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Décisions

CA Douai, assemblée des ch., 15 octobre 2001, n° 1999-00259

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pluri Publi (SA)

Défendeur :

Larre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gosselin

Conseillers :

Mmes Chaillet, Laplane, MM. Michel, Dujardin

Avoués :

SCP Cochème-Kraut-Reisenthel, SCP Carlier Regnier

Avocats :

Mes Fourgoux, Meresse.

T. com. Paris, du 10 nov. 1994

10 novembre 1994

Exposé du litige :

Sous l'enseigne Hestia, la société Pluri Publi exerce sur l'ensemble du territoire français, et par le biais d'un réseau de franchise, une activité de prestations de services dans le domaine de la location et de la vente d'immeubles.

Monsieur Larre s'est affilié par contrat souscrit le 26 septembre 1989 : selon cette convention, la société Pluri Publi concédait à Monsieur Larre le droit d'exploiter à Bayonne sous la marque Hestia, un fonds de commerce d'agence immobilière.

Ce contrat comportait une clause de non rétablissement.

Reprochant à la société Pluri Publi des manquements à ses obligations contractuelles, Monsieur Larre assignait le 25 juin 1993 la société Pluri Publi devant le tribunal de commerce de Paris en annulation du contrat de franchise et en paiement de diverses indemnités.

La société Pluri Publi s'opposait à cette demande et se constituait demanderesse reconventionnelle.

Par jugement rendu le 10 novembre 1994, le tribunal de commerce de Paris déclarait valable le contrat de franchise à l'exception de la clause de non rétablissement qui était déclarée nulle.

Le tribunal considérait que ces dispositions interdisaient toute activité au franchisé et qu'ainsi elles étaient abusives.

Le contrat de franchise était résilié aux torts de Monsieur Larre qui était condamné à payer à la société Pluri Publi une indemnité pour concurrence déloyale fixée à 100.000 francs ainsi qu'une indemnité de résiliation fixée à la somme de 50.000 francs.

Monsieur Larre était condamné à payer à la société Pluri Publi une Indemnité de 5.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur appel de Monsieur Larre, la Cour de Paris dans son arrêt rendu le 8 mars 1996 confirmait le jugement en ce qu'il avait déclaré nulle la clause de non rétablissement, en ce qu'il avait résilié le contrat aux torts du franchisé et condamné ce dernier au paiement d'une indemnité de 5.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Mais l'arrêt du 8 mars 1996 réduisait sensiblement les montants des indemnités de résiliation et de concurrence déloyale, ces dernières étant respectivement fixées à 5.000 et 20.000 francs.

Sur pourvoi de la société Pluri Publi, Ia Cour de Cassation dans son arrêt du 17 novembre 1998 cassait et annulait l'arrêt du 8 mars 1996 mais seulement en ce que celui-ci avait annulé la clause de non-rétablissement du contrat de franchise.

Constatant que l'interdiction s'étendait sur une durée supérieure à une année la Cour d'Appel de Paris avait fait application de l'article 3c du règlement CEE de la Commission du 30 novembre 1998, cette disposition subordonnant I'exemption à ce que l'interdiction de rétablissement n'excède pas un an.

La Cour de cassation relevait que puisque la Cour d'Appel avait constaté qu'il n'était démontré ni un dépassement du seuil de sensibilité tel qu'un chiffre d'affaires de 200 millions d'écus, ni la contribution significative des contrats litigieux à un effet de blocage du marché, elle ne pouvait faire application de l'article 3c du règlement CEE de la commission du 30 novembre 1988 et avait ainsi violé le texte qu'elle visait.

Prétentions des parties :

La société Pluri Publi soutient que la clause de non rétablissement est régulière : elle vise seulement à restreindre, et non à interdire à la franchisée l'exercice de sa profession, elle n'a aucun caractère excessif par rapport aux limites habituelles dans le temps et dans l'espace.

Elle fait valoir que Monsieur Larre ne démontre pas en quoi cette clause aurait un caractère excessif ou disproportionné.

Elle soutient que la sanction d'une clause disproportionnée ne peut être l'annulation mais sa réduction.

Elle fait valoir que depuis le mois de mars 1993, Monsieur Larre continue d'exercer son activité sous la marque La Clé du Logis et qu'il offre à sa clientèle, à l'identique, les services précédemment proposés sous la marque Hestia.

Elle chiffre à 579.525 francs le montant de l'indemnité de non-concurrence, ce montant correspondant au chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Larre en 1992, année précédant la rupture des relations contractuelles.

Elle conclut en demandant à la Cour :

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 10 novembre 1994 en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause de non-concurrence ;

- de dire et juger que Monsieur Larre n'a pas respecté la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de franchise ;

- de condamner Monsieur Larre au paiement de la somme de 579.725 francs pour le non respect de la clause de non-concurrence et au paiement de la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Monsieur Larre soutient qu'il n'a, depuis la résiliation de son contrat de franchise, adhéré à aucun autre réseau et qu'il exerce son activité en toute indépendance.

Se référant à diverses décisions de jurisprudence, il soutient que la clause de non-rétablissement, telle qu'elle figure à l'article 17 du contrat de franchise est nulle.

Il fait valoir qu'une telle clause a pour effet de lui interdire d'exercer son activité professionnelle et d'exploiter son fonds de commerce.

Il prétend que la société Pluri Publi est irrecevable en sa demande en paiement, la Cour d'appel ayant déjà statué sur les dommages et intérêts pour concurrence déloyale et l'arrêt étant définitif sur ce point.

Il conclut en demandant à la Cour de :

- confirmer le jugement rendu le 10 novembre 1994 par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a dit abusive et nulle la clause de non-rétablissement stipulée à l'article 17 du contrat de franchise Hestia, avec toutes conséquences de droit ;

- déclarer Pluri Publi irrecevable en ses demandes en paiement ;

- débouter la société Pluri Publi de ses entières demandes ;

- condamner la société Pluri Publi au paiement d'une somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Motifs de la décision :

La demande reconventionnelle de la société Pluri Publi devant le tribunal de commerce de Paris s'articulait en trois indemnités afférentes à trois préjudices différents :

- concurrence déloyale,

- résiliation abusive,

- non rétablissement.

Les deux premiers chefs de préjudice ont été définitivement jugés par l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris prononcé le 10 novembre 1994.

Seul reste en litige le troisième chef de demande, ayant pour objet la validité de la clause de non-rétablissement (que dans ses écritures la société Pluri Publi dénomme clause de non concurrence) et, le cas échéant, le préjudice découlant de la violation de cette clause.

Le contrat signé le 26 septembre 1989 par Monsieur Larre comporte en son article 17 la clause suivante :

Clause de non rétablissement

Dans tous les cas de résiliation, ou de non renouvellement du contrat à l'une des échéances ou de retrait par cession tel que prévu à l'article 14 et compte tenu du savoir-faire particulier et original apporté par le franchiseur, le franchisé s'interdit pendant deux ans à compter de la rupture de s'affilier d'adhérer ou de participer directement ou indirectement à un réseau national ou international concurrent ou d'en créer une lui-même ou encore de représenter ou de se lier à tous groupements organismes, associations ou sociétés concurrentes du franchiseur et ce sur tout le territoire français.

Il ne pourra, en outre, dans les mêmes conditions de temps, exploiter une activité similaire ou analogue dans la zone franchisée et tout département où il existe déjà un réseau Hestia.

Toute infraction à la présente clause donnera lieu au versement à titre de clause pénale d'une indemnité représentant le montant du chiffre d'affaires réalisé l'année précédant la rupture.

Le second alinéa de cet article 17 n'est pas reproduit dans les écritures de la société Pluri Publi.

1°) Sur la recevabilité de la demande de la société Pluri Publi :

Allouant à celle-ci la somme de 20.000 francs en réparation du préjudice subi du chef de la concurrence déloyale exercée par son ancienne franchisée, la Cour d'Appel de Paris a retenu que Monsieur Larre offrait "les mêmes services" et "dans des conditions analogues" à celles de la société Pluri Publi.

La Cour d'appel a ainsi définitivement indemnisé le préjudice subi du chef de la concurrence déloyale.

Mais la demande actuelle de la société Pluri Publi n'a pas pour objet la réparation du préjudice subi du chef de la concurrence déloyale, elle repose sur la prétendue violation de la clause de non-rétablissement.

Cette demande a un objet différent de la demande précédente : elle est recevable.

2°) Sur l'annulation de la clause :

a/ en son premier paragraphe la clause vise à interdire à l'ancienne franchisée I'affiliation à un nouveau réseau, groupement, association, organisme, etc... ainsi que la création de I'un d'entre eux susceptible de concurrencer la société Pluri Publi.

En dépit de la diversité des situations envisagées et désormais interdites sur tout le territoire français à l'ancien franchisé pour une durée de deux ans, de telles dispositions ne sont pas de nature à encourir une annulation.

L'interdiction est en effet limitée à l'appartenance ou à la création d'une structure dépassant le cadre géographique de l'agence immobilière exploitée par I'ancienne franchisée : elle ne concerne pas la poursuite de l'activité antérieure sous une forme individuelle et en toute indépendance.

Or, ainsi que le souligne avec pertinence la société Pluri Publi une clause de non-rétablissement est licite dès lors qu'elle ne vise qu'à restreindre - et non à interdire - à celui qui s'y oblige, l'exercice de son ancienne activité.

C'est donc à tort que le tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 10 novembre 1994, se référant uniquement au premier paragraphe de l'article 17, avait considéré que de telles stipulations interdisaient au franchisé d'exercer son activité et qu'elles devaient être annulées.

En revanche, il aurait appartenu à la société Pluri Publi de prétendre et de démontrer que Monsieur Larre avait contrevenu à ces dispositions.

Or, Monsieur Larre soutient que postérieurement à la résiliation du contrat de franchise, il a exercé son activité à titre individuel et en toute indépendance.

Et la société Pluri Publi n'allègue ni n'établit le contraire : elle ne soutient ni ne prouve qu'après la rupture des relations contractuelles, Monsieur Larre a participé ou a créé une des structures énumérées au premier paragraphe de l'article 17,et il n'est pas prétendu que la raison sociale "La Clé du Logis" sous laquelle exerce Monsieur Larre est celle de l'une de ces structures.

Si ce paragraphe ne comporte donc aucune disposition susceptible d'encourir une annulation, la violation de ces dispositions par Monsieur Larre n'est en tout cas pas démontrée.

b) le second paragraphe interdit au franchisé "d'exploiter une activité similaire ou analogue dans la zone franchisée ou dans tout département où il existe déjà un réseau Hestia".

- l'article 17 ne précise pas quelle est l'activité de la société Pluri Publi. C'est le préambule du contrat de franchise qui énonce que l'activité de la société Pluri Publi consiste "à favoriser toutes transactions immobilières entre particuliers sans faire office d'intermédiaire" par le biais de divers moyens : publications réservées à des abonnés et serveur télématique.

Il n'est pas contesté par Monsieur Larre que ce dernier, dans le cadre de son agence immobilière, facilitait les transactions directes entre particuliers à l'aide des moyens fournis par la société Pluri Publi.

C'est également cette activité (ou une activité similaire ou analogue) que l'article 17 du contrat interdit à Monsieur Larre d'exercer durant un délai de deux années et sur près de la moitié du territoire français et c'est enfin cette activité que poursuit Monsieur Larre dans le cadre de son fonds de commerce depuis la résiliation du contrat, ainsi que l'établit la société Pluri Publi.

- L'application de telles dispositions contractuelles ne conduit plus ici à une simple restriction mais à une véritable interdiction de l'activité, puisqu'il est désormais interdit à Monsieur Larre agissant pour favoriser les transactions immobilières entre particuliers sans faire office d'intermédiaire - d'employer certaines méthodes (abonnement à des listes périodiques d'offre de location - serveur télématique, etc...) alors que de tels procédés sont indispensables à la poursuite d'une telle activité et que leur interdiction ne peut que conduire à la disparition de l'entreprise.

- Il est évident que cette sanction est excessive puisqu'elle conduit à l'interdiction de l'activité antérieurement exercée et que seule l'annulation d'une telle clause peut être envisagée.

Peut être admise la validité d'une clause, qui a seulement pour objet d'interdire l'usage d'une enseigne nationale et la vente de produits liés mais qui n'interdit nullement la poursuite d'une activité commerciale identique sous une autre enseigne.

Tel n'est pas le cas ici, puisque, même sous une autre enseigne et dans le cadre d'une exploitation individuelle, Monsieur Larre se trouverait néanmoins contraint d'arrêter son activité.

La clause de non rétablissement, telle que figurant au paragraphe 2 de l'article 17 sera annulée et la société Pluri Publi déboutée de sa demande.

Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

II sera alloué à Monsieur Larre la somme de 10.000 francs au titre de ses frais irrépétibles.

La société Pluri Publi sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Ecarte des débats les conclusions déposées par Monsieur Larre le 11 juin 2001 ; Déclare la société Pluri Publi recevable en sa demande ; Réforme le jugement du tribunal de commerce de Paris mais seulement en ses dispositions relatives à la clause de non-rétablissement ; Statuant à nouveau ; Dit n'y avoir lieu à annulation de la clause figurant au 1er alinéa de l'article 17 du contrat de franchise ; Dit qu'il n'est pas démontré de violation de cette clause par M. Larre ; Dit que la clause figurant au 2e alinéa de l'article 17 du contrat de franchise est une clause abusive. En conséquence, prononce son annulation ; Déboute la société Pluri Publi de sa demande d'indemnité au titre de la clause de non rétablissement ; La condamne à payer la somme de 10.000 francs (1.524,49 euros) à Monsieur Larre au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel et en autorise la distraction conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.