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Décisions

Cass. com., 9 avril 2002, n° 98-22.240

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Hoechst Marion Roussel (SA), Agrevo Prodetech (SA)

Défendeur :

Phyto Sem (SA), Barthe (ès qual.), Noël (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Garnier

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Mes Bertrand, Brouchot.

Cass. com. n° 98-22.240

9 avril 2002

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Bordeaux, 14-09-1998), que la société Roussel Uclaf, aux droits de laquelle se trouve la société Hoechst Marion Roussel (société Hoechst), est titulaire de la marque française " Décis ", déposée le 7 mai 1971, renouvelée en dernier lieu le 8 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 169 424, pour désigner les produits des classes 1 et 5, notamment " les produits chimiques destinés à l'industrie, l'agriculture, l'horticulture et la sylviculture - préparations pour détruire les mauvaises herbes et les animaux nuisibles " ; que la société Procida, devenue la société Agrevo Prodetech, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Aventis Cropscience France (société Agrevo), titulaire d'une licence exclusive de cette marque, assure la commercialisation en France des insecticides et bénéficie pour ce faire d'une homologation n° 77 00 204 délivrée par le ministère de l'agriculture ; que par ailleurs, la société Hoechst, titulaire de la marque Decis déposée au Brésil, a consenti à la société Quimio Productos Comercio e lndustria (société Quimio) une licence exclusive au Brésil de l'usage de cette marque ne comportant " aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence " ; qu'après saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Phyto Sem de produits de marque "Decis" en provenance du Brésil et commercialisés en France par la société Phytéron International (société Phytéron), les sociétés Hoechst et Agrevo ont poursuivi judiciairement en contrefaçon ou imitation frauduleuse de marque, tromperie en matière d'étiquetage et concurrence déloyale, la société Phyto Sem ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que les sociétés Hoechst et Agrevo font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en contrefaçon de la marque Décis n° 1 169 424, alors, selon le moyen : 1. que constitue un acte de contrefaçon le fait d'introduire en France sans autorisation du propriétaire d'une marque déposée dans ce pays, un produit revêtu d'une marque qui constitue la reproduction de la marque ainsi déposée ; qu'après avoir constaté que la société Phytéron avait importé en France le produit revêtu de la marque Décis, qui constituait la reproduction de la marque Décis déposée en France par la société Hoechst, sans autorisation de celle-ci, la cour d'appel, qui s'est fondée à tort sur le fait que le produit avait été acquis, au Brésil, auprès de la société Quimio, à laquelle la société Hoechst avait concédé le droit de commercialiser et d'exporter le produit revêtu de la marque Décis déposée au Brésil, a violé l'article 422-2 du Code pénal, applicable en l'espèce, ensemble l'article 6-3 de la convention de l'Union de Paris et le principe de territorialité des marques ; 2. que l'autorisation, exclusive de l'usage illicite de la marque déposée en France, s'entend d'une permission non équivoque conférée par l'utilisateur de la marque pour désigner le produit et doit porter sur la marque dont l'usage est critiqué ; qu'après avoir constaté que le contrat de licence dont était titulaire la société Quimio portait sur l'exploitation de la marque déposée au Brésil, fût-ce en vue de l'exportation des produits, la cour d'appel ne pouvait décider que la société Phytéron, qui avait importé en France, le produit Décis brésilien à l'issue de contrats de vente successifs, pouvait par cela seul se prévaloir de l'autorisation de la société Hoechst de faire usage de la marque Décis déposée en France en vue de l'introduction du produit dans ce pays, sans méconnaître la portée de ses propres constatations en violation des articles 422-2 du Code pénal, et 6-3 de la convention de l' Union de Paris, ensemble le principe de territorialité des marques ; 3. qu'en considérant que la société Hoechst, propriétaire de la marque Décis déposée en France, avait autorisé l'importation des produits en France par la société Phytéron sans constater ni l'existence d'une permission non-équivoque donnée à la société Phytéron de procéder à cette importation ni l'existence d'une autorisation portant sur l'usage de la marque Décis déposée en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 422-2° du Code pénal, 6-3 de la convention de l'Union de Paris et du principe de la territorialité des marques ; 4. que la renonciation à un droit, notamment aux droits résultant du dépôt de marque, ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes positifs démontrant sans équivoque une volonté de renoncer ; que pour décider que la société Hoechst avait renoncé aux droits qu'elle tenait du dépôt de sa marque Décis en France, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'elle avait concédé à la société Quimio un droit d'usage de la marque Décis déposée au Brésil sans aucune restriction quant à l'exportation des produits couverts par la marque concédée en licence ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser une renonciation non équivoque de la société Hoechst aux droits de la propriété industrielle qu'elle tenait du dépôt de sa marque en France, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (2 novembre 2001, arrêt Davidoff et autres) a dit pour droit, " que l'article 7 § 1 de la 1re directive 89-104-CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'espace économique européen du 2 mai 1992, doit être interprété en ce sens que le consentement du titulaire d'une marque à une commercialisation dans l'Espace économique européen de produits revêtus de cette marque qui ont été antérieurement mis dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen par ce titulaire ou avec son consentement peut être implite, lorsqu'il résulte d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen, qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit de s'opposer à une mise dans le commerce dans l'Espace économique européen " ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Agrevo fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en concurrence déloyale à raison de la copie servile ou de l'imitation de l'étiquette utilisée pour la commercialisation du produit français, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article R 5158 du Code de la santé publique les mentions que doit porter tout contenant ou emballage d'une substance dangereuse au regard des règles particulières que comporte son emploi et au regard des conseils de prudence doivent reproduire les phrases types prévues par l'arrêté de classement ; que pour écarter le grief de concurrence déloyale tenant à la reproduction des mentions apposées sur l'étiquette du produit Decis français, la cour d'appel a retenu que ces mentions, relatives aux indications de danger, aux risques particuliers présentés par le produit, aux conseils de prudence et aux précautions d'emploi, étaient imposées par les dispositions du Code de la santé publique ; qu'en statuant de la sorte sans constater que ces mentions correspondaient à la reproduction des phrases types prévues par l'arrêté de classement, la cour d'appel, qui a d'ailleurs relevé que les mentions d'information litigieuses étaient distinctes de l'ensemble des mentions obligatoires réglementaires apposées sur l'étiquette critiquée, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles R. 5158 du Code de la santé publique et 1382 du Code civil ; 2°) qu'après avoir constaté l'existence de ressemblances dans la présentation des étiquettes en présence, quant à leur dimension et au choix de la couleur et de la typographie, il appartenait à la cour d'appel de préciser quelles différences, l'emportant sur ces ressemblances, excluaient la copie servile ou l'imitation alléguée ; qu'en se bornant à énoncer, sans procéder à cette recherche, que ces ressemblances n'étaient pas " telles " qu'elles pouvaient caractériser la copie servile ou l'imitation alléguée, la cour d'appel a, pour cette raison encore, privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil,

Mais attendu que l'arrêt relève que l'étiquette en langue française du produit Decis brésilien contient la reproduction, traduite du brésilien, de l'ensemble des mentions obligatoires réglementaires ainsi que des mentions d'information relatives à l'utilisation du produit; qu'il retient que ces mentions de nature purement technique, n'impliquant qu'un travail de conception et de rédaction des plus réduits et dépourvu d'originalité créatrice, constituent des éléments d'information objectifs imposés par la définition même des produits, et par les dispositions du Code la santé publique, lesquelles prescrivent notamment d'énoncer les indications de danger, l'énumération de risques particuliers présentés par le produit et les conseils de prudence et de précautions d'emploi ; qu'ayant déduit de ces constatations et appréciations que la reproduction des mêmes expressions ou des expressions similaires pour recommander l'utilisation du produit et l'utilisation d'étiquettes dont les ressemblances de présentation en dimension, en couleur, et en typographie étaient insuffisantes à caractériser la copie servile ou l'imitation alléguée, que n'étaient pas caractérisés les actes de concurrence déloyale allégués, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Vu l'article 1382 du Code civil : - Attendu que pour rejeter la demande en concurrence déloyale formée contre la société Phytosem, l'arrêt relève que rien ne permet d'affirmer, sauf par pure pétition de principe, que celle-ci, fût-elle professionnelle de la vente de produits phytosanitaires agricoles ait pu avoir connaissance par simple examen des étiquettes et des documents de vente du caractère douteux ou illicite du produit Decis brésilien acquis par elle auprès de l'importateur ; qu'il retient que, eu égard à l'apposition sur l'étiquetage du conditionnement du numéro d'homologation présumé authentique et correspondant au produit vendu, la société Phytosem pouvait légitimement croire non seulement à la réalité de l'homologation, mais à la régularité de l'importation du produit qu'elle achetait, et que cette apparence la dispensait de toute vérification complémentaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société Phytosem était un professionnel de la vente de produits phytosanitaires agricoles, qui ne pouvait en cette qualité soutenir avoir ignoré le caractère litigieux des marchandises qu'elle commercialisait dès lors qu'elle avait l'obligation de procéder aux vérifications qui s'imposaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande en concurrence déloyale formée contre la société Phytosem, l'arrêt rendu le 14 septembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ; Condamne la société Phyto Sem et MM. Barthe et Noël ès qualités aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Phyto Sem et de MM. Barthe et Noël ès qualités ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.