Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 27 avril 2001, n° 1998-15818

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Euroménage (SARL)

Défendeur :

Seb (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mme Regniez, M. Lachacinsiu

Avoués :

Me Moreau, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Me Cousin, Me Gaultier.

T. com. Bobigny, 3e ch., du 27 mai 1998

27 mai 1998

Seb commercialise depuis de nombreuses années (environ 40 ans) des autocuiseurs connus sous la dénomination " Cocotte Minute ".

Estimant être victime d'actes de concurrence déloyale de la part de la société Euroménage qui importe d'Espagne des autocuiseurs fabriqués en Espagne par la société Magefesa et vendus en France sous cette dénomination, autocuiseurs qui constitueraient des copies serviles ou quasi-serviles de ses produits, Seb a fait citer devant le tribunal de commerce de Bobigny, par acte du 9 novembre 1997, Euroménage pour obtenir, outre des mesures d'interdiction, de publication, d'expertise, sa condamnation au paiement de la somme de 500 000 francs à titre provisionnel à titre de dommages et intérêts ainsi que de celle de 20 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Euroménage avait conclu au rejet de ces demandes, et, estimant que Seb faisait preuve d'un acharnement à son encontre, avait sollicité sa condamnation à lui verser la somme de 500 000 francs en réparation de son préjudice.

Par jugement du 27 mai 1998, le tribunal de commerce de Bobigny a :

- " dit qu'Euroménage, en important et vendant des autocuiseurs constituant la copie servile ou quasi-servile des autocuiseurs Seb et comportant notamment des pièces interchangeables avec celles des autocuiseurs Seb, avait commis des actes de concurrence déloyale engageant ainsi sa responsabilité en application de l'article 1382 du Code civil,

- fait interdiction à Euroménage sous astreinte de 500 francs par infraction constatée à compter de la signification du jugement, d'importer, d'acheter, de détenir, d'offrir en vente et de commercialiser des autocuiseurs constituant la copie servile ou quasi-servile des autocuiseurs Seb et notamment de ceux faisant l'objet des procès-verbaux de constat des 8 décembre 1995, 16 et 23 février, 19 mars et 23 mai 1996 ou encore comportant des pièces interchangeables avec celles des autocuiseurs Seb, et ce, sur le territoire national,

- débouté Seb de sa demande d'expertise,

- condamné Euroménage à payer à Seb la somme de 150 000 francs à titre de dommages et intérêts,

- ordonné l'insertion du dispositif du jugement dans trois publications au choix de Seb et aux frais d'Euroménage, à titre de complément de dommages et intérêts sans que le coût de chaque insertion puisse excéder 10 000 francs HT,

- rejeté la demande reconventionnelle d'Euroménage,

- condamné Euroménage au paiement de la somme de 15 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Vu les conclusions signifiées le 31 janvier 2001 par Euroménage, appelante, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- " infirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Bobigny en toutes ses dispositions,

- déclarer Seb irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, l'en débouter,

- accueillir Euroménage en son appel incident,

- condamner Seb à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé du fait des harcèlements et des actions abusives et vexatoires de Seb,

- condamner Seb à payer à Euroménage la somme de 50 000 francs en application del'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Vu les écritures de Seb en date du 17 janvier 2000 aux termes desquelles elle conclut à la confirmation du jugement et demande en conséquence de :

- " dire qu'Euroménage a commis des actes de concurrence déloyale par copie servile ou quasi-servile des autocuiseurs Seb, et comportant notamment des pièces interchangeables avec celles des autocuiseurs Seb, et qu'elle a ainsi engagé sa responsabilité en application de l'article 1382 du Code Civil,

- faire interdiction à Euroménage, sous astreinte de 500 francs par infraction constatée à compter de la signification du jugement, d'importer, d'acheter, de détenir, d'offrir en vente, et de commercialiser des autocuiseurs constituant la copie servile ou quasi servile des autocuiseurs Seb, et notamment des autocuiseurs conformes à ceux faisant l'objet des procès-verbaux de constat des 8 décembre 1995, 16 et 23 février, 19 mars et 23 mai 1996, ou encore comportant des pièces interchangeables avec celles des autocuiseurs Seb, et ce, sur le territoire national,

- réformer le jugement en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande d'expertise et nommer tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec mission de rechercher, de se faire communiquer le nombre d'appareils importés et commercialisés par Euroménage à la date de l'arrêt à intervenir et conformes aux appareils faisant l'objet des constats ci-dessus visés, et donner tous éléments sur l'appréciation du préjudice,

- dès à présent, condamner Euroménage à payer à Seb une indemnité provisionnelle de 500 000 francs,

- ordonner l'insertion du jugement dans trois publications, aux frais d'Euroménage au choix de Seb, à titre de supplément de dommages et intérêts, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder 10 000 francs, et dire qu'il sera également fait mention de l'arrêt à intervenir,

- dire qu'il appartiendra au tribunal de se réserver la liquidation de l'astreinte,

- condamner Euroménage à payer à Seb la somme de 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le tribunal a retenu qu'Euroménage avait commis des actes de concurrence déloyale en estimant que :

- " la ressemblance frappante des autocuiseurs et l'interchangeabilité des pièces apparaît de la part d'Euroménage comme une véritable politique consistant à paralyser l'effort commercial de Seb,

- Euroménage crée la confusion dans l'esprit du consommateur,

- Euroménage utilise des pratiques parasitaires tendant à la captation des fruits de l'effort d'autrui,

- un réseau d'entretien d'appareil et un service après vente constituent une organisation et immobilisation de trésorerie importante pour Seb,

- il existe sur le marché de nombreux autocuiseurs concurrents qui ne constituent pas la copie servile ou quasi-servile des autocuiseurs Seb,

- Euroménage participe à la violation d'un engagement pris par son fournisseur Magefesa et cette faute engage sa responsabilité,

- cette politique parasitaire est d'autant plus déloyale que M. Hallioua a été informé par notification des 20 et 24 avril 1995 que son action contrevenait aux accords conclus dans la transaction du 16 novembre 1992 entre Seb et Magefesa,

- l'action de M. Hallioua est d'autant plus dénuée de bonne foi qu'il est un professionnel avisé ayant déjà fait l'objet de poursuites engagées devant d'autres juridictions par Seb,

- d'une manière générale on ne peut comprendre les raisons pour lesquelles les autocuiseurs auraient des pièces interchangeables avec ceux de Seb, si cela n'est pour pouvoir se fondre dans le sillage et tirer profit du réseau commercial de Seb,

- de plus le modèle " Décor " commercialisé par MC Ménage Center que cite le technicien Guilguet a fait l'objet d'une condamnation du tribunal de commerce de Paris le 16 janvier 1984,

- Euroménage ne peut l'ignorer puisque le dirigeant de MC Ménage était M. Hallioua aujourd'hui gérant d'Euroménage,

- M. Hallioua avait également signé une transaction avec Seb en 1986 après avoir été condamné et il s'engageait dans l'article 3 de cette transaction de cesser de commercialiser les autocuiseurs litigieux portant la marque " Cocotte Minute " ce qui tenterait à prouver que les rapports contractuels entre M. Hallioua et Seb ne datent pas d'hier et que M. Hallioua a tant une grande connaissance qu'une certaine passion pour les autocuiseurs Seb,

- en conséquence la concurrence exercée par Euroménage à l'encontre de Seb, au moyen des autocuiseurs ayant cumulativement des formes identiques et des pièces interchangeables est une concurrence déloyale " ;

Considérant qu'Euroménage critique cette décision, soutenant qu'en engageant une procédure en concurrence déloyale à son encontre, Seb cherche en réalité à conserver un monopole sur les autocuiseurs alors que tous les droits de propriété intellectuelle qu'elle pouvait détenir sont expirés ; qu'elle ajoute que le tribunal a, à tort, retenu qu'elle avait participé à la violation d'un engagement pris par son fournisseur alors que l'engagement contractuel en cause en date du 16 novembre 1992 a été déclaré nul selon un arrêt du 24 septembre 1998, et qu'il s'est à tort référé à des décisions qui ne portaient pas sur l'objet du litige actuel, relatif à la seule commercialisation d'autocuiseur à " étrier " ;

Considérant qu'elle ajoute sur le fond :

- que Seb ne rapporte nullement la preuve de l'existence de copies serviles, ne produisant au débat qu'une pièce comparative qu'elle a elle-même confectionnée pour se constituer une preuve,

- qu'en outre, l'étude de M. Guilguet qui a procédé à une analyse comparative des autocuiseurs en cause, a mis en valeur que :

*la demande de Seb portait sur des caractéristiques tombées dans le domaine public,

* il n'existait aucune identité des formes et des côtes,

* d'autres produits concurrents comportaient les mêmes caractéristiques et des dimensions présentant des différences de même nature,

- que Seb ne pouvait invoquer le fait que son adversaire aurait bénéficié, sans bourse délier, de ses investissements alors que la conception des appareils concernés est très ancienne et que l'investissement qu'elle a pu entraîner est amorti,

- qu'il ne peut exister de risque de confusion, dès lors que tous les fabricants d'autocuiseurs utilisent des formes et des éléments constitutifs similaires, les objets se distinguant les uns des autres par la forme des accessoires montés sur les parties métalliques,

- que l'interchangeabilité des pièces n'est pas condamnable, alors que au surplus en l'espèce, les côtes ne sont pas identiques ;

Considérant que Seb réplique que Jacques Hallioua gérant d'Euroménage a précédemment eu des responsabilités dans des sociétés qui ont fait l'objet d'autres procédures (jugement du 16 janvier 1984 ayant condamné la société Ménage Center pour contrefaçon de modèle et concurrence déloyale, engagement pris en mars 1986 à la suite d'une plainte du 26 avril 1982 de ne plus commercialiser des produits comportant la marque " Cocotte minute ", transaction avec la société espagnole) et qu'il connaissait parfaitement la position de Seb ; que son adversaire cherche en réalité à commercialiser des produits qui ne sont que des copies serviles de ses autocuiseurs, notamment en adoptant une position identique de la soupape de sécurité qui n'est pas dictée par un impératif technique ; qu'elle relève encore que le rapport de M. Guilguet n'est pas contradictoire, qu'il contient des erreurs puisqu'il se réfère à des produits concurrents qui ont été l'objet de condamnations (Fagor, Monix, Décor) et que l'interchangeabilité des pièces est en l'occurrence un acte de concurrence déloyale dans la mesure où elle évite à Euroménage d'avoir à se constituer un réseau de distribution de pièces détachées ; que les produits sont en outre vendus à des prix bien inférieurs ;

Considérant cela exposé qu'il est constant que les autocuiseurs dits à " étriers " ne sont plus dans leur dispositif technique et leur forme protégés par des droits de propriété intellectuelle ; que la commercialisation de produits similaires est en principe licite (par application de la règle de la liberté de la concurrence), sauf s'il existe un risque de confusion, les économies qu'elle peut procurer n'étant pas en elles-mêmes fautives ;

Considérant que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il ne peut être déduit de procès antérieurs et de l'existence de transactions, la preuve d'une volonté délibérée d'Euroménage de " se fondre dans le sillage et tirer profit du réseau commercial de Seb " ; qu'en effet, :

- la transaction de 1986 passée entre M. Hallioua et Seb portait sur la commercialisation d'autocuiseurs sous la dénomination " Cocotte Minute ", ce qui n'est pas le cas dans le présent litige,

- le jugement en date du 16 janvier 1984 faisait interdiction à MC Ménage Center d'importer, fabriquer des autocuiseurs, contrefaçon d'un modèle déposé n° 132 503, qui n'est pas invoqué en l'espèce,

- la transaction du 16 novembre 1992 passée entre Seb et Magefesa a été reconnue inopposable à Euroménage par ordonnance du 27 octobre 1995 et a été déclarée nulle par arrêt de la cour d'appel de Dijon du 24 septembre 1998 (objet d'un pourvoi en cassation),

- la notification des 20 et 24 avril 1995, si elle comportait copie de la transaction susvisée, ne contenait aucune référence à un fondement juridique pour interdire à Euroménage la distribution d'autocuiseurs (dont il n'est pas prétendu actuellement qu'ils reproduiraient -selon l'interdiction de l'article 1.1 de la transaction- " les formes caractéristiques des modèles Seb protégés par un droit d'auteur et/ou les enregistrements de modèles dont Seb est titulaire ") ;

Considérant qu'il convient de rechercher en l'espèce si la mise en vente de produits similaires dans leur éléments principaux, (ce qui permettrait l'interchangeabilité des pièces usées), caractérise des agissements déloyaux ;

Considérant que l'appelante prétend qu'elle démontrerait par le rapport non contradictoire mais très précis de M. Guilguet l'inexistence d'une reproduction quasi-servile, et que Seb ne ferait pas la preuve contraire -le document qu'elle verse aux débats ayant été confectionné par cette société et étant dépourvu de tout caractère probant ;

Mais considérant que :

- si les mesures de Seb au vu desquelles elle avait introduit l'instance en référé aux fins de désignation d'un expert à laquelle s'était opposée avec succès Euroménage, ne coïncident pas avec celles relevées par M. Guilguet, consulté par l'appelante, (faute pour la plupart d'avoir été prises à des points identiques),

- la cour constate que les côtes des deux études sont très proches et comportent sur leur couvercle une découpe identique permettant une même position de la soupape de sécurité ;

Considérant que, par ailleurs, comme l'ont relevé les premiers juges, il résulte du constat de Maître Debost en date du 12 avril 1995 qu'un certain nombre de pièces des deux appareils sont interchangeables ; qu'il en est ainsi des poignées, des soupapes, du volant du couvercle et joint d'étanchéité ; que l'autocuiseur commercialisé par Euroménage est donc très proche de celui de Seb;

Mais considérant que les produits d'Euroménage, malgré leurs dimensions quasi-identiques, ne peuvent être confondus avec ceux commercialisés par Seb; qu'il existe de nombreuses différences : forme des poignées (aux lignes rectilignes et aux angles saillants pour Seb, semi sphériques pour Euroménage), volants de fermeture (proche du carré chez Seb et circulaire chez son adversaire) et soupapes tournantes aux configurations dissemblables que par ailleurs le nom du fabriquant et le lieu de fabrication en Espagne sont indiqués sur le volant de fermeture du produit ainsi que sur les conditionnements(constats d'huissier des 16 et 23 février 1996, 19 mars 1996, 23 mai 1996) ; que le consommateur ne peut attribuer aux produits en présence une origine identique et les confondre;

Considérant qu'outre la circonstance qu'il est justifié par Euroménage de l'existence d'un service après vente, le fait que puissent être adaptées sur ses produits, certaines pièces fabriquées pour des produits concurrents n'est pas en elle-même constitutive de concurrence déloyale; qu'il sera d'ailleurs relevé que la mention suivante est inscrite sur le mode d'emploi des autocuiseurs incriminés (page 5) : " Si vous avez besoin d'une des pièces signalées, nous vous prions de la solliciter en indiquant le numéro de la pièce et la capacité de l'Autocuiseur. Le fabriquant ne se fait pas responsable des accessoires qui ne soient pas des rechanges originaux " ; que l'attention du consommateur est ainsi attirée sur l'importance des pièces d'origine ;

Considérant enfin que la pratique de prix inférieurs à ceux de concurrents n'est pas en soi une faute constitutive de concurrence déloyale; que le jugement sera en conséquence infirmé ;

Considérant qu'Euroménage ne démontre pas de fait fautif justifiant qu'il soit fait droit à sa demande de dommages intérêts ; que l'équité n'exige pas qu'il lui soit alloué d'indemnité pour ses frais hors dépens ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Déboute les parties de toutes leurs demandes ; Condamne la société Seb SA aux dépens de première instance et d'appel qui, pour ces derniers, seront recouvrés par Maître Moreau, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.