontrent que la société Stéphane Kelian a toujours exploité sous ce nom le modèle en cause, en sorte qu'elle est présumée, à l'encontre des présumés contrefacteurs et en l'absence de toute revendication de la part d'une personne physique ou morale qui s'en prétendrait le créateur, être titulaire des droits d'auteur sur ce modèle ;

Sur la contrefaçon de modèle :

Considérant que la société Stéphane Kelian caractérise son modèle CAPE dans les termes suivants :

" la tige est de type mocassin, dont le plateau est revêtu d'une patte amincie en son milieu fixée par une double surpiqûre sur les côtés ; le plateau est également souligné d'un bourrelet, un élastique intérieur maintient le coup de pied, à l'arrière un léger matelassage est souligné par une piqûre; cette tige est associée à un bloc semelle enrobé de la même peausserie; ce bloc de semelle est légèrement relevé à l'arrière, à l'avant il s'amincit jusqu'à la " care de forme ", et la semelle d'usure remonte sur l'avant de la chaussure; l'association d'une tige de type mocassin de ville composée d'un semelage de type chaussure, l'association d'une tige de type mocassin de ville composée d'une semelage de type chaussure de sport dont le bloc semelle est enrobée de la même matière que la tige, permet de donner un aspect sportif et confortable à la chaussure tout en conservant son caractère de " chaussure de ville " " ;

Considérant que la société Stéphane Kelian ne revendique sur ce modèle qu'elle n'a pas déposé à l'INPI, que la protection du droit d'auteur instaurée par le Livre 1er du Code de la propriété intellectuelle ;

Qu'il convient en conséquence de rechercher si au regard des produits similaires ledit modèle est susceptible de constituer une œuvre de l'esprit au sens des dispositions légales qui régissent le droit d'auteur ;

Considérant que pour prétendre à la banalité du modèle, les sociétés appelantes produisent aux débats un certain nombre de coupures de presse ou de modèles similaires et notamment, le modèle de la société Chaussures Mephisto de 1982, société Reebok de 1995, le modèle 1310 de la société Attila de 1993, le modèle Marphon de la société Chene Poulard de 1996 ; qu'elles invoquent également les cahiers de tendances établis en 1995 par le bureau de style de la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure de France ;

Mais considérant qu'il convient de relever que le modèle Cape, même s'il reprend des éléments pour la plupart connus (tige mocassin, semelle épaisse, plateau revêtu de peausserie) doit être appréciée dans la combinaison des éléments qui a été adoptée; que cette combinaison, laquelle ne se retrouve nullement à l'époque dans aucune des chaussures similaires, résulte bien d'un processus créatif qui traduit le parti pris esthétique du créateur ;

Que cette combinaison d'éléments dans des proportions précises confère à l'ensemble un aspect esthétique qui, indépendamment de son mérite, est particulier ;

Que le modèle Cape, par ses caractéristiques telles que ci-dessus décrites, porte bien l'empreinte de la personnalité de son auteur et constitue en conséquence une œuvre de l'esprit protégeable à ce titre par le droit d'auteur, peu important que ce modèle s'inscrive dans les tendances de la mode révélées par le cahier de la Fédération nationale de l'industrie de la chaussure en France, lesdites tendances ne faisant nullement obstacle à ce que l'esprit créatif des stylistes puissent, comme en l'espèce, s'exercer ;

Que l'originalité du modèle CAPE étant démontrée, le tribunal a estimé, à bon droit, qu'il était protégeable par le droit d'auteur ;

Considérant que Monsieur Sebagh invoque encore l'absence de nouveauté du modèle ;

Mais considérant, d'une part, que le seul droit privatif qui lui est opposé étant le droit d'auteur régi par les dispositions du Livre 1er du Code de la propriété intellectuelle, le critère de nouveauté n'est pas pertinent ;

Que, d'autre part, mais de façon surabondante, il convient de relever qu'aucun des modèles opposés par les présumés contrefacteurs ne reprennent dans la même combinaison les éléments du modèle CAPE dont la physionomie d'ensemble se démarque de ses semblables ; qu'à défaut d'antériorité de toute pièce, le grief d'absence de nouveauté est donc, au surplus, infondé ;

Sur la contrefaçon :

Considérant que le modèle "Chypre" commercialisé par Monsieur Sebagh et le Groupe André et le modèle 2108 commercialisé uniquement par ce dernier, reprennent dans une même combinaison, comme la Cour devant laquelle ces modèles ont été produits a pu l'apprécier, l'ensemble des éléments qui confèrent au modèle Cape son originalité ; que la seule différence entre les deux modèles, qui réside dans l'absence sur le plateau du modèle "Chypre" d'un bourrelet, lequel a été remplacé par un piqué plat, est sans effet sur la contrefaçon à défaut d'affecter l'impression d'ensemble de la combinaison susvisée et l'aspect esthétique qui s'en dégage ;

Que Monsieur Sebagh ne peut sérieusement soutenir que le bloc semelle du modèle Cape serait d'ordre fonctionnel pour la marche et aurait été reproduit pour des raisons techniques alors que la multiplicité des modèles qu'il oppose prouve le contraire ;

Qu'il invoque également en vain le fait que d'autres concurrents vendraient également des copies du modèle Cape, un tel fait n'étant pas de nature à l'exonérer de la responsabilité qui lui incombe en raison de la mise en vente et de la vente illicites auxquelles il s'est livré ;

Que le tribunal a retenu, à juste titre, à l'encontre de Monsieur Sebagh, de la société Groupe André et de la société Francelor, leur fournisseur, le grief de contrefaçon de modèle au préjudice de la société Stéphane Kelian ;

Sur les actes de concurrence déloyale :

a) à l'égard de la société Stéphane Kelian :

Considérant que la société Stéphane Kelian prétend encore que les sociétés appelantes ont commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en commercialisant une copie quasi-servile de son modèle, dans une qualité nettement inférieure et à moindre prix ;

Mais considérant que ces trois griefs, s'ils sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon, laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre faite sans l'autorisation de son auteur, ne constituent nullement des faits distincts de concurrence déloyale qu'il n'est nullement démontré que les prix pratiqués seraient vils ou que les ventes seraient réalisées à perte;

Que le grief de concurrence déloyale à l'encontre de la société Stéphane Kelian doit donc être rejeté ;

b) à l'égard de la société Mosquitos :

Considérant qu'il est constant que le modèle Cape est principalement vendu au sein des boutiques à l'enseigne "Stéphane Kelian" et "Martine Kelian" qu'exploite la société Mosquitos ;

Que la vente de modèles contrefaisants dans les boutiques "Orcade" de la société Groupe André, et dans les boutiques "Shoe Bizz" qu'exploite Monsieur Sebagh s'effectuent nécessairement au détriment de la société Mosquitos et constitue, à l'égard de celle-ci, un acte de concurrence déloyale qui a pour effet de détourner la clientèle ;

Que la faute commise par les appelants est d'autant plus patente que les appelants, professionnels avisés, ne pouvaient ignorer du modèle qu'ils ont acquis de la société Francelor en raison de la notoriété dont a joui, dès sa commercialisation, le modèle Cape et que leur choix, pour la mise en vente d'une copie quasi servile, procède nécessairement de la volonté avérée de s'inscrire dans le sillage ce la société Kelian et détourner à leur profit et à moindre frais, les investissements engagés par cette dernière ;

Que le jugement entrepris doit sur ce point être confirmé ;

Sur la réparation du préjudice :

Considérant que si la masse contrefaisante constitue un élément d'appréciation du préjudice résultant des actes de contrefaçon, le montant des dommages-intérêts doit être évalué, non en fonction du bénéfice réalisé par les contrefacteurs, mais en fonction du préjudice réellement subi par les victimes de leurs actes ;

a) sur le préjudice de la société Stéphane Kelian résultant de la contrefaçon :

Considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont révélé que la société Francelor avait vendu à tout le moins 5.963 paires de chaussures contrefaisantes (avec ou sans bourrelets) à la société Groupe André et 3.627 paires à Monsieur Sebagh, soit un total de 9.560 paires;

Que les deux modèles contrefaisants constituent la copie quasi servile du modèle Cape dont il est constant qu'il est l'un des modèles phare de la société Stéphane Kelian qui l'a commercialisé pendant plusieurs années et qui le commercialise encore, et qui rencontre un grand succès, comme en attestent les coupures de presse et les 100.000 exemplaires vendus ;

Que la mise sur le marché d'un volume important de ces modèles contrefaisants, commercialisés à prix moindre de près de la moitié et dans une médiocre qualité, ne peut avoir que pour effet de dévaloriser le modèle Cape en le banalisant et inciter la clientèle, soit à acquérir un modèle à moindre prix, soit à se détourner définitivement d'un modèle dont elle pouvait légitimement espérer, compte tenu notamment du prix pratiqué, qu'il était exclusif ;

Que la société Stéphane Kelian s'est vue ainsi dépouiller de partie des investissements engagés pour la création et la promotion de ce modèle de l'ordre de 4.000.000 F par an ;

Que le préjudice qui lui a été causé est d'autant plus important qu'elle commercialise elle- même le modèle auprès de détaillants indépendants et se voit discréditée tant aux yeux de la clientèle finale qu'aux yeux de ces derniers, lesquels se sont plaints auprès d'elle, comme en attestent les courriers de la Société Boticelli du 21 novembre 1997 et de la société Caron du 12 décembre 1997 et l'annulation de commande de la société Jeanlaure du 10 mars 1998 ;

Que les appelantes ne peuvent valablement prétendre qu'en commercialisant son modèle Cape sous la marque "Mosquitos" à un moindre prix, la Société Stéphane Kelian aurait elle-même galvaudé son modèle, ce qui la priverait de la faculté de se plaindre du "galvaudage" réalisé par la vente de copies serviles, une telle commercialisation dans une gamme destinée à un public plus jeune, n'ayant nullement pour effet de banaliser son modèle et procédant, en tout état de cause, d'une politique commerciale parfaitement licite qu'il appartient seule, tant dans son principe que dans son étendue, à la société Stéphane Kelian de déterminer ;

Que le préjudice résultant pour la société Stéphane Kelian des actes de contrefaçon doit être fixé, compte tenu de ce qui précède, à la somme de 1.500.000 F ;

b) sur le préjudice résultant pour la société Mosquitos des actes de concurrence déloyale :

Considérant que la société Mosquitos qui exploite les magasins Stéphane Kelian et Martine Kelian subit elle-même un préjudice important en raison de la commercialisation des modèles illicites ;

Que la vente des modèles contrefaisants l'a nécessairement privée d'une marge bénéficiaire à laquelle elle pouvait légitimement prétendre sur le ventes qu'elle a nécessairement manquées, la clientèle, comme il l'a été précédemment évoqué, ayant été pour partie incitée à acquérir à moindre prix un modèle de moindre qualité mais d'aspect exactement similaire, ou se détourner d'un modèle galvaudé ;

Que les actes fautifs commis par les appelants ont créé à la société Mosquitos un trouble commercial et un préjudice qui sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 2.100.000 F ;

c) sur la nature in solidum des condamnations à intervenir:

Considérant que la réparation des préjudices susvisés incombe en totalité à la société Polygone (Francelor), fournisseur des modèles en cause ;

Que Monsieur Sebagh et la société Groupe André, qui n'ont que partiellement participé à la réalisation du préjudice des sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos doivent être tenus in solidum avec la société Polygone (Francelor) à proportion, pour le premier, d'un tiers, pour la seconde des 2/3, eu égard à la masse contrefaisante dénombrée ;

Que la société Polygone (Francelor) étant placé en redressement judiciaire et ne pouvant être condamnée, les sommes allouées aux sociétés victimes ne valent qu'à titre de fixation de créance ;

Sur les autres mesures :

Considérant que la mesure d'interdiction de fabrication et de commercialisation d'articles des modèles contrefaisants, prononcée par les premiers juges, doit être confirmée ;

Que la publication du présent arrêt doit être autorisée dans 3 revues au choix des sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos et aux frais de la société Groupe André et de Monsieur Sebagh sans que le coût global de ces trois publications n'excèdent pas la somme de 100.000 F, ladite somme valant à titre de fixation de créance à l'encontre de la société Polygone (Francelor) ;

Sur la demande de garantie de Monsieur Sebagh et de la société Groupe André :

Considérant que pour prétendre à la garantie de la société Polygone (Francelor), Monsieur Sebagh, tout en excipant de sa bonne foi, invoque les termes d'un courrier que lui a adressé la société Francelor, le 2 mars 1998 aux termes duquel ladite société lui confirme qu'elle prend en charge les conséquences des poursuites judiciaires que Kelian a initiées contre lui sur les modèles qui ont été livrés ; qu'il critique le tribunal d'avoir considéré qu'une tel le garantie aurait pour effet de lui permettre de tirer profit de la vente des modèles contrefaisants ; qu'il ajoute que s'adressant à l'un des plus grands fournisseurs avec lequel il travaille depuis de nombreuses années, il était en droit d'attendre que son vendeur lui garantisse la jouissance paisible de la chose vendue conformément aux dispositions de l'article 1625 du Code civil ; qu'il souligne que la découverte d'un droit invoqué par un tiers (en l'occurrence la société Stéphane Kelian) sur la chose vendue qui existait au moment de la vente mais qui était non déclaré et ignoré de lui, oblige de ce seul fait son vendeur à le garantir ; que la société Francelor n'ignorait pas que les modèles qu'il acquéraient étaient destinés à être revendus ;

Mais considérant que le modèle Cape a bénéficié d'une ample campagne de publicité et a été présenté lors des salons des professionnels en sorte que par la promotion qui en a été faite au moment de son lancement et dont il est justifié Monsieur Sebagh ne pouvait ignorer l'existence de ce modèle; qu'en acquérant auprès de la société Francelor un modèle qui en constitue la copie quasi servile, Monsieur Sebagh, professionnel avisé de la chaussure, a nécessairement participé de propos délibéré et en toute connaissance de cause aux faits dénoncés et cherché personnellement àbénéficier de la notoriété qui s 'attache aux produits de la société Stéphane Kelian et des investissements particulièrement importants que celle-ci engage pour promouvoir ses modèles ; que le caractère quasi servile de la copie vendue ne pouvait échapper à sa sagacité ; qu'il ne saurait dans ces conditions valablement prétendre à une quelconque garantie en raison de sa mauvaise foi avérée ;

Qu'il invoque en vain la lettre que lui a adressée la société Francelor, le 2 mars 1998, aux lendemains des opérations de saisies-contrefaçon en raison de ses propres agissements illicites ;

Que sa demande en garantie sera donc rejetée ;

Considérant, s'agissant de la société Groupe André, que pour des motifs identiques la demande qu'elle a formulée à ce titre doit également être rejetée ;

Sur les autres demandes :

Considérant, compte tenu de ce qui précède, que les demandes de restitution des sommes payées en vertu de l'exécution provisoire doivent être rejetées n'étant pas fondées ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos ; qu'une somme de 50.000 F chacune doit leur être allouée à ce titre pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ; que cette somme doit être mise à la charge in solidum de la société Groupe André et de Monsieur Sebagh, et vaut à titre de fixation de créance dans le passif de la société Polygone (Francelor) ; que les autres parties doivent être déboutées de la demande qu'elles ont formée sur le même fondement

Par ces motifs, Donne acte à Me Franklin Bach et à Me Patrick Martin de leur intervention ès qualités de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire de la société Francelor, devenue la société Polygone, en redressement judiciaire ; Réformant la décision entreprise, Dit que la Société Polygone (venant aux droits de la société Francelor), Monsieur Sebagh et la société Groupe André (venant aux droits de la société CIC) se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon du modèle Cape à l'encontre de la société Stéphane Kelian et d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Mosquitos (venant aux droits de la société Turbulence, Fixe à la somme de 1.500.000 F le montant des dommages-intérêts dus au titre de la contrefaçon de modèle à la société Stéphane Kelian et à la somme de 2.100.000 F le montant des dommages-intérêts dus à la société Mosquitos au titre de la concurrence déloyale; Dit que ces sommes incombent à la société Polygone dans leur intégralité, in solidum avec Monsieur Sebagh exerçant sous l'enseigne Shoe Bizz à concurrence du 1/3 et in solidum avec la société Groupe André à concurrence des 2/3 ; Condamne Monsieur Sebagh et la société Groupe André à payer lesdites sommes dans la proportion qui leur incombe et dit que ces sommes valent à titre de fixation de créance au passif de la société Polygone; Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a : - fait interdiction à la société Francelor (aujourd'hui Polygone) à la Société CIC (aujourd'hui Groupe André) et à Monsieur Sebagh exerçant sous l'enseigne Shoe Bizz, de poursuivre la fabrication et la commercialisation des modèles contrefaisant le modèle CAPE sous astreinte de 3.000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement, - ordonné en tant que de besoin la confiscation au profit de la société Stéphane Kelian aux fins de destruction de toutes chaussure contrefaisante qui serait encore en leur possession, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard à l'expiration d'un mois suivant la signification du jugement, - alloué aux sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Autorise les société Stéphane Kelian et Mosquitos à publier le présent arrêt dans 3 revues au choix des sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos et aux frais de la société Groupe André et de Monsieur Sebagh sans que le coût global de ces trois publications n'excèdent pas la somme de 100.000 F, ladite somme valant à titre de fixation de créance à l'encontre de la société Polygone (Francelor), Rejette les demandes en garantie formées par Monsieur Sebagh et la société Groupe André à l'encontre de la société Polygone, Condamne in solidum Monsieur Sebagh et la société Groupe André à payer à chacune des sociétés Stéphane Kelian et Mosquitos la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel et dit que ces sommes valent comme fixation de créance à l'encontre de la société Polygone (Francelor), Rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge de Monsieur Sebagh, la société Groupe André et la société Polygone (Francelor) et dit que ceux-ci seront recouvrés dans le respect des dispositions de la loi de 1985, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.