Cass. com., 3 juillet 2001, n° 98-23.236
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
The Gillette company (Sté), Gillette France (Sté)
Défendeur :
Monoprix (SA), Parke Davis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Viricelle
Avocats :
Mes Bertrand, Choucroy.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 30 septembre 1998), que la société Gillette company est titulaire des marques dénominatives "Sensor" et "Sensor Excel", déposées à l'INPI respectivement le 18 mai 1989 en renouvellement d'un précédent dépôt et le 12 février 1993, enregistrées sous les n° 1 531 695 et 93 455 000, pour désigner en classe 8 les rasoirs et lames de rasoir ; que la société Gillette France, titulaire de la marque dénominative "Gillette", déposée le 7 mai 1990 en renouvellement d'un précédent dépôt et enregistrée sous le n° 1 590 761 pour désigner divers produits en classes 3, 8 et 21, dont les rasoirs électriques et des dispositifs de coupe manoeuvrés électriquement ou manuellement, exploite en France ces trois marques ; qu'après constat du 9 août 1996, les sociétés Gillette company et Gillette France (sociétés Gillette) ont assigné la société Monoprix en contrefaçon de marques, et agissements parasitaires ; que la société Adams France, aux droits de laquelle se trouve la société Parke Davis, fabricant des lames incriminées, est intervenue volontairement à l'instance, faisant valoir qu'aux termes d'une transaction conclue le 31 mars 1989, la société Warner Lambert company et ses filiales dont elle fait partie, avaient été autorisées par ta société Gillette company à fabriquer et commercialiser les micro-lames, et se prévalant des dispositions de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, a conclu au rejet des demandes ; qu'ayant interjeté appel du jugement, les sociétés Gillette ont été autorisées à assigner les intimés à jour fixe ;
Sur le premier moyen du pourvoi formé par les sociétés Gillette : - Attendu que les sociétés Gillette font grief à l'arrêt d'avoir écarté des débats les pièces qu'elles ont communiquées le 23 juin 1998, alors, selon le moyen, que l'appelant, autorisé à assigner à jour fixe, peut déposer des conclusions et des pièces en réponse à l'argumentation de l'intimé ; que la Cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable leur communication de pièces, a retenu que ces pièces n'avaient pas été produites en réplique à la communication de pièces nouvelles par les intimées, tout en admettant la recevabilité des conclusions en réponse par lesquelles les sociétés appelantes invoquaient ces pièces en réponse à l'argumentation des intimées, a violé l'article 918 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 918 du nouveau Code de procédure civile, la requête présentée aux fins d'assigner à jour fixe doit contenir les conclusions au fond et viser les pièces justificatives ; que la Cour d'appel, dès lors qu'elle relevait que les pièces complémentaires communiquées par les sociétés Gillette la veille de l'audience n'avaient pas été produites en réplique à la communication de pièces nouvelles par les sociétés intimées, a, en les écartant des débats, fait une exacte application du texte dont la violation est invoquée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi des sociétés Gillette, pris en ses quatre branches : - Attendu que les sociétés Gillette reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté l'action en contrefaçon de leurs marques, alors, selon le moyen, 1) que l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée ; que la Cour d'appel qui, pour qualifier les lames de rasoir de pièces détachées et après avoir pourtant énoncé que les lames ne pouvaient être qualifiées d'accessoires, s'est bornée à retenir qu'elles étaient détachables du manche de rasoir et vendues séparément, d'où il ne résultait pas que les lames ne constituaient pas un produit autonome indépendant de l'utilisation particulière dans un rasoir combinant manche et lame, a violé l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle ; 2) que si l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, c'est à la condition que cette référence présente un caractère nécessaire; qu'en se bornant à énoncer que, seuls les rasoirs de marques "Sensor" et "Sensor Excel" étant dotés d'un moyen de fixation permettant de recevoir les lames litigieuses, la référence à ces deux marques était nécessaire pour indiquer la destination des lames, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette circonstance ne résultait pas d'un libre choix, exclusif de tout caractère nécessaire, du fabricant des lames de rasoir, conventionnellement autorisé à mettre en "œuvre la technique brevetée par la société Gillette, ni s'expliquer sur le fait que d'autres distributeurs que la société Monoprix revendaient des lames adaptables aux rasoirs de marques "Sensor" et "Sensor Excel" sans faire références à ces marques, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle ; 3) que si l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée, c'est à la condition qu'il n'y ait pas de confusion dans leur origine; qu'en énonçant à tort qu'il était suffisant que le tiers utilisateur du signe prenne toute précaution pour prévenir un risque de confusion dans l'origine des produits, la Cour d'appel, dont les constatations font apparaître que l'emballage ne portait la mention d'aucun autre fabricant que la société Gillette, a violé l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle ; 4) qu'après avoir constaté que la société Monoprix avait commis une faute constitutive de concurrence déloyale par parasitisme en reprenant l'apparence des conditionnements des produits Gillette Sensor et Gillette Sensor Excel manifestant la volonté de s'inscrire dans le sillage des sociétés Gillette, la Cour d'appel ne pouvait exclure l'existence d'une confusion dans l'origine des produits sans méconnaître la portée juridique de ses propres constatations, en violation de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant, par une appréciation souveraine, qualifié la lame, détachable du rasoir et vendue séparément, de pièce détachée indispensable à l'utilisation de l'appareil, la cour d'appel qui a constaté que cette lame fabriquée selon la technologie brevetée par Gillette et montée individuellement sur ressorts se fixait sur le manche selon un moyen particulier, et ne pouvait s'adapter sur d'autres rasoirs, a, effectuant la recherche prétendument omise, légalement justifié sa décision et pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que, si le nom du fabricant des lames n'est pas indiqué, mention étant uniquement faite que "Country" est distribué par SMB, suivi d'une adresse et d'une référence, le consommateur, de par l'emploi des termes "adaptables" et "adapter" ne pouvait penser que ces lames étaient fabriquées par la société Gillette ; qu'il constate que les marques "Sensor" et "Sensor Excel" ne sont mentionnées sur les emballages que pour indiquer la destination des lames et non pour désigner les lames elles-mêmes qui sont vendues sous la marque "Country" ; qu'au vu de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu la portée de ses constatations afférentes au grief de parasitisme fondé sur la confusion possible des emballages utilisés par les différentes sociétés, a pu statuer comme elle a fait ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi formé par les sociétés Monoprix et Parke Davis, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Monoprix fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Gillette France, alors, selon le moyen, 1) que la concurrence déloyale suppose l'utilisation d'un signe distinctif du concurrent de nature à entraîner la confusion ; qu'en se bornant à faire état de l'emploi d'emballages similaires à ceux utilisés par la société Gillette sans qu'il soit constaté que celle-ci avait la priorité de cet emploi, l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé la faute imputée à l'exposante et a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, 2) que l'absence de risque de confusion exclut la concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué constate lui-même que les emballages incriminés portaient très visiblement la marque Country ce qui ne permettait pas de penser que les produits qu'ils contenaient étaient des produits Gillette ; qu'en déclarant néanmoins l'emploi de ces emballages constitutif de concurrence déloyale, l'arrêt attaqué a encore entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le conditionnement commercialisé par la société Monoprix reprenait la combinaison de couleurs utilisée pour les rasoirs Gillette Sensor et Gillette Sensor Excel, ce dont il résultait une priorité d'emploi de ces conditionnements par la société Gillette, la Cour d'appel, qui en a déduit la volonté de la société Monoprix de se placer dans le sillage de la société Gillette et de profiter de ses investissements publicitaires, a légalement justifié sa décision, l'apposition de la marque Country sur ces emballages étant insuffisante pour écarter le parasitisme découlant des autres caractéristiques connues du public comme étant celles des produits Gillette Sensor et Gillette Sensor Excel ;que le moyen ne saurait être accueilli ;
Par ces motifs, rejette les pourvois.