Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 27 octobre 1999, n° 1997-25591

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Moreno, Carrasset-Marillier (ès qual.)

Défendeur :

La Redoute Catalogue (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Regniez

Avoués :

Me Bolling, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Hersé, Bertrand.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 26 juin…

26 juin 1996

La société SDL commercialise sous la marque Bodylin, que lui a concédé son propriétaire, Gilbert Moreno, des articles de sport, dont un "espalier de porte".

En 1992/1993, la société La Redoute, intéressée par ce produit, s'est approvisionnée auprès de la société SDL et a commercialisé les espaliers de porte de cette société sous la marque "Bodylin", accompagnés de la notice réalisée par Gilbert Moreno

Décidant de changer de fournisseur, la société La Redoute a retiré le produit Bodylin à compter de son catalogue "printemps/été 94", pour offrir à sa clientèle un produit concurrent qu'elle a commercialisé sous sa propre marque "Ready".

Reprochant une substitution de marque en raison de ventes réalisées à partir du catalogue "automne/hiver 93/94" et dénonçant des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, la société SDL et M. Moreno ont saisi le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir réparation du préjudice prétendument subi.

Le tribunal les ayant déboutés de leurs prétentions par jugement du 26 juin 1996, Gilbert Moreno et la société SDL ont interjeté appel de cette décision, le 23 août suivant.

Vu les conclusions du 20 août 1999 par lesquelles M. Moreno et la société SDL, en liquidation judiciaire, représentée par son mandataire liquidateur, Me Carrasset-Marillier, poursuivent l'infirmation de la décision entreprise et demandent à la Cour:

de constater l'existence d'actes de substitution de marque, de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire,

en conséquence, de condamner La Redoute à verser:

* la somme de 1.000.000 F aux appelants, au titre de la substitution de marque,

* celle de 1.000.000 F au titre de la concurrence déloyale,

* la somme de 2.000.000 F à M. Moreno pour l'atteinte à ses droits d'auteur en raison de l'utilisation de sa notice,

d'ordonner la destruction, aux frais de La Redoute des produits contrefaisants, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée,

d'ordonner la publication, aux frais de la société La Redoute, de l'arrêt à intervenir dans quatre périodiques au choix des appelants, dans la limite de 15.000 F par publication,

de condamner La Redoute à payer aux appelants la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 5 décembre 1997 par lesquelles la société La Redoute, réfutant l'argumentation des appelants, sollicite la confirmation de la décision déférée et demande paiement de la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, et de celle de 40.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce,

Sur la substitution de marques :

Considérant que l'article L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne celui qui aura sciemment livré un produit ou un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée ;

Considérant que pour se prétendre victime d'une substitution de marque, la société SDL fait valoir que la société La Redoute, qui a cessé de s'approvisionner chez elle, en septembre 1993, alors que le matériel Bodylin figurait encore au catalogue "Automne/Hiver 93/94", diffusé à plus de 8 millions d'exemplaires, a nécessairement substitué un autre produit pour satisfaire les commandes qui lui ont été adressées par sa clientèle à partir de ce catalogue ; qu'il lui apparaît impossible d'imaginer que la société La Redoute n'ait vendu aucune barre d'appartement pendant cette période alors que près de 800 exemplaires ont été vendus au cours de la période précédente ; que le grief est, selon elle et M. Moreno, propriétaire de la marque, amplement avéré ;

Mais considérant que les appelants ne peuvent, sur la base d'une simple supputation, valablement prétendre que la société La Redoute aurait, pendant la période considérée, livré un produit d'une marque autre que celle qui aurait été commandée nommément sous la marque Bodylin ou sous son numéro de référence, sans rapporter la preuve de faits précis ; que la seule facture produite, de Mme Laurence Attali, n'est pas pertinente, cette facture se rapportant à une commande passée le 13 juillet 1994 sous une référence du catalogue Automne/Hiver 94/95 qui concerne le matériel commercialisé sous la marque Ready ; que les premiers juges ont, à juste titre, estimé que les conditions de la substitution de marque reprochée... ne se retrouvaient pas dans les circonstances de vente invoquées par les demandeurs ;

Sur l'atteinte aux droits d'auteur :

Considérant que M. Moreno reproche à la société La Redoute, après qu'elle ait cessé toute relation contractuelle avec la société SDL, d'avoir repris les indications figurant dans la brochure dont il se prétend l'auteur, et d'avoir reproduit, par simple décalque, les photographies utilisées pour l'illustrer, photographies extraites d'un ouvrage qu'il avait initialement conçu et réalisé pour l'utilisation méthodique de la barre d'espalier Bodylin;

Considérant que pour s'opposer à une telle demande, la société La Redoute conteste la qualité d'auteur de M. Moreno et les actes de contrefaçon, faisant valoir, à cet effet :

que la brochure invoquée est une simple notice d'emploi ou de mise en situation comportant à la fois des instructions de montage et des exercices ou conseils pratiques d'utilisation, ainsi que leurs effets sur les différents muscles,

que les informations qu'elle comporte, et qui figurent sur les notices des autres fournisseurs, ne sont pas susceptibles d'appropriation, s'agissant d'un appareil relevant du domaine public sur lequel les intéressés ne disposent ni même n'allèguent d'un droit privatif,

que la notice ayant été réalisée, à la demande de la société La Redoute, en collaboration étroite avec les responsables de cette société, l'intéressé ne peut en revendiquer la paternité,

que la mention de la participation de Christine Debourse, de Paul Alart et de Catherine Destivelle en font une œuvre de collaboration sur laquelle l'intéressé ne peut prétendre détenir un droit exclusif;

Mais considérant que si Gilbert Moreno ne peut effectivement prétendre s'approprier les mouvements de gymnastiques présentés dans un ordre convenu d'exercices courants, connus pour la mobilisation de tel ou tel muscle, ni revendiquer, en tant que tel, un droit d'auteur sur l'imagerie traditionnelle fonctionnelle communément utilisée pour illustrer de tels mouvements, il n'en demeure pas moins que la notice invoquée, qui reproduit des photographies spécialement réalisées, accompagnées de légendes précises, constitue, dans les limites de la forme et de la présentation qui en est faite, une œuvre protégeable au sens de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant par ailleurs que Christine Debourse, Paul Alart et Catherine Destivelle, tout en reconnaissant, dans les attestations qu'ils ont produites, avoir apporté leur aide technique en raison de leur compétence sportive, attribuent, la seule paternité de la brochure qu'ils ont simplement validée, à M. Moreno;

Que si le responsable de la société La Redoute, M. Hugues Allart, prétend, dans son attestation du 25 octobre 1995, que la notice a été réalisée selon les directives de sa société, il n'est pas établi, qu'hormis le souhait exprimé de fournir à la clientèle une information complète sur le produit et sur les exercices à pratiquer, sans contraindre celle-ci à acquérir le livret d'entraînement vendu séparément, la société La Redoute a participé, de façon active, à l'élaboration de la notice qu'elle s'est contentée d'accepter, ni qu'elle a acquis, sur la brochure en cause, un quelconque droit privatif;

Que la qualité d'auteur de M. Moreno n'est pas, dans de telles conditions, contestable;

Or considérant, ainsi qu'il résulte des propres déclarations de M. Allart, que le même principe et la même structure de notice a été reprise par la société La Redoute pour élaborer une notice destinée à accompagner les produits référencés ultérieurement chez un autre fournisseur que la société Bodylin; que la comparaison des deux notices, permet de relever que la société La Redoute, s'agissant des exercices à pratiquer, s'est contentée de reproduire servilement par décalque le contour des photographies utilisées par M. Moreno ; que la disposition des légendes, leur contenu et les abréviations qui les accompagnent, sont également servilement reproduites, sans la moindre modification;

Que la société La Redoute ne pouvait ainsi reproduire servilement pour la vente d'un produit concurrent, sans encourir le grief de contrefaçon, la notice que M. Moreno a réalisé pour la commercialisation des produits Bodylin, peu important que ces exercices aient été inclus, dans le document argué de contrefaçon, entre les conseils de montage de l'appareil et les conseils d'ordre général sur lesquels l'intéressé ne peut revendiquer un droit privatif; que les notices des autres concurrents, versées aux débats par la société La Redoute, qui se démarquent parfaitement de la notice de M. Moreno, démontrent, s'il en était besoin, que la reproduction de celle-ci, dans sa forme et dans sa présentation, ne constitue nullement un impératif technique incontournable et contraignant;

Que les actes de contrefaçon commis à l'encontre de M. Moreno étant établi, il en résulte pour celui-ci un préjudice, tant patrimonial que moral, qui sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 200.000 F;

Sur les actes de concurrence déloyale:

Considérant que s'il est constant que le principe de la liberté du commerce de l'industrie est un droit fondamental de notre économie et s'il ne peut être tenu grief, à la société La Redoute, d'avoir changé de fournisseur, il n'en demeure pas moins que l'utilisation d'une notice contrefaisant celle du produit Bodylin, permet à la société La Redoute de bénéficier, à moindre frais, du lancement du produit Bodylin réalisé par la société SDL à grand renfort de publicité dans laquelle paraît des éléments de la notice, et d'accompagner les produits qu'elle commercialise sous sa marque "Ready" d'une notice établie à moindre frais au détriment de la société SDL;

Considérant toutefois que ces actes de concurrence déloyale ne peuvent être invoqués que par la seule société SDL à l'encontre de laquelle ils ont été commis, mais ne constitue nullement pour M. Moreno des actes distincts de la contrefaçon ci-dessus retenue;

Que le préjudice en résultant, compte tenu de la diffusion à laquelle la société La Redoute a procédé, justifie l'octroi à la société SDL, représentée par son mandataire liquidateur, d'une somme de 250.000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi;

Considérant qu'il n'y a lieu d'ordonner la destruction des brochures litigieuses, l'interdiction sous astreinte, de leur utilisation, selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci- après, apparaissant une mesure suffisante; que les condamnations pécuniaires suffisent à réparer le préjudice réellement causé aux appelants en raison des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale susvisés, sans qu'il soit besoin d'ordonner la publication de la présente décision;

Considérant qu'en raison de ce qui précède la société La Redoute doit être déboutée de la demande de dommages-intérêts par elle formée au titre d'un appel abusif;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux appelants ; que la somme de 30.000 F doit leur être allouée à ce titre;

Par ces motifs, Infirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande formée au titre de la substitution de marque, Statuant à nouveau, Dit que la société La Redoute a commis des actes de contrefaçon à l'encontre de Gilbert Moreno et des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société SDL, En conséquence, la condamne à payer, à titre de dommages- intérêts : - à Gilbert Moreno, la somme de 200.000 F, au titre de la contrefaçon, - à Me Carrasset-Marillier, ès qualité de mandataire liquidateur de la société SDL la somme de 250.000 F, au titre de la concurrence déloyale, Fait interdiction à la société La Redoute, d'utiliser les notices litigieuses, sous quelque forme que ce soit, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée, à compter de la signification de la présente décision, Condamne la société La Redoute à payer aux appelants la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société La Redoute aux entiers dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.