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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 septembre 2001, n° 1999-18952

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bee Fly (SARL), Dyag Stock (SA)

Défendeur :

Buffalo Boots (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Fanet- Serra-Ghidini, SCP Cossec

Avocat :

Mes Bouhey

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 16 juin…

16 juin 1999

La société allemande Buffalo Boots GmbH a conçu, en 1995, un modèle de chaussures caractérisé par la combinaison d'une chaussure de sport et d'une semelle "plateau", comportant sur le côté un empiècement en cuir sous forme de boomerang, modèle qu'elle a décliné sous plusieurs variantes, lesquelles ont fait l'objet de différents dépôts en Allemagne dans le courant de l'année 1995.

Le 17 août 1996, elle a déposé à l'OMPI, à titre de marque internationale, visant la France, sous le n° 661.546, l'empiècement sous forme de boomerang, pour désigner les chaussures.

Apprenant, en juin 1996, que la société Bee Fly distribuait en France des modèles de chaussures reproduisant servilement les siens et constatant qu'elle les présentait aux salons du prêt-à-porter 1996 et 1997, la société Buffalo Boots, après avoir fait procéder divers constats et adressé de vaines mises en demeure, a, par acte des 1er et 2 octobre 1997, assigné la Société Bee Fly et la société Dyag Stock devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale, sollicitant, outre les mesures d'interdiction de confiscation et de publication habituelles, la somme de 300.000 F de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque, ainsi qu'une provision de 300.000 F à valoir sur la réparation de son préjudice, à déterminer à dire d'expert ; au titre de la concurrence déloyale, poursuivant la nullité du dépôt de modèle auquel la société Bee Fly a procédé, et réclamant en tout état de cause, la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 16 juin 1999, le tribunal a :

* dit que les empiècements des chaussures décrites par les procès-verbaux des 9 septembre 1996 et 7 septembre 1996 ainsi que ceux du modèle "Rave" montré sur le prospectus distribué au salon SEHM du 4/7 juillet 1997 et au salon MIDEC du 7/9 septembre 1997 constituent la contrefaçon par reproduction de la partie française de la marque internationale n° 661.546 appartenant à la société Buffalo Boots GmbH,

* interdit aux sociétés Bee Fly et Dyag Stock, sous astreinte de 500 F par infraction constatée, de faire usage de la marque contrefaisante par quelque moyen que ce soit, passé un délai d'un mois à compter de la signification du jugement,

* condamné les sociétés Bee Fly et Dyag Stock in solidum à payer à la société Buffalo Boots la somme de 100.000 F en réparation du préjudice découlant de la contrefaçon de la partie française de la marque internationale n° 661.546,

* dit qu'en offrant à la vente et en vendant des chaussures copiant les modèles créés par la société Buffalo Boots, la société Bee Fly a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de cette société,

* condamné la société Bee Fly à payer à la société Buffalo Boots une indemnité de 200.000 F au titre de la concurrence déloyale,

* autorisé la société Buffalo Boots à faire publier, en entier ou par extraits, le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix aux frais in solidum des sociétés défenderesses sans que ces frais puissent excéder, à leur charge, la somme globale de 45.000 F HT,

* prononcé la nullité du dépôt de modèle français n° 96.3350 du 7 juin 1996, appartenant à la société Bee Fly, pour les seuls modèles référencés 1, 2 et 3,

* dit que le jugement passé en force de chose jugée sera inscrit au registre national des dessins et modèles sur réquisition du greffier ou de l'une des parties, en application de l'article R. 512- 14 du Code de la propriété intellectuelle,

* débouté les parties de toutes prétentions plus amples ou contraires,

* condamné in solidum les sociétés Bee Fly et Dyag Stock à payer à la société Buffalo Boots la somme de 25.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 28 juillet 1999, par les société Bee Fly et Dyag Stock ;

Vu les conclusions du 18 avril 2000 par lesquelles la société Bee Fly et la société Dyag Stock, revendiquant à cet effet l'antériorité des droits de la société Bee Fly sur les modèles en cause y compris sur le signe en forme de boomerang, poursuivent l'infirmation de la décision déférée et demandent à la Cour de :

* constater la validité du modèle déposé le 7 juin 1996 par la société Bee Fly et qui lui appartient,

* débouter la société Buffalo Boots de ses demandes,

* prononcer la nullité de la partie française de la marque figurative internationale n° 661.546 déposée le 17 août 1996 par la société Buffalo Boots,

* condamner la société Buffalo Boots à leur verser une indemnité de 150.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux revues professionnelles de leur choix et aux frais de la société Buffalo Boots,

* leur allouer la somme de 60.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions du 8 juin 2001 par lesquelles la société Buffalo Boots contestant l'antériorité des droits revendiqués par les appelantes et dénonçant l'absence de pertinence des pièces qu'elles produisent demande à la Cour de confirmer purement et simplement le jugement entrepris et de lui allouer la somme de 50.000 F pour ses frais irrépétibles en cause d'appel.

Sur quoi,

Sur la demande en contrefaçon de marque :

Considérant que la société Buffalo Boots est titulaire de la marque figurative internationale en forme de "boomerang", désignant la France, déposée à l'OMPI, le 17 août 1996, enregistrée sous le n° 661.546, pour désigner les chaussures en classe 25 ; qu'elle soutient que les modèles de chaussures de la société Bee Fly commercialisés par la société Dyag Stock reproduisant l'élément figuratif de la marque constituent la contrefaçon de celle-ci ;

a) sur la validité de la marque n° 661.546 :

Considérant que pour voir rejeter une telle prétention, les sociétés appelantes poursuivent la nullité de la marque qui leur est opposée ; qu'elles invoquent à cet effet l'antériorité des droits que la société Bee Fly détiendrait sur ces modèles, tant en raison du dépôt qu'elle en a effectué à l'INPI, le 7 juin 1996, sous le n° 96.3355, publié sous les numéros 443.489 à 443.502 qu'en raison de leur création, laquelle, selon elles, remonterait à janvier 1993 ;

Considérant que l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que ne peut être adoptée comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment aux droits d'auteur et aux droits résultant d 'un dessin et modèle protégé ;

Mais considérant qu'il convient de relever que :

* le modèle Bee Fly n° 96.3355 (443.489 à 443.493) qui associe à une haute semelle à plateau. une chaussure sport de style basket comportant sur les deux côtés l'élément figuratif en forme de boomerang, objet de la marque en cause, et présentant une tige haute est la réplique exacte du modèle Buffalo (référence 1.300) objet du dépôt de modèle allemand M 95.057.47.1 du 24 juillet 1995,

*que le modèle Bee Fly n° 96.3355 (443.494 à 443.498) qui présente les mêmes caractéristiques à l'exclusion de la tige haute, laquelle a été remplacée par une tige basse est lui-même la réplique exacte du modèle Buffalo Boots objet du modèle allemand M 95.059. 16.4 du 1er août 1995,

* que le modèle Bee Fly n° 96.3355 (443.499 à 443.502), déclinaison du précédent sous forme de sabot, est quant à lui la réplique exacte du modèle que la société Buffalo Boots justifie avoir mis sur le marché en France, sous la référence 1320-40, le 24 avril 1996, comme en atteste la facture établie à cette date au diffuseur français, Hage-Ratz dont les références correspondent en tous points à celles portées sur le modèle.

Que les modèles déposés par la société Bee Fly sont donc antériorisés de toute pièce par ceux que la société Buffalo Boots a elle-même fait déposer en Allemagne en sorte que leur validité s'en trouve affectée pour défaut de nouveauté ;

Considérant que les appelantes prétendent encore que la création des modèles remonterait à janvier 1993 et en déduisent qu'elles sont fondées à opposer le droit d'auteur que confère cette création au dépôt de la marque qui lui est postérieur qu'elles produisent aux débats un certain nombre d'attestations, de commandes et factures, de catalogues et photographies qui selon elles établissent de façon irréfutable de la date de la création ;

Mais considérant que l'attestation par laquelle Monsieur Taïeb déclare, le 9 septembre 1998, avoir créé les modèles de chaussures à la demande de la société Dyag Stock au début de l'année 1993 sur la base de vieux magazines des années 1970, et plus particulièrement à partir d'un modèle de la société Bata, a manifestement été établie pour les besoins de la cause et n'est confortée par aucun élément objectif contemporain des faits, les croquis versés au dossier - non datés, n'étant pas pertinents ;

Que les commandes effectuées auprès de la société Charcot, le 21 mars 1995, ne sont pas davantage probantes dès lors que dans la lettre de confirmation du 30 mars 1995, la société Charcot vise curieusement, en l'ajoutant aux références 567 et 777 de la commande, la référence 555 objet du présent litige ; que le doute qui affecte l'authenticité de ces pièces ne permet pas de détruire l'antériorité des dépôts effectués par la Société Buffalo Boots auprès d'organismes institutionnels ;

Qu'il en est de même des photographies des modèles que la société Bee Fly produit tardivement aux cours des débats, leur datation au "02 1995" par un simple procédé numérique étant sans valeur certaine ; que si le photographe déclare effectivement les avoir réalisées en février 1995, force est de constater qu'il précise qu'elles étaient destinées à prendre place dans le catalogue 1995, lequel n'est pas produit aux débats que les appelantes ne démontrent pas, en effet, que le catalogue produit sous l'intitulé "Printemps/Eté 1996" correspondrait au catalogue 1995 ; qu'il convient au surplus de relever que dans ce catalogue, à la datation incertaine, les modèles incriminés ne sont pas reproduits dans les 12 pages qui le composent mais dans un encart de 4 pages rajouté qui ne comporte aucune mention de la société Dyag Stock, contrairement à ce qui sera fait pour les années ultérieures ; qu'il n'est pas possible de prêter foi à de tels documents, lesquels ne sont pas de nature à donner aux modèles de la société Bee Fly date certaine ;

Que les critiques émises par la société Buffalo Boots sur l'absence de similitude entre le modèle adapté de Monsieur Taïeb et ceux qu'elle revendique, ne constituent nullement, comme le prétendent de mauvaise foi les appelantes, un aveu judiciaire ne portant aucune reconnaissance non équivoque des faits ;

Que les déclarations faites par Madame Cyd Jouny, selon lesquelles elle se prétend à l'origine de la remise au goût du jour des chaussures de ce genre, héritées des années 1970, sont dépourvues de pertinence, le genre n'étant pas en soi protégeable et aucun des modèles produits ne reprenant les caractéristiques des modèles opposés, notamment en ce qui concerne le motif figuratif en forme de "boomerang" ;

Que les appelantes ne rapportant pas la preuve de l'antériorité des droits qu'elles invoquent, leur demande en nullité de la marque de la société Buffalo Boots n'est pas fondée et doit être rejetée ;

b) sur la contrefaçon de marque :

Considérant qu'il est constant que les modèles de chaussures Bee Fly tels que décrits par les huissiers constatants dans les procès-verbaux susvisés et tels qu'ils figurent dans les catalogues de la société Dyag Stock, y compris, pour 1997, sous l'acception "Rave", reproduisent de façon servile le signe en forme de boomerang constituant la marque figurative de la société Buffalo Boots ;

Que le premier juge a donc exactement estimé que le grief contrefaçon de marque était avéré ;

Sur la demande en concurrence déloyale :

Considérant que la société Buffalo Boots reproche aux sociétés appelantes de commettre des actes de concurrence déloyale en copiant servilement ses modèles et en les commercialisant en France alors qu'elle-même les distribue sur notre territoire dans le cadre d'une distribution exclusive qu'elle dénonce également la persistance de ce comportement, précisant que la société Bee Fly a également copié les semelles crantées et les semelles débordantes créées pour d'autres modèles ;

Considérant qu'il ne peut être fait grief à la société intimée de fonder son action, non sur la contrefaçon de modèles mais sur la concurrence déloyale, sauf, pour celle-ci, de devoir rapporter la triple preuve d'un comportement fautif, d'un préjudice et d'un lien de causalité ;

Considérant qu'il est constant, en l'espèce, que les modèles de la société Bee Fly reprennent l'intégralité des caractéristiques des modèles de la société Buffalo Boots que les différentes pièces produites aux débats, précédemment analysées, ne permettent nullement d'antérioriser les modèles en litiges que les modèles commercialisés par les concurrents, s'ils relèvent d'un genre similaire, ne présentent pas les mêmes caractéristiques dans une même combinaison que ceux invoqués à l'appui de l'action en concurrence déloyale ou sont insuffisamment datés ;

Qu'en copiant servilement, sans aucune nécessité qui tiendrait à la nature du produit ou aux impératifs techniques, la gamme des modèles de la société Buffalo Boots (comme un simple examen comparatif des modèles produits en original ou en reproduction le révèle), les sociétés appelantes ont manifestement cherché à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur moyen;

Que par ce comportement fautif ainsi caractérisé, les appelantes ont manifestement cherché à détourner la clientèle de la société Buffalo Boots et à s'approprier tout ou partie du profit résultant des efforts réalisés par cette dernière ainsi que de sa notoriété ; qu'elles ont de ce fait engagé leur responsabilité et causé à cette société un préjudice d'autant plus important qu'elles ont réitéré ce comportement fautif à l'égard de deux autres modèles de 1997 aux semelles crantées ou débordantes dont elles ont également repris les caractéristiques;

Que dans de telles conditions les premiers juges ont estimé à bon droit que le grief de concurrence déloyale pour les modèles en cause était établi ;

Sur la nullité du modèle n° 96.3355, publié sous les numéros 443.489 à 443.502 appartenant à la société Bee Fly :

Considérant que la société Buffalo Boots sollicite encore la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a annulé les modèles déposés en France par la société Bee Fly sous le numéro susvisé ;

Considérant qu'il résulte suffisamment des analyses qui précèdent que les modèles de la société Buffalo Boots antériorisent de toute pièce ceux déposés le 7 juin 1996 par la société Bee Fly les autres modèles invoqués par les appelantes ne constituant nullement des antériorités de toute pièce à défaut de reprendre dans une même combinaison les différents éléments notamment la semelle à plateau, ou, comme pour le modèle portant la marque Rock Bull, n'étant pas datés de façon certaine, l'apposition d'une date par un procédé numérique dans des conditions restées inexpliquées, n'étant pas suffisante ;

Que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont annulé, à bon droit, les modèles susvisés pour défaut de nouveauté ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant dans de telles conditions que les premiers juges ont ordonné, à juste titre, les mesures d'interdiction et de publication qui s'imposent et condamné à juste raison les sociétés appelantes à payer des dommages-intérêts qu'ils ont exactement évalués compte tenu du préjudice subi tant au titre de la contrefaçon de marque qu'au titre de la concurrence déloyale, au demeurant non contestés par la société intimée ;

Qu'il convient toutefois de préciser que la mesure de publication devra faire mention du présent arrêt ;

Considérant que les sociétés Bee Fly et Dyag Stock, qui succombent en leur prétentions, doivent être déboutées tant de la demande de dommages-intérêts formulées pour procédure abusive ou vexatoire que de celle formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que ce texte doit en revanche bénéficier à la société Buffalo Boots, une somme de 50.000 F devant lui être allouée de ce chef, pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs, Déboute les sociétés appelantes de leurs prétentions en annulation de la partie française de la marque n° 661.546 appartenant à la société Buffalo Boots. Confirme sur le surplus en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf à préciser que la mesure de publication devra faire mention du présent arrêt. Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Bee Fly et Dyag Stock à payer à la société Buffalo Boots la somme de 50.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toute autre demande, Condamne in solidum les sociétés Bee Fly et Dyag Stock aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.