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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 février 2002, n° 2000-09230

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Éditions Côté Sud (SA)

Défendeur :

Bayard Presse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Gibou-Pignot Grappotte-Benetreau, Me Olivier

Avocats :

Mes Monegier du Sorbier, Boespflug.

TGI Paris, 3e ch. 3e sect., du 14 déc. 1…

14 décembre 1999

La société Éditions Côté Sud est titulaire de la marque dénominative "Maisons Côté Sud" déposée à l'INPI, le 21 avril 1989, enregistrée sous le n° 1.525.630, pour désigner en classe 16 et 41, les produits et services de l'édition et la publication de journaux, livres et périodiques, acquise de Madame Lefebvre, selon acte du 10 septembre 1993, régulièrement inscrit au registre national des marques.

Depuis 1990, la société Éditions Côté Sud, publie sous le titre "Maisons Côté Sud" une revue consacrée à la décoration et à l'art de vivre. Cette publication est déclinée sous les formes "Maisons Côté Ouest" et "Maisons Côté Est", respectivement mises sur le marché en mai 1994 et en 1999.

Au début de l'été 1999, la société Bayard Presse, éditrice de la revue "Bonne Soirée", a changé l'intitulé de sa publication en adoptant le titre "Côté Femme", après avoir acquis de la société La Redoute les marques "Côté Femme" antérieurement déposées par celle-ci, les 17 avril 1990 et 25 février 1999, enregistrées sous les n° 1.651.340 et n° 199.778.599, qui lui ont été cédées notamment pour les produits de l'imprimerie, par acte du 10 juin 1999, régulièrement inscrit au registre national des marques sous le n° 278.980.

Estimant que le titre "Côté Femme" constituait la contrefaçon de sa marque, et que l'utilisation qui en était faite caractérisait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, la société Éditions Côté Sud a, par acte du 29 septembre 1999, assigné la société Bayard Presse devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 14 décembre 1999 a :

- débouté la société Éditions Côté Sud de l'intégralité de ses demandes,

- dit que la société Éditions Côté Sud s'est rendue coupable de dénigrement et donc de concurrence déloyale à l'égard de la société Bayard Presse et l'a condamnée à payer à celle-ci un franc de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

- autorisé la société Bayard Presse à publier tout ou partie du jugement dans la revue CB News aux frais de la société Éditions Côté Sud, sans que le coût total d'insertion dépasse 30.000 F HT,

- rejeté toute autre demande et condamné la société Éditions Côté Sud à payer à la société Bayard Presse la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Éditions Côté Sud a interjeté appel de cette décision, le 28 mars 2000.

La Cour,

Vu les conclusions du 20 novembre 2001 aux termes desquelles la société Éditions Côté Sud réitère devant la Cour ses griefs de contrefaçon de marque par imitation et de concurrence parasitaire, et, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, sollicite:

- l'annulation des deux marques Côté Femme,

- la destruction de tous les supports portant cette dénomination sous astreinte de 1.524,49 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- le paiement d'une somme de 76.224;51 F à titre de dommages-intérêts provisionnels, en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marque à évaluer à dire d'expert, ainsi que la somme de 228.673,52 F à titre de dommages-intérêts provisionnels, en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- la publication de la décision dans dix journaux ou revues de son choix aux frais de la société Bayard Presse, pour un coût de 7.622,45 F par insertion, à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- l'allocation d'une somme de 11.433,68 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 20 septembre 2001 aux termes desquelles la société Bayard Presse contestant les faits qui lui sont reprochés et réfutant point par point l'argumentation développée par la société Éditions Côté Sud, poursuit la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et demande paiement d'une indemnité de 50.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Sur quoi,

Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que la société Éditions Côté Sud, tout en soulignant l'identité et la similarité des produits désignés, soutient que les marques "Côté Femme" constituent la contrefaçon par imitation de sa marque ;

Considérant que la marque "Maisons Côté Sud n'étant pas reproduite à l'identique par les marques critiquées, il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion ; que ce risque de confusion doit s'apprécier globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, l'appréciation des similitudes visuelle, phonétique ou conceptuelle entre les marques en cause devant être fondée sur l'impression d'ensemble produites par celles-ci, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ; que cette comparaison doit, au surplus, s'effectuer entre les signes tels qu'ils sont déposés, indépendamment de l'exploitation qui en est faite ;

Considérant que, sans être indivisible, la marque "Maisons Côté Sud" forme un ensemble ; que si les marques "Côté Femme" reprennent les deux derniers mots de la marque opposée, elles ne comportent que deux termes ; qu'elles ne peuvent ni visuellement, ni phonétiquement, être confondues dans leur perception globale, le rythme ternaire de la marque première écartant tout risque de confusion avec le rythme binaire des marques critiquées ; que la seule reprise du terme "côté", communément employé dans la langue française, n'est pas de nature à créer un tel risque ; que le consommateur d'attention moyenne qui ne dispose pas des deux signes en même temps sous les yeux ne risque donc pas de se méprendre en raison de la différence de longueur des signes concernés, d'autant plus que les termes "Maisons" et "Sud" qui entourent le mot "côté" de la marque première ne sont pas immédiatement perçus, dans leur signification première, dans sa relation possible avec le mot "femme" ;

Que le grief de contrefaçon de marques a été rejeté à bon droit par les premiers juges ;

Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire :

Considérant que si la société Éditions Côté Sud n'est pas fondée à invoquer la contrefaçon de marque, elle n'en est pas moins recevable à invoquer des actes de concurrence déloyale et parasitaire résultant, non dans la similitude des marques, mais dans l'usage qui en est fait ;

Considérant qu'il convient de relever (comme la Cour, devant laquelle des exemplaires de chacune des revues en cause ont été produits, a pu le constater) que la société Éditions Côté Sud a entendu donner aux revues qu'elle édite une qualité esthétique particulièrement soignée qui se reflète tant dans la présentation qu'elle en a faite que dans son contenu ; qu'il n'est pas contesté que cette revue constitue un produit haut de gamme ;

Considérant par ailleurs que la revue est déclinée sous les trois acceptions Côté Sud, Côté Ouest et Côté Est, qui, inscrites, en gros caractères, en partie haute de chacune des couvertures des magazines, occultent complètement le terme "maisons" reproduit au dessus en petits caractères et en italiques ; que ces trois déclinaisons Côté Sud, Côté Ouest, Côté Est en constituent, à elles seules, le titre et identifient les revues aux yeux du public, avec la renommée et la qualité qui s'y attachent ; qu'il est constant que cette renommée a été acquise au prix d'investissements humains et financiers importants dont il est justifié ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que de son côté la revue "Bonne Soirée", éditée par la société Bayard Presse, ne poursuit pas la même finalité et se propose, au travers de différentes rubriques concernant la femme et la maison, d'offrir à la lectrice moyenne une gamme variée d'informations en tous genres, sous forme de "potins" ; que sa présentation plus commune en fait une revue hebdomadaire courante ;

Considérant que la société Bayard Presse reconnaît que, constatant la baisse de ses ventes, elle a cherché à moderniser sa revue en lui donnant un aspect plus attractif ;

Que le choix de la dénomination "Côté Femme", à une époque où les revues de la société Éditions Côté Sud connaissaient un succès croissant, que venait renforcer la mise sur le marché de la troisième déclinaison, ne résulte pas d'un simple hasard, mais procède de la volonté délibéré d'adopter à moindre frais la déclinaison d'un titre qui a fait ses preuves en terme de communication et dont le succès est actuellement avéré;

Que cette déclinaison ne peut avoir que pour effet de banaliser le titre des revues de la société Éditions Côté Sud en affadissant la force de communication qui s'attache à l'expression "Côté" suivie d'un nom, acquise au prix d'investissements importants ; que cette dévalorisation des éléments identifiants de la revue en cause apparaît, dans de telles conditions, fautive et risque, à brève échéance, de créer dans l'esprit du public, en raison de sa banalisation, une confusion en laissant penser à la déclinaison dans une gamme de produits de moindre qualité ;

Que l'adoption de l'expression Côté Femme comme titre d'une revue, qui s'est accompagnée de l'acquisition des marques non exploitées de la société La Redoute, apparaît d'autant plus fautive que la société Éditions Côté Sud a préalablement informé la société Bayard Presse de l'importance qu'elle accordait à la protection de ses titres, avant que celle-ci ne procède à la mise sur le marché du titre critiqué ;

Que cette dernière soutient à tort que la société appelante chercherait à s'approprier le terme "côté", l'utilisation, y compris dans l'expression "Côté". suivie d'un nom, n'en étant nullement interdite dans son acception courante mais uniquement pour servir de titre à une revue ;

Que le grief de concurrence parasitaire est de ce fait suffisamment caractérisé ;

Considérant que les actes de concurrence déloyale et parasitaire ont nécessairement eu pour effet de causer à la société au détriment de laquelle ils ont été commis un trouble commercial ; que sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, ce préjudice sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 200.000 F de dommages-intérêts ;

Qu'il convient également d'interdire l'utilisation du titre "Côté Femme" pour l'avenir et d'ordonner la publication de la présente décision, selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après ;

Que la somme de 50.000 F doit en outre être allouée à la société Éditions Côté Sud pour ses frais irrépétibles d'instance, la société Bayard Presse qui succombe devant être déboutée de la demande qu'elle a formé à ce titre ;

Par ces motifs, Infirme la décision entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le grief de contrefaçon de marque, Et statuant à nouveau, Dit qu'en adoptant le titre Côté Femme pour sa revue la société Bayard Presse a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Éditions Côté Sud, Lui interdit en conséquence dans le mois qui suivra la signification de la présente décision l'utilisation de ce titre, sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée, passé le délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision ; La condamne à payer à la société Éditions Côté Sud la somme de 200.000 F soit 30.489,80 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé ; Ordonne la publication de la présente décision dans trois journaux ou revues au choix de la société Éditions Côté Sud et aux frais de la société Bayard Presse sans que le coût de chaque insertion n'excède 5.350 euros HT, Condamne la société Bayard Presse à payer à la société Éditions Côté Sud la somme de 50.000 F soit 7.622,45 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile Rejette toute autre demande, Met les entiers dépens à la charge de la société Bayard Presse et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.