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Décisions

CA Lyon, audience solennelle, 5 novembre 2001, n° 1997-07338

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Catalina Marketing France (SA)

Défendeur :

Orangina France (SA), Coca Cola Beverages (SA), Sogec (SA), Joker (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loriferne

Conseillers :

Mme Dumas, M. Simon, Mme Bayle

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, Me Ligier de Mauroy, SCP Aguiraud-Nouvellet

Avocats :

Mes Bouazia-Torron, Pastel-Debourd, Nemo, Barthomeuf.

T. com. Marseille, du 2 févr. 1995

2 février 1995

Faits et procédure

La société Catalina Marketing France (société Catalina) a mis au point et diffusé en France un système dit de " couponnage électronique " permettant, à partir de la connexion aux caisses enregistreuses des magasins de grande distribution d'un micro-ordinateur et d'une imprimante et au moyen de la lecture optique d'un code à barres, de déclencher, au moment du passage en caisse d'un produit acheté par un client et appartenant a une catégorie déterminée à l'avance (programme dit "Catégorie ") entre un annonceur et la société Catalina, l'émission d'un bon de réduction, dénommé " Ecobon ", d'une valeur faciale fixe à valoir sur l'achat ultérieur, avant une certaine date et dans un des points de vente du distributeur, d'un produit relevant de la même catégorie que celui acheté.

Pour promouvoir la boisson Fanta qu'elle commercialisait, la société Coca Cola Beverages (société Coca Cola) a adhéré à ce système, l'achat par un client du magasin Casino Sainte-Aime, près de Marseille, d'une boisson figurant parmi trente-six produits de marques différentes déclenchant automatiquement un bon de réduction pour l'achat ultérieur, dans la même grande surface, d'une boisson portant la marque Fanta.

La société Tropicana France Maxime Delrue (société Tropicana) en a fait de même pour promouvoir sa boisson Tropicana.

Les bons de réduction étaient gérés dans les deux cas par la société Sogec.

S'estimant victime d'agissements anticoncurrentiels résultant de la mise en place de ce système, la société Orangina a fait assigner devant le tribunal de commerce de Marseille, par acte des 30 septembre et 3 octobre 1994, la société Catalina, la société Coca Cola et la société Sogec aux fins, notamment, d'obtenir des dommages-intérêts.

De son côté, la société Joker a fait assigner le 18 octobre 1994, aux mêmes fins et devant le même tribunal, la société Catalina, la société Tropicana et la société Sogec.

Par jugement du 2 février 1995, le tribunal de commerce de Marseille, après avoir écarté une exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Coca Cola et ordonné la jonction des deux instances, a :

- donné acte à la société Joker de son désistement d'instance et d'action à l'encontre de la société Tropicana et donné acte à celle-ci de son acceptation du désistement,

- dit que le système Catalina employé par la société Coca Cola dans les conditions mises en œuvre au "Casino Sainte Anne" est constitutif de pratique de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Orangina,

- dit que la société Catalina et la société Coca Cola doivent cesser leurs activités fondées sur ce système à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 50.000 F par jour de retard,

- dit que le système Catalina tel qu'il est appliqué est parasitaire et constitutif de pratiques anti-concurrentielles à l'égard de la société Joker,

- dit que la société Catalina doit cesser ses activités fondées sur ce système, sous astreinte de 50.000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- dit n'y avoir lieu à mise hors de cause de la société Sogec qui devra fournir à l'expert tous éléments en sa possession,

- ordonné à la société Sogec de cesser, à compter de la signification du jugement, de faire remonter toutes informations à la société Catalina et à la société Coca Cola,

- condamné la société Catalina et la société Coca Cola à payer à la société Orangina la somme de 3.500 en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamné la société Catalina à payer à la société Joker la même somme sur le même fondement,

- réservé les dommages-intérêts pour désorganisation commerciale et, avant dire droit sur leur quantum,

- ordonné une expertise aux fins, notamment, de déterminer le préjudice subi par la société Orangina et la société Joker du fait du système Catalina,

- réservé les dépens,

- rejeté toutes autres demandes.

Sur appel de la société Catalina et de la société Coca Cola et appel incident de la société Sogec, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par arrêt du 30 juin 1995, rejeté l'exception d'incompétence territoriale, déclaré la société Joker irrecevable pour défaut d'intérêt en son action à l'encontre de la société Catalina, déclaré irrecevable l'assignation délivrée en cause d'appel par la société Catalina contre la société Tropicana, prononcé la mise hors de cause de celle-ci, réformé le jugement entrepris, débouté la société Orangina de toutes ses demandes, mis hors de cause la société Joker, débouté la société Catalina, la société Coca Cola et la société Joker de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive, prononcé des condamnations sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et condamné la société Orangina et la société Joker aux dépens.

La société Orangina a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 18 novembre 1997, la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, après avoir donné acte à la société Orangina du désistement de son pourvoi à l'encontre de la société Joker et de la société Tropicana, a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt du 30 juin 1995 susvisé, a remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon.

La Cour de cassation a relevé que " pour rejeter la demande en dommages-intérêts de la société Orangina, l'arrêt infirmatif énonce que le code à barres qui permet l'identification immédiate et à un coût réduit d'un article à tous les stades de sa commercialisation, s'il est attribué exclusivement à un producteur, ne contient aucune information confidentielle, et ne peut faire l'objet d'aucune appropriation par son attributaire qui ne peut interdire à un distributeur, en l'absence de convention expresse, d'en faire une utilisation conforme aux usages en vigueur dans le secteur de la grande distribution, que l'utilisation du code à barres par le dispositif litigieux ne méconnaît pas ces usages et que le recours à ce dispositif ne peut, de la sorte, être tenu pour déloyal, dès lors que les données fournies par les codes à barres sont transmises par les distributeurs à des sociétés d'études de marchés, que le système litigieux a pour caractéristique de permettre, en un seul trait de temps, d'analyser le comportement des consommateurs et d'en tirer aussitôt les conséquences par l'émission de bon de réduction destiné à augmenter le taux de la pénétration du produit promu, que ce système répond à la finalité des études de marché conventionnelle, sans requérir la participation active du consommateur dont l'anonymat et la liberté de choix sont ainsi préservés ".

Censurant cette motivation, la Cour de cassation a jugé " qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des constatations de l'arrêt que le couponnage électronique permettait, en l'espèce, à l'occasion de vente d'un produit déterminé, de remettre à un acheteur, lors du passage en caisse un bon de réduction destiné à augmenter le taux de pénétration sur le marché d'un produit également proposé à la vente par un concurrent dans le magasin, ce dont il ressortait qu'un tel agissement était constitutif de détournement de clientèle, la cour d'appel a violé (l'article 1382 du code civil) ".

Demandes et moyens des parties

La cour de céans a été saisie régulièrement le 20 novembre 1997 par la société Catalina contre toutes les parties. Cependant, la société Tropicana n'a pas constitué avoué et n'a pas été assignée. Elle n'est donc pas partie à la présente instance d'appel.

Par conclusions notifiées le 31 décembre 1998, la société Orangina s'est désistée de ses instance et action vis-à-vis de la société Coca Cola, "à la suite d'accords qui viennent d'être conclus entre la société Pernod Ricard, société holding la détenant intégralement," et la société Coca Cola . De son côté, la société Joker s'est désistée de son instance à l'encontre de la société Catalina, par conclusions notifiées le 16 décembre 1999, et à l'encontre de la société Sogec par conclusions notifiées le 22 mai 2000.

Dans ses dernières conclusions en date du 22 juin 2000, la société Catalina demande à cette cour de déclarer recevable son action, de prendre acte du désistement de la société Joker de toutes ses demandes à son encontre et, à titre principal, de déclarer la société Orangina irrecevable en toutes ses demandes, faute d'intérêt à agir, aux motifs :

- que, d'une part, la société Orangina n'apporte pas la moindre preuve d'un quelconque préjudice réel, certain, né, actuel et personnel, dont elle est d'ailleurs incapable de définir la nature,

- que, d'autre part, la demande de la société Orangina contre la société Catalina et la société Coca Cola devant le tribunal de commerce de Marseille tendait à la réparation, par deux sociétés distinctes, d'un préjudice unique allégué, que la société Orangina s'est désistée de toutes ses demandes à l'égard de la société Coca Cola en raison des accords " qui viennent d'être conclu ", reconnaissant ainsi que son désistement est la contrepartie d'engagements pris par la société Coca Cola et que ces accords comprennent, sous une forme ou une autre, qui n'est pas nécessairement celle d'une indemnisation financière, une réparation satisfactoire ou constituent en eux-mêmes une telle réparation et que la société Orangina ne peut donc demander devant la cour réparation de ce même préjudice une deuxième fois, à supposer qu'il soit établi, et ne peut démontrer un intérêt à agir,

- que, de troisième part, il n'existe pas en droit français d'intérêt légitime à engager ou à poursuivre une action en responsabilité " préventive ", fondée sur les fautes qui pourraient éventuellement être, un jour, commises à l'encontre du demandeur.

A titre subsidiaire, la société Catalina demande à la cour de réformer dans sa totalité le jugement déféré, de dire qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Orangina et de débouter celle-ci de toutes ses demandes.

Elle expose et soutient à cet effet :

que la mise en cause de sa responsabilité suppose que soient prouvés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux, que la notion de faute, qui ne peut tenir qu'au caractère déloyal du procédé utilisé pour tenter de conquérir la clientèle, ne peut être appréciée que par rapport aux usages en vigueur à un moment donné et, en l'espèce, aux usages du commerce, de la publicité, du marketing et des promotions, que la mise en œuvre du programme dit " Catégorie " pour Fanta, en 1994, s'inscrit parfaitement dans les usages de l'époque et, plus encore, dans ceux d'aujourd'hui qui admettent le ciblage en fonction notamment des actes d'achat, l'utilisation ou la constitution de fichiers nominatifs et le recours à des bases de données ou à des mégabases et que dans l'ensemble de ces procédés, ce sont bien les actes d'achat de produits concurrents qui déclenchent l'émission de mailings permettant au concurrent d'améliorer la pénétration de ses produits sur le marché considéré, ou qui lui donnent des informations avec lesquelles il peut augmenter son pouvoir de négociation avec le distributeur, toujours en vue d'améliorer la pénétration de ses produits sur ledit marché,

que le programme " Catégorie ", qu'elle a cessé d'exploiter depuis, n'utilise aucun fichier de clients et n'en permet jamais la constitution, qu'il préserve la liberté de choix et l'anonymat du consommateur, qu'il ne s'intéresse pas à un produit précis ou à une marque déterminée mais à une gamme de produits appartenant à la même catégorie que le produit promu, distribués par plusieurs marques, même si lors du passage en caisse, c'est l'un des 36 produits du panel, le premier passé en caisse, qui déclenche l'émission du bon, indépendamment du nombre de produits, identiques ou différents, effectivement achetés, que nul ne peut donc dire a priori lequel de ces achats constituera le produit déclenchant, que le programme en question s'apparente étroitement à la technique, licite, des animateurs et animatrices situés dans les rayons qui interviennent dans l'acte d'achat de façon à perturber et modifier l'intention d'achat du client en modifiant son choix initial mais qu'il diffère de cette technique dans la mesure où l'offre du bon de réduction a lieu après que le client a définitivement choisi et réglé ses achats, lui laissant la liberté d'utiliser ou non l'offre par la suite,

que la société Orangina, qui conteste l'utilisation par elle des informations issues de la lecture des codes à barres, n'ignore pas que ces informations sont depuis longtemps légitimement utilisées à d'autres fins que la seule indication du prix en caisse et la gestion des stocks et n'établit, ni n'allègue que des restrictions de quelque nature que ce soit figureraient dans l'un quelconque de ses accords avec les distributeurs et, notamment, avec Casino Saint-Aime, que le distributeur est maître de l'utilisation de ces codes et de l'information qu'il en retire et ne transmet d'ailleurs à la société Catalina qu'une information extrêmement réduite, limitée à l'identification d'un seul et unique acte d'achat par client, et qu'elle même n'a fourni à la société Coca Cola, sur une période limitée à deux mois, que des états périodiques d'émission des bons, indiquant, par catégorie de produits, le nombre de bons émis et le nombre de bons "remontés ", à l'exclusion de toute information sur les parts de marché de ses concurrents,

que le programme " Catégorie " ne peut être assimilé à un détournement de fichier de clientèle dans la mesure où la concluante ne s'est approprié aucun fichier de clientèle appartenant à la société Orangina, que les informations utilisées pour l'émission des bons de réduction sont légitimement transmises par le distributeur, qu'elles ne concernent que l'identification d'un produit acheté, qu'elles ne sont ni confidentielles, ni susceptibles du moindre droit privatif au profit du producteur du produit, que le programme ne permet ni de suivre, ni d'identifier les consommateurs, ni de constituer une banque de données, ni de collecter des informations sur le comportement des consommateurs d'un produit donné,

que le programme en question n'est pas constitutif de concurrence déloyale parce qu'il ne permet pas le rattachement à une marque concurrente déterminée, qu'aucune information sur les ventes par magasin ou par marque n'a jamais été recueillie, que la circonstance que les produits à marque du distributeur soient exclus des catégories de produits déclenchants ne saurait constituer une pratique discriminatoire interdite par l'ordonnance du 1er décembre 1986 et dont serait victime la société Orangina, dans la mesure où cette ordonnance n'impose un traitement égal qu'à l'égard de partenaires économiques placés dans une situation identique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où le distributeur supporte des frais importants générés par l'installation et le fonctionnement du système Catalina, frais que ne supportent pas les fournisseurs, et que l'exclusivité réservée à la société Coca Cola, inhérente au système, n'était que momentanée, d'une durée de trois mois,

que le programme en question n'est pas constitutif de parasitisme puisqu'il ne permettait pas à la société Coca Cola de se mettre dans le sillage de l'un de ses concurrents, la société Orangina, ce programme ne visant pas un produit déterminé, ne pouvant être à l'origine de confusion, d'emprunt ou de dénigrement utilisés par une entreprise contre l'un de ses concurrents, identifié ou identifiable, et ne permettant pas un rattachement, indiscret ou non, à une valeur économique propre à la société Orangina,

que ledit programme ne portait pas davantage atteinte au droit des consommateurs à la protection de leur vie privée, les informations recueillies lors du passage en caisse d'un client du distributeur ne permettant en aucun cas d'identifier ce client ou d'analyser ses habitudes de consommation.

A titre infiniment subsidiaire, la société Catalina demande de dire n'y avoir lieu à expertise, la société Orangina ne rapportant pas la preuve du moindre préjudice et l'expertise étant en tout cas inutile puisque sur les 13.425 bons déclenchés par l'achat d'un produit faisant partie de la catégorie " boissons gazeuses aux fruits " à laquelle appartient Orangina, 1.104 ont été utilisés par les consommateurs auxquels ils avaient été remis et qu'en retenant le pourcentage de 60 % de part de marché avancé par la société Orangina elle-même, le nombre de bons " remontés " pouvant en théorie être mis en relation avec l'achat d'un produit Orangina n'est que de 662.

En toute hypothèse, la société Catalina sollicite la condamnation de la société Orangina aux dépens et à lui payer la somme de 100.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Orangina demande, dans ses dernières conclusions notifiées le 22 mai 2000, de lui donner acte de son désistement d'instance et d'action vis-à-vis de la société Coca Cola, indiquant renoncer au bénéfice du jugement déféré en ce qui concerne cette dernière. Mais elle demande de débouter la société Catalina des fins de son appel, de confirmer le jugement déféré en ce qui la concerne et concerne la société Sogec et en ce qu'il a ordonné une expertise et de condamner la société Catalina aux dépens et à lui payer 200.000 F pour frais irrépétibles, en faisant valoir à cet effet :

- qu'elle a un intérêt évident à agir pour protéger sa marque contre toute action parasitaire constitutive de concurrence déloyale qui ne peut que lui occasionner un préjudice certain dans son principe, correspondant au minimum au détournement de clientèle que la société Catalina revendique dans sa démarche commerciale et que l'expertise ordonnée par les premiers juges n'a pas d'autre objet que de mesurer l'étendue de ce préjudice,

- que les accords passés avec la société Coca Cola n'ont jamais prévu une indemnisation à son profit, que son désistement à l'égard de la société Coca Cola est motivé par l'existence de négociations au niveau du groupe auquel elle appartient et ne saurait s'analyser en une réparation du préjudice qu'elle a subi par la faute de la société Catalina, qu'au demeurant, ce préjudice découle du programme proposé par cette dernière à l'ensemble de ses concurrents et non seulement à la société Coca Cola, que tant que la société Catalina n'aura pas renoncé à ce programme, la concluante justifiera d'un intérêt légitime à protéger ses intérêts commerciaux et à défendre sa marque,

- que la société Catalina a commis une faute distincte de celle commise par la société Coca Cola, en mettant en œuvre le programme " catégorie " qui est constitutif d'un détournement fautif de clientèle au regard des dispositions de l'article 1382 du code civil, comme l'a jugé la Cour de cassation,

- que de surcroît, les conditions de mise en œuvre du programme en question étaient de nature à aggraver son caractère fautif dans la mesure où, d'une part, il permet à la clientèle de la société Catalina de bénéficier d'une exclusivité, certes à durée déterminée, mais renouvelable, privant les produits concurrents de répliquer en temps utile par le même procédé, surtout quand il s'agit comme en l'espèce de produits saisonniers, et que, d'autre part, ce programme porte atteinte à son droit de jouissance paisible du Gencod mis à sa disposition et dont l'usage est payant,

- que le comportement de la société Catalina est également fautif comme constitutif de parasitisme en ce qu'il permet à un concurrent direct, en temps réel, d'identifier le comportement de tous les consommateurs du produit ciblé, à leur insu et de façon contraire à la nécessaire protection des libertés individuelles, et cela après l'acte d'achat et grâce à un usage électronique et secret du produit concerné, bénéficiant de la notoriété,

- que le programme litigieux est, en outre, discriminatoire et, donc, fautif puisqu'il exclut de la liste des produits ciblés ceux mis sur le marché sous sa propre marque de distributeur par la grande surface hébergeant le programme alors que ces produits font partie des mêmes secteurs d'activité et segments de marché que les produits ciblés, que cette discrimination n'est pas justifiée autrement que par l'hébergement du programme, hébergement qui devrait faire l'objet d'une facturation puisqu'il constitue en fait une prestation de service ne pouvant être rémunérée par une prestation en nature, et que ce type de pratique est sanctionné par la combinaison des articles 36.1 et 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986,

- que son préjudice - à chiffrer par expertise - résultant du comportement fautif de la société Catalina " correspond très exactement au nombre de coupons mis en œuvre par ceux à qui ils ont été remis au prorata de la part de marché détenue par chacun des produits déclenchants ",

- que le lien de causalité résulte à l'évidence de l'usage par le consommateur du bon de réduction mis à sa disposition par la société Catalina puisqu'il n'y aurait pas de remise du bon sans le système mis en place, qu'il n'y aurait pas de distorsion de la concurrence sans l'exclusivité et la discrimination et qu'il n'y aurait pas d'identification du produit ciblé sans l'usage abusif du code à barres.

La société Coca Cola demande à la cour, par conclusions notifiées le 13 mars 2000, de constater le désistement d'instance et d'action de la société Orangina à son égard, de donner acte à celle-ci de ce qu'elle a renoncé au bénéfice du jugement déféré en ce qui la concerne et de la condamner aux dépens.

Quant à la société Joker, elle demande à la cour de constater qu'après modification du système " Catalina " initial, elle a signé avec la société " Catalina " une transaction mettant fin au litige les opposant, de constater qu'au regard de cet accord, la société Sogec et elle-même abandonnent leurs demandes respectives, de lui donner acte de son désistement d'instance à l'encontre de la société Catalina et de la société Sogec et de son " renoncement " à l'exécution du jugement déféré à l'égard de toutes les parties, de prendre acte que la société Coca Cola n'a pris aucune écriture à son encontre et de condamner cette société aux dépens.

Appelante à titre incident, la société Sogec expose qu'aux termes des contrats qu'elle passe avec les annonceurs, elle est chargée de gérer la remontée des coupons de réduction en circulation après avoir remboursé au distributeur leur valeur faciale, qu'elle se fait ensuite rembourser cette valeur par l'annonceur, que ces contrats sont d'ordre général et ne comportent aucune référence à une opération particulière, que les annonceurs conservent la responsabilité totale de leurs opérations promotionnelles, qu'elle-même ne fait que gérer ces opérations pour leur compte et ignore les conditions dans lesquelles les bons de réduction sont mis en circulation et les accords pris entre les annonceurs et les distributeurs, que la société Orangina et la société Joker n'ont aucun lien contractuel avec elle, que l'action dirigée à son encontre n'a aucun fondement juridique utile dès lors qu'elle ne met nullement en cause sa responsabilité quasi-délictuelle et que son maintien en la cause est injustifié.

Elle demande, en conséquence, à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur le mérite des appels principaux,

- réformer, sur son appel incident, le jugement entrepris,

- dire les demandes de la société Orangina et de la société Joker irrecevables et en tout cas mal fondées en tant que dirigées contre elle,

- la mettre purement et simplement hors de cause,

- donner acte à la société Catalina et à la société Joker de ce qu'elles ont signé une transaction mettant fin au litige les opposant, constater qu'au regard de cet accord, la société Joker et elle-même abandonnent leurs demandes respectives,

- leur donner acte de leur désistement mutuel d'instance et de leur renonciation à l'exécution du jugement déféré à l'égard de toutes les parties,

- condamner la société Orangina à lui payer la somme de 50.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner tous succombants aux dépens et à lui payer la somme de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur les désistements

Attendu qu'il sera donné acte à la société Orangina de son désistement d'instance et d'action vis-à-vis de la société Coca Cola et de sa renonciation au bénéfice du jugement déféré en ce qui concerne cette dernière ;

Attendu qu'il y a lieu de considérer qu'en demandant à la cour de constater ce désistement, la société Coca Cola l'a nécessairement accepté ;

Attendu qu'il sera donné acte à la société Joker de son désistement d'instance à l'encontre de la société Catalina et de la société Sogec, qui l'acceptent, et de sa renonciation à l'exécution du jugement déféré à l'égard de toutes les parties ;

Attendu qu'il sera donné acte à la société Sogec de son désistement d'instance à l'égard de la société Joker qui l'accepte ;

Sur la recevabilité de la demande de la société Orangina à l'encontre de la société Catalina

Attendu, d'une part, que se plaignant d'un détournement fautif de sa clientèle, la société Orangina a indiscutablement intérêt à agir aux fins de le faire cesser et d'obtenir réparation; que la preuve de l'existence du préjudice qu'elle allègue conditionne le bien-fondé et non la recevabilité de sa demande ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte d'aucun élément versé aux débats que la société Coca Cola a réparé le préjudice financier allégué par la société Orangina, le seul désistement de celle-ci à l'encontre de la société Coca Cola ne suffisant pas à établir, à lui seul, qu'elle a obtenu réparation de ce préjudice ; que rien n'interdit à la victime d'agissements fautifs imputables à deux personnes et ayant causé un même préjudice de se désister de son action à l'encontre de l'un des coauteurs et de réclamer à l'autre la réparation de l'intégralité de son préjudice ;

Attendu qu'il s'ensuit que la société Orangina justifie d'un intérêt à agir et que sa demande à l'encontre de la société Catalina est recevable ;

Sur le fond

Attendu qu'il est constant que le système de couponnage électronique (programme " catégorie ") mis en œuvre par la société Catalina permettait, à l'occasion de la vente d'un produit déterminé, commercialisé entre autres par la société Orangina, et grâce à la lecture du code à barres attribué au produit, de remettre à l'acheteur, lors de son passage en caisse et après paiement, un bon de réduction destiné à augmenter le taux de pénétration sur le marché d'un produit également proposé à la vente dans le même magasin par un concurrent, la société Coca Cola, et ce à l'insu de la société Orangina ;

Attendu que cet agissement est constitutif d'un détournement déloyal de clientèle au préjudice de la société Orangina ; que ce détournement ne peut être justifié ni par le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, ni par les usages du commerce, de la publicité, du marketing ou des promotions, ni par le grand nombre de produits " déclenchants " ; que les moyens et arguments soutenus par la société Catalina pour écarter sa responsabilité sont donc inopérants ;

Attendu qu'il s'infère nécessairement du détournement déloyal de clientèle ainsi opéré un préjudice né, certain, réel et personnel pour la société Orangina, préjudice que l'expertise ordonnée par les premiers juges tendait seulement à chiffrer et non à en établir l'existence ;

Attendu, en conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs formulés par la société Orangina, que celle-ci est bien fondée à demander, en application de l'article 1382 du code civil, la réparation du dommage que lui a causé la société Catalina, responsable de la mise en œuvre du système litigieux; que le jugement déféré sera, par suite, confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Catalina et lui a ordonné de cesser ses activités fondées sur ce système, cette cessation ne bénéficiant évidemment qu'à la société Orangina ; que le jugement sera cependant réformé en ce qu'il a prononcé une astreinte, cette mesure n'apparaissant ni nécessaire, ni opportune en l'état ;

Attendu, cela étant, que la société Catalina affirme que le programme " catégorie " utilisé par la société Coca Cola a donné lieu à l'émission de 37.819 bons de réduction pour Fanta, que sur ce total, 13.425 bons avaient été déclenchés par l'achat d'un produit appartenant à la catégorie à laquelle appartient Orangina et que sur ces 13.425 bons, 1.104 ont été utilisés par les consommateurs auxquels ils avaient été remis ;

Attendu que la société Orangina ne conteste pas ces chiffres et affirme que son préjudice " correspond très exactement au nombre de coupons mis en œuvre par ceux à qui ils ont été remis au prorata de la part de marché détenue par chacun des produits déclenchants " ; que dès lors, l'expertise ordonnée par les premiers juges n'est pas nécessaire et la société Orangina est d'ores et déjà en mesure de chiffrer son préjudice au vu des éléments ainsi fournis et non contestés ; que les débats seront en conséquence rouverts pour qu'elle procède à ce chiffrage ;

Sur l'appel incident de la société Sogec

Attendu que la société Orangina n'articule aucun grief et aucun moyen de droit à l'encontre de la société Sogec ; que celle-ci n'a fait que gérer les bons de réduction, sans intervenir dans la mise en place du système ou dans la définition des opérations promotionnelles ; qu'elle n'a eu aucun comportement fautif à l'égard de la société Orangina ; que l'action formée contre elle par cette dernière est donc dépourvue de fondement ; que le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu'il a rejeté sa demande d'être mise hors de cause; qu'elle sera néanmoins déboutée de sa demande de dommages-intérêts, faute de preuve d'un préjudice ; qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à son profit ;

Sur les autres demandes

Attendu qu'il sera sursis à statuer jusqu'au prochain arrêt sur la demande formée par la société Orangina au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu qu'en l'absence de convention contraire, la société Orangina sera condamnée aux dépens exposés par la société Coca Cola, en application des dispositions combinées des articles 399 et 405 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la société Orangina et la société Joker, qui ont fait assigner indûment la société Sogec devant les premiers juges, seront condamnées in solidum aux dépens exposés par elle ;

Attendu que la société Joker n'est pas fondée à demander la condamnation de la société Coca Cola aux dépens, la responsabilité de cette dernière n'étant pas engagée à son égard ;

Attendu qu'il sera sursis à statuer sur les autres dépens jusqu'au prochain arrêt ;

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en audience solennelle, sur renvoi après cassation, Donne acte à la société Orangina de son désistement d'action et d'instance vis-à-vis de la société Coca Cola Beverages et de sa renonciation, en ce qui concerne cette dernière, au bénéfice du jugement déféré, rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 2 février 1995 ; Donne acte à la société Joker de son désistement d'instance à l'encontre de la société Catalina Marketing France et de la société Sogec ainsi que de sa renonciation à l'exécution du jugement déféré à l'égard de toutes les parties ; Donne acte à la société Sogec de son désistement d'instance à l'égard de la société Joker ; Dit recevable la demande de la société Orangina à l'encontre de la société Catalina Marketing France ; Confirme le jugement déféré dans ses dispositions non atteintes par les désistements, sauf en ce qu'il a : - prononcé une astreinte de 50.000 F par jour à l'encontre de la société Catalina Marketing France, - rejeté la demande de mise hors de cause de la société Sogec et ordonné à cette dernière de cesser de faire remonter toutes informations à la société Catalina Marketing France et à la société Coca Cola Beverages, ordonné une expertise ; Statuant à nouveau de ces chefs, Dit n'y avoir lieu à astreinte à l'encontre de la société Catalina Marketing France ; Déboute la société Orangina de ses demandes à l'encontre de la société Sogec et met celle-ci hors de cause, Dit n'y avoir lieu à expertise ; Déboute la société Sogec de sa demande de dommages-intérêts et de celle formée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Avant dire droit sur la demande de dommages-intérêts de la société Orangina, Ordonne la réouverture des débats entre les seules sociétés Orangina et Catalina Marketing France ; Invite la société Orangina à chiffrer le montant de son préjudice ; Renvoie la procédure à cet effet devant le conseiller de la mise en état ; Condamne la société Orangina aux dépens exposés par la société Coca Cola Beverages et autorise la SCP Aguiraud, avoué, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens d'appel dont cet avoué a fait l'avance sans avoir reçu provision ; Condamne la société Orangina et la société Joker in solidum aux dépens exposés par la société Sogec et autorise Me de Fourcroy, avoué, à recouvrer directement contre elles ceux des dépens d'appel dont cet avoué a fait l'avance sans avoir reçu provision ; Déboute la société Joker de sa demande de condamnation de la société Coca Cola Beverages aux dépens ; Sursoit à statuer, jusqu'au prochain arrêt, sur les autres dépens et la demande formée par la société Orangina au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.