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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 juin 2001, n° 1999-10423

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Wabco Westinghouse (SA), Wabco France (SNC)

Défendeur :

Yon Teknik Oto Yedek Parca San Ve Tic (Ltd)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Patricia Hardouin, SCP Mireille Garnier

Avocats :

Me Le François, Me Galistin.

T. com. Bobigny, 1re ch., du 4 mars 1999

4 mars 1999

Se prétendant victimes d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, les sociétés Wabco France et Wabco Westinghouse, fabricants de pièces mécaniques automobiles, après avoir fait pratiquer un constat sur le stand de la société de droit turc Yon Teknik, au Salon " Equip Auto 97 " de Villepinte, ont, par acte du 9 décembre 1997, saisi le tribunal de commerce de Bobigny pour voir interdire la poursuite de ces actes et obtenir réparation de leur préjudice par elles évalué à la somme de 5.000.000. francs chacune.

Par jugement du 4 mars 1999, le tribunal de Bobigny a :

* condamné la société Yon Teknik à payer à la société Wabco Westinghouse et à la société Wabco France la somme de 50.000 francs chacune à titre de dommages-intérêts pour faits de concurrence déloyale retenant que la société turque en utilisant pour la réalisation de son catalogue une photographie représentant l'une des pièces de sa concurrente avait eu un comportement fautif, mais rejetant les autres griefs aux motifs que la copie servile des pièces, laquelle procédait d'impératifs techniques stricts, ne pouvait être reprochée et que les références communes utilisées l'avaient été à simple titre de repérage et non pour créer une confusion,

* interdit en conséquence l'utilisation en France des catalogues reproduisant la photographie Wabco et ordonné son retrait sous astreinte de 500 francs par infraction constatée dans le mois du jugement,

* alloué aux sociétés Wabco Westinghouse et Wabco la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 19 avril 1999, par les sociétés Wabco Westinghouse et Wabco France, et le 6 septembre 1999, par la société Yon Teknik ;

Vu les conclusions du 7 mai 2001 par lesquelles les sociétés Wabco Westinghouse et Wabco France poursuivent l'infirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société Yon Teknik au titre de la concurrence déloyale du fait de la reproduction de clichés de produits Wabco et en a ordonné le retrait et interdit l'utilisation, demandant à la Cour de :

* porter à la somme de 300.000 francs le montant des dommages-intérêts qui leur ont été alloués au titre de cette reproduction,

* dire qu'en offrant à la vente les produits surmoulés listés dans son catalogue sous les références Wabco, la société Yon Teknik a commis des actes de concurrence déloyale,

* ordonner la cessation de la diffusion et de la commercialisation des équipements litigieux surmoulés précités, sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée,

* condamner la société Yon Tenik à payer à chacune d'elles la somme de 5.000.000 francs à titre de dommages-intérêts pour faits de concurrence déloyale et de parasitisme,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux de leur choix aux frais avancés de la société Yon Teknik dans la limite de 25.000 francs HT par insertion,

* leur allouer la somme de 40.000 francs chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Vu les conclusions du 16 mai 2001 aux termes desquelles la société Yon Teknik prétendant que les griefs de concurrence déloyale qui lui sont reprochés sont non fondés à défaut notamment de similitude frauduleuse et de risque de confusion, et que les sociétés Wabco ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'elles invoquent, sollicite l'infirmation de la décision entreprise et le rejet des prétentions des sociétés Wabco et demande paiement de la somme de 350.000 francs de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte publique à son image avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 1999, outre une somme de 75.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

SUR QUOI,

Considérant que la société Yon Teknik reproche aux sociétés Wabco la tardiveté de leurs dernières écritures et prétend que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ;

Mais considérant, d'une part, que l'intéressée ne tire pas les conséquences juridiques de ce grief puisqu'elle ne sollicite pas le rejet des écritures qu'elle critique et des pièces y afférentes ; que, d'autre part, les conclusions qu'elle a prises le 16 mai 1991 en réponse à celles du 7 mai 1991, démontrent s'il en était besoin qu'elle a disposé du temps nécessaire pour répliquer à son adversaire et que le principe du contradictoire et des droits de la défense a été respecté ;

Considérant qu'au soutien de leur action, les sociétés Wabco font valoir que les trois pièces mécaniques saisies sur le stand de la société Yon Teknik, à Villepinte, sont la copie servile et frauduleuse des pièces qu'elles fabriquent ; qu'elles contestent que les similitudes parfaites provenant d'un surmoulage soient imposées par des impératifs techniques, invoquant à cet effet les produits des concurrents directs ; qu'elles ajoutent que cette similitude est encore renforcée par l'utilisation de leurs références personnelles et la reproduction dans le catalogue de la société Yon Teknik de leurs propres pièces ; qu'elles estiment dans ces conditions qu'il existe un risque de confusion certain même si ces pièces en ce qu'elles sont destinées à être installées sur des véhicules poids lourds, s'adressent avant tout à des professionnels, garagistes ou chauffeurs routiers ;

Considérant que pour s'opposer aux griefs qui lui sont reprochés, la société Yon Teknik prétend que les similitudes relevées procèdent des seuls impératifs techniques et du cahier des charges particulièrement strict imposé par les constructeurs automobiles ; que la couleur bleue originairement adoptée pour les bouchons procède d'un usage courant en matière de pièces détachées mécaniques ; que la reproduction des références des différents fabricants de pièces détachées est rendue nécessaire en raison de l'interchangeabilité des produits à laquelle les sociétés Wabco ne peuvent faire obstacle ; qu'il n'est pas démontré de façon certaine que les photographies de son catalogue reproduiraient d'autres pièces que celles qu'elle fabrique ; qu'elle reproche enfin aux sociétés Wabco lesquelles excipent de leur marque, de chercher à entretenir une confusion entre la protection d'un prétendu droit privatif, en fait inexistant, et l'action en concurrence déloyale qu'elles ont engagée ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les sociétés Wabco ne disposent d'aucun droit privatif sur les trois pièces qu'elles invoquent, à savoir un servo débrayage, une valve de régulation de pression et une valve de commande de freinage ;

Considérant que si le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est plus ou qui n'est pas protégé par des droits privatifs de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et si la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, il n'en est pas de même lorsque ces actes traduisent un comportement fautif engendrant pour celui qui en est l'objet un préjudice;

Considérant qu'il est constant que les pièces critiquées reproduisent à l'identique celles de la société Wabco, y compris dans les moindres détails que la société Yon Teknik peut d'autant moins méconnaître ce fait qu'elle a pu présenter dans son propre catalogue comme étant l'un de ses produits une pièce Wabco, comme un examen minutieux de la photographie permet de le relever, puisque, fondue dans le corps même de la pièce, figure la marque de cette société;

Considérant que si des pièces mécaniques présentent nécessairement des similitudes résultant d'impératifs techniques tels que définis dans un cahier des charges, il n'est nullement démontré, en l'espèce, que la similitude de détails procéderait de ces mêmes impératifs techniques, alors que les sociétés Wabco établissent par la production de pièces de la concurrence qu'il est possible d'apporter des modifications facilement perceptibles à l'oeil nu pour permettre au consommateur une identification immédiate du produit et éviter tout risque de confusion ; que la société Yon Teknik ne démontre nullement que ces différences de détails seraient interdites par le cahier des charges des constructeurs qu'elle s'abstient de produire aux débats comme il lui appartenait de le faire puisqu'elle en invoque la teneur ; qu'elle ne démontre pas davantage que la couleur bleue adoptée pour les bouchons plastiques équipant le servo débrayage résulterait d'un code de couleur communément répandu dans le secteur des pièces détachées automobiles ; qu'il convient d'ailleurs de souligner sur ce point qu'elle a, dans le cadre de la présente instance, abandonné la couleur bleue des bouchons pour adopter la couleur rouge, démontrant ainsi le mal fondé de son propos ;

Considérant que si la reproduction des références de la concurrence ne constitue pas en soi un acte répréhensible dès lors que les pièces concernées sont interchangeables et qu'un impératif de sécurité doit être respecté, l'utilisation qu'en a faite la société Yon Teknik apparaît fautive dans la mesure où elle s'est accompagnée à plusieurs reprises, pages 1, 6 et 30 de son catalogue, de la représentation des pièces de la société Wabco; que ce comportement fautif, que la société Yon Teknik minimise, non sans légèreté, en affirmant qu'il procède d'une simple erreur résultant de la commercialisation antérieure d'un kit de réparation Wabco,traduit la volonté délibérée de cette société d'entretenir dans l'esprit du public une confusion entre les produits ou de laisser à tout le moins accroire qu'elle fabriquerait et commercialiserait les pièces en cause avec l'assentiment des sociétés Wabco et sous la caution de leur garantie ; qu'il importe peu que la qualité des pièces turques ici concernées ne soit pas en cause, les sociétés Wabco étant légitimement en droit d'exiger que la fabrication des pièces à laquelle leur nom est directement ou non associé s'effectue avec leur plein accord en raison de la responsabilité qui s'y trouve rattachée ;

Que la société Yon Teknik invoque en vain le fait que ses pièces seraient commercialisées sous emballage carton parfaitement identifiable alors d'une part qu'elle ne rapporte pas la preuve du caractère systématique de cette forme de commercialisation et que, d'autre part, l'utilisation des pièces détachées s'effectue le plus souvent, au profit du consommateur final, sans son conditionnement ;

Qu'il convient, en conséquence, réformant la décision entreprise, de constater que la société Yon Teknik a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Wabco Westighouse et Wabco France ;

Considérant que si les sociétés Wabco n'établissent pas que la perte du chiffre d'affaires qu'elles ont enregistrée sur le marché soit liée dans son intégralité au comportement de la société Yon Teknik, il n'en demeure pas moins que les faits dénoncés ont causé aux deux sociétés un trouble commercial d'autant plus grave qu'il est constant qu'elles assurent la première monte des véhicules concernés et que leur réputation de sérieux est en cause ;

Que ce seul trouble commercial justifie l'allocation à chacune des sociétés d'une somme de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de leur entier dommage, outre les mesures d'interdiction et de publication telles que précisées au dispositif ci-après ;

Considérant que la solution du litige commande le rejet de la demande en dommages-intérêts formée par la société Yon Teknik pour atteinte à son image de marque et à sa réputation ;

Considérant qu'il convient d'allouer à chacune des sociétés la somme de 25.000 francs pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ; que la société Yon Teknik qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée à ce titre ainsi que de celle en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Par ces motifs : réforme la décision entreprise, et statuant à nouveau ; Dit que la société Yon Teknik a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Wabco Westinghouse et Wabco France ; La condamne en conséquence à payer à chacune de ces sociétés la somme de 1.000.000 francs à titre de dommages-intérêts ; Autorise la publication de la présente décision dans 3 revues ou journaux aux choix des sociétés Wabco et aux frais de la société Yon Teknik à concurrence de la somme de 25.000 francs HT par insertion ; Interdit la poursuite des actes susvisés sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée, à compter de la signification de la présente ; Condamne la société Yon Teknik à payer à chacune des sociétés Wabco la somme de 25.000 francs pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ; Rejette toute autre demande ; Met les dépens à la charge de la société Yon Teknik et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.