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Décisions

Cass. com., 9 octobre 2001, n° 98-21.818

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

André Courrèges (SA), Courrèges design (SA)

Défendeur :

Mary Quant limited (Sté), Mary Quant cosmetic Japan Co (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Dumas

Rapporteur :

Mme Garnier

Avocat général :

M Feuillard

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 7 mai 1…

7 mai 1996

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 1998), que la société Mary Quant Ltd est titulaire de deux marques figuratives représentant une fleur stylisée à cinq pétales, déposées en renouvellement de précédents dépôts, l'une le 5 mars 1987, enregistrée sous le n° 1 397 085, pour désigner en classe 25 des vêtements, l'autre le 30 novembre 1992, enregistrée sous le n° 1 222 012, pour désigner en classe 9 les montures de lunettes, étuis à lunettes et lunettes de soleil ; qu'ayant appris que la société André Courrèges commercialisait en France, en Grande-Bretagne et au Japon des vêtements et accessoires comportant le dessin stylisé d'une fleur à cinq pétales, les sociétés Mary Quant Ltd et Mary Quant cosmetic Japan ont poursuivi judiciairement cette société en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale ; que, le 4 décembre 1995, la société André Courrèges a reconventionnellement demandé la déchéance des droits de la société Mary Quant Ltd sur ces marques pour défaut d'exploitation et, invoquant des droits antérieurs sur le dessin, a conclu à l'indisponibilité de ce signe et à la nullité des marques déposées par cette société ; qu'après prononcé du jugement ayant déclaré la société Mary Quant Ltd déchue de ses droits sur les deux marques, la société Courrèges design a déposé, le 9 mai 1996, une marque représentant le dessin stylisé d'une fleur à cinq pétales, enregistrée sous le n° 96 624 669, pour désigner divers produits en classes 9, 14, 18 et 25 ; que les sociétés Mary Quant ont assigné cette société en intervention forcée devant la cour d'appel à l'effet de voir constater le caractère frauduleux de ce dépôt et d'obtenir la condamnation de cette société pour contrefaçon de marque ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable : - Attendu que la société Mary Quant Ltd fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la demande en déchéance des deux marques dont elle est titulaire et d'avoir déclaré cette demande fondée pour la marque n° 1 222 012, alors, selon le moyen, que dès lors qu'une marque a été déposée plus de cinq ans avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991 et qu'elle n'a, avant cette entrée en vigueur, fait l'objet d'aucune demande de déchéance, une telle demande ne peut être formulée, sous l'empire de la loi nouvelle, qu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de cette loi ; que l'arrêt attaqué a ainsi violé les articles 2 et L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle tels que résultant de l'article 27 de la loi du 4 janvier 1991, par fausse application ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1964, est déchu de ses droits le propriétaire d'une marque qui, sauf excuse légitime, ne l'a pas exploitée de façon publique pendant les cinq années précédant la demande en déchéance ; qu'ayant constaté que la période de non-exploitation alléguée avait commencé sous l'empire de cette loi, et que les sociétés Mary Quant ne justifiaient pas avoir fait un usage sérieux de la marque n° 1 222 012 entre le 4 décembre 1990 et le 4 décembre 1995, date de la demande en déchéance, c'est à bon droit que la cour d'appel a statué comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches : - Attendu que la société André Courrèges reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en déchéance des droits de la société Mary Quant sur la marque n° 1 397 085, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel n'a pas caractérisé un usage sérieux de la marque durant la période du 4 décembre 1990 au 4 décembre 1995 dès lors que, non seulement les seules datations précises des ventes relevées ne dépassaient pas l'année 1992, mais encore qu'il résultait du jugement entrepris , dont il était demandé la confirmation, que l'attestation du directeur des services hôteliers du 25 janvier 1996 indiquait que la vente des produits avait cessé au mois de juin 1992 ; que la cour d'appel a violé l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'arrêt attaqué ne pouvait, sans contradiction, énoncer d'un côté que la marque litigieuse avait été exploitée de façon inininterrompue entre le 4 décembre 1990 et le 4 décembre 1995 et, d'un autre côté, que les produits Mary Quant, distribués sur les navires assurant la liaison entre la France et la Grande-Bretagne , avaient été commercialisés jusqu'à la fin de l'année 1992 ; qu'en statuant par de tels motifs contradictoires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, que la société Mary Quant justifiait de l'exploitation publique et non équivoque de la marque n° 1 397 085 jusqu'à fin 1992, ce dont il résultait qu'il s'était écoulé moins de cinq ans entre le début de la période de non exploitation de cette marque et la demande en déchéance, la cour d'appel, qui n'encourt pas le grief de la seconde branche, laquelle manque en fait, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première branche ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Courrèges design fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité de la marque n° 96 624 669 qu'elle a déposée le 9 mai 1996 et de lui avoir fait interdiction d'utiliser ce signe contrefaisant, alors, selon le moyen, que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence, en vertu des articles 624 et 625 du nouveau Code de procédure civile, la cassation de ces chefs de l'arrêt, dès lors que la déchéance de la marque contrefaite 1 397 085 sera acquise ;

Mais attendu que le deuxième moyen est inopérant dès lors que le premier moyen a été rejeté ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que les sociétés Courrèges font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'en reproduisant un dessin de fleur stylisée à cinq pétales, la société André Courrèges avait commis des actes de contrefaçon de la marque n° 1 397 085 déposée par la société Mary Quant et d'avoir annulé la marque 96 624 669 pour les produits de la classe 25, alors, selon le moyen, qu'il résultait des constatations mêmes des juges du fond que le dessin litigieux avait été utilisé à titre de marque par la société Courrèges et que cette marque était notoire ; que faute d'avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations, l'arrêt a violé l'article L. 711-4 du Code de la propriété intelllectuelle ;

Mais attendu que la cour d'appel, saisie de conclusions invoquant seulement le droit d'auteur de la société Courrèges sur le dessin incriminé, a relevé, par motifs propres et adoptés, que ce dessin en tant que tel était dépourvu de toute originalité et insusceptible de bénéficier de la protection par le droit d'auteur et estimé que cette société ne pouvait opposer aucun droit privatif antérieur aux dépôts des marques de la société Mary Quant ; que le moyen est inopérant ;

Sur le second moyen du pourvoi incident : - Attendu que les sociétés Mary Quant reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande fondée sur la concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) que commet personnelllement une faute constitutive d'actes de concurrence déloyale la société qui commercialise, fût-ce par l'intermédiaire de sociétés tierces, des produits comportant un signe qui imite une marque déposée appartenant à un tiers ; que le seul fait que la société André Courrèges ait commercialisé ses produits au Japon par voie d'intermédiaire ne suffit pas, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle-même a vendu les produits en cause à ces intermédiaires, à exclure toute faute personnelle de sa part, susceptible d'engager sa responsabilité ; que la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'elles faisaient valoir que les produits étaient commercialisés au Japon, affectés d'un signe imitant les marques déposées par la société Mary Quant et licitement exploitées par la société Mary Quant cosmetic Japan ; qu'en se bornant à examiner les marques déposées au Japon, par Courrèges design, sans rechercher comme cela lui était demandé si des produits étaient commercialisés par Courrèges design ou André Courrèges reproduisant, en dehors de toute marque, le signe déposé à titre de marque par Mary Quant Ltd, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que la concurrence déloyale par imitation d'une marque s'apprécie en fonction des ressemblances entre la marque protégée et l'imitation contestée et non en fonction des différences, et en fonction du risque de confusion que peuvent provoquer ces ressemblances ; qu'en se bornant à affirmer que les marques de Courrèges design déposées au Japon sont distinctes des marques Mary Quant Ltd, tout en reconnaissant qu'elles reproduisent des fleurs, objet des marques figuratives de Mary Quant Ltd, et sans rechercher si les fleurs figurant sur les marques de Courrèges design constituent une reproduction plus ou moins fidèle de la marque Mary Quant Ltd, ni si cette imtation est susceptible de créer un risque de confusion et donc un préjudice aux sociétés Mary Quant, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs adoptés, que la société Mary Quant Ltd ne caractérise pas l'existence de faits distincts de la contrefaçon de marques, que la société Mary Quant cosmetic Japan ne rapporte pas la preuve qu'en commercialisant ses propres produits au Japon la société André Courrèges a commis à son détriment des actes de concurrence déloyale ; qu'il résulte des documents produits que les vêtements et accessoires vendus par la société Courrèges portent, en plus du dessin querellé, la marque Courrèges accompagnée des initiales AC du couturier, ce qui exclut tout risque de confusion avec les produits de la société Mary Quant cosmetic Japan ; qu'il retient, par motifs propres, que les marques déposées au Japon par la société Courrèges design sont constituées de deux signes évoquant des lettres et des fleurs, d'un dessin différent de celui déposé à titre de marque par Mary Quant ; que la cour d'appel, ayant ainsi légalement justifié sa décision, a, par ces constatations et appréciations, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette les pourvois tant principal qu'incident.