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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 29 mars 2001, n° 98-05727

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Asta Medica (SA), Laboratoire Asta Medica (SA)

Défendeur :

Gifrer Barbezat (SA), Laboratoire Aguettant (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Lefevre-Tardy, SCP Jullien-Lecharny-Rol

Avocats :

Mes Touraille, Ughettq, Saunier.

T. com. Versailles, 1re ch., du 20 mai 1…

20 mai 1998

FAITS ET PROCEDURE:

La Société Asta Medica est une société holding détenant des marques et des autorisations de mise sur le marché de médicaments, notamment une autorisation de mise sur le marché de " Bétadine ".

La Société Laboratoire Asta Medica est un laboratoire pharmaceutique ayant pour activité la fabrication et la vente de tous produits pharmaceutiques, en particulier la vente de spécialités pharmaceutiques remboursables.

Les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica sont notamment spécialisées dans la fabrication et la vente de médicaments antiseptiques ; à ce titre, elles commercialisent depuis 1967 une gamme de produits antiseptiques sous l'appellation " Bétadine ", couramment utilisés en milieu hospitalier, et incluant les produits suivants :

" Bétadine dermique 10 % ", caractérisée par son emballage de couleur jaune ("Bétadine" jaune");

" Bétadine scrub solution moussante ", caractérisée par son emballage de couleur rouge ("Bétadine" rouge).

Pour sa part, suivant autorisation de mise sur le marché en date du 28 novembre 1994, la Société Gifrer Barbezat, venue aux droits de la Société Laboratoire Paris Chemical, a reçu agrément pour la commercialisation des spécialités pharmaceutiques suivantes :

" Poliodine " (solution dermique);

" Poliodine solution scrub " (solution moussante).

La fabrication de ces produits est réalisée par la Société Gifrer Barbezat, et leur distribution par la Société Laboratoire Aguettant.

Aux motifs que les signes distinctifs utilisés sur les bouteilles de " Poliodine " copiaient ceux des bouteilles de " Bétadine ", et qu'en outre les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant avaient eu recours à des manœuvres déloyales pour le lancement sur le marché de leurs produits, la Société Laboratoire Asta Medica a, par lettre recommandée du 11 avril 1996, mis en demeure ces deux autres sociétés d'avoir à cesser immédiatement la commercialisation des bouteilles de " Poliodine " sous leur emballage actuel et à l'avenir, de reproduire sur les bouteilles de " Poliodine " les signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine ".

Cette mise en demeure étant restée sans effet, les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica ont, par acte d'huissier en date du 06 septembre 1996, fait assigner devant le Tribunal de Commerce de Versailles les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant, pour voir condamner celles-ci à arrêter la fabrication, la commercialisation et la distribution des bouteilles de " Poliodine " sous leur emballage actuel, pour leur faire interdiction de reproduire et d'utiliser les signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine ", et pour les voir condamner à indemniser leur entier préjudice.

Par jugement en date du 20 mai 1998, relevant que les sociétés défenderesses ne s'étaient pas rendues coupables d'actes de concurrence déloyale ou d'actions parasitaires, le Tribunal a :

- débouté les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica de leur action en concurrence déloyale et en dommages-intérêts;

- reçu les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant en leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour dénigrement, et débouté celles-ci de leur prétention;

- condamné solidairement les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica à payer à chacune des Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

- condamné solidairement les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant aux dépens.

Les Sociétés Asta Medica SA et Laboratoire Asta Medica SA ont interjeté appel de ce jugement.

Elles font valoir qu'est constitutive d'un acte de concurrence déloyale l'imitation par un concurrent des signes distinctifs arbitraires d'un produit, dès lors que cette imitation crée ou risque de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle.

Elles exposent que, sous prétexte qu'il s'agit de produits aux compositions identiques, la mise sur le marché de produits génériques n'autorise pas pour autant leurs fabricants à se livrer à des actes de concurrence déloyale, notamment en copiant les signes distinctifs (emballages et autres) des produits princeps.

Elles indiquent que l'attitude des sociétés intimées caractérise leur volonté d'imitation des produits " Bétadine ", imitation destinée à créer une confusion d'autant plus facile que les produits " Poliodine " étaient présentés comme produits génériques des produits " Bétadine ".

D'abord, les sociétés appelantes font grief aux Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant d'avoir copié les signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine ", ce au moyen des procédés suivants :

- reprise des couleurs jaune et rouge pour distinguer la solution " dermique " de la solution " scrub "

- choix d'un nom similaire pour désigner les produits, avec la reprise du suffixe " dine"

- identité du pas de vis des flacons de " Poliodine " avec celui des flacons de " Bétadine "

- identité du réducteur de goulot de flacon.

Elles considèrent qu'aucun des signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine " ne résulte d'un impératif technique, d'une recommandation ou d'un usage particulier, que la clientèle assimilait les produits " Bétadine " à leur présentation et à leurs caractéristiques qui en constituaient les signes distinctifs, et que ces signes représentent donc pour les appelantes une valeur économique, résultat d'un investissement considérable en recherche et en argent.

Elles font observer qu'il n'est pas justifié d'une quelconque prescription ou recommandation pour une uniformisation des couleurs des produits en cause en fonction de leurs caractéristiques, et elles relèvent que, d'ailleurs, par mesure de précaution, les sociétés intimées ont commencé à adopter la couleur verte pour la présentation de leur produit " Poliodine " dermique en petit conditionnement.

Elles expliquent que, dans le milieu médical, le suffixe " dine " demeure original pour les produits concernés, c'est-à-dire pour les produits antiseptiques pour l'homme, et qu'une confusion pouvait d'être d'autant plus aisément entretenue que les sociétés intimées présentaient leur produit comme un produit générique du produit " Bétadine ".

Elles précisent que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que : " la présence d'un pas de vis est nécessaire pour adapter les flacons sur un distributeur ou une pompe, permettant l'utilisation du produit sans manipulation de celui-ci, c'est-à-dire en main libre ", dès lors que, si un pas de vis est nécessaire pour adapter un flacon sur une pompe ou sur un distributeur, cet accessoire ne revêt d'utilité que pour les solutions permettant le lavage des mains du personnel soignant, et que tel n'est pas le cas du produit " Poliodine solution scrub ", lequel ne bénéficie pas d'indications thérapeutiques autorisant le lavage des mains, de telle sorte que l'utilisation d'une pompe ou d'un distributeur pour ce produit n'est absolument pas justifié.

Elles ajoutent que, si le réducteur de goulot présente un intérêt sur le plan fonctionnel, il n'en demeure pas moins que différents types de goulots de flacon sont utilisés sur le marché, et que, curieusement là encore, celui adopté pour " Poliodine " est identique à celui de " Bétadine ", et elles soulignent que c'est également à tort que les premiers juges ont tenu compte de la présence d'une bague blanche à la base des goulots des flacons " Bétadine ", alors que cette bague blanche constitue un élément insignifiant en ce qu'il est dénué de tout intérêt pour la fonctionnalité du réducteur de goulot.

Ensuite, les Sociétés Asta Medica et Laboratoires Asta Medica reprochent aux Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant d'avoir volontairement entretenu une confusion sur les qualités de " Poliodine ".

A cet égard, elles exposent que, si la composition d'un produit générique est identique au produit de base, cette identité se limite aux propriétés du produit, mais ne permet en aucun cas d'imiter les messages commerciaux, dénominations du produit, couleurs, caractéristiques d'un emballage, sauf à éliminer définitivement la commercialisation d'un produit de base, et, par voie de conséquence, l'entreprise qui le fabrique.

Elles relèvent que les agissements de concurrence déloyale se trouvent en l'occurrence aggravés par le fait qu'au-delà des divers éléments de similitudes ci-dessus rappelés, le produit " Poliodine solution scrub ", bien que qualifié de produit générique, revendiquait des indications thérapeutiques dont il ne bénéficiait pas, à savoir le " lavage chirurgical des mains ".

De plus, les sociétés appelantes font grief à la décision entreprise d'avoir méconnu la spécificité du parasitisme, lequel, s'il constitue le prolongement de l'action en concurrence déloyale, ne suppose nullement que la preuve soit rapportée d'une confusion ou d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle.

Elles constatent en l'occurrence que la copie des signes distinctifs des produits " Bétadine" démontre bien la volonté affichée par les sociétés intimées de se placer dans le sillage des sociétés appelantes, et elles réfutent l'allégation adverse d'une absence de savoir-faire particulier, d'efforts continus, ou encore d'investissements notables susceptibles de mériter protection, alors que le produit " Bétadine" n'est pas arrivé le premier sur le marché, mais qu'il a conquis sa place sur ce marché par sa qualité, ses investissements promotionnels effectués pour sa reconnaissance, et les efforts de formation médicale réalisés auprès des milieux concernés à l'aide d'une diffusion à grande échelle de films et de plaquettes, et grâce au recours à d'autres outils pour faire connaître ce produit.

Tout en indiquant démontrer par les éléments chiffrés produits aux débats qu'elles ont constamment poursuivi leurs efforts et leurs investissements en vue d'assurer la reconnaissance du produit " Bétadine " et en vue d'accroître sa notoriété, elles soutiennent qu'est mise en évidence la volonté des intimées de se placer dans l'exact sillage de ce produit en cherchant à se rattacher autant que possible à l'image de marque bien établie de " Bétadine ".

Aussi, les Sociétés Asta Medica SA et Laboratoire Asta Medica SA demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré, et, statuant à nouveau, de dire et juger que la commercialisation des bouteilles de " Poliodine" sous leur emballage actuel, ainsi que la distribution de la documentation y afférente sous sa présentation actuelle, constituent des actes de concurrence déloyale en application de l'article 1382 du Code Civil ;

- condamner, en conséquence, les sociétés intimées à cesser immédiatement toute fabrication, toute commercialisation et toute distribution des bouteilles de " Poliodine " sous leur emballage actuel, sous astreinte définitive de 10.000 francs par infraction constatée passé le délai de huit jours qui suivra la date de signification de l'arrêt à intervenir;

- condamner les sociétés défenderesses à cesser immédiatement d'utiliser les couleurs jaune et rouge pour identifier " Poliodine solution dermique " et " Poliodine solution scrub " sur toute documentation de quelque nature que ce soit, sous astreinte définitive de 10.000 francs par infraction constatée passé le délai de huit jours qui suivra la date de signification de l'arrêt à intervenir ;

- dire et juger que les sociétés intimées devront cesser toute reproduction et toute utilisation sur les bouteilles de " Poliodine " et sur la documentation y afférente, des signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine ", sous astreinte définitive de 10.000 francs par infraction constatée passé le délai de huit jours qui suivra la date de signification de l'arrêt à intervenir.

De plus, la Société Laboratoire Asta Medica fait valoir que ces agissements de concurrence déloyale et parasitaire ont été pour elle à l'origine d'un préjudice commercial et financier qui s'est traduit au cours des années 1996 et 1997, compte tenu des procédés déloyaux exercés à son détriment, par une diminution du nombre de ventes des produits " Bétadine " qui l'a contrainte de baisser le prix de vente de ces produits.

En conséquence, elle sollicite la condamnation des Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant à lui payer la somme de 4.216.962 francs, au titre de sa perte de marge.

En outre, les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica concluent à la condamnation des sociétés intimées à leur payer la somme de 1.000.000 francs au titre du préjudice subi par elles et lié à l'atteinte à leur image de marque et à leur réputation.

Par ailleurs, les sociétés appelantes font observer que la présente procédure dont elles ont pris l'initiative ne revêt aucun caractère abusif dans la mesure où elle a fait suite à une mise en demeure en date du 11 avril 1996 non suivie d'effet, et où son fondement, qui repose sur des agissements de concurrence déloyale et parasitaire, est donc parfaitement distinct de l'action en contrefaçon de marque graphique, liée à la forme du flacon, à l'origine d'une procédure antérieure ayant donné lieu au jugement rendu le 16 septembre 1986 par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, confirmé le 4 novembre 1987 par la Cour de ce siège.

Au surplus, elles contestent le bien fondé du reproche qui leur est fait d'avoir procédé à la diffusion d'une publicité comparative Bétadine/Poliodine, alors qu'elles se sont contentées d'établir un document à vocation purement interne, destiné uniquement à la formation de leurs visiteurs médicaux.

Dans ces conditions, elles demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguittant de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

Les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica concluent en outre à la condamnation solidaire des sociétés intimées au paiement de la somme de 60.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

En premier lieu en ce qui concerne la prétendue copie des signes distinctifs, la Société Gifrer Barbezat SA fait observer, à titre préliminaire, que les sociétés appelantes préfèrent se livrer à une analyse volontairement distincte de chacun des quatre éléments qui auraient été reproduits ou imités, plutôt que procéder à un examen de l'aspect général et global des conditionnements litigieux, alors que les deux conditionnements en cause se distinguent très nettement dans leur allure générale et ne peuvent en aucun cas être confondus, d'autant qu'ils sont destinés l'un et l'autre à un marché de professionnels avertis.

D'abord, elle explique que la couleur du flacon n'a d'intérêt que dans la mesure où elle a un caractère fonctionnel, notamment parce qu'elle permet de distinguer, sans risque d'erreur pour le personnel hospitalier, deux produits dont l'emploi diffère (solution dermique et solution moussante).

Elle précise que les produits à la disposition du personnel hospitalier doivent être facilement identifiables, et que, pour cette raison, des " codes couleurs " (le jaune et le rouge pour les antiseptiques à usage hospitalier) sont utilisés à titre de repère, et non pour indiquer la provenance du produit et imiter la présentation du produit d'un concurrent.

Elle conteste le bien fondé de l'allégation des sociétés appelantes, suivant laquelle l'adoption ultérieure de la couleur verte serait le résultat de l'action judiciaire dont elle ont pris l'initiative, alors que cette couleur verte a été choisie, exclusivement pour les petits conditionnements, compte tenu d'un impératif technique lié à la stabilisation du produit conditionné en " bottle pack " (emballage plastique).

Ensuite, la société intimée fait valoir qu'il n'existe aucune ressemblance entre les deux dénominations " Bétadine " et " Poliodine ", dans la mesure où les deux syllabes d'attaque : " Béta " et " Polio " sont absolument différentes, et où la terminaison commune aux deux produits : " dine " est d'un usage habituel dans la désignation de produits pharmaceutiques.

De plus, elle mentionne que les pas de vis dont sont équipés les deux conditionnements en cause sont d'une totale banalité, et elle souligne que, s'il est possible d'adapter sur ces pas de vis une pompe pour le lavage des mains, un tel système peut également être utilisé de manière habituelle pour d'autres usages, de telle sorte qu'il importe peu que le lavage des mains ne soit pas une prescription reconnue pour le produit " Poliodine ".

Par ailleurs, elle relève que le réducteur de goulot de chacun des produits concernés est différent, et que le conditionnement pour " Bétadine " comporte une bague blanche extérieure particulièrement visible qui a non seulement un effet esthétique mais également un rôle fonctionnel.

En deuxième lieu relativement à la prétendue confusion sur les qualités du produit " Poliodine ", la société intimée conclut à l'inanité de ce grief, dès lors que, ainsi que l'a relevé le Tribunal, la fabrication et la diffusion de produits pharmaceutiques identiques aux princeps de base est la définition même du médicament générique, et ne peut donc être qualifiée d'action parasitaire.

Sur ce point, elle fait observer que la publicité malencontreuse, diffusée par le Laboratoire Aguittant dans la revue " Hygiènes " n° 11, et suivant laquelle l'utilisation du " Poliodine Scrub " était préconisée dans le lavage antiseptique des mains, a été rectifiée par une mise au point adressée par elle le 13 mars 1996 au Centre de Pharmacovigilance de Clermont-Ferrand.

En troisième lieu relativement à l'accusation de parasitisme, la Société Gifrer Barbezat soutient que cette accusation injustifiée dissimule mal la volonté évidente des sociétés appelantes de s'arroger un monopole absolu sur une part de marché et d'en exclure tous produits génériques, au mépris du libre jeu de la concurrence, et sans égard pour les louables efforts accomplis par des entreprises, telles que les intimées, qui s'efforcent de promouvoir des produits dits " génériques ", permettant ainsi à la collectivité de réaliser de très substantielles économies en matière de santé publique.

Elle précise que les investissements nécessités pour la mise au point et pour la commercialisation de la " Bétadine " ont été particulièrement limités, puisque, d'une part, les laboratoires Sarget et Cortial (desquelles les appelantes tiennent leurs droits) ont utilisé une molécule qui existait pour mettre sur le marché un antiseptique coloré, que, d'autre part, ce produit était destiné avant tout à répondre à certains exigences dans le domaine de l'antisepsie opératoire, et qu'enfin, ces modestes investissements ont été plus que largement rémunérés par le monopole dont ont bénéficié les appelantes.

En quatrième lieu en ce qui concerne le préjudice allégué par celles-ci, la Société Gifrer Barbezat s'en remet à l'appréciation des premiers juges, lesquels ont exactement relevé qu'il n'existait aucune causalité suffisante entre les fautes imputées aux intimées et le préjudice invoqué par les sociétés appelantes.

Par voie de conséquence, la société intimée conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica de l'intégralité de leurs demandes.

Par ailleurs, relevant que les sociétés appelantes ont admis avoir rédigé un document qui tend exclusivement à démontrer que " Poliodine " est une pâle imitation de " Bétadine ", comportant des impuretés et étant de surcroît susceptible de nuire à la santé publique, et estimant que ce document tend à induire en erreur les pharmaciens hospitaliers en même temps qu'il témoigne d'une volonté délibérée de nuire à la commercialisation de la " Poliodine dermique " par concurrence déloyale, la Société Gifrer Barbezat demande à la Cour de la dire recevable et bien fondée en son appel incident, et de condamner la Société Asta Medica et la Société Laboratoire Asta Medica, solidairement entre elles, à lui verser la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice qui lui a été causé par leurs actes de dénigrement.

De plus, la société intimée conclut à la condamnation des mêmes sociétés à lui verser la somme de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles d'appel, et à prendre en charge les entiers dépens.

La Société Laboratoire Aguettant SA expose que, ainsi que l'a à juste titre relevé le Tribunal, les produits en cause constituaient des médicaments " génériques ", et que, dans le cadre de la commercialisation d'un produit générique, il est nécessaire que les fonctions des produits concurrents soient identiques, de telle sorte que l'imitation du produit " princeps " afin de le substituer totalement dans la pratique médicale ne peut en aucun cas être considérée comme déloyale ou parasitaire.

Elle fait grief aux Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica d'entretenir une confusion en lui reprochant de copier des " signes distinctifs ", lesquels sont en réalité des caractéristiques techniques du produit ou de son conditionnement, qu'il n'est pas possible de supprimer sans interdire en fait la commercialisation du produit.

Elle soutient que toutes les caractéristiques des flacons commercialisés par le Laboratoire Aguettant, qualifiées de " répréhensibles " par les appelantes, sont en fait imposées par le caractère générique des produits, lequel implique que les produits concurrents soient substituables.

D'abord, elle conteste avoir commis la moindre faute constitutive de concurrence déloyale, et, sur ce point elle relève que le choix des couleurs appliquées aux produits " Poliodine " ne peut être considéré comme fautif, dès lors qu'il s'agit de couleurs fondamentales non susceptibles d'appropriation, que les nuances ne sont pas exactement les mêmes que celles des produits " Bétadine ", et que les couleurs n'ont pas été choisies afin de distinguer les produits d'autres produits concurrents, mais afin d'identifier leurs fonctions de manière univoque.

Elle explique également que la présence d'un pas de vis sur les flacons se justifie par la nécessité technique d'adapter des pompes doseuses ou des distributeurs, et que c'est la consistance du produit qui implique qu'il est nécessaire d'utiliser une pompe.

Elle précise que c'est à bon droit que le Tribunal a admis que le réducteur de goulot était un élément purement fonctionnel qu'il ne pouvait être reproché aux sociétés intimées d'avoir adopté, alors surtout que sa forme n'était pas identique à celle du dispositif choisi par les sociétés appelantes, et alors que la présence d'une bague blanche équipant le produit " Bétadine" constitue un élément formel permettant de distinguer les deux produits.

Elle ajoute que le suffixe " dine " revêt un caractère courant pour la désignation de produits antiseptiques, et que l'utilisation de cette terminaison a une fonction purement descriptive en tant qu'elle marque bien la volonté du Laboratoire Aguettant de donner des informations aux professionnels de la santé sur la composition chimique ou sur les indications thérapeutiques du produit.

En définitive, elle conteste avoir eu la moindre intention délibérée de créer une confusion avec les produits Asta Medica, et, à cet égard, tout en indiquant que l'apparence d'un flacon n'est pas un critère de choix pour la clientèle professionnelle des médecins hospitaliers, elle maintient qu'elle s'est limitée à la commercialisation d'un produit générique dans un conditionnement correspondant aux nécessités techniques de l'utilisation du produit et aux usages en la matière.

Ensuite, la Société Laboratoire Aguettant estime qu'aucune faute constitutive de concurrence parasitaire ne peut davantage lui être reprochée, et, à ce titre, elle rappelle que le simple fait de rechercher la compatibilité avec un autre produit ne constitue pas un agissement parasitaire.

Elle précise n'avoir en aucun cas détourné les investissements hypothétiques des sociétés appelantes, lesquelles n'établissent d'ailleurs nullement qu'elle auraient été les victimes d'un pillage intellectuel dont les sociétés intimées auraient pris l'initiative.

De plus, elle fait valoir que les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica sont bien en peine de démontrer l'existence d'un réel préjudice imputable directement à la commercialisation des produits " Poliodine ", et, elle soutient que les appelantes ne rapportent pas non plus la preuve du lien de causalité entre la baisse des ventes " Bétadine " et la commercialisation de " Poliodine ".

Par voie de conséquence, la Société Laboratoire Aguettant conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté les actions en concurrence déloyale et en concurrence parasitaire diligentées par les sociétés appelantes.

Elle demande que soit rectifiée l'erreur matérielle contenue dans le dispositif du jugement entrepris relativement à la condamnation aux dépens de première instance.

Se portant incidemment appelante dudit jugement en ce qu'il a jugé mal fondée sa demande reconventionnelle, la Société Laboratoire Aguettant demande à la Cour de condamner " in solidum " les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica à lui payer les sommes de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait du dénigrement du produit " Poliodine " consécutif à la diffusion en mars 1996 par les appelantes d'une circulaire comparative.

Elle sollicite en outre la condamnation "in solidum " de la Société Asta Medica et de la Société Laboratoire Asta Medica au paiement d'une somme de 150.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION:

I. Sur l'existence alléguée d'actes de concurrence déloyale:

1. Sur la prétendue copie des signes distinctifs des flacons de " Bétadine ":

Considérant que la reproduction ou l'imitation de produits ou de leur conditionnement non protégés par un brevet ou par un dépôt de marque n'est que l'exercice d'un droit qui est la traduction du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'elle ne devient répréhensible que si elle s'accompagne de procédés déloyaux au regard des règles qui président à la probité commerciale;

Considérant qu'au soutien de leur action en concurrence déloyale, les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica font valoir que la mise sur le marché de produits génériques n'autorise pas pour autant leurs fabricants à se livrer à des pratiques illicites, en l'occurrence caractérisées par l'emprunt de plusieurs signes distinctifs des produits princeps ;

Considérant qu'elles expliquent qu'en copiant les signes distinctifs et caractéristiques des bouteilles de " Bétadine ", les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant ont cherché à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle entre leurs produits et les produits " Bétadine ", et que cette confusion était d'autant plus aisée à entretenir que les produits " Poliodine " étaient présentés comme produits génériques des produits " Bétadine " ;

Considérant qu'elles précisent qu'en l'espèce, les signes copiés par le produit ces sociétés intimées sont les suivants : reprise des couleurs jaune et rouge pour distinguer la solution dermique de la solution scrub, choix d'un nom similaire pour désigner les produits (reprise du suffixe: " dine "), identité du pas de vis des flacons de " Poliodine" avec celui des flacons de " Bétadine ", identité du réducteur de goulot de flacon ;

Considérant qu'elles font observer que le choix de la couleur du flacon du produit, de sa dénomination, de son pas de vis pour permettre l'adjonction de pompes ou de distributeurs, ou encore d'une forme spécifique de réducteur de goulot de flacon, sont autant de signes distinctifs qui ont été choisis par les appelantes de manière arbitraire sans leur avoir été imposés par des normes, des pratiques ou des usages, et dont l'imitation est constitutive d'agissements de concurrence déloyale ;

Mais considérant, en premier lieu en ce qui concerne la reprise par les sociétés intimées des mêmes couleurs jaune et rouge pour distinguer la solution dermique de la solution scrub, que, s'il est vrai qu'il n'est pas justifié d'une prescription ou d'une recommandation des services médicaux pour une uniformisation des couleurs des produits en fonction de leurs caractéristiques, il est toutefois démontré par divers documents versés aux débats que les couleurs jaune et rouge sont couramment utilisées pour les antiseptiques à usage hospitalier, et que le recours à des " codes couleurs " permet au personnel hospitalier d'identifier aisément les différentes catégories de produits en vue d'éviter des erreurs dans leur utilisation ;

Considérant qu'à cet égard, c'est vainement que les sociétés appelantes soutiennent que l'adoption par la Société Gifrer Barbezat de la couleur verte pour la présentation de son produit " Poliodine " en " bottle pack " (emballage plastique) serait la preuve que le choix des couleurs utilisées par cette société n'aurait pas été dicté par un impératif technique, dans la mesure où Gifrer Barbezat démontre par les pièces communiquées par elle dans le cadre de la présente procédure que le choix de cette couleur verte (exclusivement pour les petits conditionnements) s'est imposé du fait d'un problème de dépigmentation du conditionnement de couleur jaune, lié à la technologie particulière utilisée par ladite société pour la fabrication de ces " bottle pack " ;

Considérant qu'au demeurant, la comparaison visuelle entre les flacons de " Bétadine " et ceux de " Poliodine " révèle des différences de nuances entre les deux flacons, dès lors qu'il apparaît que le flacon de " Bétadine " est d'un rouge plus foncé que celui de " Poliodine ", et que la couleur jaune du flacon de " Bétadine " est plus soutenue que celle du flacon de " Poliodine " ;

Considérant qu'il est donc établi que,tout en prenant soin de choisir des nuances différentes de celles des produits " Bétadine ", les sociétés intimées n'ont adopté les couleurs rouge et jaune que pour se conformer aux usages de la pharmacie hospitalière, et non dans l'intention de capter le signe distinctif d'un concurrent ;

Considérant, en deuxième lieu en ce qui concerne la reprise du suffixe " dine ", que, si les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica relèvent que ce suffixe demeure original pour les " produits antiseptiques pour l'homme ", force est toutefois de constater qu'il n'existe aucune ressemblance entre les deux dénominations, dans la mesure où les deux syllabes d'attaque " Béta " et " Polio " sont radicalement différentes, et où la terminaison commune aux deux produits " dine " est fréquente dans la désignation des produits pharmaceutiques, et tout spécialement dans ceux des produits antiseptiques ou de désinfection;

Considérant que les sociétés intimées font d'ailleurs justement observer que, s'agissant de produits génériques, la similitude de consonances peut évoquer une identité des fonctions, sans qu'il en résulte un risque de confusion nuisible à la santé publique puisque les produits litigieux ont des utilisations identiques;

Considérant qu'au surplus, la combinaison de la première syllabe du mot "Polividon " et du mot anglais " iodine " témoigne de la volonté des promoteurs du produit " Poliodine " d'informer les professionnels de la santé sur la composition chimique ou sur les indications thérapeutiques de ce produit, indépendamment de toute recherche d'une confusion avec la dénomination " Bétadine " ;

Considérant, en troisième lieu en ce qui concerne l'identité du pas de vis des flacons de " Poliodine " avec celui des flacons de " Bétadine ", que, si les sociétés appelantes font valoir que le pas de vis dont elles équipent leur propre conditionnement n'est pas standard, il apparaît cependant que le pas de vis de ces flacons se justifie par la nécessité technique d'adapter des pompes doseuses ou des distributeurs pour le lavage des mains ;

Considérant que, de surcroît, nonobstant le fait que ce pas de vis n'a pas d'utilité particulière pour le " Poliodine solution scrub " (en tant que ce produit est contre-indiqué pour le lavage chirurgical et antiseptique des mains), rien ne vient contredire l'affirmation des sociétés intimées suivant lesquelles ce type de flacon sert habituellement pour des usages autres que le lavage des mains ;

Considérant que le caractère essentiellement fonctionnel de cet élément n'autorise donc pas à conclure que son adoption par les sociétés intimées s'expliquerait par la volonté de créer une confusion avec le conditionnement du " Bétadine ";

Considérant, en quatrième lieu en ce qui concerne la prétendue identité du réducteur de goulot de flacon, que les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Medica ne peuvent qu'admettre que ce réducteur présente un intérêt sur le plan fonctionnel, même si différents types de goulots de flacon sont utilisés sur le marché ;

Considérant qu'à cet égard, les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant font justement observer qu'étant plus petit, plus évasé et plus trapu, le réducteur dont est équipé le conditionnement pour " Poliodine " est d'une forme différente de celle utilisée pour " Bétadine " ;

Considérant qu'au surplus, il est constant que le conditionnement pour " Bétadine " comporte une bague blanche extérieure servant d'encrage à la bague extérieure noire, suivant un dispositif qui le distingue indiscutablement du conditionnement du " Poliodine ", lequel n'est pas muni d'un tel système ;

Considérant que, dès lors que le conditionnement " Poliodine " comporte un réducteur distinct de celui de son concurrent, et dès lors au surplus qu'il n'est pas équipé de bague, le grief de reproduction servile, émis à l'encontre des sociétés intimées, en vue de créer une confusion entre les deux produits ne saurait davantage prospérer de ce chef;

Considérant que c'est également en vain qu'il est reproché à la décision entreprise de s'être contentée de procéder à une analyse restrictive et séparée de chaque acte répréhensible, alors qu'ajoutés les uns aux autres, ces actes seraient constitutifs de concurrence déloyale ;

Considérant qu'en effet, aux termes du jugement déféré à la Cour, le Tribunal met clairement en évidence que les flacons dont s'agit ont la forme très banale d'un cylindre, et que, alors que les conditionnements des deux produits " Poliodine " sont constitués par un simple cylindre de haut en bas, tel n'est pas le cas de ceux des produits " Bétadine ", lesquels sont plus étroits dans leur quart inférieur que dans leur partie supérieure, celle-ci comportant un col, muni d'une bague blanche, qui se rétrécit en deux phases évoquant un entonnoir inversé ;

Considérant qu'au surplus, il apparaît que les inscriptions figurant sur chacun de ces conditionnements sont dépourvues de ressemblance entre elles en tant qu'elles permettent d'identifier nettement la composition de la spécialité pharmaceutique que contient chacun d'entre eux ;

Considérant qu'au demeurant, les premiers juges ont exactement relevé que le risque de confusion se trouve être écarté par le fait que les produits pharmaceutiques en cause sont destinés pour l'essentiel à des professionnels hospitaliers dont le choix s'effectue, non d'après l'apparence du flacon, mais en fonction des caractéristiques thérapeutiques de ces produits ;

Considérant qu'il ne s'infère donc pas de l'ensemble de ces éléments que la mise sur le marché des produits " Poliodine " par les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant s'est accompagnée de procédés déloyaux ayant consisté dans l'imitation de signes distinctifs des bouteilles " Bétadine ", en vue de créer une similitude avec ces produits tant dans leur présentation générale que dans leurs conditions d'utilisation.

2. Sur la prétendue confusion sur les qualités du Droduit " Poliodine " :

Considérant que, sans contester la liberté qui s'attache à la fabrication et à la commercialisation des produits génériques, les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica font valoir que, bien que qualifié de produit générique, le produit " Poliodine solution scrub " revendiquait des indications thérapeutiques dont il ne bénéficiait pas, à savoir le " lavage chirurgical des mains " ;

Considérant que les sociétés appelantes précisent que l'utilisation de ce produit pour un usage non conforme à sa spécialité thérapeutique a entraîné auprès du personnel chirurgical l'apparition de dermites de type irritatif, lesquelles ne sont pas restées sans conséquences préjudiciables pour la réputation du produit " Bétadine ", dans la mesure où, à l'occasion de cet incident ayant justifié l'intervention de l'Agence du Médicament, a été mise en cause l'utilisation de la polyvidone iodée en solution moussante, composant inclus tant dans le produit " Poliodine " que dans le produit " Bétadine " ;

Mais considérant qu'il convient de relever que, dans son avis émis le 12 juillet 1995, la Commission de la Transparence de l'Agence du Médicament avait défini le " Poliodine solution scrub " comme une " spécialité essentiellement similaire à la spécialité Bétadine scrub flacon 500 ml ";

Considérant que, s'il est constant que, dans la revue " Hygiènes " n° 11 parue en 1995, la Société Laboratoire Aguettant avait fait imprudemment paraître une publicité dans laquelle l'utilisation du " Poliodine " était préconisée dans le lavage antiseptique des mains, cette erreur a été ultérieurement rectifiéetant par la Société Gifrer Barbezat, (laquelle a, par écrit en date du 13 mars 1996, diffusé l'information que le " Poliodine solution scrub " n'est pas destiné au lavage antiseptique des mains avant un acte chirurgical) que par un " erratum " publié dans la même revue à l'initiative du Laboratoire Aguettant;

Considérant qu'au surplus, il ressort d'un courrier adressé le 15 avril 1996 à la Société Gifrer Barbezat par l'Agence du Médicament qu'une lettre avait été envoyée à l'ensemble des pharmaciens hospitaliers utilisateurs et aux trente-et-un centres régionaux de pharmacovigilance " afin de rappeler les indications thérapeutiques et d'insister sur la non utilisation de ce médicament pour le lavage des mains avant un acte chirurgical " ;

Considérant qu'il apparaît en outre qu'aux termes de cette correspondance, l'Agence du Médicament a confirmé que rien ne s'opposait à la commercialisation de cette spécialité pharmaceutique ;

Considérant que, dans la mesure où il est suffisamment démontré par les éléments qui précèdent que cette publicité malencontreuse a revêtu un caractère manifestement involontaire, et qu'elle a été ultérieurement corrigée par une mise au point diffusée auprès des professionnels concernés, le grief formulé par les sociétés appelantes du chef d'une confusion prétendument créée par les sociétés intimées sur les qualités du " Poliodine " ne peut qu'être écarté;

Considérant que, dès lors que les faits de la cause n'autorisent pas à conclure à l'existence dûment établie d'agissements constitutifs de concurrence déloyale, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica de leurs prétentions sur ce fondement.

II. Sur l'existence alléguée d'actes de parasitisme:

Considérant que, pour tenter de caractériser les agissements de nature parasitaire dont elles indiquent avoir été victimes, les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica font valoir qu'en procédant au lancement et à la commercialisation du produit " Poliodine " dont les bouteilles reproduisaient les signes distinctifs de celles du produit " Bétadine ", les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant ont, alors même qu'aucune confusion ne serait avérée, cherché à se situer dans le sillage des sociétés appelantes, et donc à profiter des efforts et investissements réalisés par elles, ainsi que de leur réputation et de leur savoir-faire;

Mais considérant que le Tribunal a à juste titre rappelé que la fabrication et la diffusion de produits pharmaceutiques identiques aux " princeps" correspond à la définition même des médicaments génériques, de telle sorte que l'imitation du produit " princeps " afin de le substituer totalement dans la pratique médicale ne peut être considérée comme parasitaire ;

Considérant que, si les sociétés appelantes font exactement observer que l'identité du produit générique au produit princeps se limite au " contenu " de ce produit et ne concerne pas le " contenant " lequel doit pouvoir être préservé de toute reproduction ou imitation servile, force est toutefois de constater qu'en l'occurrence, ainsi que cela a été précédemment démontré, le conditionnement du produit " Poliodine " est dépourvu d'originalité, qu'il n'a emprunté aucun des signes distinctifs des bouteilles de " Bétadine ", et qu'il revêt avant tout un caractère fonctionnel en vue de pouvoir faire l'objet d'une manipulation aisée de la part du personnel hospitalier;

Considérant qu'au demeurant, s'agissant en particulier de médicaments génériques dont la généralisation correspond à un objectif de réduction des dépenses de santé par une mise en concurrence entre fournisseurs, la recherche de compatibilité entre les produits de fabricants différents, y compris dans le conditionnement de ces produits, correspond à l'exercice normal de la concurrence dès lors qu'elle ne s'accompagne pas du recours à des procédés commerciaux illicites ;

Or considérant que, si les sociétés appelantes indiquent avoir entre les années 1992 et 2000 réalisé des investissements importants pour la promotion du produit " Bétadine ", elles ne démontrent toutefois nullement en quoi spécialement en ce qui concerne le conditionnement de ce produit, les efforts intellectuels et financiers entrepris par elles auraient été indûment détournés par les sociétés intimées ;

Considérant qu'en l'absence d'éléments de nature à mettre en évidence que, pour la commercialisation des bouteilles de " Poliodine ", les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant auraient bénéficié de manière illicite des investissements intellectuels et financiers réalisés pour la diffusion du produit " Bétadine ", il convient de confirmer le jugement déféré également en ce qu'il a débouté les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica de leurs prétentions du chef d'agissements parasitaires.

III. Sur l'appel incident des Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant et sur les demandes annexes:

Considérant qu'au soutien de leur demande de dommages-intérêts pour dénigrement des produits " Poliodine ", les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant se prévalent d'une circulaire comparative diffusée en mars 1996 et faisant état de ce que le produit " Poliodine " ne serait qu'une imitation du produit " Bétadine " et qu'il comporterait en outre des impuretés susceptibles de nuire à la santé publique ;

Mais considérant que, d'une part, il n'est pas possible de conclure avec certitude que les renseignements erronés contenus dans ce document procéderaient d'une manœuvre déloyale de la part des Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica, alors même qu'à une époque voisine de celle à laquelle cette diffusion a été assurée, la Société Laboratoire Aguettant avait, de son côté, fait paraître des informations inexactes sur certains qualités thérapeutiques du produit " Poliodine solution scrub " ;

Considérant que, d'autre part, les sociétés intimées ne produisent pas d'éléments de preuve du préjudice qu'elles prétendent avoir subi du fait de la publicité qui aurait été donnée à cette circulaire ;

Considérant qu'en fonction de ce qui précède, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts présentée par les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant pour dénigrement, et de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté lesdites sociétés de leur réclamation sur ce fondement;

Considérant que, par ailleurs, la Société Laboratoire Aguettant présente une demande de dommages-intérêts motivée par le fait que les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica ont persisté à introduire la présente action, malgré les termes de la réponse écrite qui leur avait été adressée à la suite de leur lettre de mise en demeure en date du 11 avril 1996, et nonobstant l'issue d'une procédure judiciaire antérieure ayant opposé les Sociétés Cortial et Laboratoires Sarget à la Société Paris Chemical ;

Mais considérant qu'il ne peut se déduire de la nature du présent contentieux, ayant impliqué un examen approfondi des moyens de droit et des arguments techniques et de fait invoqués par chacune des parties, que la procédure dont les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica ont pris l'initiative caractérise de leur part un abus du droit d'ester en justice;

Considérant que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la Société Laboratoire Aguettant de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Considérant que l'équité commande d'allouer en cause d'appel à chacune des sociétés intimées, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, une indemnité égale à 20.000 francs, en complément de celle qui leur a été octroyée à ce titre en première instance;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que les sociétés appelantes conservent la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens engagés par elles dans e cadre de la présente procédure;

Considérant que c'est manifestement par suite d'une erreur matérielle que le Tribunal a condamné les Sociétés Gifrer Barbezat et Laboratoire Aguettant aux dépens de première instance;

Considérant qu'il y a lieu d'infirmer de ce chef le jugement entrepris, et de condamner les Sociétés Asta Medica et Laboratoire Asta Medica, lesquelles succombent dans l'exercice de leur recours, aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, déclare recevable l'appel interjeté par les sociétés Asta Medica SA et laboratoire Asta Medica SA, le dit mal fondé ; déclare mal fondé l'appel incident formé par les SA Gifrer Barbezat et SA Laboratoire Aguettant ; confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a statué sur les dépens ; l'infirmant de ce chef, et y ajoutant : condamne in solidum les SA Asta Medica et SA Laboratoire Asta Medica aux dépens de première instance ; condamne in solidum les SA Asta Medica et Laboratoire Asta Medica à payer à la SA Gifrer Barbezat et à la SA Laboratoire Aguettant, pour chacune d'entre elles, une indemnité de 20.000 francs, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel par les intimées : condamne sous la même solidarité les SA Asta Medica et SA Laboratoire Asta Medica aux dépens d'appel, et autorise d'une part la SCP Lefevre & Tardy, d'autre part la SCP Jullien-Lecharny-Irol, sociétés d'avoués, à recouvrer directement la part les concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.