Cass. com., 9 avril 2002, n° 00-14.988
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Hoechst Marion Roussel (SA), Agrevo Prodetech (SA)
Défendeur :
Lavallart (ès qual.), Phytéron holding, Phytéron International, Sodep (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
Me Bertrand, SCP Richard, Mandelkern.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 2 novembre 1999) , que la société Roussel Uclaf, aux droits de laquelle se trouve la société Hoechst Marion Roussel (société Hoechst), est titulaire de la marque française " Décis ", déposée le 7 mai 1971, renouvelée en dernier lieu le 8 mars 1991 et enregistrée sous le n° 1 169 424, pour désigner les produits des classes 1 et 5, notamment " les produits chimiques destinés à l'industrie, l'agriculture, l'horticulture et la sylviculture - préparations pour détruire les mauvaises herbes et les animaux nuisibles " ; que la société Procida, devenue la société Agrévo Prodetech, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Aventis Cropscience France (société Agrévo), titulaire d'une licence exclusive de cette marque, assure la commercialisation en France des insecticides et bénéficie pour ce faire d'une homologation n° 77 00 204 délivrée par le ministère de l'agriculture ; que par ailleurs, la société Hoechst, titulaire de la marque Décis déposée au Brésil, a consenti à la société Quimio Productos Comercio e Industria (société Quimio) une licence exclusive au Brésil, de l'usage de cette marque ne comportant " aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence " ; qu'après saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Sodep de produits de marque " Décis " en provenance du Brésil et commercialisés en France par la société Phytéron international (société Phytéron), les sociétés Hoechst et Agrévo ont poursuivi judiciairement en contrefaçon ou imitation frauduleuse de marque et en concurrence déloyale, les sociétés Sodep et Phytéron ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 00-14.988 formé par les sociétés Hoechst et Agrévo : - Attendu que la société Hoechst fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon de marque, alors, selon le moyen, que le juge doit statuer dans les termes du litige tels qu'ils sont fixés par les conclusions des parties ; que s'il peut prendre en considération mêmes les faits que les parties n'auraient pas invoqués au soutien de leurs prétentions, c'est à la condition que ces faits figurent parmi les éléments du débat ; que la société Hoechst Marion Roussel ayant soutenu et la société Phytéron international expressément admis devant la cour d'appel qu'une partie du produit litigieux avait été importé par cette dernière société en France, via la Belgique, la cour d'appel ne pouvait, fût-ce par adoption des motifs du jugement, se fonder sur une importation du produit en provenance d'une société néerlandaise, importation dont le caractère illicite n'avait pas été invoqué, sans méconnaître les termes du débat tels qu'ils étaient fixés par les conclusions, convergentes sur ce point, des parties, en violation des articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, qu'après avoir relevé au vu des documents versés aux débats que les produits concernés par le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 28 novembre 1991 provenaient d'une fabrication réalisée par la société Agrévo et avaient été vendus à la société Phytéron par l'intermédiaire d'une société néerlandaise, la cour d'appel a pu, sans méconnaître l'objet du litige, écarter les allégations, non assorties d'offre de preuve, des sociétés Hoechst et Phytéron concernant des importations qui auraient transité par la Belgique et retenir que la procédure ne concernait que le produit fabriqué au Brésil importé par la société Phytéron en 1990 et commercialisé par la société Sodep en 1991 ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° 00-14.988, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Hoechst fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon de la marque Décis, alors, selon le moyen : 1. qu'après avoir exactement reproduit les termes de l'avenant du 6 mai 1983 au contrat de licence, selon lesquels " le présent contrat ne comportait aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence ", la cour d'appel ne pouvait, ajoutant ainsi aux termes de l'avenant une précision qu'ils ne comportaient pas, énoncer que la société Roussel Uclaf avait " accepté la commercialisation et l'exportation du Décis brésilien dans tous pays y compris la France ", pour en déduire que cette société avait renoncé aux droits de marque dont elle était titulaire en France ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu la portée de ses propres constatations, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2. que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que pour décider qu'elle avait renoncé par avance, avant toute introduction des produits sur le territoire français, à se prévaloir des principes d'indépendance et de territorialité des marques et à s'opposer à la commercialisation sur le territoire français du produit brésilien revêtu de la marque déposée au Brésil, la cour d'appel s'est fondée sur le fait que la société Roussel Uclaf avait concédé à la société Quimio Produtos un droit d'usage de la marque déposée au Brésil sans aucune restriction quant à l'exportation des produits couverts par la marque concédée en licence ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser une renonciation expresse et non équivoque aux droits de propriété industrielle qu'elle tenait du dépôt de sa marque en France, la cour d'appel a méconnu les principes qui régissent la renonciation à un droit et, pour cette raison encore, violé l'article 1134 du Code civil ; 3. qu'en application des principes d'indépendance et de territorialité des marques qui doivent s'appliquer en l'absence de tout épuisement international du droit, constitue un acte de contrefaçon le fait d'imputer en France, sans l'autorisation expresse du titulaire du droit sur la marque française, un produit reproduisant une marque brésilienne identique ; qu'en décidant qu'elle avait implicitement renoncé à s'opposer à la commercialisation sur le territoire français du produit brésilien revêtu de la marque brésilienne sans constater une telle autorisation expresse donnée à l'importateur des produits en France, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 422-2° de l'ancien Code pénal, 6.3 et 9.1 de la Convention d'Union de Paris ;
Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (2 novembre 2001, arrêt Davidoff et autres) a dit pour droit, " que l'article 7 § 1 de la 1re directive 89-104-CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen du 2 mai 1992, doit être interprété en ce sens que le consentement du titulaire d'une marque à une commercialisation dans l'Espace économique européen de produits revêtus de cette marque qui ont été antérieurement mis dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen par ce titulaire ou avec son consentement peut être implicite, lorsqu'il résulte d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'Espace économique européen, qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit de s'opposer à une mise dans le commerce dans l'Espace économique européen " ;
Attendu que l'arrêt relève que la société Hoechst, titulaire de la marque Decis déposée au Brésil, a consenti à la société Quimio la licence exclusive de cette marque aux termes d'un contrat précisant qu'il ne comportait " aucune restriction quant à la fabrication, la commercialisation et l'exportation des produits couverts par la marque " ; qu'ayant déduit de ces constatations et appréciations, que la société Hoechst avait renoncé à se prévaloir du principe de la territorialité des marques et à s'opposer à l'importation et à la commercialisation sur le territoire de la Communauté européenne des produits revêtus de la marque Decis déposée au Brésil, la cour d'appel, qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le moyen unique du pourvoi n° 00-16.573 formé par la société Sodep : - Attendu que la société Sodep reproche à l'arrêt sa condamnation pour concurrence déloyale, alors, selon le moyen, qu'en se bornant à énoncer que la société Sodep avait eu connaissance, par l'assignation du 30 décembre 1990, de ce que la société Procida, devenue la société Agrevo Prodetech, et la société Rousse! Uclaf soutenaient que la société Phytéron international n'était pas en droit de faire usage, pour le produit Decis brésilien qu'elle commercialisait, du numéro d'homologation accordé au produit Decis français et que l'étiquette figurant sur ce produit était une copie de celle du produit Decis français, sans constater que la société Sodep aurait été fondée à accorder quelque crédit aux affirmations figurant dans cette assignation, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de faute à l'encontre de la société Sodep, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Sodep, professionnelle de la vente de produits phytosanitaires, avait revendu, après délivrance de l'assignation, des produits supportant un n° d'homologation délivré pour un produit de composition différente et comportant une étiquette qui était la copie quasi-servile de celle apposée par la société Agrévo, ce dont il résultait qu'en sa qualité de professionnelle de la vente de tels produits elle avait connaissance du caractère litigieux des marchandises commercialisées et avait l'obligation de procéder aux vérifications qui s'imposaient, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois ; Condamne les sociétés Hoechst Marion Roussel et Aventis Cropscience France et Sodep aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Sodep.