Cass. com., 26 février 2002, n° 99-13.774
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Légo AS (Sté), Kirbi AS (Sté), Légo (SA), Interlégo (Sté)
Défendeur :
Klip (Sté), Casino France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mmes Garnier
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Benabent.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 1999), que la Société Kirbi qui fabrique des jeux de construction Légo, constitués de briques assemblables entre elles au moyen de tenons circulaires, la Société Légo France qui les commercialise, la Société Légo AS, titulaire du brevet n°78 24 914 intitulé "personnage jouet" déposé le 29 août 1978, délivré le 16 juillet 1982, d'un modèle d'élément de jeu de construction dit cornière déposé le 26 novembre 1986 et enregistré sous le n° 866 265 ainsi que d'un modèle de personnage jouet déposé le 16 février 1978, enregistré sous le n° 125 741, et la Société lnterlégo, titulaire d'un modèle de briques à tenons déposé le 18 novembre 1978 et enregistré sous le n° 104 741, (les Sociétés du Groupe Légo) ont, après constat et saisie-contrefaçon, assigné en contrefaçon de leur titres et en concurrence déloyale et parasitaire la Société Klip aux droits de laquelle se trouve la Société Stampaggio Plastica Saonara (Société SPS) et la Société Hypervillette aux droits de laquelle se trouve la Société Casino France (société Casino), qui ont reconventionnellement conclu à la nullité des modèles et des revendications du brevet ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés du groupe Légo font grief à l'arrêt d'avoir déclaré nuls les modèles n° 104 897 et 886 265, alors, selon le moyen, que le juge national saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application d'une directive est tenu d'interpréter son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de cette directive ; que l'article 7 de la directive communautaire n° 98-71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et modèles, publiée au JOCE du 28 octobre 1998 et entrée en vigueur le 18 novembre suivant, après avoir posé en principe l'abseno de protection des caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont imposées par sa fonction technique, apporte à ce principe une dérogation pour des modèles ayant "pour objet de permettre l'assemblage ou la connexion multiple de produits interchangeables à l'intérieur d'un système modulaire" ; qu'en s'abstenant d'appliquer cette dérogation aux modèles Iitigieux, dont elle constate qu'ils "permettent l'assemblage de jeux de construction", la cour d'appel a violé l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de la directive n° 98-71 du 13 octobre 1998;
Mais attendu que l'article 19 de la directive CEE 98-71 du 13 octobre 1998 sur la protection des dessins et modèles, publiée au journal officiel des communautés européennes le 28 octobre 1998 et qui fixe la date d'entrée en vigueur au 20e jour suivant sa publication, a imparti aux Etats-membres un délai expirant le 28 octobre 2001 pour mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives pour se conformer à la présente directive ; que, dès lors, le moyen qui se réfère à des dispositions non encore transposées en droit national ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen pris en ses quatre branches : - Attendu que la SA Légo reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en concurrence déloyale et parasitaire, alors, selon le moyen : 1°) que la copie servile de produits non couverts par un droit privatif constitue un acte de concurrence déloyale; qu'en retenant pour la débouter de son action en concurrence déloyale, que cette action ne reposait sur aucun élément distinct de la contrefaçon des modèles qui n'étaient pas retenue en raison de leur nullité et qu'elle ne disposait d'aucun monopole, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que des différences concernant des éléments extérieurs au produits et au surplus éminemment variables, ne font pas disparaître le caractère déloyal de la copie servile du produit lui-même; qu'en se fondant exclusivement sur l'apposition d'une marque sur les produits et sur leur présentation dans des emballages différents pour exclure toute copie servile et tous risques de confusion sans relever aucune différence affectant les produits eux-mêmes, la Cour d'Appel a violé l'article 1382 du Code Civil ; 3°) qu'en toute occurrence, la concurrence déloyale est caractérisée, même en dehors de tout risque de confusion par le comportement parasitaire du concurrent qui tend à se placer dans le sillage d'un prédécesseur en évitant le coût de la recherche, de la mise au point et du lancement du produit qu'il imite; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions faisant valoir que la copie servile est prohibée "dès lors qu'elle permet de s'approprier à bon compte les efforts et les investissements d'un concurrent" et "que la Société Klip n'a en réalité d'autre but que de se placer dans le sillage des produits Légo, qui bénéficient d'une notoriété incontestable auprès du consommateur pour bénéficier ainsi sans bourse délier, des investissements et des efforts publicitaires qui ont été consacrés à la promotion des briques Légo depuis de très nombreuses années", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de Procédure Civile ; 4°) qu'en retenant que la mention "compatible" ne visait pas expressément les produits Légo sans répondre aux conclusions faisant valoir que la très grande notoriété des produits Légo est de nature à amener immédiatement le consommateur à penser que "les jeux vendus sous la dénomination Klip sont donc compatibles avec les jeux Légo", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de Procédure Civile;
Mais attendu qu'ayant relevé que les produits argués de copie servile étaient revêtus de la marque Klip et vendus dans des emballages différents de ceux de la société Légo, ce qui excluait tout risque de confusion, l'arrêt retient que la mention "compatible" figurant sur les boîtes de jeux Klip ne précise pas que ces produits étaient compatibles avec ceux de Légo, et qu'ils étaient en réalité compatibles avec tous les produits similaires existant sur le marché ; que la cour d'appel, qui a répondu en les rejetant aux conclusions prétendument délaissées a pu, en l'absence d'autres éléments de nature à entraîner une confusion entre les produits en présence, rejeter la demande en concurrence déloyale et parasitaire; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 455 du nouveau Code de Procédure Civile ; - Attendu que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ;
Attendu que l'arrêt, après avoir relevé dans ses motifs que le modèle Légo présentait une configuration propre et nouvelle témoignant d'un effort de création le rendant protégeable au sens de l'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, la cour d'appel, dans son dispositif, a annulé ce modèle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la Cour d'Appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule, mais en ses seules dispositions ayant annulé le modèle n° 125741 dont est titulaire la société Légo AS, l'arrêt rendu le 12 février 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.