CA Paris, 4e ch. A, 23 janvier 2002, n° 2000-04884
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gaec Godefroy Bourneuf
Défendeur :
Groupement Jacques Marionnet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Bailleul, Bouvet.
Le Groupement Jacques Marionnet, pépiniériste obtenteur, est titulaire d'un certificat d'obtention végétale français n° 6630, délivré le 24 février 1992, pour protéger la variété de fraisier qui a reçu la dénomination variétale Mara des Bois.
Ce Groupement exploite la variété dont il vend les plants (10.000.000 de plants par an) à des agriculteurs, en vue de la production de fraises, ou à des jardineries. Ces plants sont certifiés par le service officiel de contrôle et de certification dit SOC.
Découvrant que le Groupement Godefroy-Bourneuf produisait, vendait et offrait à la vente des plants de fraisiers de la variété Mara des Bois qui constituaient la contrefaçon de celle objet du certificat d'obtention végétale français susvisé, le Groupement Jacques Marionnet, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux du Groupement Godefroy-Bourneuf, le 24 avril 1998, a, par acte du 11 mai 1998, assigné ledit Groupement devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 29 octobre 1999, a :
- dit que le Groupement Godefroy-Bourneuf a porté atteinte aux droits du Groupement Jacques Marionnet, titulaire du certificat d'obtention végétale n° 6630, constitutive de contrefaçon et commis des actes de concurrence déloyale envers le Groupement Jacques Marionnet en vendant les plants litigieux sous une dénomination variétale incomplète et à un prix très inférieur,
- interdit au Groupement Godefroy-Bourneuf la poursuite de tels agissements, sous astreinte de 100 francs par infraction constatée pour chaque plant de fraisier, à compter de la signification de la décision,
- condamné le Groupement Godefroy-Bourneuf à payer au Groupement Jacques Marionnet une somme de 70.000 francs à titre de dommages-intérêts,
- autorisé le Groupement Jacques Marionnet à faire publier le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix aux frais du Groupement Godefroy-Bourneuf, sans que le coût de ces insertions puisse dépasser à la charge de ce dernier la somme totale de 60.000 francs HT,
- condamné le Groupement Godefroy-Bourneuf à payer au Groupement Jacques Marionnet la somme de 15.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Groupement Godefroy-Bourneuf a interjeté appel de cette décision, le 28 février 2000
LA COUR,
Vu les conclusions du 31 octobre 2000 aux termes desquelles le Groupement Godefroy-Bourneuf (GAEC Godefroy-Bourneuf) conteste les faits qui lui sont reprochés, prétendant que les plants saisis, comme ceux qui ont été testés antérieurement, sont des plants authentiques régulièrement acquis auprès de collègues ensuite du refus de vente que le Groupement Jacques Marionnet lui a illégitimement opposé, et, poursuivant la réformation de la décision entreprise, demande à la Cour de débouter purement et simplement le Groupement Jacques Marionnet de ses prétentions et demandes et de le condamner à lui payer la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, celle de 50.000 francs pour procédure abusive ainsi qu'une somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions du 28 novembre 2000 aux termes desquelles le Groupement Jacques Marionnet réfutant point par point l'argumentation qui lui est opposée et dénonçant la mauvaise foi du Groupe Godefroy-Bourneuf, poursuit la confirmation de la décision entreprise sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'il demande à la Cour de porter à la somme provisionnelle de 500.000 francs (76.224,51 euros) à parfaire à dire d'expert, et sollicite paiement d'une somme de 20.000 francs (3.048,98 euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel;
Sur quoi,
Sur les actes de contrefaçon :
Considérant qu'en application de l'article L. 623-4 du Code de la propriété intellectuelle tout certificat d'obtention végétale confère à son titulaire le droit exclusif de produire et de vendre du matériel végétal de la variété protégée; que cette protection, pour les fraisiers, porte sur tout ou partie de la plante destinée à être utilisée comme matériel de multiplication de la variété;
Que le Groupement Jacques Marionnet, titulaire du certificat d'obtention végétale français n° 6630 délivré le 24 février 1992, est donc en droit d'interdire à quiconque de multiplier, de vendre ou d'offrir en vente des plants de fraisiers de la variété dénommée Mara des Bois;
Considérant que le Groupement Godefroy-Bourneuf ne conteste pas avoir vendu près de 40.000 plants de cette variété, en 1997, et près de 30.000 plants sur les cinq premiers mois de l'année 1998, soutenant, pour réfuter le grief de contrefaçon qui lui est opposé, que ces plants sont authentiques et régulièrement acquis auprès d'autres revendeurs;
Mais considérant que le Groupement Godefroy-Bourneuf ne produit aucun document pertinent à l'appui de ses dires; que le Groupement Jacques Marionnet fait, à juste raison, valoir que si lors des opérations de saisie-contrefaçon, pratiquées, le 28 avril 1998, une caisse de 4.000 plants provenant effectivement de chez lui a été représentée à l'huissier, les deux factures d'achat produites (du 29 janvier 1997, pour 3.000 plants à 1,17 francs, soit 3.510 francs HT, et du 7 février 1998, pour 4.220 francs HT) ne comportent aucune mention quant à la variété végétale concernée; que ces factures sont au surplus loin de représenter les quantités de plants que le Groupement Godefroy-Bourneuf a reconnu vendre annuellement; que les plants présentés à l'huissier, essentiellement de catégorie A, ne correspondent pas aux plants de catégorie B que le Groupement Godefroy-Bourneuf a déclaré vendre exclusivement; que les fraisiers litigieux ne sont, de surcroît, pas vendus dans les emballages du Groupement Jacques Marionnet;
Que ce Groupement objecte pertinemment à l'appelant que si les plants en cause provenaient effectivement de son entreprise, le fait de les vendre dans une toute autre présentation constituerait une tromperie sur l'origine de la marchandise constitutive d'un acte de concurrence déloyale, que la suppression de la dénomination sociale du Groupement Jacques Marionnet sur les cageots constituerait au surplus le délit visé par l'article L. 217-1 du Code de la consommation, que la vente à prix inférieur à celui du Groupement caractériserait une revente à perte sanctionnée par l'article L. 32-1 de l'ordonnance de 1986 et que le groupement appelant n'a méconnu l'obligation d'indiquer précisément la dénomination variétale des fraisiers vendus que pour la variété Mara des Bois;
Que l'attestation de Monsieur Jacky Marek du 20 novembre 1998, établie pour les besoins de la cause et produite au surplus dans des conditions non conformes aux dispositions du nouveau Code de procédure civile, par laquelle l'intéressé déclare avoir eu connaissance de ce que Monsieur Godefroy Constant a échangé avec certains clients des fraisiers "appelation" Mara des bois, contre des variétés Gento gariguette, n'est pas pertinente, à défaut d'être précise et circonstanciée;
Que le Groupement Godefroy-Bourneuf ne rapportant pas la preuve de l'acquisition, directe ou indirecte, régulière des plants vendus, le tribunal, par des motifs pertinents que la Cour adopte, a exactement retenu le grief de contrefaçon;
Considérant que pour échapper à ce grief et solliciter l'octroi de dommages-intérêts, le Groupement Godefroy-Bourneuf reproche au Groupement Jacques Marionnet de s'être livré à un refus de vente injustifié ; qu'il invoque à cette fin les commandes du 15 mai et 9 novembre 1998 non suivies d'effet;
Mais considérant que le Groupement Jacques Marionnet lui objecte pertinemment que ces commandes, émises postérieurement à l'acte introduction d'instance du 11 mai 1998, ne sont pas de nature à caractériser un refus de vente illégitime, un tel refus étant amplement justifié par les méthodes commerciales non conformes aux usages commerciaux constatés lors des opérations de saisie contrefaçon et des actes qui les ont précédées, tels que reprochés dans le cadre du présent litige;
Qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que le groupement Jacques Marionnet, dont les conditions de vente ne comportent aucune condition restrictive, aurait mis en place un réseau de distribution sélective et se serait livré à des pratiques discriminatoires prohibées; qu'il n'est pas davantage établi que ce Groupement aurait opposé à l'appelant, de façon fautive, qu'il ne pouvait être satisfait à une commande, n'étant pas démontré que l'épuisement de la variété ait été invoquée de manière fallacieuse;
Que l'attestation de Madame Godefroy-Bourneuf, fille de Monsieur Godefroy, établie, le 24 novembre 1998, manifestement pour les besoins de la cause, est dépourvue de force probante et n'est étayée par aucun élément objectif pertinent;
Que le Groupement Godefroy-Bourneuf est mal fondé en ses prétentions;
Sur les actes distincts de concurrence déloyale :
Considérant qu'il résulte des factures produites aux débats que le Groupement Godefroy-Bourneuf a vendu des plants de la variété Mara des Bois sans indiquer la dénomination variétale exacte, telle qu'elle figure au certificat d'obtention végétale, la seule mention portée étant "Fraisiers Mar. SP Godets" ; que cette indication, contraire aux exigences de l'article L. 623-15 du Code de la propriété intellectuelle est d'autant plus fautive qu'elle est de nature à laisser accroire à quiconque, fût-il professionnel, qu'il existe une variété nouvelle différente présentant des caractéristiques identiques
Qu'il est également constant que ce Groupement a vendu des plants de la variété concernée à un prix très largement inférieur à celui pratiqué par le propriétaire de la variété;
Que par des motifs pertinents, que la Cour adopte, le tribunal a exactement estimé que Le Groupement Godefroy-Bourneuf avait également commis des actes de concurrence déloyale au préjudice du groupement Jacques Marionnet;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que l'atteinte portée aux droits privatifs appartenant au Groupement Jacques Marionnet est d'autant plus réelle qu'elle porte sur une variété haut de gamme, particulièrement appréciée pour ses qualités gustatives et gastronomiques et qu'elle s'est accompagné d'actes de concurrence déloyale avérés; que ces faits qui concernent à tout le moins quelques 64.000 plants ont revêtu une importance certaine;
Que si le tribunal a exactement ordonné les mesures d'interdiction et de publication qui s'imposent, il a minoré l'évaluation du préjudice réellement causé, lequel sera entièrement réparé, sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, par l'octroi au Groupement Jacques Marionnet d'une somme de 45.734,71 euros (300.000 francs) de dommages-intérêts;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier au Groupement Jacques Marionnet, la somme de 3.038,98 euros (20.000 francs) devant lui être allouée à ce titre pour ses frais irrépétibles en cause d'appel;
Que le Groupement Godefroy-Bourneuf qui succombe en ses prétentions, doit être débouté de la demande qu'il a formée tant au titre de la procédure abusive qu'au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, à l'exception du montant des dommages-intérêts alloué au Groupement Jacques Marionnet; La réformant sur ce point, Porte à 45.734,71 euros (300.000 francs) le montant des dommages-intérêts dûs au Groupement Jacques Marionnet en réparation du préjudice qui lui a été causé tant au titre de la contrefaçon qu'au titre de la concurrence déloyale et condamne en conséquence le Groupement Godefroy-Bourneuf à payer cette somme au Groupement Jacques Marionnet; Y ajoutant, Condamne le Groupement Godefroy-Bourneuf à payer au Groupement Jacques Marionnet la somme de 3048,98 euros (20.000 francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel; Rejette toute autre demande; Met les dépens, en ce compris les frais d'huissier engagés pour la présente instance, à la charge du Groupement Godefroy-Bourneuf et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.