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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 octobre 2001, n° 1998-17696

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Cars International (SA)

Défendeur :

Iberolines (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Duboscq Pellerin, SCP Gibou-Pignot Grappotte-Benetreau

Avocats :

Mes Carpentier, Soussy.

TGI Paris, 9e ch., du 11 juin 1998

11 juin 1998

La société France Cars International a conclu, le 9 mai 1979, avec la société espagnole SAIA et la société portugaise Inter Norte un "accord de pool" ayant pour objet l'exploitation commune d'un service régulier de transports de voyageurs par autocar sur la ligne Paros/Porto.

SAIA et Inter Norte ont créé, en 1986, la société Iberolines exerçant, pour leur compte, les activités d'agence de voyage en France. Cinq agences sur Paris et sa banlieue ont ainsi été créées entre 1986 et 1994.

À la suite d'une mésentente grave, le pool créé en 1979 a été dénoncé par la SAIA et Inter Norte, à effet au 31 décembre 1994.

Constatant que la société Iberolines venait d'installer une nouvelle agence en face de ses propres locaux, 7, rue Haret, à Paris 180, et relevant une baisse significative de son chiffre d'affaires, la société France Cars International a, par acte du 24 juillet 1996 saisi le tribunal de commerce de Paris d'une action en concurrence déloyale, demandant, outre la cessation de l'activité dénoncée et la publication de la décision à intervenir, paiement d'une somme de 2.249.238,70 F à titre de dommages-intérêts pour son préjudice matériel, d'une somme de 100.000 F pour son préjudice moral, ainsi que d'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 11 juin 1998, le tribunal de commerce a débouté la société France Cars International de ses demandes.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 27 juillet 1998, par la société France Cars International;

Vu les conclusions du 21 mai 2001 aux termes desquelles la société France Cars International, réitérant ses griefs de première instance, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que la société Iberolines a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice et, en conséquence, de la condamner à lui payer la somme de 2.925.134 F arrêtée au 30 juin 1996, avec intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice matériel, la somme de 843.894,66 F arrêtée au 31 décembre 1995, avec intérêts au taux légal, en réparation de son complément de préjudice matériel, la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, d'ordonner à la société Iberolines de cesser toute activité dans une zone située à proximité de la rue Pierre Haret, à Paris 9°, sous astreinte de 4.165 F par jour de retard, somme correspondant au montant du préjudice quotidien qu'elle subit, d'ordonner la publication de la décision à intervenir et de lui allouer la somme de 10.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 14 février 2001 aux termes desquelles la société Iberolines, évoquant le différend judiciaire qui a opposé la société France Cars International à la société SAIA, dont elle est la filiale, et qui a pris fin par la signature d'un protocole d'accord entre les parties, le 11 février 1998, dénonce la mauvaise foi de l'appelante dans l'action qu'elle intente à son encontre, et, niant l'existence d'une quelconque situation concurrentielle, conteste les griefs qui lui sont reprochés, estimant qu'elle n'a fait qu'agir dans le respect du principe de la liberté du commerce mais qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, soutient que la preuve d'un quelconque préjudice n'est pas rapportée, les calculs de l'appelante étant effectués sur la base de chiffres erronés et la baisse du chiffre d'affaires n'étant pas liée aux faits allégués, que les actes de dénigrement, qu'elle conteste, ne sont pas établis et qu'aucun préjudice moral n'a été cause et demande à la Cour, rejetant les prétentions de la société adverse, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société France Cars International à lui payer la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi,

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société France Cars International fait essentiellement grief à la société Iberolines de s'être installée dans un magasin situé juste en face de chez elle, le lendemain même du jour où le Pool venait d'être dénoncé ; qu'elle lui reproche également d'avoir, de façon préméditée, débauché madame Candida Dominguez, laquelle, travaillant au sein de son entreprise depuis plus de 18 ans, connaissait parfaitement la clientèle ; qu'elle qualifie ce fait de "racolage" et dénonce la politique de "dumping tarifaire" pratiquée dans le seul dessein de l'affaiblir; qu'elle ajoute que celui-ci s'est accompagné de propos dénigrants, la société Iberolines n'ayant, selon elle, pas hésité à affirmer qu'elle aurait volontairement réduit le nombre de ses départs hebdomadaires et à faire courir le bruit qu'elle rencontrait de sérieuses difficultés financières, que l'un de ses dirigeants était gravement malade, qu'il était incarcéré puis qu'il était décédé ; qu'elle impute la baisse significative de son chiffre d'affaires et les difficultés qui s'en sont suivies à de telles pratiques et prétend avoir subi un grave préjudice;

Considérant que la société Iberolines soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée et que les difficultés rencontrées par la société France Cars International, laquelle exerce les activités de transporteur et non d'agence de voyage, ne lui sont nullement imputables; que la preuve des griefs et du préjudice allégués n'est nullement rapportée et que le tribunal, à juste raison, a débouté la société France Cars International de ses demandes ;

Considérant que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie consacré par les lois du 2 et 17 mars 1791 qui régit les activités commerciales n'autorisent pas pour autant les commerçants à exercer leurs activités de manière déloyale ;

Or considérant, en l'espèce, que la société France Cars International se trouve en situation de concurrence directe avec la société Iberolines du fait de ses activités de vente de billets exercées tant pendant le fonctionnement du Pool qu'après sa dissolution;

Qu'en ouvrant une agence, au lendemain même de la cessation du pool, dans une boutique située juste en face de celle de la société France Cars International, la société Iberolines a manifestement manqué à la plus élémentaire loyauté, sachant qu'en raison de la particulière proximité de ces lieux de vente, la clientèle habituée à s'adresser au correspondant avec lequel elle venait de cesser toutes relations contractuelles, pourrait aisément venir chez elle ;

Que si le regroupement en un même lieu géographique d'entreprises ayant pour objet une activité similaire n'a, en soi, rien d'illicite, il n'en est pas de même lorsque, comme en l'espèce, le nouvel installé entretenait avec son concurrent des liens privilégiés en raison notamment de l'exploitation commune d'une ligne de transport; qu'une telle installation ne procède pas "d'une saine concurrence" mais d'un comportement d'autant plus fautif que la société qui en est l'auteur aurait pu aisément choisir de s'installer à distance respectable sans que ses activités s'en trouvent perturbées ; que la société Iberolines a au surplus donné à cette installation une publicité en adressant ses nouvelles coordonnées aux différents correspondants par mailing publicitaire, comme en atteste l'exemplaire produit aux débats ;

Considérant que cette attitude fautive se trouve renforcée par le fait que moins de 6 mois après cette installation, la société Iberolines a embauché Madame Candida Dominguez, qui, travaillant depuis plus de 18 ans chez la société France Cars International, ne pouvait que connaître parfaitement la clientèle et les habitudes de cette société ;

Que la société Iberolines prétend en vain que n'étant que "guichetier surveillant", l'intéressée n'aurait pas eu accès au fichier de l'entreprise, alors que ce fait est formellement dénié par son ancienne collègue Madame Fernandes, laquelle déclare, sans être contredite, qu'elles avaient reçu instruction, pour chaque réservation, de recueillir toutes les informations utiles permettant d'identifier le client et de constituer ainsi un fichier qu'elles tenaient quotidiennement à jour ;

Que le temps particulièrement long passé au service de France Cars International a manifestement permis à Madame Dominguez d'établir des relations personnalisées avec la clientèle auprès de laquelle elle s'était fait connaître sous le prénom Candida ainsi qu'en atteste le mailing publicitaire du 16 février 1995, relations personnalisées que la société Iberolines a utilisées en diffusant, dès l'automne 1995, un calendrier désignant Madame Dominguez sous ce seul nom de Candida, comme contact pour ses réservations ;

Qu'il importe peu que Madame Dominguez n'ait pas été liée par une clause de non concurrence, son embauche n'ayant pu avoir que pour effet de déstabiliser l'entreprise de la société France Cars International aux dimensions modestes ;

Que ces faits circonstanciés et concordants suffisent amplement à caractériser les actes de concurrence déloyale commis par la société Iberolines à l'encontre de la société France Cars International, peu important que les actes de dénigrement ou de dumping tarifaire allégués par l'appelante n'aient pas été prouvés ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que la société France Cars International prétend que le préjudice matériel qui lui a été causé correspond au montant de la perte de chiffre d'affaires qu'elle a enregistrée pour les années 1995 et 1996, évaluée sur la base d'un chiffre rectifié, les deux partenaires du pool lui ayant, selon elle, dissimulé une part des recettes à laquelle elle aurait pu prétendre ; qu'elle sollicite à ce titre paiement d'une somme globale de 3.769.028,66 F ;

Qu'elle se prévaut également d'un préjudice moral résultant de la perte de sa crédibilité commerciale et demande paiement à ce titre d'une somme de 100.000 F ;

Considérant que la société Iberolines conteste que la société France Cars International ait subi le moindre préjudice commercial, dénonçant le caractère erroné de ses calculs, et prétend que la baisse de chiffre d'affaires, à la supposer réelle, ne peut lui être imputée ;

Considérant que si la société France Cars International ne peut effectivement imputer la totalité de la baisse de son chiffre d'affaires à la société Iberolines à défaut notamment de démontrer que l'intégralité de sa clientèle aurait été détournée, la société Iberolines ne peut en revanche contester l'existence du préjudice qu'elle a causé, lequel s'infère nécessairement des actes de concurrence déloyale commis ; que la désorganisation de l'entreprise, qui lui est pour partie imputable, a nécessairement causé à l'entreprise un préjudice matériel réel ;

Qu'une somme de 400.000 F doit être allouée à la société France Cars International en réparation de son entier préjudice à l'exclusion de toute autre, sauf de la mesure de publication du présent arrêt qui sera ordonnée selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci- après ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société France Cars International, une somme de 10.000 F devant lui être allouée à ce titre ; que la société Iberolines qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée sur ce même fondement;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Dit que la société Iberolines a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société France Cars International, La condamne à payer à la société France Cars International la somme de 400.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle lui a causé, outre la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Autorise la société France Cars International à faire publier ledispositif du présent arrêt dans deux revues de son choix et aux frais de la société Iberolines sans que le coût de la publication n'excède la somme de 25.000 F HT par insertion, Rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge de la société Iberolines et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.